dimanche 29 novembre 2009

Un « parti unique »ou le fuit de la procrastination ?

Un « parti unique »ou le fuit de la procrastination ?



L’annonce de la création d’un « parti unique » qui aurait été faite par le Président René G. Préval, que l’intéressé dément, a ébranlé plus d’un. Effectivement il aurait été absurde qu’un président demande que tous les partis – groupuscules politiques, pardon ! – se transforment en un seul parti politique à la solde. de son pouvoir. Comparant les partis à « des autobus », il rapprocherait la rationalité des voyageurs, qui montent tous dans un « seul autobus » au lien d’en avoir un pour chacun, à celle des membres de ces partis qu’il exhorterait à faire pareil.


Si cette comparaison a été effectivement faite, elle caractériserait la vision du président des partis politiques et de la politique elle-même. Une vision qui est à la base des grands problèmes que rencontrent les partis politiques en vue de discipliner leurs élus. Cette vision a pour essence l’absence d’opinions et de convictions liées à la manière d’organiser la société, la production et la reproduction tant au niveau de l’humain que de l’économie, absence d’opinions et de convictions quant à la répartition des richesses, des pouvoirs, etc.


Ce sont les opinions, la manière de voir et de concevoir le monde et les convictions qui différencient les partis entre eux. Lorsque ces opinions et convictions n’existent pas on peut se permettre de croire, à tort évidemment, que tous les partis peuvent se fondre dans un seul parti, que toutes les alliances sont possibles et qu’un parti et un autobus c’est pareil.


Sur le fond la manière dont le Président conçoit les partis n’est pas une production ex nihilo. Elle correspond à la réalité des groupuscules politiques de notre pays qui se font malheureusement appelés partis. Des groupuscules sans idéologie, sans vision, sans structure de partis. Ils ne se différencient pas par leur vision du monde mais par l’intérêt de poches et de ventre de leurs leaders, qui sont, pour la plupart, des leaders officiellement ou officieusement à vie ! Dans ce cas-là, tout le monde peut effectivement monter dans le même autobus. Mais si tout le monde monte dans l’autobus du Président cela peut causer de gros ennuis aux institutions du pays. Pour éviter cela et vu l’impérieuse nécessité de doter le pays de deux ou trois vrais partis politiques, Il apparaîtrait alors évident que tout le monde monte dans un même autobus, mais différent de celui du Président.


Urbi et orbi ces mêmes leaders clament haut et fort la nécessité de former deux ou trois partis politiques, de réduire leur arsenal d’autobus. Or ils ne le font pas, préférant se contenter de plateformes électoralistes. On est tenté d’affirmer que ces leaders souffrent de procrastination, ils remettent éternellement au lendemain ce qu’ils peuvent faire aujourd’hui. Cette pathologie donnerait en quelque sorte raison au Président.


Mais à regarder la chose de plus près on comprend vite pourquoi ces leaders ne se résolvent pas à fusionner leurs autobus : ils ont des femmes et des enfants à nourrir, ces autobus sont des outils de production marchande, s’ils les fusionnent ce sera un manque à gagner. Grangou nan vant pa dous, chen grangou pa jwe, yon ti pati politik asire-w yon ti grapiay kan-menm. Alors chaque leader s’accroche à son autobus quand d’autres s’obstinent à vouloir en construire d’autres autobus qui s’annoncent pourtant pires que ceux existant !

mardi 24 novembre 2009

La palabre comme projet politique

La palabre comme projet politique

La parole, dépendamment de qui la prononce, produit de la matérialité. Elle est capable de se matérialiser. Quand le Maire, le Pasteur ou l’Officier d’Etat Civil s’adresse à vous et vous dit : « je vous déclare mari et femme », cette parole est performative. Vous devenez réellement mari et femme. Alors que, même si vous aviez voulu le devenir, si c’est moi qui vous dis que je vous fais mari et femme, vous ne risquez pas de l’être pour autant. Ça c’est la performativité du discours instantané provenant d’une personne dotée de l’autorité adéquate. Mais le discours social est aussi performatif. Il participe du procès des représentations que la société se fait d’elle-même (par exemple, la manière dont elle se voit), ce qu’elle dit d’elle-même et du monde.

La performativité du discours prise dans ce second sens fait qu’un discours qui a pour objet le chaos finit par produire à moyen et à long terme du chaos. Dans le cas d’Haïti, lorsque les médias étrangers mais aussi haïtiens discourent sur sa « mocheté », on finit par ne voir, n’imaginer qu’une Haïti laide. Quand on parle d’Haïti on ne pense pas à la Citadelle ou à Labadie mais à Cité Soleil. Haïti devient laide pas parce qu’elle est laide en soi, mais parce qu’elle est ainsi vendue. A l’inverse, quand on parle de Paris on ne pense pas à Barbès mais à la tour Eifel, à l’avenue des Champs Elysées.

Des gens de ma génération qui ont grandi avec en permanence le discours médiatique faisant croire que ce pays n’ira nulle part, avec le présupposé implicite que seul l’étranger pourvoira le bonheur, finissent par intégrer le fait que le pays n’ira nulle part.
Lorsqu’on fait croire que faire de la politique n’est autre chose que le dessouchage (dechoukay) réel ou symbolique, les hommes politiques, médiatiques, etc. finissent par se convaincre (et convaincre les autres) que le seul et meilleur moyen de « sauver » Haïti est d’appeler tous les matins au chambardement général.

Il n’y a pas de demande politique (formulée) qui pourrait forcer ceux/celles qui ont le pouvoir politique à construire. Demande constructive, portée essentiellement par une vraie opposition ou même les alliés du pouvoir, qui forcerait celui-ci à mettre en place le Conseil électoral permanent, à enclencher un processus réel de décentralisation ; demande qui pourrait forcer le maire à s’occuper des rues, sans pour autant contester son pouvoir ou demander son départ.

Quand les demandes positives se font rares, on devient prisonnier d’un « je ne veux pas » qui finit toujours par se traduire par un « tu dois partir ». Ainsi ce « tu dois partir » devient performatif, et la politique n’est plus autre chose que le dessouchage. La faiblesse institutionnelle, la voracité du pouvoir fait que désormais il va s’attacher à s’accrocher contre cette menace, le « tu dois partir », et au-delà. La société quant à elle est toujours en proie à la menace despotique vu l’absence d’institution démocratique solide qui pourrait garantir le respect de ses droits. Ceux qui s’accrochent au pouvoir n’ont aucun intérêt à implanter ces institutions puisqu’ils savent qu’elles seraient un rempart aux dérives autoritaires. Les esprits faibles quant à eux continuent de croire qu’il suffit de virer une personne pour que tout aille bien. Ils se sont déjà trompés, ils se trompent et ils se tromperont. Le problème c’est qu’ils sont au font d’un puits, chacun pense que pour s’en sortir il suffit de se tirer ses propres cheveux !

On a 50. 000 boutiques politiques qui se font appeler partis, préférant s’occuper de leurs poches, ils ne font pas de politique. Leur projet politique, à part leurs poches, est la palabre médiatique. La plupart d’entre eux ne se différencie guère. Généralement ce qui divise les partis c’est leur idéologie, chez nous, ils n’en ont pas. A part les intérêts d’un peu plus de 123 poches, on se demanderait pourquoi ne se réunissent-ils pas pour former UN véritable parti politique qui ferait contrepoids aux éventuelles dérives du gouvernement. Ils crient qu’ils veulent du multipartisme. Oui, moi aussi. Mais multipartisme n’est pas « multishopisme » ou « multiboutiquisme ».

S’il peut-être dangereux de savoir que le pouvoir est l’objet d’un parti unique, tout le monde applaudirait s’il y avait un parti unique en face du gouvernement. S’ils ne veulent vraiment pas que le gouvernement fasse un parti unique, pourquoi ne font-ils pas un ou deux partis « uniques » de leur cotés ? Le plus absurde dans tout ça est que le gouvernement a su réunir les Casecs pour soi-disant former son parti unique. Mais ces Casecs-là n’ont-ils pas été élus sous des bannières politiques différentes ? La bonne question est comment se fait-il que des élus d’un parti politique puissent prétendre entrer dans le parti du Président ? Où sont leurs partis, qu’est-ce qui les lie avec leurs partis ?

Quand les partis n’ont pas d’idéologie, ce qui lie les membres entre eux c’est des intérêts de poches. Et dans ce cas-là les élus se prostituent au plus offrant. Toutes ces tragédies devraient conduire l’ensemble de la classe politique à mener des réflexions sur lui-même, sur le sens de ses activités. Mais cela ne se fera pas parce qu’ils n’ont pas de projet politique à part la palabre médiatique usée et leurs poches. Certains vont attendre l’élection présidentielle pour faire des alliances électoralistes, après l’élection la configuration politique restera la même. Et on continuera à pleurnicher du risque immanent de la dictature….
{à suivre}

Renald LUBERICE

mercredi 18 novembre 2009

Wap ka twonpe solèy menw pap janm ka twonpe la pli

Il n’est a priori pas difficile de tromper le peuple, de le mobiliser contre son propre intérêt. Toutefois, à force de le tromper, on finit par se tromper soi-même, se fortifier son propre monde de mensonge et s’engloutir suite à son effondrement. Vous me parlez de démocratie au point d’en faire votre projet ; de souveraineté, de patriotisme dont vous vous faites le camp par excellence. Vous tentez pitoyablement de me démontrer que l’ennemi de la nation ce n’est pas vous mais Préval. Je vais vous montrer que, s’il était avéré que Préval est l’ennemi de la démocratie et de la nation, il n’aurait pu l’être sans vous. Il n’existe politiquement que grâce à vous, et ses actions et non-actions vont, au pire des cas, dans le même sens que les vôtres. Si la MINUSTAH est une force d’occupation souillant l’honneur et la gloire de nos ancêtres, la justesse de sa raison d’être n’a d’essence que par vos actions et non-actions.

En gouvernement représentatif, improprement dénommé démocratie, toute forme d’expressions est admise dans les limites bien définies par les propres institutions de ce dit gouvernement. Je ne saurais donc ici prôner les formes d’expressions qui prévaillent. Je me contenterai de signaler certains de leurs effets, dont la MINUSTAH et Préval sont l’illustration par excellence, que plus d’uns feignent de ne pas voir. Et je dois reconnaître qu’ « On déjoue beaucoup de choses en feignant de ne pas les voir." (Napoléon, dixit). Préval et la MINUSTAH sont le nom de quelque chose que vous refusez de nommer en vous cachant derrière votre Camp patriotique. Men di djab papa, lap manjew, pa di djab papa lap manjew !

Contrairement à ce qu’a cru Schumpeter, la démocratie contemporaine n’est pas seulement une méthode de choix des gouvernants qui se résume à l’élection. C’est n’est pas, n’en déplaise à Rancière, le bref moment où « les sans parts » réclament leur part. La démocratie c’est tout ça plus quelque chose d’autre de fondamental : les institutions. Sans des institutions démocratiques, vous pouvez aller chercher les plus démocrates des communs des mortels, les plus qualifiés, vous n’aurez aucune garantie qu’il fasse mieux que Préval et consort. Les petits esprits peuvent s’amuser à appeler à la révolution toutes les secondes, ils n’agiront que pour la perpétuation du chaos comme ordre social et non pour le mieux être des haïtiens.
J’ai vu, au début des années 2000, former la fausse coalition (qui réunira plus tard toute sorte de nom : groupe 184, convergence démocratique, GNB, etc.) qui allait objectivement travailler de concert avec Aristide pour produire la MINUSTAH, non sans l’apport décisif des missions diplomatiques qui se font appeler communauté internationale. Il s’agissait d’une véritable collusion contre le peuple haïtien. Elle a mis en évidence les différentes élites : politiques, économiques et intellectuelles. En faisant semblant de se quereller, elles invitent sporadiquement le peuple sur la piste. Ce dernier qui n’a d’autres choix que de se laisser prendre dans la danse est victime d’une profonde morsure avec l’injection salivaire de ces élites qui empêche la coagulation. Ce faisant, elles ont l’assurance de boire son sang aussi longtemps qu’elles le voudront.

Ces élites cachent très mal leur jeu. Elles nous parlent de démocratie à longueur de journée. Alors se demande-t-on pourquoi n’agissent-elles pas dans le sens de la démocratie ? On entrevoit rapidement la réponse : la démocratie est contraire à leurs intérêts. Aussi surprenante que cela puisse paraître, la démocratie est contraire aux intérêts du « 184 groupe », du Camp patriotique, de Préval et ses supporteurs financiers ! Preuve en est que l’ensemble de leurs actions ne va dans le sens du renforcement et de l’implantation des institutions démocratiques, mais dans le sens de la perpétuation du chaos comme ordre social. Ils agissent pour accélérer la descente aux enfers d’Haïti chérie. Préval finira son mandat sans implanter le conseil électoral permanent, sans la mise en place d’une force publique nationale de métiers aux cotés de la PNH, sans établir une décentralisation effective.

Lorsque des investisseurs internationaux s’apprêtent à investir en Haïti les supporteurs financiers de Préval ont tout intérêt de lui demander d’envoyer un signal fort à ces investisseurs, leur montrant que la stabilité politique n’est pas acquise. Comme ça ses supporteurs financiers garderont encore longtemps leur monopole : Préval n’a pas hésité une seule seconde, il a envoyé le signal en virant le gouvernement. Le Camp patriotique ne s’érigera pas en mouvement politique. C’est un Camp Patriotique à Durée Déterminée –CAPATRIDD. Il disparaîtra avec les élections présidentielles. Pour l’instant il va faire tout ce qui est en son pouvoir pour montrer aux investisseurs internationaux que la situation politique d’Haïti est complexe et instable, ils n’ont pas intérêt à investir dans un tel contexte. Il s’emploiera à montrer que Préval est un dictateur. Etant donné qu’aucun investisseur étranger n’a intérêt à investir dans un pays dictatorial le Camp patriotique est donc sûr de réussir son coup. Ainsi nous pouvons écrire l’équation suivante : Camp patriotique + Préval = même combat ! C’est toujours une collusion contre le peuple haïtien. Alors messieurs, amusez-vous, trompez le peuple…. Men la pli a pare, joul tonbe nou pap ka kache anko !

{à suivre}

lundi 2 novembre 2009

Marre des mots ne guérissant pas nos maux

Marre des mots ne guérissant pas nos maux

Si vous me dites que le diamant est dur, je vous demanderai une scie. Essayant de la scier, je la mettrai à l’épreuve. Seulement après cette mise en examen, je pourrai conclure que le diamant est dur ou qu’il ne l’est pas. Si vous me dites que La Poste est universelle, je posterai une lettre à l’intention du chef des pygmées. S’il la reçoit, je conclurai affirmativement. Dites-moi que vous détestez les lavalassiens et les putschistes, je vous demanderai dans quel camp étiez-vous en 1993. Dites-moi que vous êtes patriote, je vous demanderai un « relevé » de vos actions patriotiques. Dites-moi que vous êtes souverainiste, je vous demanderai où étiez-vous en 2004, avant que la MINUSTAH ne débarque. Dites-moi que vous êtes le seul fils authentique de Dessalines et que comme lui, vous déclarez : « Haine éternelle à la France ! », je vous demanderai une attestation d’hébergement. (…) Non. Je ne m’appelle pas Dewey, ni James d’ailleurs, mais dans le contexte actuel je crois que seul le Pragmatisme est salutaire en Haïti. Ne me parlez pas de la performativité des pratiques discursives, je connais cette théorie au moins autant que vous. J’apprécie ses avantages et ses limites. Dans le cas haïtien, une chose est pour l’instant sûre: les mots ne sont pas performatifs. En tout cas pas dans l’espace virtuel. Sinon, prouvez-le-moi ! Y’en a marre des palabres interminables. Marre des psalmodiassions souverainistes, patriotiques et nationalistes virtuelles. Que pouvez-vous pour Haïti, que pouvons-nous pour Haïti ? Allons-y !

Je suis convaincu qu’il ne faut ni bagage intellectuel, ni courage pour « critiquer » les Préval et compères… Je mets critique entre guillemets car le mot « critiquer » n’est pas adapté dans ce cas précis. Critiquer suppose de mettre en avant les points forts et les points faibles. Un effort intellectuel, donc, ce qui rend l’exercice périlleux pour plus d’un. Dire que je m’en fous ou que tout est nul est un sport national, tout le monde le peut. Ce qui est difficile en revanche est de dire, je peux faire mieux et je vais vous le prouver. C’est ce qu’on attend et qui ne vient pas. Nous dépensons énormément d’énergie dans des psalmodiassions virtuelles inutiles pendant que nous ne consacrons que 0 % d’énergies à des choses concrètes en Haïti. A l’action nous avons préféré et nous préférons la facilité. C'est-à-dire l’inertie. Et c’est cette même inertie qui justifie, à tort ou à raison, la présence de la MINUSTAH. Je sais que vous préférerez vous attaquer à ce que j’écris au lieu de vous attaquer à l’inertie en question ! C’est là votre génie. (Je vous attends !)

Le point fort des amateurs de psalmodiassions virtuelles est l’illusion du mouvement. En nous faisant croire qu’ils agissent, ils finissent par se convaincre eux-mêmes de leur mouvement illusoire. Ainsi sont-ils pris dans leur propre illusion. Et là, je dois reconnaitre la performativité du discours. Il n’agit pas sur la réalité mais sur le sujet tenant le discours. De toute façon les psalmodiassions nationalistes, patriotiques et souverainistes ne nous apportent rien, elles ne nous renseignent pas sur la réalité. Par contre elles nous sont salutaires si nous voulons comprendre l’état d’esprit et d’inertie des sujets qui discourent. Ainsi, peuvent-ils discourir mais leurs mots ne nous guérissent pas de nos maux. Et ça, y’en a marre.

Bien à vous

Renald LUBERICE