mardi 29 janvier 2008

La haine de la démocratie

La haine de la démocratie

Elève au milieu des années 60 de Louis Althusser à l’ENS de la rue d’Ulm, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, professeur émérite à l’université paris VIII, Jacques Rancière, né en 1940, est sans doute l’un des plus grands philosophes français contemporains. Il apporte une contribution originale à l’analyse des concepts politiques et esthétiques. « Inspiré », entre autre, du marxisme son travail consiste également à déconstruire des concepts traditionnels tels que pouvoir, souveraineté, égalité, liberté, etc. Bien que la pensée ranciérienne au sujet notamment de la démocratie mette en cause la double oligarchie – étatique et économique – dans laquelle on vit, elle semble trouver écho chez certains « oligarques ». Ainsi un article pour le moins surprenant paru dans Paris-Match[1] intitulé « Jacques Rancière le philosophe qui inspire Ségolène Royal » prétend montrer où la candidate malheureuse du PS a « pris ses idées ». Elle les puiserait dans son essai de philosophie politique titré La haine de la démocratie[2] dont il est dans ce travail question.

Dans cet ouvrage, à travers une visite historique de la pensée politique de Platon aux sociologues postmodernes, l’auteur analyse les critiques contemporaines de la démocratie qui en font la seule cause des symptômes de notre société. Symptômes caractérisés par le règne des désirs illimités de l’individu de la société de masse moderne. Mais à vrai dire ce qui est à la base de la critique est une haine « ancestrale » de la démocratie. Cette critique de la démocratie a connu deux grandes formes historiques :

- Les législateurs aristocrates et savants ayant voulu composé avec la démocratie considérée comme fait incontournable ont dessiné des mécanismes institutionnels en vue de « tirer du fait démocratique le meilleur qu’on pouvait en tirer » tout en préservant deux « biens considérés comme synonymes : le gouvernement des meilleurs et la défense de l’ordre propriétaire ».

- Le jeune Marx montrant que ce qui est au fondement de la constitution républicaine est le règne de la propriété. Les lois et les institutions de la démocratie sont les apparences par lesquelles s’exerce le pouvoir de la classe bourgeoise.

La haine dont il est question ici n’est pas une haine réclamant une démocratie plus réelle mais la dénonciation d’un « excès » démocratique. La critique n’est pas adressée à la manière de Marx contre les institutions mais le peuple et ses mœurs. Donc il ne s’agit pas d’une corruption de la démocratie mais de la civilisation. Pour ces philosophes contemporains, « porteurs de la haine démocratique », la seule bonne démocratie est celle qui réprime la catastrophe de la civilisation démocratique.

Par ailleurs la démocratie implique « l’accroissement irrésistible des demandes qui fait pression sur les gouvernements. » ce qui entraine le déclin de l’autorité, les individus et les groupes deviennent rétifs à la discipline et au sacrifice requis par l’intérêt commun[3]. De même que la tyrannie la « vie démocratique » est l’ennemi de la démocratie. Pour résoudre ce problème une solution consiste à orienter les énergies fiévreuses s’activant sur la scène publique vers d’autres buts. L’inconvénient est qu’orientant les individus vers la recherche du bonheur (individuel) augmente d’un coté les aspirations et les demandes et crée une insouciance de l’affaire publique de l’autre. On a donc affaire à un double excès de la vie collective (double bind).

Une critique marxiste de la démocratie et ses « droits de l’homme » pouvait se résumer ainsi : les droits de l’homme sont « les droits des individus égoïstes de la société bourgeoise ». Autrement dit l’Etat des droits de l’homme est l’instrument des détenteurs des moyens de production. Mais la critique contemporaine par une série infirme de glissement arrive à transformer cette critique marxiste en remplaçant individus égoïstes par « consommateurs avides » et bourgeoisie par « l’homme démocratique ». Ce faisant le règne d’exploitation qu’a critiqué Marx se transforme en règne d’égalité.

Cependant la critique portant sur la démocratie n’est pas une simple critique de la démocratie mais de la politique même. Selon Platon les lois démocratiques sont comme une ordonnance médicale qu’un praticien en voyage aurait laissé une fois pour toutes à son patient quelque soit sa maladie. La démocratie est un style de vie s’opposant à tout gouvernement ordonné de la communauté. C’est un régime politique qui n’en est pas un. Car il n’a pas une constitution mais toutes. Aussi étonnant que cela puisse paraitre la critique platonicienne des petites bourgades grecques s’accorde parfaitement à la critique contemporaine de la démocratie. Or ce sont les mêmes qui avancent l’argument que la démocratie correspond à un autre âge qui ne peut convenir au nôtre. Alors comment comprendre « que la description du village démocratique élaborée il y a 1500 ans par un ennemi de la démocratie puisse valoir pour l’exact portrait de l’homme démocratique au temps de la consommation de masse et du réseau planétaire ? » La forme de la société grecque est présentée comme n’ayant rien à voir avec la nôtre pourtant on nous montre que la société à laquelle la démocratie était appropriée a des traits identiques à la notre.

L’hypothèse explicative de Rancière de ce paradoxe est que le portrait toujours approprié de l’homme démocratique est le produit d’une opération à la fois inaugurale et indéfiniment renouvelée visant à conjurer une impropriété qui touche au « principe même de la politique ». La démocratie n’est pas le contraire du bon gouvernement mais le « principe même de la politique ». Soit la démocratie est troublante soit elle révèle un trouble. Le principe de l’arché comme l’a rappelé H. Arendt est le commandement de ce qui vient en premier. Certaines dispositions rendent donc les uns plus aptes à gouverner et les autres à être gouvernés.

La démocratie va à l’encontre de tout cela. Elle sape la conception platonicienne qui veut que ceux qui sont nés avant ou mieux nés commandent naturellement. L’auteur de la République s’est consacré à recenser les titres de gouvernements qu’il énumère au chiffre de sept dont quatre touchent à la naissance et deux à la nature avec un dernier titre qui pose problème car il n’en est pas un, mais c’est le plus juste : « le titre d’autorité aimé des dieux ». Ce titre est le fait du hasard, du tirage au sort qui est la procédure démocratique par laquelle un peuple d’égaux décide de la distribution des places. D’où le scandale inacceptable pour des bien nés, les gens de bien qui ne peuvent admettre que leur science ait à s’incliner devant le sort.

Le septième titre platonicien est l’absence de titre, il brise toute la structure. Donc si nous revenons à la critique contemporaine, le problème n’est pas le consommateur avide, l’homme démocratique mais la « supériorité que consacre la démocratie qui est fondée sur l’absence de supériorité. L’absence de titre à gouverner. Une manière de contourner le problème que pose la démocratie est de refuser le hasard (tirage au sort) comme principe de désignation des gouvernants. Nos modernes disjoignent tirage au sort et démocratie. Comme quoi le tirage au sort convient au temps ancien mais pas au notre. La complexité de notre société exigerait des moyens plus appropriés : la représentation du peuple souverain pas ses élus.

Pourtant le véritable problème est ailleurs, pas dans les différences temporelles mentionnées. C’est que nous avons oublié ce que démocratie voulait dire, à quoi sert le tirage au sort. Nous avons oublié que le tirage au sort visait à palier un mal beaucoup plus grave et bien plus probable que le gouvernement des incompétents. Il visait à éviter le gouvernement de la compétence des hommes habiles à prendre le pouvoir par la brigue. Le tirage au sort n’a jamais favorisé les incompétents plus que les compétents.[4] Il est en accord avec le principe platonicien du pouvoir des savants : le bon gouvernement est le gouvernement de ceux ne désirant pas gouverner. Tout comme le peuple roi, il faut que le philosophe roi soit le fait du hasard. Pour qu’un gouvernement soit politique il faut qu’il soit fondé sur l’absence de titre à gouverner.[5]

Que les biens nés ou les meilleurs gouvernent, cela s’appelle aristocratie (aristoï). Que les plus riches gouvernent on a affaire à une oligarchie ou ploutocratie. Que les plus vieux gouvernent leur gouvernement est une gérontocratie. Le pouvoir des savants sur les ignorants implique une technocratie ou épistémocratie. Ce faisant nous établirons une longue liste de gouvernements fondés sur des titres à gouverner mais un seul manquera à l’appel : le gouvernement politique (la démocratie).

L’auteur de Aux bords du politique affirme que les sociétés sont fondamentalement organisées par le jeu des oligarchies. On a toujours affaire au gouvernement de la minorité sur la majorité. L’argument selon lequel les formes de nos sociétés sont incompatibles à la démocratie « n’est pas si probant qu’il le voudrait ». Au début du XIX siècle les représentants français ne voyaient pas de difficulté à rassembler au chef lieu du canton la totalité des électeurs. «La représentation n’a jamais été un système inventé pour pallier l’accroissement des populations ».[6] Le système actuel est une forme oligarchique, c’est une représentation des minorités qui ont titre à s’occuper des affaires communes. Dans son origine la démocratie est l’exact opposée de la représentation. Il s’agit d’un oxymore comme si on prétendait à l’obtention d’un cercle carré. Cependant Rancière ne propose pas de réfuter l’une au profit de l’autre.

La dénonciation de « l’individualisme démocratique » est simplement la haine de l’égalité par laquelle l’intelligentsia dominante se confirme qu’elle est bien l’élite qualifiée pour diriger l’aveugle troupeau. Il semble difficile de dessiner un régime qui ne soit pas oligarchique. Toute fois le système représentatif se rapproche du pouvoir de n’importe qui, il est possible d’énumérer un certain nombre de critères lui permettant de se déclarer démocratique :

- Mandats électoraux courts, non cumulables, non renouvelables

- Monopole des représentants du peuple sur l’élaboration des lois

- Interdiction aux fonctionnaires de l’Etat d’être représentants du peuple

- Réduction au minimum des campagnes et des dépenses de campagnes et contrôle de l’ingérence des puissances économiques dans les processus électoraux.

Mais aujourd’hui ce que nous appelons démocratie est tout simplement l’inverse (des caractéristiques précédentes) :

- Elus éternels, cumulant ou alternant fonctions municipales, régionales, législatives ou ministérielles

- Gouvernements faisant eux-mêmes les lois

- Représentant du peuple massivement issus d’une Ecole Nationale d’Administration, etc.

On est face à un accaparement de la chose publique par une alliance de l’oligarchie étatique et l’oligarchie économique. Cela veut dire que les critiques adressées à l’homme démocratique avide de consommation ne tiennent pas, puisque les maux dont souffrent nos « démocraties » sont dus à l’insatiable appétit des oligarques. Nous ne vivons pas dans une démocratie mais dans un Etat de droit oligarchique. C'est-à-dire où la double reconnaissance de la souveraineté populaire et des libertés individuelles est effective.

C’est une oligarchie qui reconnait aux citoyens un certains nombre de droit. Dans ce contexte « démocratie » signifie oligarchie donnant à la démocratie assez d’espace pour alimenter sa passion. Une passion démocratique qui est nuisible au « candidats de gouvernements » (en France) quand le choix populaire est porté sur les extrêmes. La légitimité oligarchique « nouvelle » est fondée par le mariage du principe de la richesse et du principe de la science[7] . L’indistinction entre gouvernants et gouvernés en tant que principe de la démocratie suscite la haine démocratique. Le gouvernement de « n’importe qui » est voué à la haine interminable dans ce monde ou pouvoir étatique et celui de la richesse se mêlent et font l’objet d’une même gestion savante des flux d’argent et de populations.

Le travail de Rancière fait appel à la réflexion de tout un chacun en vue de combattre le sentiment d’impuissance qui nous envahit. La démocratie est l’action qui remet en cause le monopole des oligarques étatiques et économiques. La somme des relations égalitaires conduit à une société égale.

Renald LUBERICE



[1] « Portrait » Semaine du 14 décembre 2007

[2] Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La fabrique éditions, Mayenne, 2005, 110 p.

[3] Op. cit. P.13

[4] Idem P.49

[5] Sinon il s’agit de la gestion

[6]Idem P.60

[7] Idem P.81

dimanche 20 janvier 2008

HAITI COLLUSION

HAITI COLLUSION

I

La politique est encor désorientée

Ici il n’y a pas d’ délibération

De mon coté demeure la vérité

Clame chacun. C’est leur revendication.

Haïti chérie est prise en collusion.

Ils se disent toujours les bons messies

Leur boulot ? Médias, surtout télévision !

Le peuple poursuit sa lutte sans merci

Des milliers d’ gens ne visent qu’un seul emploi

Lequel ? Bah, celui du palais national !

Ce pays fonctionne sans mode d’emploi

Ça se voit bien aux archives nationales

Où chaque racketteur a ses propres lois

Et à la DGI où chaque employé

A ses fonctionnaires oeuvrant bien, de plein droit.

Les mercenaires ont leurs troupes déployées

Partout, précisément dans les bidonvilles

Où l’argent manipule plus aisément

Où la misère et la pauvreté défilent

Où la violence s’exerce fréquemment.

Pour eux c’est l’investissement le meilleur

Qui permet d’ garder en marge cette couche

Ils s’en servent, se foutent de sa douleur

Ils lui foutent des armes et des cartouches

Pour qu’elle déstabilise le vieux pays

Quand ça va de plus en plus mal ils s’en volent

Et les hommes de mains se sentent trahis

Leur ressource c’est : pillage, viol et vol.

II

Aucune mesure jusques à ce jour

N’a été ici prise pour diminuer

La pauvreté rongeant le peuple, toujours

La durée de vie ne cesse d’atténuer

La drogue et la mer sont l’unique recours

Ceux ne pouvant atteindre ni l’un ni l’autre

Au ciel sans relâche crient : au secours !

Nulle part ailleurs les écrits des apôtres

Ne peuvent être mieux maîtrisés qu’ici

Dieu se fout peut être complètement d’ nous

Car les cœurs sont apparemment endurcis

Crimes et prière, sont toujours au rendez-vous

Des gens prient et d’autres s’ font assassinés

C’est une vraie tradition en devenir

Tous les maux se sont ici agglutinés

Les « diasporas » renoncent d’y revenir

Certains nient même leur nationalité

Et d’autres essayent de se blanchir la peau

Est-ce un problème de civilité ?

Urbi et orbi, traîne notre drapeau

Notre souveraineté est échangeable

Contre un pot ou du moins contre le pouvoir

En vérité ici tout est négociable

C’est une montagne de désespoir

Où tous les moyens sont bons pour s’en sortir

Chacun pour soi la corruption est partout

Les héros dit-on sont ceux qui s’en tirent

Le pouvoir demeure le meilleur atout

Renald

Août 2003

AYITI

AYITI

Bèl fanm devenn

Peze souse

Tout kòw fè kwenn

Tèt ou kase

Pa gen doktè

Tou ti katkat

Sou wout malè

Kouche sou nat

Ayiti…

Rele anmwwe

yo pa reponn

kisa ou dwe?

Menw prèt fin fonn

Pitit lakay

pa pran konsyans

ki sa pouw bay

pou delivrans

Ayiti !

Kot la sirèn

Menw fout tonbe

Kot la balèn

Menw ap neye

Jou ap pase

Lanmè move

Fòn travèse

Poun ka sove

M-tande bri

Yon ouragan

Fè vit, kouri

pa pèdi tan

Li ret yon chans

Si nou met men

Avèk pasyans

Sann pa goumen

Renald

PAUP Août 2003

Hymne à la corruption

Hymne à la corruption

« Tête en bas »

A qui sera la victoire ?

En qui tout le monde doit croire ?

Leaders avides de pouvoir

L’Etat oublie tous ses devoirs

Has been est la moralité

Partout c’est l’agressivité

Ici règne l’altérité

Sans aucune ambiguïté

C’est le moins qu’on puisse affirmer,

On vole sans être blâmé

Jamais, on ne se fait cramer.

Que se débrouillent les affamés.

Que L’impunité nous protège,

La drogue tombe comme neige,

Haïti soit toujours son siège

Et sans aucun risque de piège !

Renald, PAUP Août 2003

mercredi 16 janvier 2008

Le Talk show est-il une émission de divertissement, d’information, de culture, d’enquêtes ou simplement un « marché déguisé » ?

Le Talk show est-il une émission de divertissement, d’information, de culture, d’enquêtes ou simplement un « marché déguisé » ?

Introduction

Le talk-show, importé des Etats-Unis, se présente comme une sorte d’infotainment[1]. Du Portugal au Brésil, du Pérou à l’Israël, de la Norvège à la Chine ce concept audio-visuel se repend presque sur toute la planète. Il ne s’agira pas ici du concept de talk-show en général avec les possibilités de légères variations d’un pays à l’autre. Mais du talk-show à la Ruquier, Ardisson et compagnie s’inscrivant dans un contexte global de marchandisation des médias dominants. Ces genres d’émission à la « tendance de mélange des genres » ne souffriraient-ils pas tous d’une « non-conformité » à leur objet ?

Un contributeur de l’encyclopédie libre, Wikipédia, tente de décrire l’émission « Salut les terriens » de Thierry Ardisson diffusée sur Canal + ainsi : « L’actualité de la semaine en 50 minutes, observée et analysée avec distance et décalage[2] ». La chaine cryptée quant à elle présente l’émission comme « [un] divertissement, talk-show[3] ». Ces mêmes termes servent également à décrire l’émission de Laurent Ruquier sur France 2 « On n’est pas couché ».

Le concept de divertissement que mettent en avant les « promoteurs » de ces émissions ne serait pas un leurre si on considérait le terme strictement dans son acception pascalienne[4]. On n’a pas affaire à des émissions se rapportant à un « ensemble de choses qui distraient, occupent agréablement le temps »[5] mais à un ensemble de stratégie, agencée plus ou moins consciemment, visant à dissimiler leur véritable objectif qui n’est au fond autre que marchand.

Pour illustrer ce constat nous avons sélectionné deux émissions. L’une, « on est pas couché », est diffusée par une chaine publique (France 2), un média dont la finalité ne serait pas commerciale mais de « service public ». L’autre, « Salut Les Terriens », est diffusée par une chaîne privée (Canal +). A part ces deux émissions nous utiliserons quelques ouvrages qui traitent de la question des médias, et également des sites internet.

Le travail est bidimensionnel. Dans un premier temps il sera question du contexte de « marchandisation » dans lequel s’insèrent les médias et « l’illusion de liberté retrouvée » qui s’en est suivie. La deuxième partie tentera de démontrer que les talk-shows français, illustrés à travers les deux émissions sélectionnées, ne sont pas ce qu’ils croient être. A savoir des émissions de divertissement, de décryptage de l’actualité, de culture mais tout simplement des marchés d’un genre un peu spécial ou des marchands viennent « promener leurs denrées ».

I- “L’illusion” de la liberté retrouvée

Après avoir été l’apanage des pouvoirs publics, la télévision française a pris au milieu des années 70 une nouvelle tournure avec un certain « retrait » de l’Etat qui devrait déboucher sur une plus grande autonomie instaurant un certain « contre-pouvoir ». Les résultats escomptés sur ce point n’ont pas été au rendez-vous. Dans cette partie nous tenterons d’analyser, mettre en exergue (en survolant) la réalité de cette situation. Cette démarche nous permettra, espérons-le, de mieux comprendre l’inscription des talk-shows dans le processus global de marchandisation.

I.I « Monopole » de l’Etat

L’année 1945 peut être considérée comme la date de la mise en place formelle « du monopole de l’Etat sur la radiodiffusion »[6] avec la fondation de la RDF (Radiodiffusion française). Cet organe de contrôle s’élargira à la télévision sous l’appellation de Radio Télédiffusion Française (RTF) – placée directement sous l’autorité du ministre- qui elle se transformera sous l’impulsion du Général de Gaulle en ORTF dont la mission est de « satisfaire les besoins d’information, de culture, d’éducation et de distraction du public »[7]. L’Etat détient un pouvoir presque monopolisé sur les Médias (régis par l’Office) jusqu’au démantèlement de l’ORTF en 1974.

Sept organismes dits autonomes succéderont à l’office de Radiodiffusion et de Télévision Française. La dénomination TF1 de la première chaîne publique résulte de l’éclatement (~1975) de l’ORTF. Cette chaine (l’une des plus grandes en Europe) sera privatisée dès 1987. Mais cette situation n’est pas unique. Malgré la proclamation haut et fort par les médias français eux-mêmes d’un « contre-pouvoir », ils sont dominés par « un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché[8] ».

I.II Nouvelle monopolisation par la marchandisation

Rares sont les journalistes préoccupés par cette nouvelle monopolisation. Dans un entretien accordé à Marie Nicot, Daniel Schneidermann qui prétend véhiculer une « autocritique » sur les journalistes et le traitement de l’information dans les médias répond à la question : « Les investissements accrus des industriels dans les médias français vous préoccupent-t-ils ? » « Non », affirme l’animateur d’ « Arrêt sur image » avant d’argumenter : « La peur d'être traités de censeurs empêche les investisseurs d'intervenir »[9]. « Tu es naïf Daniel ! », lui répondrait Frantz-Olivier Giesbert « car tout propriétaire a des droits sur son journal. D’une certaine manière, il a les pouvoirs »[10]. Ce n’est pas la première fois que le présentateur détrôné avec son émission de la Cinquième affiche cette « naïveté ». Il a déjà « [c]onfirmé involontairement les analyses »[11] de Bourdieu Sur la télévision[12].

En France un nombre important de médias appartient aux groupes Lagardère, Bouygues, Pinault, Rothschild et compagnie. Or ces industriels s’affichent clairement comme proches du président Sarkozy. Cela n’est pas sans incidence sur l’information. Le journal Le Monde semble découvrir cette situation. « … [L]e grand quotidien du soir reconnaît qu’il ne peut plus « vérifier, relativiser, approfondir »[13] dans les traitements de certaines informations. Le « contre-pouvoir » semble peu a peu disparaitre au profit d’une monopolisation par la marchandisation, ce qui a entre autre, pour effet d’orienter les médias en fonction des intérêts marchands et l’orientation politique de leur propriétaire. C’est dans ce contexte que sont produits un nombre importants d’émission de télé au titre très variés et au contenu uniforme.

II- Talk-show : au-delà du concept

Le talk-show se veut une émission d’information, de divertissement et de culture. Qu’en est-il vraiment ? Regardons de plus près deux des talk-shows les « plus suivis » en France : « on n’est pas couché » présenté par Laurent Ruquier sur France 2 et « Salut les terriens » de Thierry Ardisson sur Canal +.

II.1 Mélange de genres

Pendant environ 3heures Laurent Ruquier reçoit une quinzaine d’invités tandis que Thierry Ardisson en accueil moins d’une dizaine en l’espace d’un peu plus d’une heure. Bien que ces deux émissions revendiquent l’appartenance au même genre (talk-show) et tablent sur le concept de divertissement elles sont différentes (en apparence). « Salut les terriens » est présenté à une heure « supposée » de grande écoute : 19h20 ; et « on n’est pas couché » est présenté en deuxième partie de soirée. Elles se diffèrent aussi par leur format et leur « présupposé ».

Thierry Ardisson se propose de « feuilleter l’actualité » dans une optique qui ne permet pas aux téléspectateurs de comprendre la portée des clichés choisis[14] mais juste d’avoir l’impression de « regarder se produire sous ses yeux[15] » les événements de la semaine. Il ne faut pas entendre par événements des choses extraordinaires qui se seraient produites pendant ce laps de temps mais tout ce qui est passé à la télé. C'est-à-dire un méga « mélange des genres » soigneusement opéré par « nos » médias dominants. Laurent Ruquier entame de son coté son émission dans une ambiance qui se veut moins « informative » et « analytique » mais plus comique avec un accent particulier sur « l’actualité people ». Dans ces émissions tout se mélange tout se « dit » sauf l’essentiel : leur véritable but. On peut même se demander dans quelle mesure les animateurs sont-ils conscients de la fausseté du but avoué de ces émissions. Ils continuent à croire que leur rôle est différent de celui des animateurs d’un hypermarché qui sont là pour présenter et faire déguster de nouveaux produits aux clients.

II.2 Un super Marché

Peu à peu la presse se métamorphose en presse d’activité entrepreneuriale. On a affaire à des « marchands de nouvelles »[16] qui prime désormais une information dite « attractive » en vue de « publicité efficace »[17]. Un des principaux critères pour qu’une émission se maintienne dans les grandes chaines de télévision est sa rentabilité (commerciale). Dans le cas des deux émissions sélectionnées qui sont un espace où des marchands d’un genre un peu spécial viennent « promener leur denrées », tout doit être fait pour qu’il y ait le maximum de clients potentiellement acquéreurs lors des présentations. Pour ce faire elles doivent être présentées dans un cadre attractif, agréable, consensuel qui donne l’impression au téléspectateur que son « temps est agréablement occupé ». Son cerveau est ainsi rendu « disponible[18] ».

Dans l’émission « on n’est pas couché » que nous avons suivie, une quinzaine « d’invités » se sont défilés sur le plateau tout au long de l’émission. Celle-ci a été essentiellement consacrée à eux. Or à part Laurent Ruquier et ses chroniqueurs tout le monde avait un produit à vendre. D’ancien « chef » de gang à ex dirigeant de la campagne de Ségolène Royal, de journaliste sportif à acteur de cinéma les origines sociales des invités étaient très variées. Cependant ils avaient tous un point commun : ils venaient vendre leur « denrée » et ils n’étaient présents que pour cela. Alors pourquoi ne pas dire les choses telles quelles sont aux téléspectateurs ? Pourquoi leur faire croire qu’on présente une émission d’information, de divertissement alors qu’au fond c’est un « super marché » qu’on anime ? L’émission de Thierry Ardisson est de ce point de vue identique à celle de Ruquier la quasi-totalité des gens présents sur le plateau venaient vendre leur produit.

Un autre aspect de ce supermarché est que tout comme Carrefour, Auchan etc. des accords formels ou tacites ont été passés avec des « fournisseurs » privilégiés. Ce qui permet des «[ …] notoriétés indues, [des] affrontements factices, [des] intervenants permanents [et des] services réciproques »[19]. Un animateur qui lance des piques à son concurrent d’une autre chaine n’hésitera pas à aller à « chez » son émule en vue de la promotion de sa nouvelle émission.

Conclusion

L’autonomisation voulue pour les médias (presse) français débouche sur leur marchandisation et leur dépendance. Rares sont ceux qui y échappent. A la télévision, c’est le règne de « la logique d’audimat, c'est-à-dire la soumission démagogique aux exigences du plébiscite commercial.[20] »

Ces talkshows s’inscrivent donc dans ce processus de marchandisation, leur but n’est autre que marchand. Mais pour parvenir à leur objectif ils se sentent obligé de dissimiler la réalité, en se présentant en permanence pour ce qu’ils ne sont pas : un espace d’information, de culture et/ou de divertissement. Tout comme Michelin « doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui sans lui mourraient de faim »[21] les présentateurs (journalistes) se gardent de révéler le but véritable de leur entreprise.

Cependant nous ne pouvons pas infirmer catégoriquement le caractère divertissant de ces talkshows. Pour ce faire, il aurait fallu une sorte d’étalon, pour parler comme Léo Strauss[22], du divertissement. C’est-a-dire un ensemble de critère universellement partagé auquel on se référerait. Faute de quoi nous sommes obligé de considérer le caractère relatif du divertissant. Car ce qui vous donne l’impression d’occuper agréablement votre temps peut ne pas l’être pour nous.

Nonobstant, n’étant donc pas adepte d’un nihilisme « absolu » nous pouvons nous mettre d’accord sur ce qui est informatif ou ne l’est pas, ce qui est purement marchand ou non. Ainsi nous déduirons le caractère « commerçant » de ces talkshows qui s’inscrivent dans un processus identique à une échelle supérieure. La découverte de ce « secret » nous permet de savoir ou en sommes-nous et de réfléchir à des alternatives.

Bibliographie

- Daniel Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu, Paris, Fayard, 1999

- Eric Neveu, sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La découverte « collection Repères », 2004

- Jean-François Revel, Le rejet de l’Etat, Grasset, 1984

- Pierre Bourdieu, Sur la télévision, suivi de l’emprise du journalisme, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 1996

- Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 2005

- Ignacio Ramonet, « S’informer fatigue », Le Monde Diplomatique, octobre 1993

Emissions

- Laurent Ruquier, France 2, « On n’est pas couché », émission diffusée le 27/10/07

- Thierry Ardisson, Canal +, « Salut les terriens »,

- Daniel Schneidermann, France 5, « Arret sur images »,

Sitographie

- Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Salut_les_Terriens&oldid=23318316 consulté le 27/12/07

- Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2857757715; consulté le 27/12/07

- Bakchich http://www.bakchich.info/article2190.html consulté le 27/12/07

- Marie Nicot, Stratégies http://www.strategies.fr/archives/1103/110303701/daniel-schneidermann---la-verite-est-ma-princesse.html consulté le 27/12/07



[1] Pour ce terme voir Erik Neveu, sociologie du journalisme, Paris, La Découverte « collection Repères », 2004, P. 7

[3] Voir la Fiche descriptive de l’émission sur le portail du FAI Free télécom (en ADSL)

[4] C’est-à-dire : divertissement comme processus de détournement et de dissimilation

[5] Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2857757715; consulté le 27/12/07

[7] Loi no 64-621

[8] Serge Halimi, les nouveaux chiens de garde, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 2005

[10] Cité par serge Halimi, op cit. p. 61

[11] Henri Maler, Le Monde Diplomatique http://www.monde-diplomatique.fr/1999/07/MALER/12243 consulté le 27/12/07. Daniel Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu, paris, Fayard, 1999

[12] Pierre Bourdieu, Sur la télévision. Suivi de l’emprise du journalisme, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 1996

[14] Le « Zapping » par exemple

[15] Ignacio Ramonet, « s’informer fatigue », Le Monde diplomatique, octobre 1993

[16] Expression employée par Roy Howard cité par Erik Neveu in Sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La découverte « collection Repères », 2004, P.11

[17] idem

[18] Patrick Lelay, Les dirigeants face au changement, paris, Ed. du Huitième jour, 2004, P.92

[19] Serge Halimi, op. cit.

[20] Pierre Bourdieu, Op. cit.

[21] Paul Nizan cité in Serge Halimi, Op. Cit. p. 87

[22] Droit naturel et histoire,