Vodou et décolonisation mentale en Haïti
Depuis quelques semaines je regarde avec stupéfaction des dizaines de discours se dérouler sur nos forums à propos du vodou. A chaque lecture me viennent ces deux questions : quelle est la nature de ces prises de positions contre la religion des pauvres ? Quels sont les mécanismes psychiques et culturels qui permettent la production, la reproduction et la perpétuation de ces discours qui sont manifestement d’un autre âge ?
Je suis conscient que, depuis le lancement de ce débat occasionné par l’intronisation de M. Beauvoir, beaucoup de choses ont été dites. N’ayant pas pu tout lire, je ne pourrai pas prendre en compte un certain nombre d’éléments substantiellement importants. Veuillez bien me le pardonner. Ici, je me contenterai des propos les plus absurdes dont j’ai pu prendre connaissance. Mon but n’est pas de défendre une religion, peu importe sa nature, mais de mettre en exergue l’absurdité que regorgent certains discours qui se veulent intelligents alors qu’ils ne sont que l’expression flagrante de la perpétuation de la mentalité coloniale dans notre pays.
Le vodou nous dit-on renferme des choses positives qui sont minimes par rapport aux choses négatives. Au point où l’on arrive à attribuer l’origine du « mal haïtien » aux pratiques vodouesques. Le caractère maléfique du vodou s’illustre à travers les phénomènes loup-garou et zombification. A vrai dire, faire de la zombification une pratique exclusivement inhérente au vodou est ignoble d’autant plus que personne n’arrive à prouver rationnellement (cause = » effet) que la zombification est le fait du vodou.
Le fait que des adeptes de cette religion revendiquent le phénomène de zombification ne prouve aucunement que le vodou permette la zombification. Comprendre une religion, peu importe sa nature, nécessite de l’appréhender dans sa dimension anthropologique et sociologique. Or la plupart des discours prononcés jusque là reprennent les préjugés et les aprioris d’antan en omettant que toute religion est le fait des femmes et des hommes, qu’il s’agit du Vodou de l’Islam ou du Christianisme. Pour comprendre l’Islam classique, il faut étudier les conditions matérielles et sociales d’existence en Arabie du 7eme siècle. De même, l’environnement dans lequel est né et pratiqué le Vodou définit son contenu et son image. En ce sens on peut véhiculer toute sorte de sottise le concernant, cela ne fera que nous enfoncer davantage.
Le plus surprenant dans les prises de positions sur le vodou est que certains de nos savants du web reprennent des mythes entretenus soit par les adeptes ou les détracteurs du vodou pour les faire passer pour des faits avérés. On nous dit que les loups-garous existent bel et bien. Très bien. Mais quelle est la valeur de cette assertion ? En quoi fait-elle avancer la réflexion ?
Tout comme dans l’Haïti d’aujourd’hui les loups-garous étaient particulièrement prolifiques au moyen Age, vu les conditions d’hygiène catastrophiques pour les nourrissons, la malnutrition, etc. Avec le développement de la pédiatrie, les loups-garous ont disparu en France. La plupart de ceux qui écrivent contre les loups-garous sur ces forums ne les verront pas manger leurs enfants puisqu’ils ont de quoi s’occuper de leurs progénitures (leur donner à manger, les faire soigner, etc.).
Encouragée, légitimée et permise par l’église catholique, la zombification a été pratiquée en Haïti pendant plus de trois siècles, jusqu’à ce que le peuple dise à la France : cela suffit ! Désormais ce sont les conditions sociales qui entretiennent la zombification de même que les conditions sociales des Européens au moyen Age entretenaient la sorcellerie.
La façon dont le vodou est présenté nous apporte un enseignement fondamental : en 1804 nous avons opéré une décolonisation physique qui a débouché sur l’indépendance nationale, cependant le plus dur et le plus complexe qui est la décolonisation mentale reste, 204 ans plus tard, à faire. Cette ineffectivité de la décolonisation mentale permet la production, la reproduction des discours coloniaux. Ceux-ci deviennent prompts à fonctionner comme structures structurantes qui structurent la réalité haïtienne.
Le vodou en tant que religion nègre née dans un contexte colonial s’est vu attribué tous les qualificatifs maléfiques. Au départ des colons, 1803, les élites qui les ont remplacés se sont approprié les discours coloniaux pour dévaloriser la religion des pauvres qui est surtout le fait des anciens « peaux sales ».
Comme toutes les religions le vodou a ses rites, peu m’importe l’authenticité des significations « causales » attribuées à ces rites. Les démarches consistant à imposer la marginalisation du vodou comme solution à un problème (réel ou imaginaire) est absurde. Ce dont le vodou a besoin est un cadre institutionnel. Tant que les conditions sociales des pratiquants sont catastrophiques, le vodou renverra une image calamiteuse. Si le vodou présentait un « mal social » ce ne serait nullement le seul fait des vodouisants mais de tous les haïtiens. Car il n’est autre que le miroir présentant authentiquement la réalité haïtienne, celle du plus grand nombre.
Renald Lubérice
Paris 16/07/08
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