jeudi 24 juillet 2008

Civilisation islamique

Civilisation islamique

Du visionnaire imbu d’eschatologie (avertisseur) au combattant, organisateur de la communauté: Une considération anthropologique et sociologique de l’Islam « historique »?

Introduction

Il est une tendance récurrente de « déshumanisation » des religions, ou de l’histoire des religions[1]. Cette considération est encore plus grande s’agissant de l’Islam qui fait figure d’ « alter (autre) » par excellence. Nous tenterons ici d’appréhender cette religion dans sa dimension sociale et « humaine », comme une activité qui procède de « tantôt la conscience, innée chez l’homme, de la causalité, tantôt le sentiment de sa dépendance, tantôt ‘‘l’intuition de l’infini’’, tantôt le renoncement au monde »[2]. Il est bon de noter qu’aucune religion n’échappe aux conditions réelles, matérielles et sociales d’existence des individus qui la professent. Comment en aurait-il pu être autrement pour l’Islam ?

Ce travail se fera en deux parties. La première est consacrée à la genèse de l’Islam (de la Mekke à Yatrib) la deuxième est une tentative de considérer l’islam dans sa dimension sociale (des nécessités tribales aux nécessités normatives). Cependant vu les contraintes de temps, nous vous prions de nous accorder le bénéfice d’une analyse et une présentation sommaires.

1. Genèse de l’Islam

Cette partie est consacrée à la naissance de l’Islam, au parcours de Muhammad de la Mekke à Yatrib ville septentrionale qui deviendra Médine (la ville du prophète, 622). A la mort du prophète en 632, une « guerre » de succession « s’éclate ». Ce conflit aura de sérieuses incidences sur le devenir de l’Islam en tant qu’institution.

1.1.L’Islam mecquois et médinois

C’est en Arabie occidentale dans un contexte tribal plus ou moins égalitaire, où, comme ailleurs, les conditions réelles et matérielles d’existence des gens influent sur leur vision et leur appréciation du monde, que débute l’islam, terme signifiant « abandon à Dieu, à la volonté de Dieu »[3]. Cependant la vision du 3ème siècle, qui est un autre contexte social, allait travestir le premier siècle.

Le Qoran (récitation) est censé avoir été révélé en deux périodes. Une période à la Mecque (environ un tiers), une autre période à Médine. (10 ans à Médine, 12 à 13 ans à la Mecque). A la Mecque (610-622) le prophète n’est pas encore reconnu en tant que tel, contrairement à ce que rapporte la mythologie. Muhammad y est considéré comme un homme ordinaire, mais il a un devoir d’annonce. L’idée de prophète apparaît par des personnalités extérieures à travers des récits publics. C’est à Médine que Muhammad commencera à s’appeler Nobi (celui qui annonce). La réalité tribale ne permet pas l’imposition d’une religion qui de toute façon ne peut être considérée qu’en tant qu’alliance, car on ne se convertit pas à une religion on entre dans une alliance (wala).

Dans les sociétés tribales, c’est l’accord de tout le monde qui est requis, l’accord par conviction. Dans l’impossibilité de trouver un accord le « fautif » est exclu de la tribu. Muhammad quant à lui a été exclu de sa tribu pour des raisons d’ascendance et de descendance et perd ainsi son identité. C’est en faisant de la politique qu’il va s’en créer une nouvelle. La victoire remportée après plusieurs batailles lui a permis d’étendre son pouvoir. En l’an IX, il est déjà à la tête d’une importante fédération tribale. Il quittera la Mecque avec un certain nombre d’hommes. Ils émigrent « vers la ville la plus septentrionale de Yatrib dont la population originaire de l’Arabie du sud se montrait plus accessible aux sentiments d’ordre religieux »[4].

C’est à Médine que l’Islam va prendre sa forme « définitive » en tant qu’institution, « les premiers germes de son organisation sociale, juridique et politique »[5] prennent naissance. Muhammad deviendra un chef religieux et politique assez important jusqu’à sa mort. Les capitaux politiques, économiques, religieux et symboliques qu’il a sus accumuler vont être l’objet de convoitise par ses proches, ses descendants ou adeptes de sa cause.

1.2.Mort de Muhammad (570-632) : « guerre » de succession

En 632 Muhammad est mort. Ce qui signifie pour les tribus la révocation de l’alliance[6]. Car il ne faut pas oublier que ce qui lie Muhammad et les tribus n’est pas une religion mais une alliance sous forme de confédération tribale (Umma). Si l’Islam est conçu comme une alliance avec le surnaturel c’est parce que dans le monde tribal ce qu’on recherche avant tout est la protection. A la mort du prophète, les Arabes sortent d’Arabie et vont faire la guerre. Ils y sont sortis parce que Dieu leur donnait la victoire. Ces guerres de conquêtes sont sous formes de Rezzou (ghazzia, razzia). Une sorte de pillage légale.

23 ans après la mort de Muhammad, le centre du pouvoir va être transféré à Damas où les Khalifes sont à la tête d’un Empire. Les arabes conçoivent l’Islam comme étant exclusivement arabe et n’entendent pas convertir des non-arabes et ce, durant un siècle. Les rares convertis non-arabes sont ceux ayant trouvé une famille d’accueil arabe.

Muhammad, à sa mort a laissé place à une sorte de « guerre » de succession. Des successions qui se déroulent en plusieurs phases. Les trois premiers successeurs sont Abu Bakr (2ans), Omar (10 ans), Uthman (12 ans). L’arrivée au pouvoir d’Ali (5 ans), suite à l’assassinat d’Uthman, va être contestée et déboucher sur la guerre civile. Cependant bon nombre de ceux qui refusent de le reconnaitre sont assassinés. Ali sera à son tour assassiné par d’anciens partisans kharidjistes (les sortants). L’accession d’Ali au pouvoir fait l’objet d’âpre discussion concernant sa légitimité. Il allait être déclaré non-reconnu comme successeur. Ali cherche à résoudre le problème par le dialogue, ce que ses partisans ne tolèrent pas et s’en vont. Ali mécontent de ce départ assassine des gens de la tribu des « déserteurs ».

La mort d’Ali fait place à une autre phase de succession qui va être le fait des Omeyyades (les khalifs de Damas) qui transfèrent la capitale de l’empire de Médine à Damas. Le 3ème successeur du prophète (Uthman) appartient à la famille des omeyades au nom de la loi du talion (qisas) sa famille est en droit de demander vengeance.

Ali a eu deux garçons avec Fatima, la fille du prophète : Hassan (l’ainé) et Hussein (le cadet). Hassan ne va pas venger son père et préfère passer un accord de renoncement avec les omeyyades. C’est accord signifie sa mort politiquement. Hussein quant à lui sera aussi peu habile politiquement que son père. Du coté Omeyyade, le premier Khalife désigne son successeur et meurt. La désignation de son successeur est inacceptable dans le monde tribal. Les successions doivent se faire entre frères à égalité de génération. Cette « innovation » politique et le trouble qu’elle suscite vont profiter aux Iraquiens qui tenteront de donner le pouvoir à Hussein. Maladroit, comme son père, celui-ci va se diriger avec toute sa famille en Iraq, ce qui attire évidemment l’attention des Omeyyades d’Iraq. Hussein va être encerclé dans le désert et sommé de se rendre. Le gouvernement d’Iraq massacre ses compagnons armés et coupe sa tête pour la rapporter à Yazid en Syrie. Ce drame sera un acte fondateur pour le chiisme. Le chiisme est l’une des trois principales tendances de l’Islam qui sont : Le Sunnisme (sunna), le Chiisme et le Kharijisme.

Le Sunnisme (sunna = la voie tracée à suivre, une voie bien tracée qu’on ne peut pas perdre, qu’on doit suivre). Cependant, avant l’Islam ce terme désignait la voie des ancêtres, la voie qu’on doit suivre pour survivre. Sur le plan social c’est la voie bien tracée, celle de ceux qui ont réussi. La sunna allait devenir dans le Coran la sunna de Dieu (Allah). Le fondateur du sunnisme est B. Hanbal. Il a influencé les abbâssides, anciennement chiites, qui sont une dynastie des cousins de Muhammad qui ont renversé les omeyyades. L’émergence du sunnisme correspond à une islamisation en profondeur de la société. Pour les sunnites, le successeur doit être de la tribu du prophète et on ne doit pas insulter les compagnons. L’émergence du sunnisme est liée à la prise en compte du corpus attribué au prophète. Le sunnisme se donne une représentation du passé qui n’est pas un passé historique.

Quant au Chiisme : ce sont des musulmans qui se proclament les suivants du prophète et de son cousin et prétendent être présents immédiatement après la mort du prophète. Cependant dans le monde tribal on ne désigne pas son successeur. Ce sont les survivants qui le désignent. Celui-ci devra être un homme d’expérience et apprécié. Car la fonction de chef n’est pas de commandant mais de conciliateur. Il est temporaire. Le conciliateur doit travailler à la cohésion du groupe, étant donné qu’il n’a pas de moyen contraignant (pas de contrainte monopolisée), il doit chercher l’accord des membres, tous si possible. Etre un chef suppose une nasab (généalogie), il faut avoir un hasab (charisme personnel), une connaissance généalogique et du nashab (savoir se montrer généreux).

Les chiites considèrent que tous leurs chefs ont été assassinés. C’est de la martyrologie. Les chiites attendent le dernier des 12 Imams disparus.

Les Kharidjistes forment aujourd’hui « des communautés disséminées au milieu des pays sunnites »[7]. La naissance du Kharijisme serait due au refus de l’arbitrage entre Ali et Mu`âwîya. Ils n’ont pas toléré qu’Ali se soit « volontairement » soumis à un arbitrage.

Voici donc les trois principales branches d’une religion née dans le « désert aride d'Arabie où les chameaux parcourent parfois de vastes distances sans pouvoir se nourrir. Les puits sont si rares que les hommes ou les bêtes peuvent mourir de soif. Ce milieu hostile, les habitants de cette région, les Arabes, le redoutent d'autant plus qu'ils pensent que des génies malfaisants (les djinns) se cachent partout »[8]. Toute analyse, toute considération historique digne de ce nom se portant sur l’islam originel se doit de prendre en compte cette réalité historique.

2. Considérations sociales

En Arabie où est né l’Islam, tout le monde vit en groupe. L’individu s’efface au profit du groupe. Dans ce contexte les alliances sont importantes et même vitales. Plus tard, soit au troisième siècle, les Omeyyades vont se trouver devant l’obligation d’établir des normes capables de régir la nouvelle société complexe qui est très différente de la société originelle. C’est à ces deux dimensions que s’atèle cette deuxième partie.

2.1.Des nécessités vitales (tribales)

Dans le désert la mort est constamment présente dans chaque action, dans chaque déplacement. Muhammad est défini comme le compagnon, celui qui appartient à la même tribu, il a la fonction de Indhar (avertisseur, dans le sens d’avertir en cas de danger). Car les conditions de vie font peser un sentiment de peur, de disparition imminente. Muhammad va se servir d’éléments bibliques pour convaincre sa tribu de la nécessité du nouement de l’alliance.

Les gens ont rallié Muhammad parce qu’il sait pratiquer la razzia réussie, ce qui signifie qu’Allah le protège. Des historiens essayent d’expliquer différentes manières la situation, le mode de vie tribal qui a permis la réussite des conquêtes et l’expansion de l’Islam.

Les arabes (d’Arabie) seraient connus pour leur « penchant pour la rapine, [leur] goût pour le butin, [leur] passion du raid »[9]. Une affirmation que Christian Décobert juge peu satisfaisante. L’auteur pose le postulat que « les arabes qui entrèrent en Syrie byzantine, en Mésopotamie sassanide, n’étaient ni des hordes sauvages et poussiéreuses de pillards avides de butin, ni des troupes faméliques fuyant la misère, ni des marchands de nouveaux circuits, mais des guerriers décidés, peu nombreux, disciplinés. »[10]. Cette machine guerrière qu’est la conquête a déterminé la migration arabe.

Cependant, si le postulat de Christian Décobert apporte une dimension moins normative (ou a-normative) à l’analyse, certes, il peine à expliquer les buts réels des guerriers. Pourquoi faisaient-ils la guerre ? Si ce n’est ni dans un but économique ou militaire, ni de révolution (expansion) religieuse est-ce dans une optique politique ? Nous ne pourrons pas apporter, ici, réponse à ces questions. Nous ne pouvons non plus adresser une critique tranchée à Christian Décobert pour des contraintes de temps. Toutefois nous pensons qu’il s’agit d’une lecture qui peut permettre d’élargir la réflexion sur le sujet.

Par ailleurs, l’analyste devra toujours prendre en compte la nécessité vitale que représente l’alliance dans le désert d’Arabie. L’Islam est à la base une religion (alliance) ethnique, ce qui est intenable à la gestion d’un empire. A partir des Abasssides (successeurs) l’Islam n’est plus tribal. Une nouvelle lecture sera donc essentielle en vue de l’établissement de nouvelles normes nécessaires à la gestion d’un empire.

2.2.Aux nécessités normatives

Au 3ème siècle, on va idéaliser le début de l’Islam. Un mythe fondateur va être mis en place, et Muhammad et certains de ses compagnons « mythifiés ». Quels-uns des compagnons vont être diabolisés. Les khalifes de Damas (omeyade). Les gens de la nouvelle société allaient altérer l’image tribale de l’Islam. Les textes coraniques devront suivre.

Dans la société tribale, il ne peut y avoir d’ « histoire » d’ange, et le rôle de Muhammad est celui d’avertisseur contrairement à l’idée que se font les gens du 3ème siècle. Déjà l’attribution des textes coraniques à l’époque du prophète pose problème du fait qu’on ait, primo, aucun manuscrit du coran, secundo, la société d’Arabie est une société à dominante orale, tertio que le Coran lui-même considère le fait d’écrire la révélation de la main humaine est une perversion[11], quarto l’écriture arabe de l’époque n’était pas fait pour être lue car il n’y avait pas de voyelles, elle avait un usage magique. Or, Qoran signifie ce qui est répété continuellement, répété fidèlement (conforme à l’original) ce qui a été entendu.

Par renversement violent les Abbâssides succèdent aux Omeyyades au bout d’un siècle, tous les documents écrits qu’on a datent de cette époque. Les Abbâssides écrivent beaucoup de choses dont les fameux hadiths. A la fin du XVIIème siècle le texte du coran est stabilisé. Les premières écritures islamiques qu’on ait eues sont les versets antichrétiens des Acropoles du rocher construit par les Omeyyades.

Sociologiquement le prophète est un homme qui sert de référence. Les Hadiths seraient plus l’expression de nécessités normatives, c’est-a-dire le besoin d’avoir un mythe fondateur dans l’établissement des normes sociales nécessaires au maintien et à la consolidation d’un Empire d’ampleur. Le sunnisme sert de modèle aux masses de nouveaux convertis car dans la société on a besoin de normes établies, de modèles. Une rupture historique a donc été nécessaire. L’islam a par ailleurs été l’objet de plusieurs vagues de biblisation par la nécessité de se donner un repère.

Conclusion

Une considération sociologique et anthropologique de l’Islam permet une analyse en conformité avec son objet. L’endroit où la religion a pris naissance, les faits historiques qui sont souvent « sérendipitiens », c’est-à-dire ne dépendant pas de la volonté d’acteurs ayant conscience de la finalité de leurs actes ont influé sur « l’être » et le devenir de la religion. Sur l’aspect historique, l’Islam n’est pas différent des autres monothéismes puisqu’ils sont tous le fait de l’histoire humaine. D’où la nécessité de ne pas présenter l’Islam comme figure d’ « alter » par excellence. D’autant plus qu’il y a entre l’Islam et l’Occident médiéval des interférences culturelles observables sur les plans « militaires, économiques, sociaux, intellectuels et artistiques »[12]

Bibliographie

- Dominique Sourdel, Dictionnaire Historique de l’Islam, Paris, PUF, 2004

- Christian Décobert, Le mendiant et le combattant. L’institution de l’islam, Paris, Seuil, 1991

- Goldziher, Le Dogme et la loi de l’islam, Paris, Geuthner, 1973 (1920)

- Georges Peyronnet, L’Islam et la civilisation islamique VIIe-XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992

- André Miquel, L’Islam et sa civilisation, paris, Armand Collin, 2003

Sitographie

- Encyclopédie universalis, « Kharijisme », http://www.universalis.fr/encyclopedie/K102041/KHARIDJISME.htm, consulté le 06/06/2008

- Anne-Marie Delcambre, « L'islam : histoire des origines et histoire califale », http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/L_islam__histoire_des_origines_et_histoire_califale.asp consulté le 06/06/08



[1] Par exemple E. Renan avait été chassé du collège de France pour avoir considéré Jésus Christ comme un homme.

[2] Goldziher, Le Dogme et la loi de l’islam, Paris, Geuthner, 1973 (1920), P. 1

[3] Anne-Marie Delcambre, « L'islam : histoire des origines et histoire califale », http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/L_islam__histoire_des_origines_et_histoire_califale.asp consulté le 06/06/08

[4] Goldziher, op. cit. p. 6

[5] Ibid

[6] Abu Bakr, successeur du prophète, refuse toutefois que les gens sorte de l’alliance.

[7] Encyclopédie universalis, « Kharijisme », http://www.universalis.fr/encyclopedie/K102041/KHARIDJISME.htm consulté le 06/06/2008

[8] Anne-Marie Delcambre, op. cit.

[9] Muir :1898 ;Lammens :1928, cité par Christian Décobert, Le mendiant et le combattant. L’institution e l’Islam, paris, Seuil, 1991, P. 58

[10] Christian Décobert, op. cit. p. 59

[11] Le coran dénoncent les juifs et les chrétiens qui écrivent le kitab (livre révélé) de leur main et disent qu’il vient de Dieu.

[12] Georges Peyronnet, L’Islam et la civilisation islamique VIIe-XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992

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