dimanche 11 janvier 2009

Une société incapable de produire des Hommes d'Etat

Haïti : une société incapable de « produire des hommes d’État » ?

Contribution pour une rupture historique

La société française, à la suite de la défaite de Sedan, a connu une longue période de traumatisme qui l’a poussée à se questionner sur ses propres pratiques sociales et culturelles, lesquelles ont occasionné l’humiliation face à l’Allemagne. La victoire allemande est une victoire acquise grâce et par la science, observe-t-on à l’époque. Ainsi, les penseurs français croient que la France devra s’élever de cette défaite par la science. Dans son ouvrage intitulé « Quelques idées sur la création d’une faculté libre d’enseignement supérieur » (Paris, A. Lainé, 1871), Emile Boutmy pointe « l’insuffisance » des institutions françaises « à former des hommes d’État » (p.6). Une société se doit de questionner les pratiques sociales qui ont fait ses bonheurs ou ses malheurs. Ces questionnements doivent déboucher sur des mesures concrètes, soit pour sauvegarder le bien-être social acquis tout en l’améliorant, soit pour conjurer ses malheurs. Pourquoi les questionnements relatifs à la descente aux enfers d’Haïti chérie ne débouchent pas sur un changement de société ?


Nous avons, d’autres contributeurs et moi-même, beaucoup mis l’accent sur les faiblesses structurelles, les faiblesses politiques et institutionnelles qui ont engendré l’Haïti contemporaine. Cependant les interrogations profondes autour de la société haïtienne se font de plus en plus rares. Il est plus confortable pour plus d’un d’attribuer les causes de la déchéance nationale à des responsabilités individuelles plutôt que collectives.


En effet, personne ne nie ni minimise les responsabilités des tyrans ou des « je m’enfoutistes », qui nous ont dirigés ces dernières années, dans la dégénérescence nationale. Mais ces responsabilités individuelles ne nous permettent pas de résorber le problème. C’est une approche qui nous fait croire qu’il suffit de changer de personne pour que le problème soit résolu. Or, nous avons vu les résultats de cette démarche. L’arrière-plan est donc important si nous voulons construire une Haïti à la hauteur de son histoire. La société ne peut pas se dédouaner de toute responsabilité.


Il est évident que parler de société est un langage abstrait puisque personne n’a jamais rencontré la société. On ne voit que des individus interagissant. Mais nous devons accepter ce langage abstrait pour que cesse enfin l’impression du « pareil au même » qui domine les observations concernant Haïti. Je crois que l’un des plus grands problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés est l’absence d’Homme d’État. C’està-dire, contrairement à la société coloniale de Saint-Domingue qui a produit les Dessalines, Christophe, Pétion etc., la société haïtienne qui s’est constituée est incapable d’en produire. Nos institutions scolaires et universitaires ne produisent pas des Hommes d’État.


Bien que les étudiants aient su se mobiliser contre les dérives dictatoriales et autoritaires, l’Université haïtienne ne parvient pas à contribuer au développement de la société, ou du moins cette contribution est imperceptible. Depuis le XIXe siècle, on essaie, en Occident, tant bien que mal de mettre les outils scientifiques au service du politique. La rationalisation et la bureaucratisation (dans le sens d’institutionnalisation) ont contribué à forger l’État moderne.


Le gouvernement politique efficace est celui qui sait mobiliser les ressources scientifiques à son service. La société se doit de produire ces ressources. L’École et l’Université doivent produire des hommes d’État et non des prédateurs qui voient en l’État uniquement un moyen de se procurer quelques ressources mesquines. L’homme d’État sait que le fait d’accaparer quelques millions aux dépens de la nation est tout simplement preuve de petitesse de l’âme. Cela ne procure nullement de postérité. Arriver à la tête de l’État, s’enrichir aux dépens du peuple et mourir comme le plus miséreux de vilains voleurs : quelle horreur ! L’homme d’État laissera derrière lui non des comptes en banque, mais des citadelles.
Pour une Haïti à la hauteur de son histoire !
Paris, 5 janvier 2009.

Par Renald Lubérice
paru dans Le Matin du vendredi 9 janvier 2009

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