Mon pays est une étrange culture de la « res publica »
La res publica, par opposition à la res privata qui veut que l’Etat, l’administration ou la population soit des propriétés privées, renvoie à ce qu’il convient d’appeler « bien ou chose publique ». La chose publique existe au moment où sa gestion se fait par et/ou au nom du peuple, c’est la poursuite du bien commun. Cette conception est à la fondation même de la république. Il est néanmoins bon de noter que la république et la démocratie ne sont pas forcément indissociables.
Cette affirmation rousseauiste : « seulement l'intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose » de la république (JJ Rousseau, Du contrat social) n’a pas su intégrer les manières d’être, d’agir et de pratiquer la gestion de la chose publique dans mon pays. L’observateur lamba y observant les pratiques d’administration ne peut à aucun moment déduire qu’il s’agit d’une république s’il n’a pas sous les yeux un document officiel affichant en gras « République d’Haïti ». Les agissements des administrateurs sont à des années lumières de ce qui aurait pu être des agissements républicains.
Il ne s’agit pas ici de mettre uniquement accent, vous le comprendrez bien, sur les gouvernements qui se succèdent en laissant de coté les fonctionnaires de l’Etat. Les analyses et les critiques qui s’intéressent seulement aux gouvernements nous conduisent vers un fossé dont nous ne nous en sortons pas : « les choses vont mal parce que le gouvernement est mauvais, changeons de gouvernement et tout ira bien ! ». Cette analyse faussée nous conduit vers une instabilité chronique et en partie une misère endémique dont on peine à identifier clairement le responsable.
Les gouvernements qui se sont, ces vingt dernières années, succédé ont évidemment leur part de responsabilité dans cette crise économico-sociopolitique. Cependant la généralisation d’une culture étrange de l’administration qui est le fait des fonctionnaires avec l’approbation implicite d’une large part de la population permet sa reproduction et sa perpétuation. Cette étrange culture est la perversion aigüe des principes républicains et démocratiques. C’est une mauvaise indigénisation de la démocratie représentative en tant que produit importé.
La situation socioéconomique du pays réduit quasiment à néant la possibilité d’exercer un métier par vocation. On est policier pas parce qu’on a voulu être policier mais parce que l’opportunité (qui est rare) se présente et que l’échelle des possibilisation est presque nulle. On aurait pu facilement être routier si l’occasion d’intégrer la police ne s’était pas présentée. Dans la plupart des cas, celui qui décroche une place dans l’administration publique ou qui devient fonctionnaire de l’Etat est un chanceux qui ne va pas user de « sa chance » pour améliorer l’administration dans le cadre de son travail, mais au contraire va mettre tout en œuvre en vue d’avoir une situation économique et financière la plus prospère que possible. Les calculs ne se font pas en fonction de son salaire et les économies qu’il peut réaliser mais en fonction de l’importance du bien public qu’il aura à gérer. Cette façon de voir et de concevoir la gestion de la chose publique devient culturelle, c’est-a-dire intégrée par une large partie de la population.
Vu l’incapacité de l’Etat à donner l’espoir et l’envie de rêver à ses citoyens, la plupart de nos jeunes sont dans l’impossibilité de se projeter vers l’avenir et d’imaginer leur devenir. Ils se trouvent dans la position d’une communauté exodique qui attend que des cailles lui tombent du ciel. Concrètement, ces cailles imaginaires sont : une bonne place dans l’administration publique où on va pouvoir « rattraper le temps perdu » ou « la mer » avec la croyance que là bas c’est l’eldorado. Néanmoins nous devons éviter la généralisation systématique de ces analyses car il s’agit d’êtres parlants.