samedi 26 juillet 2008

Mais Pourquoi les noirs ne lisent pas

Chers amis ce texte qu’on a remis à l’ordre du jour pour je ne sais quel motif a été débattu et redébattu l’année dernière sur nos forums. Pour ceux et celles qui n’avaient pas pu participer à ces débats, voilà ce que j’en ai pensé :

Mais pourquoi « les noirs ne lisent pas » ?

Chers/ères amis/es,

Depuis plusieurs jours vous faites circuler sur HP l’article intitulé « Les noirs ne lisent pas». Les propos tenus dans l’article lu par Dee Lee semblent vous toucher. Votre réaction est tout à fait compréhensible.

Cependant l’article qu’a lu Dee Lee n’est qu’une accumulation de « prénotions » (prénotion est à prendre dans le sens durkheimien). Implicitement l’auteur se propose d’un coté de faire un travail sociologique et de l’autre un travail béhavioriste.

Sauf que :

1) du point de vue sociologique l’auteur n’a pas su chercher les causes proprement sociales du phénomène étudié, il n’a pas su non plus dissocier « ses sens communs » et les méthodes scientifiques que requiert un travail de cette nature qui est d’une complexité incommensurable.

2) Du point de vue béhavioriste le Caucasien s’est encore complètement planté. Il n’est pas en mesure de démontrer comment l’environnement (en l’occurrence l’environnement américain) a su influencer le comportement des noirs. D’ailleurs son article ignore les interactions entre l’individu et son milieu.

Si «les noirs ne lisent pas » rien ne nous prouve à travers son n’article que son auteur, en revanche, lit lui-même. N’importe quel pseudo Anthropologue ou Anthropologiste du XIXe siècle aurait pu nous sortir des propos de cette nature. Mais contrairement à ce caucasien il se baserait ouvertement sur l’aspect Physique des noirs, c’est-à-dire sur le taux de mélanocytes contenu dans leur sang. ç’aurait été plus intelligent !

Si l’article de ce Caucasien ne fait pas ce qu’il prétend faire, qu’est ce qu’il peut donc nous révéler ?

Son approche n’est ni sociologique ni béhavioriste mais raciste. J’étais toujours convaincu que le racisme est caractérisé par une pauvreté culturelle aigüe. Cet article me permet de corroborer cette thèse.

A vrai dire l’article qu’a lu Lee est très intéressant. Il met en évidence une chose : l’incapacité de certains descendants de colons à transcender leur état psychique et mental, à comprendre que tous les hommes sont égaux, quelque soit leur couleur, mais le milieu ou l’environnement social peut altérer cette égalité et la transformer en inégalité. La mentalité d’esclavagiste des ancêtres de ce Caucasien pèse d’un poids considérable sur son cerveau, on comprend qu’il lui soit difficile de s’en débarrasser. Aller M. le Caucasien encore un p’tit effort !

Chers/es amis/ es, il y a des blancs, des jaunes, des gris, des noirs, des verts qui ne lisent c’est surtout dû à des facteurs autres que génétique !

Cordialement

Renald LUBERICE

jeudi 24 juillet 2008

Cher-ère-s ami-e-s, cher-ère-s compatriote-s,

J’ai certainement encore péché de n’avoir pas pu répondre en temps réel aux questions qui m’étaient adressées et suivre d’un bout à l’autre le passionnant débat autour du vodou. Je ne m’interdis néanmoins de réagir au moment opportun sur le sujet.

J’ai pu remarquer au passage « l’amour » d’Ed. Lagroue pour la méthode je l’en remercie. Seule une approche méthodique nous permettra de tenir un discours raisonnable et responsable sur le vodou dont l’objet est conforme à la question ou au problème de départ. Au début de ce débat je m’étais intéressé à la nature des discours tenus jusque là sur ce sujet. Force est de constater un mélange récurrent entre un savoir qui n’a pour fondement que le sens commun et un autre qui peut avoir une valeur scientifique. Le problème se pose de cette manière au lecteur : comment dissocier les arguments scientifiques des arguments du sens commun, surtout lorsqu’une même personne dans un même texte tient ce discours manifestement d’une double origine.

Les universités haïtiennes en tant qu’établissements scientifiques sont en grande partie responsables des préjugés relatifs au vodou pour n’avoir pas su faire la lumière, rationaliser l’image qu’on a des pratiques vodouesques. Cette situation fait planer de sérieux doutes sur le des différentes Unités de Formation et de Recherche (UFR) ou facultés des sciences humaines et sociales du pays. Le travail qu’on prétend faire sur ces forums qui par définition ne sont pas des espaces scientifiques est avant tout le travail des universités.

Dans mes premières interventions certains de nos compatriotes ont compris que j’ai refusé qu’on critique le vodou. Je ne sais pas comment ils ont fait pour lire de telles choses dans ce que j’ai écrit. Je me suis intéressé à la nature des discours avec pour hypothèse qu’il s’était agi de discours d’origine coloniale. Dire cela n’est pas la même chose que dire qu’il ne faut pas critiquer le vodou.

Certains ont confondu l’anticolonialisme et le racisme, la xénophobie et l’haïtiannité. Juger que quelqu’un est mentalement colonisé parce qu’il est sorti avec ou a épousé un-e blanc-che n’est autre que du racisme. La question se pose autour des valeurs et de l’appropriation de valeurs coloniales dont le racisme. Je ne suis pas de ceux qui définissent la nation haïtienne en fonction d’une couleur de peau. Je pense qu’on peut être bleu, blanc, jaune, vert, noir, blanc et être haïtien authentique. La mentalité coloniale ne fait pas appel ni au lieu de résidence, ni à la religion, ni à la couleur de l’époux-se. La mentalité coloniale est une vision du monde qui n’a pour essence que les valeurs coloniales. On peut tout à fait être mentalement colonisé sans le savoir, mais c’est un autre débat.

Cordialement

Renald


Cher Renald,
Merci de faire le point et de faire de nos froums une véritable université virtuelle. L'apport d'experts comme Vava et vous est désormais vital afin de mettre en branle cette méthodologie scientifique. Par formation ou déformation professionnelle, en tant qu'analyste cybernétique, votre approche analytique nous a tous conforté ici chez notre "Think Tank.
Pour la première fois depuis 20 ans, le drame d'Haiti, à travers le prisme de vos regards professionnels, semble devenir plus accessible et compréhensible, voire même acceptable.
Nous Haitiens, souhaitant être authentiques, ne pouvons que nous féliciter de voire émerger des valeurs comme vous Renald et l'humble Vava. Toussaint Louverture aurait donc bien vu.
C'est de cette authenticité qu'Haiti a su vivre, malgré nous, constituant cette mosaïque merveilleuse d'un métissage socio-ethno-culturel à peine exploré... Une mine d'or, si les paragigmes d'un nouveau monde voudraient qu'elle devienne une référence et une nouvelle tendance pour la survie du monde. Un trésor que seul ceux qui l'a connu, "en toute liberté", sauront dévoiler au monde grace à ses experts...
Haiti, après avoir été ce laboratoire accidentel d'au moins 200 ethnies, 7 religions majeures, les douze tribus et 30 sectes, deviendrait-elle aussi la nation qui saura enseigner cette nouvelle façon de vivre et où il ferait bon de vivre pour toutes les races et religions de la terre, une porte vers l'Eden perdu...
C'est quoi Haiti, chers amis et amies? Haiti, est-elle le nombril de notre terre? C'est quoi d'être Haitien? Pourquoi l'Haitien bien formé brille-t-il partout comme les Juifs? Pourquoi Haiti ne décolle pas encore?
Merci Renald et à nos experts qui voient aujourd'hui d'un bon oeuil, la renaisance de la perle noire, de façon intégrale et intégrée, pour qu'Haiti avec tous ses filles et toutes ses filles, sans exception, devienne cette étoile prédite par Wendell Phillips, au firmament des nations...
A+++
Ed. Lagroue



Cher-ère-s ami-e-s lecteur-trice-s, mon cher Jacques

Auriez-vous l’amabilité de m’excuser de n’avoir pas pu, faute de temps, réagir de suite à vos textes. Mon cher Jacques je te remercie sincèrement de l’intérêt que tu portes à mes textes. Quant aux considérations que tu as faites au sujet de l’article intitulé « vodou et colonisation mentale en Haïti », je pense que je ne saurai apporter de réponses plus édifiantes que celles apportées, entre autres, par notre compatriote Zabeth Jean-Bergeron et notre amie Maureen.

J’ai essayé de répondre aux questions suivantes : « quelle est la nature
de ces prises de positions contre la religion des pauvres ? Quels
sont les mécanismes psychiques et culturels qui permettent la
production, la reproduction et la perpétuation de ces discours qui
sont manifestement d'un autre âge ? ». Mon hypothèse est que « l’ineffectivité de la décolonisation mentale » dans notre pays favorise la reproduction et la perpétuation » du regard colonial envers les/la culture/s indigène/s. Autrement dit des regards qui se veulent objectifs et neutres ne sont que des regards coloniaux portés par des haïtiens sur une partie de la culture haïtienne. Sur les traces de Frantz Fanon, j’affirmerai que la colonisation n’est pas uniquement l’implantation physique d’un groupe de colons armés ou non dans un espace indigène donné mais aussi et surtout la large diffusion de la culture métropolitaine/coloniale. Cette diffusion s’accompagne nécessairement d’un processus d’infériorisation des éléments (humains et non-humais) indigènes. Pour que la colonisation soit réussie il faut que l’indigène arrive à intégrer le fait qu’il est inférieur par rapport au colon, tout ce qui lui appartient est inférieur et que son seul salut viendra de l’appropriation des valeurs coloniales et le rejet des valeurs indigènes. Ce processus cognitif est lent mais une fois effectif, il n’est pas aisé de s’en débarrasser. On peut facilement chasser physiquement le colon mais les valeurs coloniales dont l’essence est la dévalorisation des valeurs locales restent et continuent de guider les relations entre anciens colonisés, les relations entre élites (ceux qui s’approprient le plus souvent le plus les valeurs coloniales) et les autres couches de la population. C’est ce que j’appelle colonisation mentale.

Si on prend conscience cet état de fait on peut analyser plus ou moins objectivement le rôle de l’héritage « cognitif » colonial dans nos rapports aux autres et aux valeurs.

Mon cher jacques je ne suis pas dans une logique de censure, les intervenants disent ce que bon leur semble. Mais j’aimerais que tu me permettes de me questionner sur la nature de certaines interventions, sur les motifs cachés, les non-dits qui sous-tendent certaines prises de positions au même titre que les autres intervenants (ma liberté d’expression quoi). Le problème n’est pas le débat mais la nature du débat. C’est pourquoi j’ose croire que tu n’as pas bien lu mon dernier texte et t’inviter à le faire. Je ne suis pas dans une perspective manichéenne. Je ne suis pas et je ne serai pas de ceux qui cherchent les éléments positifs ou négatifs du vodou. Si je ne le fais pas pour les autres religions pourquoi le ferai-je pour le vodou ?

Je ne fais pas de hiérarchie entre les religions, je veux que le vodou soit traité au même titre que les autres religions et affirme que l’image du vodou n’est que le reflet des conditions sociales des pratiquants. Améliorons les conditions sociales d’existence des vodouisants pour pouvoir avoir une autre image du vodou. Entant que laïque convaincu, je ne m’attends pas à ce qu’une religion peu importe son importance numérique développe le pays. Mais je pense qu’on ne peut pas développer le pays sans attribuer à chaque religion sa juste place.

Mon cher Jacques merci de m’attribuer des rôles sur les forums qui m’obligeraient à me taire, c’est vraiment sympa de ta part. Je comprends que tu sois intéressé par ce sujet et vouloir apprendre des choses à propos du vodou. Mais dis-moi qu’est ce que cela t’apporte quand un intervenant, c’est peut être de son droit, demande l’interdiction du vodou en Haïti ? je n’ai pas vu ta réaction sur ce coup-là. Imaginons que quelqu’un demandait la même chose pour le christianisme ? J’ose espérer que tu n’avais pas lu ces genres d’intervention et que le rapprochement entre mon texte et un possible discours de Duvalier est un compliment.

Jacques, je te remercie par ailleurs de me dicter mes conduites en tant qu’animateur de forum.

Cordialement

Renald LUBERICE


Vodou et décolonisation mentale en Haïti

Vodou et décolonisation mentale en Haïti

Depuis quelques semaines je regarde avec stupéfaction des dizaines de discours se dérouler sur nos forums à propos du vodou. A chaque lecture me viennent ces deux questions : quelle est la nature de ces prises de positions contre la religion des pauvres ? Quels sont les mécanismes psychiques et culturels qui permettent la production, la reproduction et la perpétuation de ces discours qui sont manifestement d’un autre âge ?

Je suis conscient que, depuis le lancement de ce débat occasionné par l’intronisation de M. Beauvoir, beaucoup de choses ont été dites. N’ayant pas pu tout lire, je ne pourrai pas prendre en compte un certain nombre d’éléments substantiellement importants. Veuillez bien me le pardonner. Ici, je me contenterai des propos les plus absurdes dont j’ai pu prendre connaissance. Mon but n’est pas de défendre une religion, peu importe sa nature, mais de mettre en exergue l’absurdité que regorgent certains discours qui se veulent intelligents alors qu’ils ne sont que l’expression flagrante de la perpétuation de la mentalité coloniale dans notre pays.

Le vodou nous dit-on renferme des choses positives qui sont minimes par rapport aux choses négatives. Au point où l’on arrive à attribuer l’origine du « mal haïtien » aux pratiques vodouesques. Le caractère maléfique du vodou s’illustre à travers les phénomènes loup-garou et zombification. A vrai dire, faire de la zombification une pratique exclusivement inhérente au vodou est ignoble d’autant plus que personne n’arrive à prouver rationnellement (cause = » effet) que la zombification est le fait du vodou.

Le fait que des adeptes de cette religion revendiquent le phénomène de zombification ne prouve aucunement que le vodou permette la zombification. Comprendre une religion, peu importe sa nature, nécessite de l’appréhender dans sa dimension anthropologique et sociologique. Or la plupart des discours prononcés jusque là reprennent les préjugés et les aprioris d’antan en omettant que toute religion est le fait des femmes et des hommes, qu’il s’agit du Vodou de l’Islam ou du Christianisme. Pour comprendre l’Islam classique, il faut étudier les conditions matérielles et sociales d’existence en Arabie du 7eme siècle. De même, l’environnement dans lequel est né et pratiqué le Vodou définit son contenu et son image. En ce sens on peut véhiculer toute sorte de sottise le concernant, cela ne fera que nous enfoncer davantage.

Le plus surprenant dans les prises de positions sur le vodou est que certains de nos savants du web reprennent des mythes entretenus soit par les adeptes ou les détracteurs du vodou pour les faire passer pour des faits avérés. On nous dit que les loups-garous existent bel et bien. Très bien. Mais quelle est la valeur de cette assertion ? En quoi fait-elle avancer la réflexion ?

Tout comme dans l’Haïti d’aujourd’hui les loups-garous étaient particulièrement prolifiques au moyen Age, vu les conditions d’hygiène catastrophiques pour les nourrissons, la malnutrition, etc. Avec le développement de la pédiatrie, les loups-garous ont disparu en France. La plupart de ceux qui écrivent contre les loups-garous sur ces forums ne les verront pas manger leurs enfants puisqu’ils ont de quoi s’occuper de leurs progénitures (leur donner à manger, les faire soigner, etc.).

Encouragée, légitimée et permise par l’église catholique, la zombification a été pratiquée en Haïti pendant plus de trois siècles, jusqu’à ce que le peuple dise à la France : cela suffit ! Désormais ce sont les conditions sociales qui entretiennent la zombification de même que les conditions sociales des Européens au moyen Age entretenaient la sorcellerie.

La façon dont le vodou est présenté nous apporte un enseignement fondamental : en 1804 nous avons opéré une décolonisation physique qui a débouché sur l’indépendance nationale, cependant le plus dur et le plus complexe qui est la décolonisation mentale reste, 204 ans plus tard, à faire. Cette ineffectivité de la décolonisation mentale permet la production, la reproduction des discours coloniaux. Ceux-ci deviennent prompts à fonctionner comme structures structurantes qui structurent la réalité haïtienne.

Le vodou en tant que religion nègre née dans un contexte colonial s’est vu attribué tous les qualificatifs maléfiques. Au départ des colons, 1803, les élites qui les ont remplacés se sont approprié les discours coloniaux pour dévaloriser la religion des pauvres qui est surtout le fait des anciens « peaux sales ».

Comme toutes les religions le vodou a ses rites, peu m’importe l’authenticité des significations « causales » attribuées à ces rites. Les démarches consistant à imposer la marginalisation du vodou comme solution à un problème (réel ou imaginaire) est absurde. Ce dont le vodou a besoin est un cadre institutionnel. Tant que les conditions sociales des pratiquants sont catastrophiques, le vodou renverra une image calamiteuse. Si le vodou présentait un « mal social » ce ne serait nullement le seul fait des vodouisants mais de tous les haïtiens. Car il n’est autre que le miroir présentant authentiquement la réalité haïtienne, celle du plus grand nombre.

Renald Lubérice

Paris 16/07/08

Civilisation islamique

Civilisation islamique

Du visionnaire imbu d’eschatologie (avertisseur) au combattant, organisateur de la communauté: Une considération anthropologique et sociologique de l’Islam « historique »?

Introduction

Il est une tendance récurrente de « déshumanisation » des religions, ou de l’histoire des religions[1]. Cette considération est encore plus grande s’agissant de l’Islam qui fait figure d’ « alter (autre) » par excellence. Nous tenterons ici d’appréhender cette religion dans sa dimension sociale et « humaine », comme une activité qui procède de « tantôt la conscience, innée chez l’homme, de la causalité, tantôt le sentiment de sa dépendance, tantôt ‘‘l’intuition de l’infini’’, tantôt le renoncement au monde »[2]. Il est bon de noter qu’aucune religion n’échappe aux conditions réelles, matérielles et sociales d’existence des individus qui la professent. Comment en aurait-il pu être autrement pour l’Islam ?

Ce travail se fera en deux parties. La première est consacrée à la genèse de l’Islam (de la Mekke à Yatrib) la deuxième est une tentative de considérer l’islam dans sa dimension sociale (des nécessités tribales aux nécessités normatives). Cependant vu les contraintes de temps, nous vous prions de nous accorder le bénéfice d’une analyse et une présentation sommaires.

1. Genèse de l’Islam

Cette partie est consacrée à la naissance de l’Islam, au parcours de Muhammad de la Mekke à Yatrib ville septentrionale qui deviendra Médine (la ville du prophète, 622). A la mort du prophète en 632, une « guerre » de succession « s’éclate ». Ce conflit aura de sérieuses incidences sur le devenir de l’Islam en tant qu’institution.

1.1.L’Islam mecquois et médinois

C’est en Arabie occidentale dans un contexte tribal plus ou moins égalitaire, où, comme ailleurs, les conditions réelles et matérielles d’existence des gens influent sur leur vision et leur appréciation du monde, que débute l’islam, terme signifiant « abandon à Dieu, à la volonté de Dieu »[3]. Cependant la vision du 3ème siècle, qui est un autre contexte social, allait travestir le premier siècle.

Le Qoran (récitation) est censé avoir été révélé en deux périodes. Une période à la Mecque (environ un tiers), une autre période à Médine. (10 ans à Médine, 12 à 13 ans à la Mecque). A la Mecque (610-622) le prophète n’est pas encore reconnu en tant que tel, contrairement à ce que rapporte la mythologie. Muhammad y est considéré comme un homme ordinaire, mais il a un devoir d’annonce. L’idée de prophète apparaît par des personnalités extérieures à travers des récits publics. C’est à Médine que Muhammad commencera à s’appeler Nobi (celui qui annonce). La réalité tribale ne permet pas l’imposition d’une religion qui de toute façon ne peut être considérée qu’en tant qu’alliance, car on ne se convertit pas à une religion on entre dans une alliance (wala).

Dans les sociétés tribales, c’est l’accord de tout le monde qui est requis, l’accord par conviction. Dans l’impossibilité de trouver un accord le « fautif » est exclu de la tribu. Muhammad quant à lui a été exclu de sa tribu pour des raisons d’ascendance et de descendance et perd ainsi son identité. C’est en faisant de la politique qu’il va s’en créer une nouvelle. La victoire remportée après plusieurs batailles lui a permis d’étendre son pouvoir. En l’an IX, il est déjà à la tête d’une importante fédération tribale. Il quittera la Mecque avec un certain nombre d’hommes. Ils émigrent « vers la ville la plus septentrionale de Yatrib dont la population originaire de l’Arabie du sud se montrait plus accessible aux sentiments d’ordre religieux »[4].

C’est à Médine que l’Islam va prendre sa forme « définitive » en tant qu’institution, « les premiers germes de son organisation sociale, juridique et politique »[5] prennent naissance. Muhammad deviendra un chef religieux et politique assez important jusqu’à sa mort. Les capitaux politiques, économiques, religieux et symboliques qu’il a sus accumuler vont être l’objet de convoitise par ses proches, ses descendants ou adeptes de sa cause.

1.2.Mort de Muhammad (570-632) : « guerre » de succession

En 632 Muhammad est mort. Ce qui signifie pour les tribus la révocation de l’alliance[6]. Car il ne faut pas oublier que ce qui lie Muhammad et les tribus n’est pas une religion mais une alliance sous forme de confédération tribale (Umma). Si l’Islam est conçu comme une alliance avec le surnaturel c’est parce que dans le monde tribal ce qu’on recherche avant tout est la protection. A la mort du prophète, les Arabes sortent d’Arabie et vont faire la guerre. Ils y sont sortis parce que Dieu leur donnait la victoire. Ces guerres de conquêtes sont sous formes de Rezzou (ghazzia, razzia). Une sorte de pillage légale.

23 ans après la mort de Muhammad, le centre du pouvoir va être transféré à Damas où les Khalifes sont à la tête d’un Empire. Les arabes conçoivent l’Islam comme étant exclusivement arabe et n’entendent pas convertir des non-arabes et ce, durant un siècle. Les rares convertis non-arabes sont ceux ayant trouvé une famille d’accueil arabe.

Muhammad, à sa mort a laissé place à une sorte de « guerre » de succession. Des successions qui se déroulent en plusieurs phases. Les trois premiers successeurs sont Abu Bakr (2ans), Omar (10 ans), Uthman (12 ans). L’arrivée au pouvoir d’Ali (5 ans), suite à l’assassinat d’Uthman, va être contestée et déboucher sur la guerre civile. Cependant bon nombre de ceux qui refusent de le reconnaitre sont assassinés. Ali sera à son tour assassiné par d’anciens partisans kharidjistes (les sortants). L’accession d’Ali au pouvoir fait l’objet d’âpre discussion concernant sa légitimité. Il allait être déclaré non-reconnu comme successeur. Ali cherche à résoudre le problème par le dialogue, ce que ses partisans ne tolèrent pas et s’en vont. Ali mécontent de ce départ assassine des gens de la tribu des « déserteurs ».

La mort d’Ali fait place à une autre phase de succession qui va être le fait des Omeyyades (les khalifs de Damas) qui transfèrent la capitale de l’empire de Médine à Damas. Le 3ème successeur du prophète (Uthman) appartient à la famille des omeyades au nom de la loi du talion (qisas) sa famille est en droit de demander vengeance.

Ali a eu deux garçons avec Fatima, la fille du prophète : Hassan (l’ainé) et Hussein (le cadet). Hassan ne va pas venger son père et préfère passer un accord de renoncement avec les omeyyades. C’est accord signifie sa mort politiquement. Hussein quant à lui sera aussi peu habile politiquement que son père. Du coté Omeyyade, le premier Khalife désigne son successeur et meurt. La désignation de son successeur est inacceptable dans le monde tribal. Les successions doivent se faire entre frères à égalité de génération. Cette « innovation » politique et le trouble qu’elle suscite vont profiter aux Iraquiens qui tenteront de donner le pouvoir à Hussein. Maladroit, comme son père, celui-ci va se diriger avec toute sa famille en Iraq, ce qui attire évidemment l’attention des Omeyyades d’Iraq. Hussein va être encerclé dans le désert et sommé de se rendre. Le gouvernement d’Iraq massacre ses compagnons armés et coupe sa tête pour la rapporter à Yazid en Syrie. Ce drame sera un acte fondateur pour le chiisme. Le chiisme est l’une des trois principales tendances de l’Islam qui sont : Le Sunnisme (sunna), le Chiisme et le Kharijisme.

Le Sunnisme (sunna = la voie tracée à suivre, une voie bien tracée qu’on ne peut pas perdre, qu’on doit suivre). Cependant, avant l’Islam ce terme désignait la voie des ancêtres, la voie qu’on doit suivre pour survivre. Sur le plan social c’est la voie bien tracée, celle de ceux qui ont réussi. La sunna allait devenir dans le Coran la sunna de Dieu (Allah). Le fondateur du sunnisme est B. Hanbal. Il a influencé les abbâssides, anciennement chiites, qui sont une dynastie des cousins de Muhammad qui ont renversé les omeyyades. L’émergence du sunnisme correspond à une islamisation en profondeur de la société. Pour les sunnites, le successeur doit être de la tribu du prophète et on ne doit pas insulter les compagnons. L’émergence du sunnisme est liée à la prise en compte du corpus attribué au prophète. Le sunnisme se donne une représentation du passé qui n’est pas un passé historique.

Quant au Chiisme : ce sont des musulmans qui se proclament les suivants du prophète et de son cousin et prétendent être présents immédiatement après la mort du prophète. Cependant dans le monde tribal on ne désigne pas son successeur. Ce sont les survivants qui le désignent. Celui-ci devra être un homme d’expérience et apprécié. Car la fonction de chef n’est pas de commandant mais de conciliateur. Il est temporaire. Le conciliateur doit travailler à la cohésion du groupe, étant donné qu’il n’a pas de moyen contraignant (pas de contrainte monopolisée), il doit chercher l’accord des membres, tous si possible. Etre un chef suppose une nasab (généalogie), il faut avoir un hasab (charisme personnel), une connaissance généalogique et du nashab (savoir se montrer généreux).

Les chiites considèrent que tous leurs chefs ont été assassinés. C’est de la martyrologie. Les chiites attendent le dernier des 12 Imams disparus.

Les Kharidjistes forment aujourd’hui « des communautés disséminées au milieu des pays sunnites »[7]. La naissance du Kharijisme serait due au refus de l’arbitrage entre Ali et Mu`âwîya. Ils n’ont pas toléré qu’Ali se soit « volontairement » soumis à un arbitrage.

Voici donc les trois principales branches d’une religion née dans le « désert aride d'Arabie où les chameaux parcourent parfois de vastes distances sans pouvoir se nourrir. Les puits sont si rares que les hommes ou les bêtes peuvent mourir de soif. Ce milieu hostile, les habitants de cette région, les Arabes, le redoutent d'autant plus qu'ils pensent que des génies malfaisants (les djinns) se cachent partout »[8]. Toute analyse, toute considération historique digne de ce nom se portant sur l’islam originel se doit de prendre en compte cette réalité historique.

2. Considérations sociales

En Arabie où est né l’Islam, tout le monde vit en groupe. L’individu s’efface au profit du groupe. Dans ce contexte les alliances sont importantes et même vitales. Plus tard, soit au troisième siècle, les Omeyyades vont se trouver devant l’obligation d’établir des normes capables de régir la nouvelle société complexe qui est très différente de la société originelle. C’est à ces deux dimensions que s’atèle cette deuxième partie.

2.1.Des nécessités vitales (tribales)

Dans le désert la mort est constamment présente dans chaque action, dans chaque déplacement. Muhammad est défini comme le compagnon, celui qui appartient à la même tribu, il a la fonction de Indhar (avertisseur, dans le sens d’avertir en cas de danger). Car les conditions de vie font peser un sentiment de peur, de disparition imminente. Muhammad va se servir d’éléments bibliques pour convaincre sa tribu de la nécessité du nouement de l’alliance.

Les gens ont rallié Muhammad parce qu’il sait pratiquer la razzia réussie, ce qui signifie qu’Allah le protège. Des historiens essayent d’expliquer différentes manières la situation, le mode de vie tribal qui a permis la réussite des conquêtes et l’expansion de l’Islam.

Les arabes (d’Arabie) seraient connus pour leur « penchant pour la rapine, [leur] goût pour le butin, [leur] passion du raid »[9]. Une affirmation que Christian Décobert juge peu satisfaisante. L’auteur pose le postulat que « les arabes qui entrèrent en Syrie byzantine, en Mésopotamie sassanide, n’étaient ni des hordes sauvages et poussiéreuses de pillards avides de butin, ni des troupes faméliques fuyant la misère, ni des marchands de nouveaux circuits, mais des guerriers décidés, peu nombreux, disciplinés. »[10]. Cette machine guerrière qu’est la conquête a déterminé la migration arabe.

Cependant, si le postulat de Christian Décobert apporte une dimension moins normative (ou a-normative) à l’analyse, certes, il peine à expliquer les buts réels des guerriers. Pourquoi faisaient-ils la guerre ? Si ce n’est ni dans un but économique ou militaire, ni de révolution (expansion) religieuse est-ce dans une optique politique ? Nous ne pourrons pas apporter, ici, réponse à ces questions. Nous ne pouvons non plus adresser une critique tranchée à Christian Décobert pour des contraintes de temps. Toutefois nous pensons qu’il s’agit d’une lecture qui peut permettre d’élargir la réflexion sur le sujet.

Par ailleurs, l’analyste devra toujours prendre en compte la nécessité vitale que représente l’alliance dans le désert d’Arabie. L’Islam est à la base une religion (alliance) ethnique, ce qui est intenable à la gestion d’un empire. A partir des Abasssides (successeurs) l’Islam n’est plus tribal. Une nouvelle lecture sera donc essentielle en vue de l’établissement de nouvelles normes nécessaires à la gestion d’un empire.

2.2.Aux nécessités normatives

Au 3ème siècle, on va idéaliser le début de l’Islam. Un mythe fondateur va être mis en place, et Muhammad et certains de ses compagnons « mythifiés ». Quels-uns des compagnons vont être diabolisés. Les khalifes de Damas (omeyade). Les gens de la nouvelle société allaient altérer l’image tribale de l’Islam. Les textes coraniques devront suivre.

Dans la société tribale, il ne peut y avoir d’ « histoire » d’ange, et le rôle de Muhammad est celui d’avertisseur contrairement à l’idée que se font les gens du 3ème siècle. Déjà l’attribution des textes coraniques à l’époque du prophète pose problème du fait qu’on ait, primo, aucun manuscrit du coran, secundo, la société d’Arabie est une société à dominante orale, tertio que le Coran lui-même considère le fait d’écrire la révélation de la main humaine est une perversion[11], quarto l’écriture arabe de l’époque n’était pas fait pour être lue car il n’y avait pas de voyelles, elle avait un usage magique. Or, Qoran signifie ce qui est répété continuellement, répété fidèlement (conforme à l’original) ce qui a été entendu.

Par renversement violent les Abbâssides succèdent aux Omeyyades au bout d’un siècle, tous les documents écrits qu’on a datent de cette époque. Les Abbâssides écrivent beaucoup de choses dont les fameux hadiths. A la fin du XVIIème siècle le texte du coran est stabilisé. Les premières écritures islamiques qu’on ait eues sont les versets antichrétiens des Acropoles du rocher construit par les Omeyyades.

Sociologiquement le prophète est un homme qui sert de référence. Les Hadiths seraient plus l’expression de nécessités normatives, c’est-a-dire le besoin d’avoir un mythe fondateur dans l’établissement des normes sociales nécessaires au maintien et à la consolidation d’un Empire d’ampleur. Le sunnisme sert de modèle aux masses de nouveaux convertis car dans la société on a besoin de normes établies, de modèles. Une rupture historique a donc été nécessaire. L’islam a par ailleurs été l’objet de plusieurs vagues de biblisation par la nécessité de se donner un repère.

Conclusion

Une considération sociologique et anthropologique de l’Islam permet une analyse en conformité avec son objet. L’endroit où la religion a pris naissance, les faits historiques qui sont souvent « sérendipitiens », c’est-à-dire ne dépendant pas de la volonté d’acteurs ayant conscience de la finalité de leurs actes ont influé sur « l’être » et le devenir de la religion. Sur l’aspect historique, l’Islam n’est pas différent des autres monothéismes puisqu’ils sont tous le fait de l’histoire humaine. D’où la nécessité de ne pas présenter l’Islam comme figure d’ « alter » par excellence. D’autant plus qu’il y a entre l’Islam et l’Occident médiéval des interférences culturelles observables sur les plans « militaires, économiques, sociaux, intellectuels et artistiques »[12]

Bibliographie

- Dominique Sourdel, Dictionnaire Historique de l’Islam, Paris, PUF, 2004

- Christian Décobert, Le mendiant et le combattant. L’institution de l’islam, Paris, Seuil, 1991

- Goldziher, Le Dogme et la loi de l’islam, Paris, Geuthner, 1973 (1920)

- Georges Peyronnet, L’Islam et la civilisation islamique VIIe-XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992

- André Miquel, L’Islam et sa civilisation, paris, Armand Collin, 2003

Sitographie

- Encyclopédie universalis, « Kharijisme », http://www.universalis.fr/encyclopedie/K102041/KHARIDJISME.htm, consulté le 06/06/2008

- Anne-Marie Delcambre, « L'islam : histoire des origines et histoire califale », http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/L_islam__histoire_des_origines_et_histoire_califale.asp consulté le 06/06/08



[1] Par exemple E. Renan avait été chassé du collège de France pour avoir considéré Jésus Christ comme un homme.

[2] Goldziher, Le Dogme et la loi de l’islam, Paris, Geuthner, 1973 (1920), P. 1

[3] Anne-Marie Delcambre, « L'islam : histoire des origines et histoire califale », http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/L_islam__histoire_des_origines_et_histoire_califale.asp consulté le 06/06/08

[4] Goldziher, op. cit. p. 6

[5] Ibid

[6] Abu Bakr, successeur du prophète, refuse toutefois que les gens sorte de l’alliance.

[7] Encyclopédie universalis, « Kharijisme », http://www.universalis.fr/encyclopedie/K102041/KHARIDJISME.htm consulté le 06/06/2008

[8] Anne-Marie Delcambre, op. cit.

[9] Muir :1898 ;Lammens :1928, cité par Christian Décobert, Le mendiant et le combattant. L’institution e l’Islam, paris, Seuil, 1991, P. 58

[10] Christian Décobert, op. cit. p. 59

[11] Le coran dénoncent les juifs et les chrétiens qui écrivent le kitab (livre révélé) de leur main et disent qu’il vient de Dieu.

[12] Georges Peyronnet, L’Islam et la civilisation islamique VIIe-XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992