dimanche 18 mai 2008

Haïti : Quel titre à gouverner ?

Haïti : Quel titre à gouverner ?

Cette question renvoie à un vieux débat qui remonte Av. J.C. avec Platon à Athènes. Celui-ci par son dégoût et son mépris pour la démocratie athénienne qui est, selon lui, une véritable licence, a fait une conclusion surprenante après avoir énuméré les sept titres à gouverner allant de la naissance à la fortune. Le septième titre n’en est pas un, il est commun à tout le monde : c’est l’absence de titre. Mais c’est le titre le plus juste, le plus apte à respecter l’égalité des citoyens.

La pensée platonicienne trouve sa place dans ce que le philosophe français Jacques Rancière (contemporain) appelle « la haine de la Démocratie ». Les Athéniens avaient concrétisé ce respect de l’égalité des citoyens par l’instauration du tirage au sort comme mode de désignation des Magistrats. Mais avec le temps nous avons délaissé le tirage au sort au profit du vote, l’Election devient « l’instrument démocratique par excellence ». Ce choix s’explique par la volonté de renouer avec une autre ancienne conception qui est le gouvernement des « meilleurs ». Nos régimes contemporains de Démocratie représentative sont le mélange de ce principe aristocratique (aristoï = meilleurs) et quelques principes démocratiques.

C’est un choix qui se veut pragmatique vu la complexité des sociétés contemporaines. Cependant, cet argument a été remis en question, mais ici n’est pas l’objet. Des centaines de discours pleuvant sur Haïti mettent en avant la « violation » de ce nouveau principe démocratique, qui veut que les meilleurs gouvernent. Certains parlent donc de la médiocratie qui caractériserait notre pays. Les Haïtiens expatriés que le « sens commun » désigne sous l’appellation de diaspora font partie de ceux qui croient que le pays va mal du fait de l’incapacité de nos gouvernants. Considérons provisoirement que cette accusation est vraie.

Certains de cette « dite diaspora » avouent qu’ils ont la capacité de faire mieux que les gouvernants actuels et changer les choses. La façon dont le problème est posé laisse croire qu’appartenir à cette diaspora est un titre à gouverner. On dirait que la médiocrité est quelque chose d’exclusivement inhérente à Haïti et qu’une fois traversé l’océan on devient, comme par enchantement, compétent et on est capable de devenir Ministre, président et changer les choses. Mais attention, ces mêmes personnes de ladite diaspora posent une condition avant de pouvoir venir changer les choses : il faut que les incompétents qui sont au pouvoir créent les conditions de sécurité, d’infrastructures, etc. Sinon, ils ne reviendront pas. Si chaque Haïtienne, chaque Haïtien avait la même exigence de sécurité et autres, il n’y aurait pas un seul habitant dans ce pays.

Il s’agit là d’un extraordinaire paradoxe : déclarer que des gens sont incompétents, qu’il faut les remplacer et en même temps leur demander de faire des réalisations de haute compétence avant de pouvoir les remplacer. Etant donné que quand nous sommes en diaspora, bien que loin du pays, nous nous sommes vus quotidiennement rappeler que les choses vont mal en Haïti. Les exigences de ces gens de la diaspora ne pourraient-elles pas être considérées comme une stratégie de diversion, de déculpabilisation du genre : vous voyez, si nous ne faisons rien pour Haïti malgré son piteux état, c’est parce que les incompétents qui gouvernent le pays ne nous le favorisent pas ?

Ainsi nous pouvons avoir la conscience tranquille et dormir, jouir, vivre paisiblement en attendant que les incompétents nous appellent (ce qui est très peu probable). Pendant ce temps, le pays continue sa course vers la descente aux Enfers.

L’enjeu est double : notre titre de diaspora nous attribue une « reconnaissance » sociale en la faisant passer pour un titre à gouverner. Nous ne gouvernerons pas parce que nous avons conscience, sans le dire, de la complexité des choses et nous ne voulons pas prendre le risque de laisser nos enfants, nos maris, nos femmes et nos amis.

Pourtant Haïti est un « appel au secours » qu’on soit en diaspora ou non, on a le même titre à gouverner. Ce qu’il faut ce sont des Institutions sociales aptes à palier à la médiocrité, aux folies antidémocratiques, au Patrimonialisme, au Sultanisme, au Patricide, etc.

Pour une Haïti à la hauteur de son histoire.

Paris, le 14/05/08

Renald LUBERICE.

http://luberice.blogspot.com/

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