Le Talk show est-il une émission de divertissement, d’information, de culture, d’enquêtes ou simplement un « marché déguisé » ?
Introduction
Le talk-show, importé des Etats-Unis, se présente comme une sorte d’infotainment[1]. Du Portugal au Brésil, du Pérou à l’Israël, de la Norvège à la Chine ce concept audio-visuel se repend presque sur toute la planète. Il ne s’agira pas ici du concept de talk-show en général avec les possibilités de légères variations d’un pays à l’autre. Mais du talk-show à la Ruquier, Ardisson et compagnie s’inscrivant dans un contexte global de marchandisation des médias dominants. Ces genres d’émission à la « tendance de mélange des genres » ne souffriraient-ils pas tous d’une « non-conformité » à leur objet ?
Un contributeur de l’encyclopédie libre, Wikipédia, tente de décrire l’émission « Salut les terriens » de Thierry Ardisson diffusée sur Canal + ainsi : « L’actualité de la semaine en 50 minutes, observée et analysée avec distance et décalage[2] ». La chaine cryptée quant à elle présente l’émission comme « [un] divertissement, talk-show[3] ». Ces mêmes termes servent également à décrire l’émission de Laurent Ruquier sur France 2 « On n’est pas couché ».
Le concept de divertissement que mettent en avant les « promoteurs » de ces émissions ne serait pas un leurre si on considérait le terme strictement dans son acception pascalienne[4]. On n’a pas affaire à des émissions se rapportant à un « ensemble de choses qui distraient, occupent agréablement le temps »[5] mais à un ensemble de stratégie, agencée plus ou moins consciemment, visant à dissimiler leur véritable objectif qui n’est au fond autre que marchand.
Pour illustrer ce constat nous avons sélectionné deux émissions. L’une, « on est pas couché », est diffusée par une chaine publique (France 2), un média dont la finalité ne serait pas commerciale mais de « service public ». L’autre, « Salut Les Terriens », est diffusée par une chaîne privée (Canal +). A part ces deux émissions nous utiliserons quelques ouvrages qui traitent de la question des médias, et également des sites internet.
Le travail est bidimensionnel. Dans un premier temps il sera question du contexte de « marchandisation » dans lequel s’insèrent les médias et « l’illusion de liberté retrouvée » qui s’en est suivie. La deuxième partie tentera de démontrer que les talk-shows français, illustrés à travers les deux émissions sélectionnées, ne sont pas ce qu’ils croient être. A savoir des émissions de divertissement, de décryptage de l’actualité, de culture mais tout simplement des marchés d’un genre un peu spécial ou des marchands viennent « promener leurs denrées ».
I- “L’illusion” de la liberté retrouvée
Après avoir été l’apanage des pouvoirs publics, la télévision française a pris au milieu des années 70 une nouvelle tournure avec un certain « retrait » de l’Etat qui devrait déboucher sur une plus grande autonomie instaurant un certain « contre-pouvoir ». Les résultats escomptés sur ce point n’ont pas été au rendez-vous. Dans cette partie nous tenterons d’analyser, mettre en exergue (en survolant) la réalité de cette situation. Cette démarche nous permettra, espérons-le, de mieux comprendre l’inscription des talk-shows dans le processus global de marchandisation.
I.I « Monopole » de l’Etat
L’année 1945 peut être considérée comme la date de la mise en place formelle « du monopole de l’Etat sur la radiodiffusion »[6] avec la fondation de la RDF (Radiodiffusion française). Cet organe de contrôle s’élargira à la télévision sous l’appellation de Radio Télédiffusion Française (RTF) – placée directement sous l’autorité du ministre- qui elle se transformera sous l’impulsion du Général de Gaulle en ORTF dont la mission est de « satisfaire les besoins d’information, de culture, d’éducation et de distraction du public »[7]. L’Etat détient un pouvoir presque monopolisé sur les Médias (régis par l’Office) jusqu’au démantèlement de l’ORTF en 1974.
Sept organismes dits autonomes succéderont à l’office de Radiodiffusion et de Télévision Française. La dénomination TF1 de la première chaîne publique résulte de l’éclatement (~1975) de l’ORTF. Cette chaine (l’une des plus grandes en Europe) sera privatisée dès 1987. Mais cette situation n’est pas unique. Malgré la proclamation haut et fort par les médias français eux-mêmes d’un « contre-pouvoir », ils sont dominés par « un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché[8] ».
I.II Nouvelle monopolisation par la marchandisation
Rares sont les journalistes préoccupés par cette nouvelle monopolisation. Dans un entretien accordé à Marie Nicot, Daniel Schneidermann qui prétend véhiculer une « autocritique » sur les journalistes et le traitement de l’information dans les médias répond à la question : « Les investissements accrus des industriels dans les médias français vous préoccupent-t-ils ? » « Non », affirme l’animateur d’ « Arrêt sur image » avant d’argumenter : « La peur d'être traités de censeurs empêche les investisseurs d'intervenir »[9]. « Tu es naïf Daniel ! », lui répondrait Frantz-Olivier Giesbert « car tout propriétaire a des droits sur son journal. D’une certaine manière, il a les pouvoirs »[10]. Ce n’est pas la première fois que le présentateur détrôné avec son émission de la Cinquième affiche cette « naïveté ». Il a déjà « [c]onfirmé involontairement les analyses »[11] de Bourdieu Sur la télévision[12].
En France un nombre important de médias appartient aux groupes Lagardère, Bouygues, Pinault, Rothschild et compagnie. Or ces industriels s’affichent clairement comme proches du président Sarkozy. Cela n’est pas sans incidence sur l’information. Le journal Le Monde semble découvrir cette situation. « … [L]e grand quotidien du soir reconnaît qu’il ne peut plus « vérifier, relativiser, approfondir »[13] dans les traitements de certaines informations. Le « contre-pouvoir » semble peu a peu disparaitre au profit d’une monopolisation par la marchandisation, ce qui a entre autre, pour effet d’orienter les médias en fonction des intérêts marchands et l’orientation politique de leur propriétaire. C’est dans ce contexte que sont produits un nombre importants d’émission de télé au titre très variés et au contenu uniforme.
II- Talk-show : au-delà du concept
Le talk-show se veut une émission d’information, de divertissement et de culture. Qu’en est-il vraiment ? Regardons de plus près deux des talk-shows les « plus suivis » en France : « on n’est pas couché » présenté par Laurent Ruquier sur France 2 et « Salut les terriens » de Thierry Ardisson sur Canal +.
II.1 Mélange de genres
Pendant environ 3heures Laurent Ruquier reçoit une quinzaine d’invités tandis que Thierry Ardisson en accueil moins d’une dizaine en l’espace d’un peu plus d’une heure. Bien que ces deux émissions revendiquent l’appartenance au même genre (talk-show) et tablent sur le concept de divertissement elles sont différentes (en apparence). « Salut les terriens » est présenté à une heure « supposée » de grande écoute : 19h20 ; et « on n’est pas couché » est présenté en deuxième partie de soirée. Elles se diffèrent aussi par leur format et leur « présupposé ».
Thierry Ardisson se propose de « feuilleter l’actualité » dans une optique qui ne permet pas aux téléspectateurs de comprendre la portée des clichés choisis[14] mais juste d’avoir l’impression de « regarder se produire sous ses yeux[15] » les événements de la semaine. Il ne faut pas entendre par événements des choses extraordinaires qui se seraient produites pendant ce laps de temps mais tout ce qui est passé à la télé. C'est-à-dire un méga « mélange des genres » soigneusement opéré par « nos » médias dominants. Laurent Ruquier entame de son coté son émission dans une ambiance qui se veut moins « informative » et « analytique » mais plus comique avec un accent particulier sur « l’actualité people ». Dans ces émissions tout se mélange tout se « dit » sauf l’essentiel : leur véritable but. On peut même se demander dans quelle mesure les animateurs sont-ils conscients de la fausseté du but avoué de ces émissions. Ils continuent à croire que leur rôle est différent de celui des animateurs d’un hypermarché qui sont là pour présenter et faire déguster de nouveaux produits aux clients.
II.2 Un super Marché
Peu à peu la presse se métamorphose en presse d’activité entrepreneuriale. On a affaire à des « marchands de nouvelles »[16] qui prime désormais une information dite « attractive » en vue de « publicité efficace »[17]. Un des principaux critères pour qu’une émission se maintienne dans les grandes chaines de télévision est sa rentabilité (commerciale). Dans le cas des deux émissions sélectionnées qui sont un espace où des marchands d’un genre un peu spécial viennent « promener leur denrées », tout doit être fait pour qu’il y ait le maximum de clients potentiellement acquéreurs lors des présentations. Pour ce faire elles doivent être présentées dans un cadre attractif, agréable, consensuel qui donne l’impression au téléspectateur que son « temps est agréablement occupé ». Son cerveau est ainsi rendu « disponible[18] ».
Dans l’émission « on n’est pas couché » que nous avons suivie, une quinzaine « d’invités » se sont défilés sur le plateau tout au long de l’émission. Celle-ci a été essentiellement consacrée à eux. Or à part Laurent Ruquier et ses chroniqueurs tout le monde avait un produit à vendre. D’ancien « chef » de gang à ex dirigeant de la campagne de Ségolène Royal, de journaliste sportif à acteur de cinéma les origines sociales des invités étaient très variées. Cependant ils avaient tous un point commun : ils venaient vendre leur « denrée » et ils n’étaient présents que pour cela. Alors pourquoi ne pas dire les choses telles quelles sont aux téléspectateurs ? Pourquoi leur faire croire qu’on présente une émission d’information, de divertissement alors qu’au fond c’est un « super marché » qu’on anime ? L’émission de Thierry Ardisson est de ce point de vue identique à celle de Ruquier la quasi-totalité des gens présents sur le plateau venaient vendre leur produit.
Un autre aspect de ce supermarché est que tout comme Carrefour, Auchan etc. des accords formels ou tacites ont été passés avec des « fournisseurs » privilégiés. Ce qui permet des «[ …] notoriétés indues, [des] affrontements factices, [des] intervenants permanents [et des] services réciproques »[19]. Un animateur qui lance des piques à son concurrent d’une autre chaine n’hésitera pas à aller à « chez » son émule en vue de la promotion de sa nouvelle émission.
Conclusion
L’autonomisation voulue pour les médias (presse) français débouche sur leur marchandisation et leur dépendance. Rares sont ceux qui y échappent. A la télévision, c’est le règne de « la logique d’audimat, c'est-à-dire la soumission démagogique aux exigences du plébiscite commercial.[20] »
Ces talkshows s’inscrivent donc dans ce processus de marchandisation, leur but n’est autre que marchand. Mais pour parvenir à leur objectif ils se sentent obligé de dissimiler la réalité, en se présentant en permanence pour ce qu’ils ne sont pas : un espace d’information, de culture et/ou de divertissement. Tout comme Michelin « doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui sans lui mourraient de faim »[21] les présentateurs (journalistes) se gardent de révéler le but véritable de leur entreprise.
Cependant nous ne pouvons pas infirmer catégoriquement le caractère divertissant de ces talkshows. Pour ce faire, il aurait fallu une sorte d’étalon, pour parler comme Léo Strauss[22], du divertissement. C’est-a-dire un ensemble de critère universellement partagé auquel on se référerait. Faute de quoi nous sommes obligé de considérer le caractère relatif du divertissant. Car ce qui vous donne l’impression d’occuper agréablement votre temps peut ne pas l’être pour nous.
Nonobstant, n’étant donc pas adepte d’un nihilisme « absolu » nous pouvons nous mettre d’accord sur ce qui est informatif ou ne l’est pas, ce qui est purement marchand ou non. Ainsi nous déduirons le caractère « commerçant » de ces talkshows qui s’inscrivent dans un processus identique à une échelle supérieure. La découverte de ce « secret » nous permet de savoir ou en sommes-nous et de réfléchir à des alternatives.
Bibliographie
- Daniel Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu, Paris, Fayard, 1999
- Eric Neveu, sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La découverte « collection Repères », 2004
- Jean-François Revel, Le rejet de l’Etat, Grasset, 1984
- Pierre Bourdieu, Sur la télévision, suivi de l’emprise du journalisme, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 1996
- Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 2005
- Ignacio Ramonet, « S’informer fatigue », Le Monde Diplomatique, octobre 1993
Emissions
- Laurent Ruquier, France 2, « On n’est pas couché », émission diffusée le 27/10/07
- Thierry Ardisson, Canal +, « Salut les terriens »,
- Daniel Schneidermann, France 5, « Arret sur images »,
Sitographie
- Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Salut_les_Terriens&oldid=23318316 consulté le 27/12/07
- Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2857757715; consulté le 27/12/07
- Bakchich http://www.bakchich.info/article2190.html consulté le 27/12/07
- Marie Nicot, Stratégies http://www.strategies.fr/archives/1103/110303701/daniel-schneidermann---la-verite-est-ma-princesse.html consulté le 27/12/07
[1] Pour ce terme voir Erik Neveu, sociologie du journalisme, Paris, La Découverte « collection Repères », 2004, P. 7
[2] http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Salut_les_Terriens&oldid=23318316 consulté le 27/12/07
[3] Voir la Fiche descriptive de l’émission sur le portail du FAI Free télécom (en ADSL)
[4] C’est-à-dire : divertissement comme processus de détournement et de dissimilation
[5] Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2857757715; consulté le 27/12/07
[6] L’internaute, http://www.linternaute.com/histoire/motcle/evenement/3364/1/a/53405/monopole_de_l_etat_sur_la_radiodiffusion_francaise.shtml consulté le 27/12/07
[7] Loi no 64-621
[8] Serge Halimi, les nouveaux chiens de garde, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 2005
[9]Marie Nicot, Stratégies http://www.strategies.fr/archives/1103/110303701/daniel-schneidermann---la-verite-est-ma-princesse.html consulté le 27/12/07
[10] Cité par serge Halimi, op cit. p. 61
[11] Henri Maler, Le Monde Diplomatique http://www.monde-diplomatique.fr/1999/07/MALER/12243 consulté le 27/12/07. Daniel Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu, paris, Fayard, 1999
[12] Pierre Bourdieu, Sur la télévision. Suivi de l’emprise du journalisme, Dijon-Quetigny (France), Raisons d’agir, 1996
[13] Propos rapportés par Bakchich http://www.bakchich.info/article2190.html consulté le 27/12/07
[14] Le « Zapping » par exemple
[15] Ignacio Ramonet, « s’informer fatigue », Le Monde diplomatique, octobre 1993
[16] Expression employée par Roy Howard cité par Erik Neveu in Sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La découverte « collection Repères », 2004, P.11
[17] idem
[18] Patrick Lelay, Les dirigeants face au changement, paris, Ed. du Huitième jour, 2004, P.92
[19] Serge Halimi, op. cit.
[20] Pierre Bourdieu, Op. cit.
[21] Paul Nizan cité in Serge Halimi, Op. Cit. p. 87
[22] Droit naturel et histoire,
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