dimanche 14 novembre 2010

Y'en a marre

On est habitué en Haïti à la perpétuelle « autodéresponsabilisation » des (ir)responsables, au « je m’enfoutisme » de l’élite économique, aux incessantes palabres de ceux qui font valoir leurs activités comme l’exercice de l’intelligence au sein de la société haïtienne. Exercice de l’intelligence, si l’on se fie aux résultats sociopolitiques et économiques de ces 30 dernières années, qui tarde à produire des résultats concrets perceptibles par tous, à quelque niveau que ce soit. Cette déresponsabilisation collective, dont la forme la plus primaire et la plus idiote s’exprime ainsi : « je suis un intellectuel, je ne fais pas de politique », a servi à justifier les occupations incessantes dont le pays est l’objet depuis 20 ans. Le choléra qui sévit actuellement en Haïti est le résultat de l’occupation en cours, la manière dont il est traité résulte dune collusion entre l’ONU, le gouvernement haïtien et les médias.

L’occupation s’inscrit dans le cadre d’une transformation des modes d’intervention des puissances occidentales dans les affaires du monde ces 50 dernières années. A l’échelle nationale un nombre croissant de prérogatives de l’Etat est sous-traité par des firmes privées. L’idéologie néolibérale a fini par envahir l’Etat - dont la gestion se fait de plus en plus sous la forme de celle des entreprises - et l’ensemble de ses actions. A l’échelle internationale, l’ONU devient la « sous-traitante officielle » des Etats puissants, notamment les 5 permanents du Conseil de Sécurité. Elle permet de légitimer des interventions internationales qui n’auraient pu l’être sans susciter la résistance des populations. Des déséquilibres énormes et des inégalités à l’échelle planétaire dus à la globalisation, qui auraient pu et dû susciter le soulèvement des peuples, sont gérés par la sous-traitante des Etats puissants qu’est l’ONU. Et le fait que cette dernière soit officiellement considérée comme la représentante de tous les Etats (peu importent leurs capacités), permet de faire souvent passer comme une lettre à la poste les ingérences des Etats puissants (Etats universels par excellence) dans les affaires intérieures des Etats « altérisés, (c’est-à-dire sans capacités) », ingérences sous-traitées et orchestrées par l’ONU.

Dans le cas haïtien, les Etats puissants, avec la participation des Etats de second rang qui en profitent soit pour fournir une source de devise (si mes informations sont bonnes, un soldat étranger gagne plus de 6000 dollars US par mois en Haïti) non négligeable à leur armée pauvre, soit pour se montrer utiles aux yeux de leur puissants homologues, utilisent l’ONU pour signifier aux élites haïtiennes leur nullité. Cette « nullité » et « l’irreponsabilisation » des responsables haïtiens sont instrumentalisées par les Etats puissants afin de prouver au monde entier qu’Haïti est incapable de se prendre en charge. Vu qu’ils sont bienveillants et de surcroit altruistes, ils investissent à travers l’ONU afin de « stabiliser Haïti ». Le terme « stabilisation » utilisé dans l’acronyme MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti) annonce l’intention des Etats puissants de demeurer longtemps en Haïti. Car par définition la stabilisation est processuelle. Nul ne sait la délimiter dans le temps. Pire encore, l’action de l’ONU en Haïti ne va nullement dans le sens de ce qu’elle aurait appelé la responsabilisation des (ir)responsables haïtiens. Pour les Etats-Unis, il est moins couteux politiquement et économiquement de garder l’ONU en Haïti aussi longtemps que possible que de prendre le « risque » de se laisser envahis par la pauvreté, et tout ce qu’elle comporte, en provenance d’Haïti. La responsabilisation des (ir)responsables haïtiens est trop hypothétique pour s’y adonner tout de suite.

Toutefois, l’épidémie du choléra qui sévit actuellement en Haïti et qui a fait déjà plus de 900 morts vient de faire une nouvelle révélation :l’ONU est au moins aussi irresponsable que les irresponsables haïtiens qu’elle prétend responsabiliser !

Ok, personne n’est dupe. Si l’ONU savait stabiliser un pays déclaré instable, ça s’saurait, me diriez-vous. Ses expériences, notamment africaines, sont là pour décrédibiliser quiconque voulant aller dans le sens opposé. Mais le problème est que toute la machine de légitimation de la présence de l’ONU en Haïti était montée à partir de « l’irresponsabilité manifeste » des responsables haïtiens, qu’il faut à tout prix responsabiliser pour le plus grand « bien des haïtiens ». C’est l’irresponsable qui est chargé de responsabiliser d’autres irresponsables. Récapitulons pour ceux/celles qui n’ont pas suivi toute l’histoire.

La semaine du 18 octobre (2010) des cas de décès vraisemblablement dus à une « forme de diarrhée » sont déclarés dans l’Artibonite. Le jeudi de la même semaine, la presse locale rapporte que : « Les premiers résultats obtenus suite à des analyses en laboratoire montrent qu'il y a une poussée de choléra » dont le type est encore ignoré. Le gouvernement ne semble pas prompt à réagir. Quelques jours plus tard, des mirbalaisiens (Centre) accusent un contingent de l’ONU d’être à l’origine de la maladie. Des enquêtes (photos et vidéos à l’appui) montrent que des troupes de l’ONU déversent directement leurs eaux usagées dans les rivières utilisées par la population locale. L’ONU ne tarde pas à démentir ces informations, malgré l’accumulation des preuves. Les médias (étrangers surtout, mais pas seulement) de leur coté, trouvent un lien de causalité direct entre l’apparition du choléra et le séisme du 12 janvier. Or les régions où l’épidémie a été déclarée n’ont pas directement été frappées par le séisme, contrairement à la capitale (où le choléra a mis du temps avant de faire son apparition). Dès lors comment explique-t-on ce lien de causalité ? Il semble que ce lien de causalité se justifie par la recherche d’une information sensationnelle qui aille dans le sens du séisme, présentée comme la continuité du malheur qui frappe Haïti. A part la chaine Al Jazeera, rares sont les médias étrangers qui sont allés à l’endroit où les premiers cas ont été signalés et où la MINUSTAH est accusée de contaminer les rivières.

Le gouvernement haïtien de son coté semble soutenir l’ONU, en n’ayant cure du sort du peuple, qui refuse d’assumer ses responsabilités dans cette affaire. Les faux technocrates de Port au prince, préoccupés par la sauvegarde de la « politique du ventre » qu’ils mènent depuis très longtemps, préfèrent s’allier à la sous-traitante des Etats puissants au détriment du peuple. Ceux qui pouvaient, peut être par naïveté, croire encore en un minimum de responsabilité de l’ONU en Haïti se trouvent devant le fait accompli.

L’avenir d’Haïti ne se dessinera plus dans les hôtels 5 étoiles où des technocrates prétendent prendre des décisions au nom des haïtiens qui croupissent sous les tentes, il passera inévitablement par le soulèvement des camps de tentes, par l’alliance de ceux qui n’ont rien, les « sans part » comme dirait Rancière, et ceux qui survivent à peine. C’est cette réunion qui pourra responsabiliser les irresponsables (qui se transformeront ou s’en iront). L’alliance entre irresponsables « autodéresponsabilisés » et irresponsables « autoresponsablisés » qui prétendent responsabiliser les autres ne font qu’accélérer la descente aux enfers d’Haïti. Crions notre ras-le-bol des camps de tente aux locaux de la MINUSTAH en vue d’une Haïti enfin dirigée pas des responsables !