Haïti, à qui la faute ?
Aux autres !
À lire, à entendre de nombreuses Haïtiennes et Haïtiens dont des intellectuels le « malheur haïtien » est imputable aux autres, à l’obscurantisme de nos dirigeants, à la voracité de la bourgeoisie, à la méchanceté des « blancs » et surtout à l’histoire. Ils ont peut-être raison.
Mais combien d’entre eux se posent-ils cette question salutaire : qu’ai-je fait ou que pourrais-je faire ou encore qu’est ce que je devais faire et que je n’ai pas fait entant qu’Haïtien en vue de sortir Haïti de là ? Combien d’Haïtienne et d’Haïtien se posant la question : quelle est ma contribution réelle dans l’effondrement d’Haïti ? Quand nous chargeons un racketteur pour l’obtention de notre carte d’identité à la DGI (Direction Générale des Impôts), lorsque nous payons le juge pour qu’il rende le verdict en notre faveur, à chaque fois nous dissimulons nos marchandises à la douane pour ne pas payer l’intégralité des frais requis, quand nous faisons en sorte que les places à l’Université d’Etat d’Haïti soit réservée à nos enfants ou nos proches alors que le rectorat organise un simulacre concours dont le résultat était disponible avant même le déroulement des épreuves etc. ces actes ne constituent-ils pas une contribution décisive à l’effondrement d’Haïti ? Ces questions ne sont pas posées dans le but de faire la morale à nos compatriotes. Car je suis convaincu que chaque Haïtienne et chaque Haïtien contribue à l’effondrement de l’Etat d’Haïti. Il n’y a pas qu’Aristide et Préval !
En ce sens, bien qu’il soit parfois difficile de mesurer le degré de scientificité (P. Karl) ou d’objectivité de ses textes, Gérard Etienne à raison de nous demander d’ « aller au-delà de René Préval » dans l’attribution des responsabilités du « mal haïtien ». La construction d’Haïti ne se fera pas par la communauté internationale (bien que sa contribution ne soit pas négligeable), la construction d’Haïti ne se fera pas non plus par un homme (bien qu’un homme éclairé à la tête de l’Etat pourra la conduire à bon port). La construction d’Haïti passera surtout par les forces organisées de la nation sans écarter aucune couche de la population.
A ce titre les partis politiques ont un rôle important à jouer. Mais Sont-ils prêts ? Dans les démocraties modernes qui sont pour la plupart des systèmes démocratiques représentatifs, les partis politiques jouent un rôle clé à la stabilité politique du pays. Pour ce faire leur modernisation, leur institutionnalisation est indispensable. Or la plupart de nos partis politiques s’installent à la « République de Port-au-Prince » et ignore la réalité du reste du pays. Ils n’existent qu’en période électorale. Dans ce cas il est difficile de réconcilier le peuple et la politique.
Dans la conjoncture actuelle si les partis politiques ne s’institutionnalisent pas, s’ils ne revoient pas de fond en comble leur stratégie de prise et de gestion du pouvoir, je vois mal la construction de l’Etat d’Haïti, ou d’Haïti tout court. Pourquoi ?
Parce que le gouvernement devant mener les réformes nécessaire à l’édification d’Haïti devra avoir une très large majorité à l’Assemblée Nationale. Pour ce faire il doit être issu d’un parti ayant une base idéologique forte (pour des élus très déterminés) et un ancrage national soutenu. Puisque la Constitution actuelle ne permet pas au président d’être immédiatement rééligible et que cinq ans seront insuffisants en vue de mener les réformes nécessaires. C’est le parti politique qui devra s’en charger. Autrement dit si le gouvernement succédant n’est pas issu de la même majorité, les réformes précédemment entreprises peuvent être compromises par des décisions politiciennes de la nouvelle équipe. Il est donc important que les partis se réforment, qu’ils soient des partis politiques d’Haïti et non des partis politiques de Port-au-Prince, qu’ils puissent travailler avec la population en dehors des périodes électorales. Si le Hezbollah libanais a su tenir tête à Israël et même à la communauté internationale c’est parce qu’avant tout, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce parti est le chouchou d’une très large majorité de Libanais, il a su accompagner la population dans ses détresses. La société civile (ce concept est multidimensionnel et problématique, voir le Canadien Charles Taylor, Invoking civil society) doit jouer son rôle.
Les organisations de la société civile devront faire des propositions concrètes, elles devront pouvoir influencer de manière éclairer et positive (en prenant uniquement en compte les intérêts du peuple haïtien) la politique du gouvernement et le rappeler au droit chemin à chaque fois que cela soit nécessaire.
Si Chaque Haïtienne et chaque Haïtien a su contribuer à un degré plus ou moins élevé à l’effondrement d’Haïti, c’est sûr qu’elle/il doit maintenant participer en essayant de minimiser ses intérêts personnels et maximiser l’intérêt collectif à la réédification d’Haïti. On a déjà identifié les erreurs historiques (la plupart de nos écrivains ne font que cela d’ailleurs) à la base de la non-émergence de l’Etat au sens moderne en Haïti et de l’échec socio-économique de notre nation.
Maintenant passons à autre chose, identifions ce que nous pouvons et devons faire à titre individuel et collectif en vue de la reconstruction d’Haïti. Nos très chers/ères Héroïnes et Héros –eh oui, on a occulté le rôle des femmes dans la lutte pour la libération d’Haïti, mais je suis convaincu qu’il n’était pas négligeable- ont victorieusement lutté, elles/ils ont créés les conditions de l’établissement d’un Etat « moderne », c’est à nous de faire le reste.
L’heure est à la reconstruction nationale. Et si certains passages de notre histoire servent de blocage à notre avancement, adoptons les prescriptions de Nietzche dans Considérations inactuelles et avançons. Si nous ne le faisons pas, nous aussi, aurons des comptes à rendre devant l’Histoire. Les autres c’est nous !
Renald LUBERICE
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