lundi 26 mai 2008

le non retour au pays natal

Tous les individus d’une population n’ont pas ce qu’on appelle la « conscience politique ». Ce qui fait qu’il y a des gens qui croient que la situation d’Haïti est dans l’ordre des choses et qu’on ne peut rien y faire. Ceux-là ne reviendront pas si les conditions préalables que tu as énumérées ne sont pas remplies. On est donc d’accord que la fuite des cerveaux, le non-retour des boursiers dans le pays sont dus au fait qu’il n’y a pas une politique sérieuse d’encadrement qui favoriserait ces personnes-là une fois retournées.

Cependant il y a un certain nombre de personnes qui répète en boucle que nous pouvons changer les choses, que nous avons toute la capacité nécessaire pour le faire. Pendant ce temps il reste à l’étranger croyant qu’il suffit d’affirmer la possibilité d’un changement pour que cela se concrétise. N’y a-t-il pas là un problème ? Je ne veux pas que cette assertion soit comparée à des situations personnelles. Mais depuis que je suis gamin, (il y a 10, 15 ans) j’entends des gens de cette diaspora dire qu’il faut changer les choses. Ils font toute leur carrière professionnelle à l’étranger et ils y restent encore.

On est d’accord que l’individu a le droit de vivre à l’endroit, au pays qu’il choisit mais à quoi sert de cracher quotidiennement sur Haïti et ses gouvernants en opposant ses compétences à celles des dirigeants haïtiens alors qu’on est convaincu qu’on y reviendra que si la situation s’améliore ? (On ne revient pas à sa patrie parce qu’elle a une bonne situation, mais parce qu’il s’agit de sa patrie) On peut faire de milliers de recommandation à nos gouvernants mais pourquoi ne pouvons-nous pas mettre la main à la patte ?

Rien que le Canada absorbe plus de 60 % des cadres haïtiens à ceux-là s’ajoutent ceux qui sont dans d’autres pays. Comment fais-tu pour développer un pays dans de telle situation au 21ème siècle ? Comment fais-tu pour mettre en place une bureaucratie et un appareil administratif indispensables à l’Etat moderne ?

L’haïtien qui a de la conscience politique ne se demande pas que vont faire les gouvernants pour que je puisse rentrer, il ne pose pas de condition préalable pour revenir au pays natal car on ne pose pas de condition pour aller secourir sa mère, il met en place un plan personnel, individuel ou collectif, pour pouvoir y retourner et mettre la main à la pâte. Ceux qui posent des conditions d’infrastructure, de sécurité etc. sont ceux qui n’ont pas de conscience politique. Ceux-là ne sont pas l’objet de mon discours !

Cordialement

Renald LUBERICE

25 mai 2008

Banalisation de l'inadmissible : rép à Dore, alii

Dore,

Tu as écrit des choses plus moins pertinentes, avec les quelles je suis plus ou moins d’accord. Je ne reviendrai pas là-dessus. En revanche, j’aimerais que tu me permettes de revenir sur deux points. L’un concerne la « diaspora » dont nous parlons et l’autre cette assertion : « Donc, il revient à l’ETAT HAITIEN de l’organiser » tirée de ton texte précédent.

J’ai eu à maintes reprises l’occasion de souligner l’«impertinence » du concept de diaspora s’agissant des Haïtiennes et des Haïtiens de l’extérieur. Bien que je n’aie pas les outils nécessaires en vue d’affirmer quelque chose qui serait valable pour l’ensemble des Haïtiennes et des Haïtiens de l’extérieur mon assertion concernera les Haïtiennes et les Haïtiens de France. Elle est « idéaltypique » et modal, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas adéquat, qui ne décrit pas la réalité dans sa globalité mais qu’on rencontre le plus souvent.

Le concept de diaspora à une histoire (j’en ai déjà parlé ailleurs, voir http://luberice.blogspot.com/ ) mais correspond également à une réalité. C’est l’idée d’une communauté nationale vivant loin de sa terre natale, unie par une culture, une religion et un certain socle de valeurs partagées et ayant une identité propre. Ces valeurs servant de lien sont transmises de génération en génération. Dans le cas du peuple juif pour lequel le concept a été (pour la première fois) utilisé ces valeurs sont transmises et sauvegardées pendant environ mille ans.

Plusieurs aspects rendent improbable l’existence d’une diaspora haïtienne. Primo, l’impossibilité de définir une identité haïtienne dont cette diaspora serait porteuse et se chargera de la transmission. Secundo, la non-transmission de cette identité en diaspora. Tertio, le rejet de l’identité par les enfants issus de l’émigration.

D’abord qu’est ce que l’identité haïtienne, au juste ? De quoi est elle constituée ? Certains affirment l’absence de culture et d’identité haïtiennes propres. Me concernant j’utiliserais, à la suite de Fernando Ortiz, le concept de transculturalité pour parler de la culture haïtienne qui est de toute évidence transculturelle, c'est-à-dire issue d’un emprunt de certains matériaux à d’autres cultures dominantes (pour en former une nouvelle). Ainsi l’identité haïtienne serait avant tout « l’haïtianité » qui est la créolité – le fait de parler le créole haïtien. Quand je rencontre un compatriote je lui dis « kouman nou ye » et je me sens bien et tout à coup plus Haïtien que jamais.

Cette créolité est rarement transmise aux générations issues de l’émigration en France. On a affaire à une communauté dont la plupart sont des boat peoples, issus de la paysannerie haïtienne, qui ont débarqué aux petites Antilles françaises et ont subi de plein fouet le racisme et la xénophobie qui y règnent avec pour corolaire l’infériorisation de l’Haïtien. Or ces compatriotes qui n’avaient pas le socle culturel nécessaire en vue de prendre de la hauteur par rapport à ces agissements, qui ne pouvaient pas y opposer toute la fière que véhicule l’haïtianité ont fini par intégré ces préjugés et pour s’en débarrasser leurs enfants cachent leur identité haïtienne.

Alors ils préfèrent parler un créole antillais et ne pas avouer leur origine Haïtienne. Pour savoir qu’ils sont haïtiens, il faut poser des actions en publique qui rehaussent l’image de notre pays à ce moment-là ils avouent leur origine haïtienne grâce aux capitaux symboliques qu’ils peuvent en tirer. Combien de fois rencontre-t-on à l’université en France des camarades qui étaient au premier abord des antillais et qui finissent par être haïtien quand on expose en cours ce qu’est Haïti en vrai ? Je laisse le soin aux internautes qui ont fréquenté les universités françaises d’y répondre.

Un autre aspect qui est étonnant c’est que bizarrement les enfants d’Haïtiens nés ou arrivés jeunes en France ne parlent pas créole ! Vous leur parlez en créole ils vous répondent en français. Leurs parents leur parlent en créole, ils répondent en français. On est presque sûr que les enfants de ces enfants ne parleront pas un mot créole et n’auront d’Haïti que de vagues souvenirs imaginaires. Où passera donc la diaspora dont on parle? Imaginons que les vagues migratoires cessent que deviendra cette diaspora haïtienne qui est incapable de transmettre l’haïtianité?

Il me semble donc qu’il est plus judicieux de parler d’Haïtiens expatriés ou d’Haïtiens de l’extérieur que de diaspora.

2. « Il revient à l’Etat haïtien » d’organiser la diaspora. Très bien Dore. Cependant cette affirmation me parait « inversement » tautologique. Dans mon précédent texte j’ai insisté sur la nécessité que les haïtiens de l’extérieur mettent la main à la pâte pour construire l’Etat Haïtien. Notre compatriote Zabeth Jean Bergeron, je l’en remercie d’ailleurs, a brillamment insisté sur l’urgence de l’émergence d’une « conscience politique nationale ». Comment peut-on demander à l’Etat d’organiser la diaspora, alors que cet Etat n’existe pas encore ? Il faut d’abord construire l’Etat après il se donnera la tâche d’organiser cette diaspora qui pourrait lui être précieuse.

En revanche Dore t’a parlé de ce que rapporte à Haïti la « diaspora haïtienne » t’es-tu déjà demandé combien coûte à Haïti la diaspora haïtienne ? Quand le pays a dépensé pendant 20 ans pour former un Haïtien, après celui-ci se voit obliger de mettre toutes ses compétences acquises au frais du pays au service du Canada, des Etats-Unis, de la France etc. ? Ne crois-tu pas que c’est une cause d’appauvrissement énorme ?

Dore Construisons d’abord L’Etat.

Pour une Haïti fière et digne

Renald LUBERICE

2008-05-26

http://luberice.blogspot.com/

samedi 24 mai 2008

Banalisation de l'inadmissible

Pour une Rupture historique

Haïti : la banalisation de l’inadmissible.

Parfois le citoyen lambda, que je suis, ne peut franchement s’empêcher de se demander si Haïti n’est pas l’objet d’une sorte d’exceptionnalité tant du point de vue des agissements de nos gouvernants, de nos élites et même des étrangers évoluant da ns notre pays.

Il y a quelques mois déjà que je me suis étonné des déclarations d’un chef de mission diplomatique accrédité en Haïti. Le diplomate a fait une leçon bien méritée aux élites haïtiennes de l’extérieur en leur disant qu’une forte partie des étudiants haïtiens (à l’étranger) une fois obtenus leur diplômes ne revient pas en Haïti et que ce n’est pas « comme cela qu’on va développer » le pays. Récemment encore ce même diplomate affirme sur les ondes d’une station de radio métropolitaine que « l’absence de méthode de travail » serait une des raisons du sous-développement en Haïti, il met l’accent sur le problème de coordination des bailleurs de fonds, sur le « manque absolu de communication », sur le fait que la « direction vers laquelle on va » n’est pas déterminée.

Ces assertions sont tellement vraies et lucides qu’elles feraient même l’unanimité. Donc je ne saurais ici les remettre en cause. Ce qui est en revanche choquant c’est le fait que nous considérons qu’il est normal qu’un diplomate s’immisce comme bon lui semble dans les affaires internes d’Haïti, que certains de nos journalistes n’hésitent pas à aller régulièrement solliciter l’avis des diplomates sur des affaires économico-sociopolitiques de notre pays.

Est-il besoin de rappeler que la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (Vienne, 18 avril 1961) définit à l’article 3 les fonctions d’une mission diplomatique de la manière suivante : « Représenter l’Etat accréditant auprès de l’Etat accréditaire; Protéger dans l’Etat accréditaire les intérêts de l’Etat accréditant et de ses ressortissants, dans les limites admises par le droit international ; Négocier avec le gouvernement de l’Etat accréditaire; S’informer par tous les moyens licites des conditions et de l’évolution des événements dans l’Etat accréditaire et faire rapport à ce sujet au gouvernement de l’Etat accréditant; Promouvoir des relations amicales et développer les relations économiques, culturelles et scientifiques entre l’Etat accréditant et l’Etat accréditaire. »

L’article 41 définit certaines limites des privilèges et immunités dont bénéficient les membres de mission diplomatique : « Sans préjudice de leurs privilèges et immunités, toutes les personnes qui bénéficient de ces privilèges et immunités ont le devoir de respecter les lois et règlements de l’Etat accréditaire. Elles ont également le devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures de cet Etat. »

Si aucun diplomate étranger, peu importe la puissance de l’Etat accréditant, ne s’arrogerait le droit de s’immiscer dans les affaires internes d’un pays comme la France mais aucun journaliste français digne de ce titre n’irait non plus à une mission diplomatique pour demander aux diplomates leur avis sur les affaires internes de la France, il n’encouragerait pas contrairement à nous, Haïtiennes et Haïtiens, à violer les lois de son pays et les conventions internationales.

La croyance à une puissance accroit de manière exponentielle la force réelle de cette puissance pour lui attribuer une puissance qu’elle ne saurait détenir sans l’aide de celles et ceux qui y croient. A force de croire que l’avis des puissances étrangère est déterminant dans la résolution ou de l’empirement de nos difficultés nous banalisons l’inadmissible et faire d’Haïti un Etat pas tout à fait comme les autres. C’est-à-dire un Etat qui n’en est pas un !

Certains faits et agissements a priori anodins constituent un mécanisme de blocage à l’émergence d’une Haïti fière et digne, à la hauteur de son histoire. Seule une rupture méthodique sera à même de nous sortir de ce bourbier bicentenaire.

Renald LUBERICE

Paris, 24 mai 2008

http://luberice.blogspot.com/

dimanche 18 mai 2008

Haïti : Quel titre à gouverner ?

Haïti : Quel titre à gouverner ?

Cette question renvoie à un vieux débat qui remonte Av. J.C. avec Platon à Athènes. Celui-ci par son dégoût et son mépris pour la démocratie athénienne qui est, selon lui, une véritable licence, a fait une conclusion surprenante après avoir énuméré les sept titres à gouverner allant de la naissance à la fortune. Le septième titre n’en est pas un, il est commun à tout le monde : c’est l’absence de titre. Mais c’est le titre le plus juste, le plus apte à respecter l’égalité des citoyens.

La pensée platonicienne trouve sa place dans ce que le philosophe français Jacques Rancière (contemporain) appelle « la haine de la Démocratie ». Les Athéniens avaient concrétisé ce respect de l’égalité des citoyens par l’instauration du tirage au sort comme mode de désignation des Magistrats. Mais avec le temps nous avons délaissé le tirage au sort au profit du vote, l’Election devient « l’instrument démocratique par excellence ». Ce choix s’explique par la volonté de renouer avec une autre ancienne conception qui est le gouvernement des « meilleurs ». Nos régimes contemporains de Démocratie représentative sont le mélange de ce principe aristocratique (aristoï = meilleurs) et quelques principes démocratiques.

C’est un choix qui se veut pragmatique vu la complexité des sociétés contemporaines. Cependant, cet argument a été remis en question, mais ici n’est pas l’objet. Des centaines de discours pleuvant sur Haïti mettent en avant la « violation » de ce nouveau principe démocratique, qui veut que les meilleurs gouvernent. Certains parlent donc de la médiocratie qui caractériserait notre pays. Les Haïtiens expatriés que le « sens commun » désigne sous l’appellation de diaspora font partie de ceux qui croient que le pays va mal du fait de l’incapacité de nos gouvernants. Considérons provisoirement que cette accusation est vraie.

Certains de cette « dite diaspora » avouent qu’ils ont la capacité de faire mieux que les gouvernants actuels et changer les choses. La façon dont le problème est posé laisse croire qu’appartenir à cette diaspora est un titre à gouverner. On dirait que la médiocrité est quelque chose d’exclusivement inhérente à Haïti et qu’une fois traversé l’océan on devient, comme par enchantement, compétent et on est capable de devenir Ministre, président et changer les choses. Mais attention, ces mêmes personnes de ladite diaspora posent une condition avant de pouvoir venir changer les choses : il faut que les incompétents qui sont au pouvoir créent les conditions de sécurité, d’infrastructures, etc. Sinon, ils ne reviendront pas. Si chaque Haïtienne, chaque Haïtien avait la même exigence de sécurité et autres, il n’y aurait pas un seul habitant dans ce pays.

Il s’agit là d’un extraordinaire paradoxe : déclarer que des gens sont incompétents, qu’il faut les remplacer et en même temps leur demander de faire des réalisations de haute compétence avant de pouvoir les remplacer. Etant donné que quand nous sommes en diaspora, bien que loin du pays, nous nous sommes vus quotidiennement rappeler que les choses vont mal en Haïti. Les exigences de ces gens de la diaspora ne pourraient-elles pas être considérées comme une stratégie de diversion, de déculpabilisation du genre : vous voyez, si nous ne faisons rien pour Haïti malgré son piteux état, c’est parce que les incompétents qui gouvernent le pays ne nous le favorisent pas ?

Ainsi nous pouvons avoir la conscience tranquille et dormir, jouir, vivre paisiblement en attendant que les incompétents nous appellent (ce qui est très peu probable). Pendant ce temps, le pays continue sa course vers la descente aux Enfers.

L’enjeu est double : notre titre de diaspora nous attribue une « reconnaissance » sociale en la faisant passer pour un titre à gouverner. Nous ne gouvernerons pas parce que nous avons conscience, sans le dire, de la complexité des choses et nous ne voulons pas prendre le risque de laisser nos enfants, nos maris, nos femmes et nos amis.

Pourtant Haïti est un « appel au secours » qu’on soit en diaspora ou non, on a le même titre à gouverner. Ce qu’il faut ce sont des Institutions sociales aptes à palier à la médiocrité, aux folies antidémocratiques, au Patrimonialisme, au Sultanisme, au Patricide, etc.

Pour une Haïti à la hauteur de son histoire.

Paris, le 14/05/08

Renald LUBERICE.

http://luberice.blogspot.com/

lundi 12 mai 2008

Ma crainte et mon appel

Ma crainte et mon appel

Le point de vue de la Ministre Lassègue vient de confirmer ce que nous affirmons, avec d’autres, tantôt : Le problème haïtien n’est pas un problème de personne, bien que dans certains secteurs il y ait un manque criant de ressources humaines, mais une carence, une désarticulation institutionnelle. Prenez le meilleur premier ministre du monde mettez-le dans le bourbier haïtien, il n’est pas sûr qu’il fasse mieux que Latortue ou Alexis.

Le gros problème de notre pays est qu’il n’y a pas de parti politique institutionnalisé à la hauteur de l’enjeu. Comment voulez-vous gouverner en démocratie représentative sans aucun parti politique en mesure d’obtenir une majorité parlementaire ? Comment voulez-vous prendre des décisions dans un contexte où les partis se concertent avec le gouvernement mais les parlementaires ne suivent pas, où chaque parlementaire se considère comme un petit chef autonome, un petit empereur en devenir ?

A travers cet article j’aimerais exprimer une crainte et ensuite lancer un appel. Je crains que les centaines de discours qui ont plu sur Alexis et ses prédécesseurs ne pleuvent pas d’avantage sur ses successeurs et que le pays continue sa course vers la descente aux enfers. Je crains que nous continuons de croire que le problème d’Haïti résulte uniquement dans l’incapacité individuelle de nos gouvernants sans comprendre qu’en démocratie parlementaire les partis politiques jouent un rôle déterminant et que l’absence de parti institutionnalisé c’est-à-dire dont les mécanismes d’attribution de rôle, les rapports dirigeants/parti, militants/parti, se font en fonction des normes préétablies.

Il est six heures trente (am), je lance un appel à toutes et à tous de s’engager concrètement pour Haïti. « Grand » de mes vingt-six ans, je ne suis certainement pas le mieux placé à le faire, mais je l’ose quand même. Chacun dans sa tête peut se dire qu’il s’est déjà suffisamment engagé. Mais si nous n’avons pas encore vu les résultats c’est qu’un accroissement d’efforts est nécessaire. Je pense que la meilleure façon pour l’instant de s’engager politiquement est de contribuer à l’émergence de partis politiques à la hauteur de l’enjeu.

Solidarisons-nous

Pour une Haïti fière et digne.

Renald Lubérice

Paris 8/05/08

Haïti : qu’attendons-nous pour une Rupture Historique ?

Haïti : qu’attendons-nous pour une Rupture Historique ?

L’histoire ne se répète pas. Cette affirmation s’impose presque naturellement à l’esprit. Il est cependant certaines choses dans notre histoire qui me poussent à me demander s’il n’y a pas une certaine exceptionnalité à cette assertion : la continuité par l’absurdité répétée qui jalonne nos 200 ans d’histoire. Il ne s’agit pas ici d’une revisite encore moins d’une reconsidération historique globale mais la nécessité pour nous, Haïtiennes et Haïtiens d’aujourd’hui, d’utiliser les leçons de nos balbutiements historiques en vue de l’émergence d’une Haïti à la hauteur de son histoire.

Un ami vient de m’envoyer un texte du docteur Rosalvo Bobo « à propos du centenaire de l’indépendance ». Je ne puis, malheureusement, m’empêcher de faire un lien logique entre ce qu’il dénonçait, il y a 105 ans, et la situation qui a prévalu autour du bicentenaire de l’indépendance et qui prévaut encore. Il s’agit là d’une « répétition historique ». Les « caricatures révoltantes » et le goût de l’improvisation qui ont manifestement énervé le Dr Bobo, nos « égarements » qui ne sont plus centenaires mais bicentenaires nous mettent devant la nécessité d’opérer une Rupture Historique.

Une des manières d’y parvenir est de nous donner les moyens de nous dire : plus jamais ça, plus jamais la célébration séculaire de l’indépendance dans la turpitude politique, économique et sociale. Vraisemblablement, les contemporains de Bobo n’ont pensé au centenaire de l’indépendance qu’un an ou deux ans avant, ils n’ont pas réalisé que la commémoration d’un événement de cette ampleur n’a de sens que si les conditions matérielles d’existence sont favorables.

Nous non plus, n’avons pas créé les conditions de célébration du bicentenaire d’une Haïti fière et digne, nous ne nous y sommes pas pris à l’avance. Haïti n’était pas à la hauteur de cette commémoration. Ces deux épisodes – centenaire et bicentenaire – font désormais partie de l’histoire. La question est maintenant qu’allons nous faire de ces enseignements ? Allons nous par exemple continuer à nager dans l’improvisation économico-sociopolitiques jusqu’au « quintacinquantenaire » de l’indépendance, ou allons nous nous donner les moyens pour que les générations futures puissent célébrer une révolution haïtienne d’un pays à la hauteur de son histoire ? La rupture historique consistera à prendre des mesures économiques et politiques qui auront des incidences positives sur les 15, 20, 30, …, années à venir.

Agissons pour l’Haïti de nos enfants et petits enfants.

Paris, 12 mai 2008

Renald LUBERICE

http://luberice.blogspot.com/

Gouverner en démocratie :Pour une Rupture historique

Pour une Rupture historique

Gouverner en Démocratie

Nos régimes contemporains de démocratie dite représentative, consacrant l’élection comme « instrument démocratique par excellence »[1], contrairement à la démocratie athénienne où « le tirage au sort /…/ paraissait le mieux apte à respecter l’égalité stricte des candidats »[2] nous renvoient à un problème récurrent qui est l’exercice même du pouvoir politique. Ce problème est encore plus flagrant dans les démocraties naissantes comme c’est le cas en Haïti.

L’exercice du pouvoir politique n’échappe pas aux structures structurées promptes à fonctionner en tant que structures structurantes qui structurent les « mœurs » et les comportements. C’est ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelle habitus. La société haïtienne a son habitus que nous pouvons désigner sous l’appellation de « l’habitus haïtien » qui influe sur l’exercice du pouvoir et sur la manière d’être en société. Notre démocratie naissante se trouve donc en proie à cet habitus.

Faute d’institutions solides pouvant palier au déficit démocratique notre nation se trouve à la merci de la corruption et la violence du pouvoir institutionnalisées depuis maintenant de très longues années. Après le départ des Duvalier, le processus de « transition démocratique » qui s’est enclenché a vu naître des dizaines de partis politiques. Ce qui aurait été dans certains contextes preuve de vitalité démocratique. Pourtant l’éclosion de ces partis n’a pas permis à notre pays de faire décoller le processus démocratique.

En démocratie représentative, telle que l’institue notre Constitution, les partis politiques sont d’un intérêt vital. Car il faut une majorité parlementaire pour gouverner. Majorité unie par un fort ancrage idéologique et déterminée. Or parmi notre centaine de partis politiques rares sont ceux réellement en mesure d’obtenir une majorité parlementaire. La capacité d’élaborer un projet socio-économique à long terme reste aussi incertaine. Nos partis ne semblent pas être pressés de se questionner sur les raisons de leurs échecs et de se réformer. Tout le monde s’amuse à faire des plateformes électoralistes, à nouer des alliances contre nature qui n’auront pour effet que de bloquer le pays. Quels sont les partis en mesure d’obtenir la présidence et/ou une majorité parlementaire dans les prochaines élections présidentielles et législatives ?

Il est certain que tous les partis n’ont pas la même vision du monde, et c’est peut-être ça la raison d’être du multipartisme. Dans une situation où constitutionnellement les mesures doivent être prises à la majorité et qu’aucun parti n’a de majorité, on est condamné à des alliances contre nature. Ces alliances obligent à tout revoir à la baisse, puisqu’il faut trouver un consensus pour avancer. Souvent, les considérations ne se portent pas sur l’intérêt national mais ce que chaque parti (partie) peut tirer en termes de capitaux dans le partage des pouvoirs.

Pourtant notre pays nécessite des réformes profondes qui passeront par une rupture historique avec les pratiques et la gouvernementalité traditionnelle. Pour gouverner en démocratie, il faut des partis politiques institutionnalisés et puissants (en terme de capacité de mobilisation électorale).

Que devons-nous faire dans une telle situation ? Lancer des partis politiques avec de nouvelles générations de dirigeants? Homogénéiser (fusionner) certains des partis existant en vue d’obtenir des partis à la hauteur de l’enjeu ? Augmenter le nombre de signatures nécessaires en vue de la participation aux processus électoraux ? Cette dernière mesure a été prise mais aurait été contournée par des partis politiques qui ont pu se procurer des signatures de manière totalement illégale, ce qui est assurément dû à l’incapacité institutionnelle à juger de la véracité des listes fournies. Que faire ?

Pour une Haïti à la hauteur de son histoire

Renald LUBERICE

Paris, 12 mai 2008

http://luberice.blogspot.com



[1] Bernard Manin, Principe du gouvernement représentatif, Flammarion "champs"

[2] Idem

Gouverner en démocratie :Pour une Rupture historique

Pour une Rupture historique

Gouverner en Démocratie

Nos régimes contemporains de démocratie dite représentative, consacrant l’élection comme « instrument démocratique par excellence »[1], contrairement à la démocratie athénienne où « le tirage au sort /…/ paraissait le mieux apte à respecter l’égalité stricte des candidats »[2] nous renvoient à un problème récurrent qui est l’exercice même du pouvoir politique. Ce problème est encore plus flagrant dans les démocraties naissantes comme c’est le cas en Haïti.

L’exercice du pouvoir politique n’échappe pas aux structures structurées promptes à fonctionner en tant que structures structurantes qui structurent les « mœurs » et les comportements. C’est ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelle habitus. La société haïtienne a son habitus que nous pouvons désigner sous l’appellation de « l’habitus haïtien » qui influe sur l’exercice du pouvoir et sur la manière d’être en société. Notre démocratie naissante se trouve donc en proie à cet habitus.

Faute d’institutions solides pouvant palier au déficit démocratique notre nation se trouve à la merci de la corruption et la violence du pouvoir institutionnalisées depuis maintenant de très longues années. Après le départ des Duvalier, le processus de « transition démocratique » qui s’est enclenché a vu naître des dizaines de partis politiques. Ce qui aurait été dans certains contextes preuve de vitalité démocratique. Pourtant l’éclosion de ces partis n’a pas permis à notre pays de faire décoller le processus démocratique.

En démocratie représentative, telle que l’institue notre Constitution, les partis politiques sont d’un intérêt vital. Car il faut une majorité parlementaire pour gouverner. Majorité unie par un fort ancrage idéologique et déterminée. Or parmi notre centaine de partis politiques rares sont ceux réellement en mesure d’obtenir une majorité parlementaire. La capacité d’élaborer un projet socio-économique à long terme reste aussi incertaine. Nos partis ne semblent pas être pressés de se questionner sur les raisons de leurs échecs et de se réformer. Tout le monde s’amuse à faire des plateformes électoralistes, à nouer des alliances contre nature qui n’auront pour effet que de bloquer le pays. Quels sont les partis en mesure d’obtenir la présidence et/ou une majorité parlementaire dans les prochaines élections présidentielles et législatives ?

Il est certain que tous les partis n’ont pas la même vision du monde, et c’est peut-être ça la raison d’être du multipartisme. Dans une situation où constitutionnellement les mesures doivent être prises à la majorité et qu’aucun parti n’a de majorité, on est condamné à des alliances contre nature. Ces alliances obligent à tout revoir à la baisse, puisqu’il faut trouver un consensus pour avancer. Souvent, les considérations ne se portent pas sur l’intérêt national mais ce que chaque parti (partie) peut tirer en termes de capitaux dans le partage des pouvoirs.

Pourtant notre pays nécessite des réformes profondes qui passeront par une rupture historique avec les pratiques et la gouvernementalité traditionnelle. Pour gouverner en démocratie, il faut des partis politiques institutionnalisés et puissants (en terme de capacité de mobilisation électorale).

Que devons-nous faire dans une telle situation ? Lancer des partis politiques avec de nouvelles générations de dirigeants? Homogénéiser (fusionner) certains des partis existant en vue d’obtenir des partis à la hauteur de l’enjeu ? Augmenter le nombre de signatures nécessaires en vue de la participation aux processus électoraux ? Cette dernière mesure a été prise mais aurait été contournée par des partis politiques qui ont pu se procurer des signatures de manière totalement illégale, ce qui est assurément dû à l’incapacité institutionnelle à juger de la véracité des listes fournies. Que faire ?

Pour une Haïti à la hauteur de son histoire

Renald LUBERICE

Paris, 12 mai 2008

http://luberice.blogspot.com



[1] Bernard Manin, Principe du gouvernement représentatif, Flammarion "champs"

[2] Idem

lundi 5 mai 2008

Le libéralisme

Le libéralisme

Quel passionnant débat ! Les interventions ont été d’une manière ou d’une autre fructueuses. Ce n’est donc pas cela qui me préoccupe mais l’acharnement de plus d’un, des deux camps, à attribuer les valeurs de liberté dont le « libéralisme » serait porteur à la gauche ou à la droite. Ce faisant on établit une frontière nette entre la droite et la gauche (identifiée chacune par des valeurs singulières). Or, quand on observe de plus près on constate sans trop de difficulté qu’entre la droite et la gauche il y a des zones grises régies par les rapports de force (politique et économique), par les circonstances dans les quelles les actants sont appelés à agir.

Avant de répondre à la question concernant les valeurs proprement de gauche et celle spécifiquement de droite orientant les décisions publiques, il faudrait pouvoir identifier clairement qui est aujourd’hui plus déterminant entre les convictions politiques et les rapports de force (dans le cadre des politiques publiques). D’autant que la plupart des décisions prétendent être le fruit d’expertise scientifique donc rationnelles et Dieu sait que la raison n’est ni de gauche ni de droite mais « humaine ».

On peut remonter très loin dans l’histoire de la pensée politique afin de retracer les racines du libéralisme mais ce serait problématique de vouloir l’étiqueter à gauche ou à droite d’autant plus qu’il est antérieur à l’appellation gauche/droite. En revanche on peut regarder par rapport aux valeurs que revendiquent la droite et celles revendiquées par la gauche qu’est-ce qui serait plus conforme au principe de liberté.

L’intervenant a eu raison de faire le parallèle entre les principes de propriétés qu’affirme Locke (contrat social, état de nature –fictif) et les principes de libertés. Cependant peut-t-on envisager la liberté sans l’égalité ? Le principe de propriété de Locke qui fait que l’homme soit propriétaire de soi-même est fondamental pour le développement du capitalisme. Car pour pouvoir « vendre sa force de travail », il faut être propriétaire de cette force. Il y a là un principe de liberté. Mais une fois cette force vendue, n’y a –t-il pas de l’aliénation ? L’aliénation permet-elle l’égalité ? La relation Employeur/salarié est elle égalitaire ? Sinon peut-on envisager la liberté dans une situation inégalitaire ?

L’affirmation même du principe de propriété est la consécration de l’inégalité, puisqu’elle suppose des non-propriétaires et des propriétés inégales. On n’aurait pas besoin de l’affirmer si tout le monde avait des propriétés égales, mais cela poserait un problème dans le processus d’accumulation. Donc si on fait de Locke l’un des grands théoriciens du libéralisme on ne peut pas logiquement affirmer que c’est un libéralisme qui a pour essence l’égalité. Or l’inégalité et liberté sont incompatibles.

Les détracteurs du communisme en ont fait l’antinomie de la liberté se référant à la terreur stalinienne. Ils ont ainsi confondu un capitalisme d’Etat, le pire des capitalismes, à une utopie (utopia) d’égalité du point de vue des conditions matérielles d’existence dont le communisme (qui n’a d’ailleurs à ma connaissance existé nulle part dans l’histoire récente de l’humanité) est porteur. Ce faisant le capitalisme apparaît comme la moins pire des modes de production.

Le capitalisme n’a pas de valeurs propres mais se conforment à toutes les valeurs il se les attribue toutes. Une seule condition est donc nécessaire : ne pas gêner le processus illimité d’accumulation.

BOLTANSKI Luc et CHIAPELLO Eve à travers leur désormais célèbre ouvrage "Le nouvel esprit du capitalisme, illustrent l’étonnante capacité du capitalisme à intégrer les critiques qui lui sont adressées et s’approprier des valeurs qui sont pourtant celles de ses ennemis en vue de sa pérennisation et son développement. Les valeurs ennemies du capitalisme sont celles qui nuisent réellement à son développement. Pour s’adapter, il a su changer d’esprit en fonction des périodes et des rapports de force. Ainsi attribuer un principe propre qu’il soit de liberté ou non au capitalisme revient à passer à coté de ce qui fait son essence : l’absence de valeur propre.

{À suivre}

Renald LUBERICE

Paris 5/05/08

Culture et Inculture

Chers-ères amis-es,

Mon ambition est de sortir de ce « lieu commun » qui veut que la culture soit l’emmagasinement d’un certain type de savoirs techniques et sociaux spécifiques socialement valorisés. Ce faisant nous sommes condamnés à choisir entre une forme de savoirs qui nous appartient à nous et d’autres formes de savoirs qui nous sont étrangères. Le choix qu’on fera sera forcément centré sur notre culture, c’est-à-dire les formes de savoir socialement valorisées dans nos sociétés telles que la lecture, l’écriture, une façon particulière de connaître la matière, de se questionner sur l’existence, de professer sa religion, d’être au monde en rejetant dans d’autres catégories les peuples qui ne répondent pas à ces critères-là. Or force est de constater que les possibilités de savoirs sont diverses et que la compréhension du fonctionnement de la matière n’engendre pas forcément « l’humanité ». L’Europe des derniers siècles écoulés l’en témoigne.

A cette conception de la culture j’oppose une autre qui est la capacité à apprécier l’autre non en fonction de ce qu’il a pu emmagasiner comme savoirs et son degré de ressemblance à soi mais de ce qu’il a d’humanité. C’est en quelque sorte le refus de l’ethnocentrisme culturel. Vous dites que le problème « en est un rapport de soi à l’autre ». Je ne vois pas en quoi cette affirmation est différente de ce que j’essaie de développer dès le départ. A moins que vous n’ayez pas suffisamment développé votre pensée pour la rendre intelligible.

Le fait que Ray ait choisi ses propres expériences pour illustrer sa démonstration c’est une très bonne chose. Cela prouve qu’on a affaire à un homme expérimenté. Cependant cette façon de faire c’est tout le contraire de ce que nous faisons en sciences humaines et sociales et prouve l’utilité du texte de Dore intitulé « L’idéologue est-il un scientifique ? », que j’ai d’ailleurs critiqué. Je pense que l’enjeu est plus large et global pour vouloir le corroborer à partir d’expérience personnelle et individuelle.

L’expérience personnelle de notre ami Ray n’est pas non plus suffisante en vue de l’élaboration théorique des causes de ce qu’il appelle blocage culturel empêchant « la collaboration entre Haïtiens en général ». On ne saurait par ailleurs lui reprocher d’avoir essayé.

On peut utiliser ces lieux de débats pour s’envoyer des injures ou des fleurs les uns aux autres, cela ne nous fera avancer d’un iota. Je souhaiterais donc que nous puisons nous contredire, faire des erreurs comme tout être humain sans que nous ayons à nous fâcher. Tolérons-nous, les uns, les autres.

Cordialement

Renald L.

Paris 30/04/08

Tchernobyl : une des conséquences possibles de l’action de l’homme ?

Tchernobyl : une des conséquences possibles de l’action de l’homme ?


Nous nous tacherons à travers une revisite problématisée des circonstances de la catastrophe de Tchernobyl à montrer l’impossibilité pour cet « être ordinaire et faible qu’un rien peut détruire »[1] qu’est l’homme de maîtriser la finalité de ses actes à moyens et à long terme et d’en prévoir les conséquences éventuelles. Ce regard est tridimensionnel. La première partie est consacrée aux faits. La deuxième à la dimension politique de l’événement tant à l’échelle nationale qu’internationale. Et en fin, nous mettrons accent sur les conséquences passées, actuelles et futures de la catastrophe et ce qu’elle peut nous enseigner.

1. Les faits

Ce jour de 26 avril 1986, où est survenu la catastrophe, rappelle à l’humanité toute entière un défi : celle de prévoir la finalité et les possibles conséquences de ses actes. Mais, c’est aussi le jour qui allait plonger le peuple ukrainien (URSS) et ses voisins les plus proches dans une souffrance inédite qui aura des répercussions sur des générations entières. Cette partie s’attelle à retracer les circonstances du drame.

1.1. Un drame ukrainien sous « commandements de l’URSS »

Il y a 22 ans que la centrale nucléaire de Tchernobyl, situé dans la partie Nord de l’Ukraine, suite a un accident d’envergure, rejette dans l’atmosphère d’énormes quantités de substances radioactives. Substances qui allaient être dispersées dans l’hémisphère nord à travers l’Europe. Un jour plus tôt des opérations de maintenances devaient être effectuées à la tranche 4 de la centrale nucléaire. Les responsables devaient s’assurer que la centrale était apte à fournir de l’énergie électrique suffisante pour le fonctionnement du système de refroidissement du cœur du réacteur « et les dispositifs de secours pendant la période de transition entre une perte d’alimentation électrique générale de la centrale et la mise en route de l’alimentation électrique de secours par les groupes diesel »[2]. Une erreur humaine engendrée par un manque d’information et de coordination serait à la base du plus grand accident de l’histoire nucléaire civile. Mais des imperfections résultant de la conception du réacteur aurait amplifié la probabilité qu’un accident survienne. « La dispersion d’une grande partie du cœur du réacteur dans l’environnement, a soulevé de nombreux problèmes de « gestion », liés non seulement au traitement des personnes gravement exposées, mais aussi aux décisions qui ont dû être prises concernant la population. »[3] Cette association de facteurs a provoqué une explosion suivie d’un incendie qui détruit totalement le réacteur et rejette d’importantes quantités de matières radioactives dans l’environnement. Le feu graphite qui s’en est suivi a occasionné pendant plus de dix jours la dispersion intense des produits radioactifs présents dans le réacteur à une altitude de plus de 1000 m. L’ex-URSS a été fortement touchée par « le panache radioactif et par le dépôt consécutif de substances radioactives sur le sol extrêmement étendue »[4].

Cette catastrophe fait réfléchir sur les incertitudes qui jalonnent l’action humaine dans cet univers d’objets et de « vivants » que l’homme prétend pourtant maîtriser

1.2.Une catastrophe sous « commandements de l’humain »

La catastrophe de Tchernobyl souvent présentée comme la résultante des erreurs humaines et matérielles imputables aux autorités soviétiques est en réalité l’illustration de l’incertitude résultant de l’action humaine. L’homme à travers ses activités n’a de cesse de mettre son espèce en danger mais aussi son environnement au sens le plus large. Etant donné l’impossibilité de parvenir à un niveau de risque zéro, les ouvrages humains sont potentiellement destructeurs. Et la croyance en l’homme maître de son ouvrage augmente la probabilité de risque en suscitant un manque d’attention et une confiance aux « objets techniques ». Il est vrai que le développement de la sociotechnique, illustré a travers les forums hybrides remet de plus en plus en cause cette confiance[5] mais la dangerosité des entreprises humaines de plus en plus sophistiquées et potentiellement destructrices reste réelle. Les actions sont posées à des niveaux multiples ce qui leur donne une dimension politique à la fois nationales et internationale car les catastrophes nucléaires ne respectent pas les frontières artificielles tracées par l’humain.

2. Une dimension politique nationale et internationale

La survenue de l’accident remet en cause l’industrie nucléaire même qui est loin le fait des seuls Soviétiques mais aussi vu le caractère transnational des substances radioactives, Tchernobyl n’est pas ukrainien ou soviétique mais mondial. Cette partie essayera d’appréhender la question à travers cette dimension multilatérale.

2.1.Nationale

Les autorités nationales chargées de la santé publique, des plans d’intervention publique n’ont pas su anticiper les conséquences de la catastrophe. Il n’était pas non plus préparer, vu les critères et procédures d’intervention en vigueur à faire face à un accident à l’ampleur de Tchernobyl. Les informations disponibles au cours de la phase initiale de l’accident étaient minimes. Les autorités politiques agissaient ou n’agissaient pas en fonction des pressions politiques et de l’idée que le public se faisait sur les dangers de rayonnements. Pour éteindre l’incendie les autorités ont fait appel à des pompiers résidant à quelques 3 km de la centrale. Les interventions sont faites sans équipements spéciaux. Ce qui a causé l’irradiation irrémédiable de la plupart des intervenants. L’incendie allait être finalement éteint par projection de sac de sables et de plombs depuis des hélicoptères dans le brasier. La culture du secret en vogue dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques a crée une certaine opacité administrative dans les premières heures suivant la catastrophe. Le Chef de l’Union Mikhaïl Gorbatchev n’a pas eu toutes les informations en vue de réaliser l’ampleur de l’accident, ce qui a engendré une sous-évaluation.

Par ailleurs les critères d’interventions étaient également basés sur des considérations d’ordre économiques concernant l’indemnisation et d’autres attentions de ce type. La population locale vaquait à ses activités habituelles sans immédiatement prendre connaissance de l’accident. Il a fallu attendre le 27 avril pour qu’enfin débute l’évacuation. Ces habitants allaient être précairement hébergés dans la région de Polesskoie, qui n’était pas elle-même épargnées de la radiation. Les symptômes de radiation n’allaient pas se faire attendre. L’opération d’évacuation allait se poursuivre jusqu’à la fin du mois d’Août, 250 000 habitants de Russie, Biélorussie et d’Ukraine seront concernées. La radiation allait très vite avoir une dimension internationale.

2.2.Internationale

La contamination s’est progressivement propagée vers des pays extérieurs à l’ex-URSS. L’Europe septentrionale mais aussi le canada, le Japon et les Etats-Unis ont été touchés, à des niveaux différents, par « les panaches venant de Tchernobyl »[6]. Point n’est besoin de préciser que les réactions des autorités de divers pays concernés ont été très variées en fonction des rapports de force internes et l’appréhension des enjeux de la catastrophe. Selon le Réseau "Sortir du nucléaire" « l'industrie nucléaire française, pour cacher les véritables conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, a mis en place des programmes de désinformation sur les conséquences de la catastrophe en zones contaminées. Présentés comme scientifiques, humanistes et humanitaires, internationalisés au fil des mois, ces programmes ont en réalité été montés de toute pièce par le CEPN, un organisme aussi discret que puissant : il rassemble EDF, Areva, le CEA et l'IRSN. »[7] Des lobbys commerciaux auraient influencé les décideurs publics en vue de l’écoulement des produits agricoles contaminés après l’accident. La catastrophe de Tchernobyl marque et marquera pendant encore longtemps l’opinion publique mondiale mais affecte également, à juste titre, à l’image du développement nucléaire à l’échelle planétaire.

L’Organisation des Nations Unies par le biais de son Secrétaire Général a déclaré les années 2006-2016 la « décennie de la reconstruction et du développement durable pour la région Tchernobyl. » C’est une façon pour la communauté internationale de réhabiliter son image et celle du nucléaire en quelque sorte. Mais quant aux conséquences, elles demeureront sans doute longtemps réelles.

3. Conséquences passées, présentes et futures

La catastrophe de Tchernobyl a fait des milliers de victimes, principalement en Ukraine. Lors de la commémoration du 22eme anniversaire de l’accident le ministre ukrainien de la santé a rappelé la dimension planétaire de « Tchernobyl » qui « continue jusqu’à maintenant à faire des dégâts considérables sur la santé des gens et l’environnement »[8]. Les conséquences, notamment la présence du césium radioactif, peuvent s’étaler au-delà de 300 ans car la diminution des niveaux de contamination résultera principalement de la décroissance radioactive. Mais outre les conséquences sur l’environnement, la vie et le « devenir des gens » sont préoccupants. Cette catastrophe renvoie à des interrogations sur l’homme-même en tant qu’agent agissant dans un environnement ou un « monde incertain »[9] qu’il pense maîtriser. Cette partie s’attèlera à ces deux dimensions où, d’une part, les experts essayent de quantifier les conséquences à travers des chiffres parfois considérés comme douteux, et d’autre part la dimension « inconsciente » de l’homme à travers ses actions.

3.1.Bataille de chiffres et scepticisme

Selon les chiffres officiels, parfois contestés par les Organisations Non-gouvernementales, « Tchernobyl » a fait plus de 2,3 millions de victimes, c’est-à-dire des personnes considérées comme « ayant souffert à la suite de la catastrophe ». Environ 4.400 Ukrainiens qui étaient adolescents ou enfants lors de l’accident ont subi, entre 1986 et 2006, des opérations chirurgicales pour des cancers de la thyroïde. Ce qui est probablement dû à la radiation. Des habitants de Kiev, témoins les plus rapprochés du drame (l’accident est survenu sur un affluent du Dniepr à seulement 110 km de Kiev), ont manifesté leur hostilité à l’occasion du 22eme anniversaire de l’accident au nucléaire en brandissant une pancarte mentionnant : "Ne construisez pas un nouveau Tchernobyl, économisez l'énergie".

La centrale de Tchernobyl est restée fonctionnelle jusqu’en 2000. Elle représente encore un danger imminent car ses restes renferment quelque 200 tonnes de magma radioactif. La situation peut dégénérer si la pluie ou la neige parvient à pénétrer à l’intérieur du sarcophage.

Des populations d’enfants et de nourrissons ont été irradiées en inhalant et ingérant des isotopes radioactifs de l’iode (131I et radionucléides à courte période) au moment de l’accident. Ces données varient en fonction de l’exposition et sa durée. Des personnes ont étonnamment reçu des doses élevées au niveau de l’organisme et de la Thyroïde. Des doses thyroïdales allant de 70 millisieverts (mSv) à 1000 mSv selon l’âge.

Par ailleurs des centaines de milliers de travailleurs connus sous l’appellation de « liquidateurs » ont participé aux interventions d’urgence en vue des opérations d’assainissements. Ces gens-là ont été les victimes de premier rang. Cependant une récente étude conduite par l’Organisation des Nations Unies a revu à la baisse le nombre de victimes et les conséquences de l’accident. « Les conclusions proposées – qui attribuent à cet « effet » une ampleur moindre que généralement annoncé - vont certes à l’encontre de l’opinion communément établie. Il est donc compréhensible qu’elles provoquent chez certains le scepticisme, voire le rejet. »[10] Les travaux de l’ONU nous enfoncent un peu plus dans la querelle des chiffres et mettent l’observateur lambda et sa posture de neutralité dans une situation où il lui est impossible de déceler la moindre parcelle de vérité. Ce scepticisme légitime encore plus le questionnement relatif au statut de l’homme dans ses actions.

3.2.L’Homme : acteur ou simple « joueur avec le feu » ?

Les questions relatives aux réelles capacités de l’être humain à maitriser la finalité de ses actes et leurs conséquences sont récurrentes. Plus d’un se complaisent à la croyance de l’homme qui maitrise tout d’un bout à l’autre, de l’homme rationnel. Les organismes officiels, les « scientifiques » et les autorités publiques ont intérêt à faire croire qu’ils maîtrisent l’ensemble de leurs « entreprises » car de là résulte leur raison d’être, leur crédibilité, leur légitimité et la confiance que le public place en eux. Ainsi l’Agence Française pour l’Energie étale ses domaines de compétences englobant entre autres « la sûreté nucléaire et le régime des autorisations, la gestion des déchets radioactifs, la radioprotection, les sciences nucléaires, les aspects économiques et technologiques du cycle du combustible, le droit et la responsabilité nucléaires et l’information du public »[11]. Dans quelle mesure est-elle réellement capable d’assurer ses missions quand on sait que la connaissance et la capacité technique de l’homme vient de l’expérience, et qu’on ne sait pas grand-chose sur « ce qu’on ne sait » ?

Avant Tchernobyl les activités industrielles de l’homme avaient déjà fait des centaines de milliers de victimes. Nous pensons à Bhopal qui a fait 7575 morts officiellement recensés par le gouvernement indien , aux catastrophes survenues dans les mines de charbon qui ont causé 15 000 morts par an dans le monde ou encore les ravages causés par l’amiante en France chiffrés autour de 35 000 morts entre 1965 et 1997 ; 60 000 à 100 000 morts attendues dans les 20 à 25 ans à venir[12]. Dans quelle mesure ces faits ont-ils été anticipés ? Quelle a été la réelle capacité de l’homme à les prévoir ? L’homme ne se trouve-t-il dans la situation d’un joueur jouant à un jeu et qui croit que celui-ci en vaut la chandelle, perdant ainsi tout sens de retenue ? Dans quelle mesure est-on capable de négliger nos intérêts dits économiques plus immédiats au profit de l’incertitude et du doute ?

Conclusion

La plus grande catastrophe de l’histoire nucléaire civile a été pour l’industrie nucléaire un coup dur mais les premières victimes sont les populations locales. Au-delà de ces deux aspects, elle est surtout pour l’homme l’occasion de se questionner réellement sur la portée de ses actes. Cependant des considérations plus immédiates poussent tantôt à négliger les conséquences plus lointaines. Vingt-deux ans après des incertitudes planent encore sur Tchernobyl. Trois cents ans plus tard ses conséquences risquent de se faire également sentir.

Il y a quelques siècles l’homme ne saurait s’enorgueillir d’avoir la capacité de détruire toute la planète en quelques instants mais aussi de modifier les gènes des organismes et de breveter le vivant, de maîtriser « le fonctionnement de son propre organisme, d’allonger sa durée de vie ».

Pour autant le monde est-il plus sûr avec la capacité technique de l’homme issue de l’expérience ou devient-il de moins en moins sûr au fur et à mesure que les savoirs techniques progressent ? Dans quelle mesure sommes-nous réellement capables d’éviter un second Tchernobyl ?

Bibliographie

- Axel Kahn, L’homme ce roseau pensant… Essai sur les racines de la nature humaine, Paris, Nil éditions, 2007

- Réseau Sortir du nucléaire, « L'après Tchernobyl ou Vivre "heureux" en zone contaminée », Tchernobyl : enquête exclusive Comment le lobby nucléaire français enterre la vérité en zones contaminées, www.sortirdunucleaire.org Mars 2006

- Agence Pour L’Energie Nucléaire, Organisation de Coopération et de Developpement Économique (OCDE), TCHERNOBYL Évaluation de l’impact radiologique et sanitaire Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

- Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil (collection "La couleur des idées")

Sitographie

- WWW.afp.fr

- http://www.dissident-media.org/infonucleaire/enfants_malades.html

Annexe

Carte des centrales nucléaires en Ukraine

Photos de victimes innocentes

http://www.dissident-media.org/infonucleaire/Enfants_Tcherno1.jpeg

1) Minsk, Biélorussie 1997. Scène quotidienne dans l'asile Novinski. Ce jeune garçon hurle tandis que ses amis jouent dehors.

2) Hôpital des enfants cancéreux, Minsk, Biélorussie 2000. Vova sait qu'il est gravement malade. Malgré l'amputation, son état ne s'est pas amélioré.

3) Foyer pour enfants, Minsk, Biélorussie 2000. Alla tient dans les bras un enfant de 2 ans dont le cerveau se trouve dans l'excroissance.

4) Asile Novinski, Minsk, Biélorussie 1997. Ces enfants ne peuvent pas se tenir debout et sont nourris par terre.

5) Asile Novinski, Minsk, Biélorussie 1997. Cet asile est le principal centre d'accueil pour enfants contaminés en Biélorussie.

6) Foyer pour enfant, Minsk, Biélorussie 2000. Cet enfant de 3 ans est là depuis sa naissance. Il est inopérable: l'excroissance contient ses reins

7) Orphelinat pour enfants abandonnés, Gomel, Biélorussie 1999. Sasha, 5 ans, souffre d'une quasi absence de système lymphatique. Son organisme produit des toxines que sont corps ne peut donc plus éliminer.

8) Asile Novinski, Minsk, Biélorussie 1997. Cet enfant est en état de terreur constant.



[1] Axel Kahn, L’homme ce roseau pensant… Essai sur les racines de la nature humaine, Paris, Nil éditions, 2007, P. 14

[2] - Agence Pour L’Energie Nucléaire, Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), TCHERNOBYL Évaluation de l’impact radiologique et sanitaire Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà, p. 10

[3] AEN, op. cit. P. 3

[4] Ibib. P.11

[5] Michel Callon, Op. cit.

[6] AEN, P.9

[7] Réseau « Sortir du nucléaire », op. cit.

[8] AFP, « Vingt-deux ans après, l'Ukraine commémore la catastrophe de Tchernobyl » http://afp.google.com/article/ALeqM5gPiXXbtp8jan-orliugOFHoHu9yg consulté le 28/04/08

[9] Incertitude scientifique et stratégies divergentes d’acteurs sont au cœur de ce problème qui renvoie au final à la capacité réelle de l’homme à maitrîser la finalité et les conséquences de ses actes. Voir Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil (collection "La couleur des idées")

[10] Société Française d’Energie Nucléaire, « Nouveau regard sur Tchernobyl L’impact sur la santé et l’environnement »

[11] AEN, op. cit.

[12] Société Française de l’Energie nucléaire, op. cit.