mardi 20 avril 2010

Contribution théorique de Hans Morgenthau dans les Relations Internationales

Avec des auteurs comme Hans Morgenthau, Raymond Aron (tenant toutefois une position plus nuancée que ses contemporains), Kenneth Waltz (fondateur du néoréalisme) et Stephen Walt, Edward Hallett Carr est l’un des principaux penseurs du réalisme[1]. Le réalisme a exercé et exerce encore, dans une moindre mesure, un rôle dominant dans les Relations Internationales et « s’est présenté comme la première tentative d’offrir une véritable théorie générale[2]» dans ce domaine, et en a dessiné « les contours ». Selon Carr « realism enters the field far behind utopianism and by the way of reaction from it[3] ».

Dans The twenty years’ crisis 1919-1939 (1940), Carr pose les fondements d’une « science » des Relations internationales plus rigoureuse, se proposant de rompre avec l’idéalisme de l’entre deux guerre. Il affirme : « The impact of thinking upon wishing which, in the development of a science, follows the breakdown of its first visionary projects, and marks the end of its specifically utopian period, is commonly called realism[4]». Le réalisme est ici mis au centre du débat tout en se frayant un statut scientifique tendant à appréhender, dans les relations internationales, les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient être. Le devoir être est l’objet de la philosophie et non d’une discipline revendiquant le statut de « science ». Citant la Philosophie du droit de Hegel, Carr affirme : « For the realist /…/ philosophy always ‘‘comes too late’’ to change the world[5] ». Il présente le réalisme comme « the necessary corrective to the exuberance of utopianism[6] ».

Carr fait partie, avec Morgenthau, des réalistes classiques de la tradition épistémologique pragmatiste. C’est un « pragmatiste modéré », pour ainsi reprendre les termes de Macleod, A. & O'Meara, D., « qui accepte l’idée que le scepticisme a ses limites et que leur vision [des réalistes] des relations internationales, sans être une vérité absolue, correspond assez bien au fonctionnement des relations entre Etats et constitue la meilleure base pour conduire une politique étrangère[7] ».


Le livre, The twenty years’ crisis 1919-1939 (1940), de l’historien et diplomate britannique est considéré comme l’un des ouvrages fondateurs du réalisme moderne. Il prend en compte d’autres aspects dans les relations internationales bien qu’il mette l’accent sur les aspects politiques. Carr apporte un important apport aux études internationales en, s’appuyant sur la philosophie réaliste de Machiavel, affirmant : « In the first place, history is a sequence of cause and effect, whose course can be analysed and understood by intellectual effort, but not (as utopians believe) directed by ‘‘imagination’’. Secondly, theory does not (as the utopians assume) create practice, but practice theory. /…/ Thirdly, politics are not (as the utopians pretend) a function of ethics but ethics of politics ».

Toutefois, Tout en partageant l’idée (l’ontologie réaliste) que les Etats sont les principaux acteurs du système anarchique international, Carr met en exergue la nécessité de dépasser « la ‘‘stérilité’’ du réalisme et la ‘‘naïveté’’ de l’idéalisme[8] ».

Prédisant que la notion de souveraineté est appelé à devenir de plus en plus flou, Carr fait, comme c’est généralement le cas de la théorie réaliste, « du respect de la souveraineté nationale un véritable principe du bon fonctionnement du système international4[9] ». Il met en exergue la nécessité de ne pas négliger le facteur de la puissance dans les relations internationales, comme on avait souvent tendance à le faire avant la publication de son livre susmentionné. Bien que la puissance soit un tout indivisible en politique internationale, elle est séparable en « puissance militaire », « puissance économique » et « pouvoir sur l’opinion publique ». La nation ou les nations qui réussissent à être dominante-s sont les productrice-s des « théories de moralité internationale ».

Il ne faut pas, selon Carr, confondre éthique individuelle et moralité internationale. Les actions des Etats doivent être jugés selon des critères différents que ceux utilisés pour les actes individuels. Contrairement aux actes individuels, les émotions n’interviennent pas dans les actions des Etats, du moins on ne peut pas raisonnablement leur en attribuer. Une action que le citoyen moyen concevrait comme étant immorale ou amorale si elle avait été posée par un individu peut lui apparaître comme parfaitement morale de la part de l’Etat. En outre l’impératif de l’autoconservation de l’Etat passe avant les obligations morales. Enfin la base sur laquelle aurait pu être fondée une véritable moralité internationale reste une question ouverte.

L’idéalisme selon nombre d’auteurs réalistes a dominé la réflexion sur les relations internationales mais aussi sa pratique tant aux Etats-Unis qu’au Royaume Uni après la première guerre mondiale. « En mettant l’accent sur les possibilités de coopération entre les Etats, la sécurité collective et les effets contraignants du droit international, au détriment d’une politique étrangère plus robuste et moins naïve, les idéalistes auraient créé les conditions qui auraient favorisé la montée des puissances fascistes et l’éclatement de la Deuxième Guerre Mondiale[10]».

L’idéaliste regarde le futur et pense en termes de « spontanéité créative » tandis que le réaliste fouille le passé et réfléchit en termes de causalité. « On the ‘‘scientific’’ hypothesis of the realist, reality is thus identified with the whole course of historical evolution /…/ there can be no reality outside the historical process.[11] ».

L’auteur nous dit toutefois : « All healthy human action, and therefore all healthy thought, must establish a balance between utopia and reality, between free will and determinism.[12] » C’est un principe d’équilibre entre les deux posions qui nous est présenté, bien que l’auteur semble davantage penché du coté du réalisme qui permet de comprendre le fonctionnement réel des relations internationales. Conçu comme étant plus normatif, se basant sur le devoir être, l’idéalisme ne permettrait pas une analyse rigoureuse de la politique étrangère de l’Etat.

Renald LUBERICE

[1] Il faudrait peut être ajouter l’adjectif moderne au terme « réalisme », car les anciens comme Thucydide, sont parfois considérés comme des réalistes. Carr lui même a affirmé « Machiavelli is the first important political realist ». Carr, E.H., 1940. The twenty years' crisis 1919-1939, London: Macmillan and Co.

[2] Macleod, A. & O'Meara, D., 2007. Théories des Relations internationales. Contestations et résistances, Québec: Athéna, p.5.

[3] Carr, E.H., op. cit., p. 81

[4] Carr, E.H., 1940. The twenty years' crisis 1919-1939, London: Macmillan and Co, p. 14.

[5] Car, E.H., op. cit., p. 16

[6] Ibidem. Machiavel s’était, selon Carr, déjà révolté contre l’utopisme dans la pensée politique, lorsqu’il écrit : « It being my intention to write a thing which shall be usefull to him who apprendeds it, it appears to me more appropriate to follow up the real truth of a matter than the imagination of it ; for many have pictured republics and principalities which in fact have never been seen and known, because how one live sis so far distan from how one ought to live that he who neglects what is done for what ought to be done sooner effects his ruine than his preservation », Machiavelli, The prince, chs. 15 and 23 (Engl. Transl., Everymans’s Library, pp. 121, 193), cité par E.H. Carr, op. cit., p. 82.

[7] Macleod, A. & O'Meara, D., op. cit. p. 11

[8] Ibidem, p. 43

[9] Ibidem, p. 45

[10] Macleod, A. & O'Meara, D., op. cit., p. 20

[11] Carr, E.H., op. cit. p. 85

[12] Carr, E.H., op. cit., P. 17



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