lundi 30 juin 2008

Haïti : Etat sans « moyens » ?

Haïti : Etat sans « moyens » ?

Paru in Le Matin du 30/06/08

Dans les jeux interétatiques où les Etats sont interdépendants, chacun utilise les moyens dont il dispose pour parvenir à ses fins. C’est une réalité qui subsistera tant qu’il y aura des sociétés humaines peu importent les formes d’organisation sociale et institutionnelle. Cela ne veut pas dire que l’Etat, lui, subsistera tant qu’il y aura des humains.

La réalité Etatique favorise les Etats ayant les moyens d’atteindre leurs fins et perpétuer leur existence. L’Etat, en effet, se définit par ses moyens et n’existent que par ses moyens. Cette affirmation est surtout valable pour l’Etat moderne. C'est-à-dire la forme d’organisation institutionnelle qui a fait son apparition en Europe autour du XVème-XVIème siècle. Du point de vue épistémique, les analyses consistant à qualifier des Etats contemporains de modernes et d’autres de non modernes ne nous apprennent pas grand-chose sur la réalité étatique contemporaine. Elles nous éclairent néanmoins sur la persistance de l’ethnocentrisme dans la pensée contemporaine vis-à-vis l’Etat.

Il faut concevoir toutes les structures portant le nom Etat, de nos jours, comme Etat moderne. Deux conditions sont essentielles pour qu’un Etat soit Etat :

- Il faut qu’il se désigne et soit reconnu en tant que tel par ses pairs (par les autres Etats)

- Il doit se donner les moyens d’assurer sa subsistance et son existence.

La souveraineté d’un Etat dépend essentiellement de ces deux conditions-là. Dans quelle mesure Haïti en tant qu’Etat répond-elle à ces deux conditions ? Un long développement est nécessaire en vue d’une réponse satisfaisante à cette question. Ce qu’il est impossible de faire ici. Prenons donc des raccourcis.

En ce qui a trait au premier point, il ne fait aucun doute qu’Haïti se reconnaît et est reconnue en tant qu’Etat par ses homologues. La question est désormais axée sur la nature de cette reconnaissance mais surtout les moyens dont dispose l’Etat haïtien. Par moyens, il faut entendre la « violence physique légitime » et le développement socio-économique.

Au niveau de la violence physique, Haïti se trouve dans l’obligation de faire appel à des forces étrangères pour assurer sa sécurité intérieure mais aussi sa sécurité frontalière. Cela engendre une double perte de souveraineté. En politique (du point de vue stratégique aussi), il y a au moins deux façons d’agir. On agit en posant des actions mais le fait de ne pas poser d’actions (de ne rien faire) est aussi une façon d’agir. Quand un Etat se trouve dans une situation où sa sécurité intérieure est assurée par une force étrangère, l’outil dont dispose cette dernière est double. La force étrangère, en l’occurrence la Minustah, peut agir en posant des actions pour combattre l’insécurité de même qu’elle peut agir par le seul fait de ne rien faire pour sécuriser le pays. Cette dernière façon d’agir peut avoir des conséquences sociopolitiques incommensurables. Mais les deux façons d’agir sont égales dans le sens de l’action politique.

Le fait qu’Haïti n’a pas d’Armée et laisse sa sécurité extérieure à la merci de l’étranger la place dans une situation de non-existence on de non-étant en tant qu’Etat. IL est bon de noter que les Etats dans les jeux interétatiques n’ont pas d’amis, c’est contraire à leur nature. Les Etats ont des intérêts et seulement des intérêts (qui peuvent être sous diverses formes).

L’Etat est le fruit du « jeu d’interaction entre incertitudes, frictions et hasards » et ces « jeu[x] d’interaction entre incertitudes, frictions et hasards » sont le fait des Etats (Von Clausewitz ; Charles Tilly). Cette donnée est fondamentale pour la compréhension de l’Etat.

Un Etat sans Armée rend un grand service aux autres, et, en dehors d’un contexte d’alliance, aucun Etat n’a intérêt à ce qu’un autre ait une force Armée performante (sauf dans quelques rares exceptions où cette absence peut nuire à ses intérêts). L’Armée est un moyen qui permet à un Etat de se faire respecter par la crainte (dissuasion) et d’imposer sa volonté à un autre. Pour parvenir à ses fins l’Etat doit déployer tout un ensemble de ressources. Et cela a un coût. Quand un Etat X a affaire à un concurrent Y sans Armée donc sans moyen de défense (ce qui est contre-nature), l’Etat X n’a pas besoin de dépenser ses énergies à neutraliser l’Etat Y qui se voit imposer purement et simplement la volonté de l’Etat X.

Plus d’un croit qu’aujourd’hui ces genres de considération sont complètement dépassés et que l’Armée n’est plus nécessaire à l’ère de la généralisation des liens d’interdépendance entre les humains et l’accélération des échanges à tous les niveaux. Ce discours ne prend pas suffisamment en compte la réalité du monde et a peu de fondement empirique. Il s’agit là de la confusion entre ce qu’est le monde et ce qu’il devrait être. L’augmentation croissante des dépenses militaires s’inscrit en faux contre cette interprétation de type eschatologique. A vrai dire ce qui a changé ce sont les modes opératoires avec la mise en avant de l’idéologie du « tout économique » visant à occulter les autres motifs qui poussent les actants à agir.

Cependant le poids économique d’un Etat influence grandement ses moyens de contraintes et altère la perception qu’ont les autres Etats de lui dans le jeu. Le faible développement du capitalisme en Haïti et le manque de production de richesse font que l’Etat n’ait pas les moyens suffisants. Or le degré de développement socioéconomique d’un Etat détermine sa place dans le jeu interétatique.

Du point de vue de la violence physique légitime et du développement socioéconomique les moyens de l’Etat d’Haïti sont donc maigres. Un Etat sans moyens n’est autre qu’un Etat sans Etat. Un Etat sans Etat en tant qu’Etat est appelé à disparaître. La construction d’Haïti en vue de lui attribuer les moyens étatiques ne saurait attendre une dizaine d’années encore. A nous donc de savoir si elle doit disparaître où survivre en tant qu’Etat.

Renald LUBERICE

Paris, 26 juin 2008

Courriel : lubericerenald@hotmail.com

http://luberice.blogspot.com/

mardi 24 juin 2008

Haïti : Etat « serendip » ?

Haïti : Etat « serendip » ?

Mécanismes de blocage et/ou d’accélération dans la « construction » d’un Etat « moderne » en Haïti (1804-1825)

Par Renald LUBERICE

« Je ne veux pas faire la guerre avec la France. (…) mais si elle vient m’attaquer, je me défendrai »[1]

Introduction

Ce pays situé aux fins fonds de la Caraïbe non loin des Etats-Unis, « l’hyperpuissant » voisin, à quelques kilomètres du Cuba « révolutionnaire » des Castro, à l’ouest du « paradis » touristique qu’est devenue la République Dominicaine, est surtout connu pour ses turbulences économiques, politiques et sociales au point ou certains n’hésitent pas à infirmer son « existence »[2]. Pourtant c’est à Ayiti[3] que « tout » a commencé. C’est en foulant son sol que Christophe Colomb, par sérendipité, posa les bases d’une transformation géopolitique et économique de toute une planète. Ce petit bout de territoire allait devenir quelques siècles plus tard la colonie la plus riche du monde, le bastion du capitalisme français mais aussi l’endroit de « déshumanisation »[4] par excellence.

Des circonstances internes et externes ont poussé une grande partie de ses habitants à déclarer l’indépendance en vue de recouvrer la dignité humaine longtemps perdue. La jeune nation va connaître une période de balbutiements, « de psychose d’un éventuel retour offensif de colons agresseurs »[5] et n’arrivera à centraliser (définitivement ?) la gestion de la violence qu’avec l’arrivée au pouvoir de Jean-Pierre Boyer (1776-1850) et la mort d’Henri Christophe[6] en 1820. La « hardiesse » haïtienne n’a pas débouché sur les résultats « escomptés ». Les efforts entrepris dès les premières années de l’indépendance visent implicitement à faire émerger « l’Etat moderne » en Haïti.

Le sens des actions posées –constitution d’une armée indigène, élaboration d’une constitution, etc. – par les acteurs porte à croire que cette « méga-institution » qu’est l’Etat serait pour eux incontournable dans l’optique de la sauvegarde d’Haïti sur la carte étatique mondiale mais aussi du monopole de l’accès aux ressources. Or les actions entreprises paraissent souvent contradictoires. Certaines semblent accélérer l’émergence de l’Etat « moderne » d’autres le bloquent. Déceler, comprendre, expliquer ce double processus paradoxal est à la base de ce mémoire. Il s’agit, également, d’une analyse des contraintes externes et internes auxquelles firent face les acteurs dans le processus de monopolisation de la violence légitime en Haïti de 1804 à 1825[7].

L’histoire d’Haïti est riche en paradoxe et en effet « serendip ». Elle est rejetée par les Espagnols pour cause d’épuisement de mines d’or pourtant « rien n’intéresse d’avantage la nation [française] que l’île de Saint-Domingue »[8]. Première République dans l’histoire moderne à s’être fondée après de longs combats acharnés au nom de la liberté de « Tous » en jurant de « vivre libre ou de mourir », tandis qu’une grande partie de ses habitants ne jouira pas de cette liberté. Après avoir vaincu l’une des plus puissantes Armées du monde, Haïti sera contrainte de verser une importante indemnité[9] avec l’envoi par la France d’une « escadre de trois navires et six frégates »[10] en vue de la reconnaissance d’une indépendance qu’elle a pourtant acquise par la force. Après avoir grandement participé à « une étape importante du développement capitaliste à l’échelle mondiale »[11], elle va être l’un des endroits où celui-ci est le moins développé. C’est à travers ce champ sociohistorique jonché de contradiction et de « résultat atteint par chance ou erreur »[12] qu’il faut déceler les mécanismes de blocages et/ou d’accélération de « l’émergence » d’un Etat « moderne » en Haïti. Les décisions prises par ses premières élites, souvent placées « sous l'influence de motivations et d'intérêts relativement simples, peu problématiques »[13], auront de profondes incidences sur le devenir du pays.

Faut-il parler de « construction » ou d’« émergence » de l’Etat moderne ? Ces deux termes ne sont pas exempts de contradictions majeures. Emerger, s’agissant de l’Etat, suppose que « le sujet »[14] soit la cause du mouvement ou du phénomène, cela peut signifier également « venir à l’existence »[15], ce qui augure à son tour l’idée d’un nihilisme de départ ou d’un surgissement ex nihilo débouchant sur la dynamique en question. Construire est un terme polysémique. Son sens grammatical, à savoir : « agencer, disposer (des mots) dans un certain ordre pour en faire un ensemble signifiant »[16], correspondrait plus à l’idée que nous voulons exposer ici. Ce terme renverrait donc à une action dans laquelle le sujet agit, et l’objet de son coté ne fait que subir, il dépend de la volonté de l’initiateur, de phénomènes qui sont extérieurs à l’objet. Il augure une intention, sans forcément de perspective téléologique.

Le terme « construction » peut avoir un sens, dans le cas qui nous importe, en considérant que l’apparition de l’Etat d’Haïti est « sérendipitienne »[17]. C’est-à- dire quelque chose dont le résultat (la finalité) était imprévisible (non-téléologique). Ce sont les actes posés consciemment et/ou inconsciemment qui vont engendrer l’Etat haïtien, en ce sens cette histoire est « opaque aux hommes qui la font »[18].

Parler de blocage dans la construction ou l’émergence d’un Etat « moderne » suppose l’hypothèse d’un Etat « non-moderne ». L’Etat « dit » moderne, selon Weber, doit être conçu « comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé –la notion de territoire étant une de ses caractéristiques- revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique [tenue pour] légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du ‘‘droit’’ à la violence. »[19]. Ce monopole va être double grâce à la formation progressive d’un appareil de fiscalité différencié[20]. L’Etat « non-moderne » peut être conçu par le déficit ou l’absence du monopole de la violence tenue pour légitime et celui de la fiscalité, en d’autre terme, par la non-étatisation « de l’organisation sociale féodale »[21]. On serait en face d’une centralisation inachevée ou insuffisante, d’une spécialisation des tâches non-effective et/ou d’un chevauchement de la sphère publique sur la sphère privée (et/ou) vice versa[22]. Joseph Schumpeter note à propos de la définition du terme Etat : «Nous pouvons, bien entendu, le définir en utilisant le critère de souveraineté, puis parler d'un État socialiste. Cependant, sous peine de transformer l'État, organisme substantiel, en un simple fantôme légal ou philosophique flottant dans le vide, nous ne devons jamais l'introduire dans des discussions relatives aux sociétés féodales ou socialistes, étant donné qu'aucune d'entre elles n'a établi, ni consenti à établir entre le secteur public et le secteur privé la ligne de démarcation qui donne à l'entité « État » sa signification essentielle.»[23]. L’essentiel de la définition est donc la «ligne de démarcation », la distinction entre le secteur public et le secteur privé. Dans quelle mesure le secteur privé et public se confondent-ils dans le cas qui nous importe ?

La problématique du blocage dans la « construction » ou l’émergence d’un Etat « moderne » en Haïti pendant les 25 premières années de l’existence du deuxième pays indépendant du continent américain après les Etats-Unis nous renvoie aux interrogations suivantes : A quel type d’Etat avions-nous affaire ? S’agissait-il d’un Etat féodal ? D’un Etat néopatrimonial, pour parodier J.-F Médard ? Ou d’un Etat d’un tout autre type ? Historiquement la féodalité est un « ordre économique, politique et social qui se développa du Xe au XVe siècle dans les États issus du démembrement de l'Empire carolingien, se caractérisant par l'existence de fiefs, de liens particuliers entre suzerains, vassaux et serfs, et qui se prolongea au-delà du Moyen Âge par la survivance de droits et de privilèges attachés aux propriétaires fonciers, aux nobles »[24]. L’Etat féodal est l’ancêtre de l’Etat « moderne » en Europe. Parfois, par analogie, on désigne par féodalité le « fait de se constituer en puissance autonome à l'intérieur d'un État; groupement d'intérêts particuliers qui impose le poids de sa puissance à l'État et à la société »[25]

Il est possible de subdiviser la société féodale en deux âges. Celui allant primo du Xème siècle au milieu du XIème siècle est caractérisé par la stabilité de l’organisation d’un espace rural avec des échanges faibles et irréguliers. Secundo celui allant jusqu’au XVème siècle correspond à une prospérité économique et monétaire. Les Grands organisent la production et « la transmet, bon gré, mal gré, au groupe de citadins de marchands [et] de bourgeois »[26]. Au regard de ces éléments nous pouvons voir s’il est possible de parler de l’Etat féodal dans le cas qui nous concerne, c’est-à-dire l’Haïti du début du XIXème siècle.

L’Etat néopatrimonial est le « type » retenu par Sauveur Pierre Etienne dans son Enigme haïtienne[27]. Cependant son analyse prétend englober les deux-cents-six ans de l’indépendance. Le problème est que Haïti a connu un nombre considérable de formes de gouvernements qui ont eu presque chacun des incidences colossales sur le type d’Etat au quel on peut avoir affaire, c’est pourquoi il est judicieux que l’analyste fasse appel à des concepts différents suivant qu’il travaille sur le gouvernement d’un Henri Christophe ou d’un Léon Dumarsais Estimé. Car dans l’histoire du pays, « il n’y a pas eu que des ‘pourris’ et que les représentations politiques en Haïti comme un lieu marqué par une absence totale d’éthique sont fausses »[28].

Le néopatrimonialisme est une situation d’hybridité « dans laquelle la logique patrimoniale se combine et se mélange avec d’autres logiques »[29]. Dans quelle mesure ce concept est-il pertinent ? Dire que certains Etats seraient néopatrimonialistes et pas d’autres c’est établir une frontière nette entre « l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique, bien complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la population »[30] dont procèdent les Etats. Or il est empiriquement difficile de montrer objectivement qu’il existe certains Etats où la logique patrimoniale se combine avec « d’autres logiques » et d’autres où cette logique dite patrimoniale aurait complètement disparu. Dans un article intitulé « Quand l’Etat fait ce qu’il nous interdit », Sophie Coignard montre comment en France, « L'Etat, allègrement, viole ou contourne les lois qu'il impose aux particuliers ou aux entreprises. Autant de privilèges, d'illégalités ou d'arbitraire dont il semble peu désireux de se défaire. »[31].

Cet Etat « non-patrimonialiste » s’autorise dans un certain nombre de cas « des privilèges, des passe-droits, des prérogatives, des attitudes arbitraires »[32]. Yves Mény affirme qu’en France « la corruption prend appui sur des mécanismes, des valeurs et des règles parfaitement intégrées et légitimées par le système politique »[33]. Leslie Péan quant à lui met en exergue comment aux Etats-Unis la corruption a jalonné des pratiques gouvernementales dès le tout-début de la fondation de la nation[34]. Dans ce cas là, même entant que « type mixte et modal »[35], utiliser le concept de néopatrimonialisme pour une certaine catégorie d’Etat et pas d’autres est problématique. Sinon, il faudrait dessiner une échelle avec des échelons qui indiqueraient à quel degré de mélange de patrimonialisme avec « d’autres logiques » qu’il est convenu de parler de néopatrimonialisme. Car on peut affirmer que la plupart des Etats occidentaux dits modernes sont plus ou moins néopatrimoniaux au vu de cette définition stricto sensu du concept.

En quoi l’Etat d’Haïti n’est donc pas « moderne » ? Un Etat « moderne » doit-il nécessairement s’accorder à la définition de Weber complétée par Hintze, Elias, etc. ? Cette définition correspond à l’observation d’un type particulier d’organisation, d’institution politique par l’auteur de l’opus magma Economie et société dans un contexte géographique et culturel bien déterminé. Comment l’étendre à un pays comme Haïti qui est l’objet d’une histoire sociopolitique et d’une culture toutes singulières ? « L’erreur la plus crasse, nous dit Jean casimir, que l’on puisse imaginer consiste à croire, contre toute évidence que la diffusion massive de la culture occidentale puisse, par un processus d’imitation spontanée, vitaliser et dynamiser un système culturel autre. »[36] Devons-nous considérer que l’Etat wébérien fait partie intégrante de la culture occidentale ou d’un « système culturel autre »? S’il fait partie d’un « système culturel autre », Jean Casimir ne pose-t-il pas là la source du blocage ou du moins n’exclut-il pas toute possibilité d’utiliser l’Etat européen comme une sorte d’étalon dans un champ culturel non-occidental en vue de la compréhension du type d’Etat auquel on a affaire?

Ce mémoire se divise en trois parties principales. La première s’intitulant sociogenèse d’Haïti Saint-Domingue nous permettra de revenir sur la structure de la société qui a vu l’émergence de l’Etat d’Haïti, à savoir primo les classes sociales et antagonisme de classe, secundo, la manière dont la métropole a géré les conflits et les contradictions récurrentes qui en découlent, tertio, nous nous intéresserons à la dynamique sociale dans sa dimension à la fois locale et globale.

La deuxième partie intitulée un Etat de guerre permanent est une analyse empirique de la situation (une hantise permanente) dans laquelle va évoluer la jeune nation. Pour la France la perte de la perle des Antilles est un frein à son rêve de se constituer un empire en Amérique. Pour exister en tant qu’Etat Haïti va devoir accélérer le processus de monopolisation de la violence. Cependant les bases sur lesquelles l’Etat dit moderne aurait pu émerger semblent avoir été détruites.

La troisième et dernière partie dénommée L’Etat contre la société analyse la manière dont le nouvel Etat entend gérer les rapports sociaux et les ressources, arbitre entre les valeurs et les intérêts qui ne sont pas toujours compatibles. A la fin de cette partie nous interrogerons sur le type de gestion à savoir s’il s’agit de la construction d’un type d’Etat nouveau ou non.

Sur le plan méthodologique nous utiliserons certaines archives coloniales comme les actes administratifs (déclaration de l’abolition de l’esclavage, lettres, rapports officiels, Constitutions, etc.) et les sources de seconde main. Quand nous nous sommes lancés dans la recherche en vue de l’élaboration de ce mémoire nous avons rencontré des difficultés relatives à la délimitation spatiotemporelle (devons nous travailler sur 20, 30 ans et plus, inclure la France métropolitaine dans notre terrain d’analyse pour la période d’avant 1804, etc. ?). De concert avec notre directeur de recherche nous avons opté pour la période allant de 1804 à 1825 qui est une période charnière pour l’Etat d’Haïti. Nous avons également pris en compte la métropole dans notre analyse.

L’autre source de difficulté a concerné les archives. Au début nous pensons pouvoir avoir facilement accès aux documents administratifs coloniaux en région parisienne. Mais nous nous sommes rendu compte que la plupart des documents sont en province (Nantes, Aix…). Nous étions dans l’impossibilité de nous déplacer ce qui a fait que nous avons choisi des archives numériques et de seconde main. Etant donné que ce mémoire est conçu comme un travail préalable à un master II, puis une thèse, nous avons particulièrement mis accent sur certaines théories de l’Etat (Weber, Elias, Hintze, Médard etc.) ce qui nous facilitera, espérons-le, les travaux futurs.

Plan

1. Sociogenèse de Saint-Domingue ……………………………………………………….. 13

1.1. Classes sociales et antagonisme de classe …………………………….……………… 13

1.2. La métropole et sa politique contradictoire ………………………….………………20

1.3. Une dynamique à la fois locale et globale …………………………………………… 24

2. Un état de guerre permanent ………………………...…………………………………… 29

2.1 La hantise …………………………………………...………………………………………… 29

2.2. Accélérer le monopole de la violence ………………….……………………………… 33

2.3. Destruction des bases sur les quelles l’Etat moderne aurait pu émerger ….. 37

3. L’Etat contre la société ………………………………..…………………………………… 43

3.1. Un impératif existentiel ………………..………………………………………………… 44

3.2. Exploitation et déni de liberté ……………….………………………………………… 48

3.3. Gestion de la violence : impuissance ou « construction » d’un type d’Etat nouveau ? ………………………………………………………...………………………………… 52

Conclusion

L’Etat d’Haïti entant qu’ancienne colonie française a apporté une contribution décisive à une époque importante au développement du capitalisme. Son itinéraire est jonché de contradictions qui ont permis des résultats atteints par chance ou erreur. Comme presque toutes les grandes constructions historiques, les luttes entre intérêts opposés, ambivalents ont permis la disparition de la structure coloniale et la formation d’une nouvelle structure. Haïti est le résultat hasardeux d’actions posées dans un cadre contraignant tant du point de vue externe qu’interne. En ce sens, il s’agit bien d’un Etat Sérendipe. Une fois parvenu à cette conclusion nous avons essayé de déceler les principaux mécanismes qui ont pu bloquer ou accélérer la construction ou l’émergence de l’Etat. Si dans une société les motivations et intérêts relativement simples influencent grandement la formation des structures sociales, les actes d’arbitrage en tant que politique constitutive (normes régissant le fonctionnement du pouvoir), redistributive, normative ou distributive qu’entreprennent les élites dirigeantes ne sont pas sans incidences sur le devenir de la société.

En ce sens nous pouvons faire nôtre cette assertion de Machiavel : « On peut appeler heureuse la république à qui le destin accorde un homme tellement prudent, que les lois qu'il lui donne sont combinées de manière à pouvoir assurer la tranquillité de chacun sans qu'il soit besoin d'y porter la réforme. /…/ Au contraire, on peut considérer comme malheureuse la cité qui, n'étant pas tombée aux mains d'un sage législateur, est obligée de rétablir elle-même l'ordre dans son sein. Parmi les villes de ce genre, la plus malheureuse est celle qui se trouve plus éloignée de l'ordre ; et celle-là en est plus éloignée, dont les institutions se trouvent toutes détournées de ce droit chemin qui peut la conduire à son but parfait et véritable, car il est presque impossible qu'elle trouve dans cette position quelque événement heureux qui rétablisse l'ordre dans son sein »[37]

Les tensions sociales qui règnent à Saint-Domingue, l’exploitation industrielle capitaliste de l’esclavage des noirs, la structure des classes sociales et les antagonismes de classes/races mettent la société dans une situation d’incertitude où les moindres efforts de révolte sont susceptibles de provoquer le chaos. Un chaos qui accélèrera la décomposition de la structure coloniale en vue de la formation de nouvelle structure. Le fait que les problèmes de classe sont sans cesse greffés sur des problèmes de race aggrave la situation mais rend paradoxalement moins probable l’alliance entre les factions de classe. Ce climat très mouvementé sert de socle d’accumulation de capitaux – économique, social, politique et symbolique – aux élites, ce qui allait avoir de profondes incidences sur la direction de la colonie et sur l’Haïti qui allait naitre.

La manière dont la métropole gère, à travers ses administrateurs coloniaux, les décrets, et tout autre acte d’arbitrage – qui ne sont pas souvent cohérents, la distance accentue davantage l’incohérence – entre des intérêts et des valeurs qui ne sont pas constamment compatibles, la colonie attise les tensions. L’ensemble de ces facteurs ont accéléré l’émergence de l’Etat d’Haïti qui pourtant a toujours été imprévisible.

Si la conjoncture (structure) internationale a permis la constitution d’une colonie aussi riche et prospère au profit de la France d’une part, elle a d’autre part favorisé l’indépendance (blocus maritime des anglais aux français, soutient des Etats-Unis, les guerres franco-espagnoles, anglo-espagnoles, anglo-françaises, anglo-hollandaises, hispano-hollandaises et franco-hollandaises qui ont eu des incidences sur toute l’Amérique). Une fois l’Etat d’Haïti émergé, la conjoncture internationale ne lui est guerre favorable car elle est la remise en cause par excellence de l’ordre esclavagiste mondial, donc du mode de production capitaliste. L’esclavage étant considéré comme un moyen de production.

Cette conjoncture défavorable ajoutée a d’autres facteurs tels que la « gouverne-mentalité imposée » par les pères fondateurs qui ont pour corollaire la corruption (refus de l’idée que les gouvernants doivent rendre des comptes), l’inscription de Saint-Domingue dans la continuité de l’habitus colonial (raciste, travail forcé, etc.), l’impossibilité pour la société haïtienne d’atteindre « l’ataraxie sociale » à cause d’une peur perpétuelle d’un retour offensif de colons agresseurs, sa non-admission dans le concert des nations, le manque criant de ressources humaines et de capitaux, la confusion entre secteur public et privé, etc. ont bloqué le développement du pays et l’épanouissement du capitalisme. Le niveau de développement d’une société et le mode de production en vogue dessinent le type d’Etat.

Nous avons essayé en partant des typologies classiques de l’Etat (Weber, Elias, Bloch, Hintze, Médard…) de faire une considération qui se veut a-normative en ayant soin de ne pas définir l’Etat d’Haïti en fonction de ce qui lui manque ou qu’il a en excès par rapport aux autres Etats mais le définir comme la possibilisation d’organisation institutionnelle et juridique d’une société. Nous avons défendu l’idée que l’Etat haïtien est serendip, ce qui est probablement le cas de beaucoup de grande construction historique. Cette posture permet d’évacuer la dimension ethnocentrique qui jalonne certaines analyses sociohistoriques de l’Etat. Si on a affaire à un ensemble de résultats atteints par chance ou erreur on sera obligé de se garder de toute hiérarchisation des types d’Etat. Ce qui permet une analyse plus ou moins conforme à son objet.

On n’a pas de forme achevée de ce qu’est et ce que doit être l’Etat. Les formes d’organisation sociale se métamorphosent avec le temps et chaque organisation sociale donnée ouvre la possibilité à de nouvelles formes d’organisations sociales. Ainsi l’Etat « post-féodal » qui a émergé en Europe semble, a travers l’Union Européenne, sur le point de se transformer pour donner une structure inédite, car on n’a affaire ni à un Etat classique, ni un Etat fédéral, ni confédéral, ni associé, pour ne citer que ceux-là. Ainsi la réflexion débouche sur ces interrogations : Etant donné que l’Etat est « un résultat atteint par chance ou erreur », il y a-t-il des stratégies, un agir collectif permettant de parvenir à un résultat historique donné ? Sinon quel est le sens de l’action au-delà de ce que peuvent lui attribuer les actants ou les analystes ?



[1] Toussaint (on ne sait pas très bien s’il s’appelait déjà Louverture ou Breda) cité in Jean casimir, la culture opprimée .P. 71

[2] Voir Christophe Wargny, Haïti n’existe pas, 1804-2004 : Deux cents ans de solitude, paris, Autrement, 2006

[3] Ayiti kiskeya bohio fut l’ancien nom « indien » de l’île. En créole Ayiti désigne aujourd’hui la partie occidentale.

[4]J. Fouchard illustre cette déshumanisation à partir des châtiments infligés aux nègres : la suspension par les quatre membres … La pendaison par l’oreille clouée… L’ablation de l’oreille… Le supplice du fouet aggravé de tisons de feu, de piment, de sel, de citron, de cendre, d’aloès ou de chaux vive. Cité par Jean Casimir in La culture opprimée, Port-au-Prince, Média-texte, 2006, P. 93

[5] Yves saint-Gérard, Haïti l’enfer au paradis. Mal développement et troubles de l’identité culturelle, Toulouse, Eché éditeurs, 1984, P. 111

[6] Henri Christophe allait devenir, suite à la mort de Jean-Jacques Dessalines en 1806, Henri 1er dans le Nord

[7] Ce travail est conçu comme préalable à d’autres travaux de recherches plus approfondis sur le sujet, vu le temps qui nous est imparti il sera sommaire.

[8] Napoléon 1er, correspondance 8ème vol., Plon, 1861, Lettres 6456-6468 cité in Denis Laurent-Ropa, Haïti Une colonie française 1625-1802, Paris, L’Harmattan, 1993, P. 15

[9] Voir Leslie J.-R. Péan, Haïti économie politique de la corruption, tome I, Paris, Maison & Larose, 2003 P. 3

[10] Alain Yacou (dir.), Saint-Domingue espagnole et la révolution nègre d’Haïti, Paris, Karthala « hommes et sociétés », 2007, p. 668

[11] Daniel Voguet, Marie-France …, Le Monde diplomatique, « Longue marche contre l’oubli », novembre 2007

[12] C’est l’effet Serendip. Voir Erik Neveu, sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La Découverte, 2004, p.51. Pour un développement historique plus large voir Jean-Pierre Depetris, « Autour de Bolgopol » http://jdepetris.free.fr/Livres/voyage3/cahier32.html consulté le 20/11/07

[13] Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie : La doctrine marxiste; le capitalisme peut-il survivre ? Le socialisme peut-il fonctionner ? TROISIÈME ET QUATRIÈME PARTIES,(Traduction française, 1942), document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

P. 98

[14] Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=869058105; consulté le 15/11/07

[15] Idem.

[16] Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1320254340; consulté le 16/11/07

[17] Jean-Pierre Depetris, « autour de Bolgopol » , op. cit

[18] Emmanuel Terray, Une histoire du royaume Abron du Gyaman, Paris, Karthala, 1995, cité par Clemens Zobel in The appropriation of alterity: politics, identity and history in the village communities of the Manding hills of Mali, Ph.D. in ”cotutelle” at the Centre d’Études Africaines, EHESS, Paris and at the Department of Social and Cultural Anthropology, University of Vienna, Austria. p. 278

[19] Max Weber, Le savant et le politique, « Politik als Beruf » paris, Plon, 2002 (1919), p.125

[20] Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident (Über den prozess der Zivilisation, II, 1969), paris Calmann-Lévy, 1975, P.30

[21] Otto Hintze, Féodalité, capitalisme et Etat moderne, paris MHS, 1991, P.308

[22] Le chevauchement de la sphère publique sur la sphère privée ne renvoie pas forcément à l’idée d’un Etat totalitaire ou absolutiste.

[23] Joseph Schumpeter, op. cit. P. 9

[24]Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=4060986435; consulté le 15/11/07

[25] Idem

[26] Association Le Donjon de Houdan, « Evolution vers une nouvelle répartition des pouvoirs », http://ledonjondehoudan.free.fr/v3/Exposition/Societe/Societe2.htm, consulté le 15/11/07

[27] Sauveur Pierre Etienne, op. cit.

[28] Leslie J.-R Péan, Haïti économie politique de la corruption, De Saint-Domigue à Haïti, 1791-1870, Paris, p.7

[29] Sauveur Pierre Etienne, L’énigme haïtienne Echec de l’Etat moderne en Haïti, op. cit. p.30

[30] Michel Foucault, « la gouvernementalité », P.102, Magazine littéraire, numéro 269, Paris, 1989.

[31] Sophie Coignard, « Quand l’Etat fait ce qu’il nous interdit », Le point , 10/12/1999 , http://www.lepoint.fr/actualites-societe/quand-l-etat-fait-ce-qu-il-nous-interdit/920/0/76515 , consulté le 11/03/08

[32] idem

[33] Yves Mény, la corruption de la République, paris, Fayard, 1992, cité par Mwayila Tshiyembe in « La science politique africaniste et le statut théorique de I‘État africain : un bilan négatif », p.113

[34] Leslie péan, op. cit.

[35] Jean-françois médard, « l’Etat néo-patrimonial en Afrique noire », in j-f médard, etats d’afrique noire. Formation, mécanismes et crises, paris karthala, 1991, p.332

[36] Jean Casimir, La culture opprimée, Port-au-Prince, Média-texte, 2006

[37] Nicolas de Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531), Paris, Gallimard, 2004, P.7

samedi 21 juin 2008

Haïti : des partis politiques d’inculture ou de sous-culture de partis ?

Haïti : des partis politiques d’inculture ou de sous-culture de partis ?

L’expert français en « droit de l’homme », Louis Joinet, vient de faire une « découverte majestueuse » : qu’il « ne suffit pas, pour assurer le retour à un État de droit, d'organiser des élections et de se doter d'un Parlement. Il est impératif à cet égard que se forge une culture de partis politiques » avant d’ajouter que « les partis s'apparentent trop souvent à des groupes, parfois des groupuscules, essentiellement électoraux, sans grande aptitude à influencer leurs membres dans les instances parlementaires ». Cette déclaration ne risque pas pour autant de heurter la sensibilité de la classe politique haïtienne, donc les élites, ni pousser les partis à une prise de conscience. Elle passera inaperçue, enfin presque, pendant que l’activité politique continue de frôler l’absurdité. Revenons au premier abord à la question d’élection.

L’élection fait, en effet, figure incontournable des principes du gouvernement représentatif –démocratie représentative – qui est le fruit d’une culture politique spatiotemporelle donnée. S’il suffisait d’organiser des élections avec les renforts déterminants de l’étranger pour établir un Etat de droit dans un contexte socioculturel non approprié, ça s’ saurait ! Par ailleurs quand on importe un régime politique comme le gouvernement représentatif qui se base sur un savant dosage oligarchique et démocratique, il subit à l’échelle locale un processus d’indigénisation. Richard Banégas (Prof. à l’Institut d’étude politique de l’Ille) dans son article paru in Politique Africaine, n° 069075, intitulé « Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin » montre comment des us et coutumes locaux (au Bénin – Afrique occidentale) travestissent la démocratie importée en y insérant des principes de « marchandages » qui font que le candidat en campagne électorale se trouve dans cette situation du « Big man » où : pour avoir le pouvoir politique il faut avoir de la richesse et pour avoir de la richesse il faut avoir le pouvoir politique. Ce qui insère de facto dans le processus électoral un phénomène qu’on qualifierait de corruption en Occident.

Une vision a-normative (qui ne fait pas appel à des jugements de valeurs) et non ethnocentrique permettrait d’affirmer qu’étant donné qu’en Occident on a su mélanger la démocratie, l’oligarchie et la technocratie pour former le gouvernement représentatif (sorte « d’indigénisation » à l’occidentale) nous pouvons bien, nous aussi, nous permettre d’y ajouter les us et coutumes locaux.

Cependant, qu’elle soit représentative ou non la démocratie nécessite des normes, c’est-à-dire d’être institutionnalisée. L’institutionnalisation dans le système démocratique suppose des partis politiques qui pourvoient au Parlement le plus grand nombre de représentants disciplinés, unis par un fort encrage idéologique et une forte détermination qui font fonctionner le système.

Il ne suffit pas de mettre le mot démocratie ou démocrate dans le nom d’un parti politique pour qu’il soit démocratique. Le parti démocratique est celui qui établit en son sein des normes démocratiques de fonctionnement et de passation (prise) de pouvoir. C’est celui qui promeut les principes démocratiques et dont les dirigeant-e-s en sont conscient-e-s. L’affirmer peut paraître banale mais un parti politique ne se dirige pas comme une affaire familiale où les héritiers se succèdent légitimement, le pater familias fait place à la mater familia (pour ne pas dire sub manu) qui, à son tour, se fera remplacer par ses progénitures. Un parti politique est différent d’un club d’amis ou d’une corporation. Ce n’est pas non plus un business où on s’y lance en vue de gagner un gros lot ou de son enrichissement personnel pur et simple. Si on veut amasser de la paillette, « rouler » en 4X4 climatisée, je n’ai rien contre ceux/celles qui ont ce genre de désirs, il faut viser d’autres sphères d’activités, développer d’autres talents par exemple : jouer au foot, chanter, savoir gagner au loto etc.

En ce sens je pense que beaucoup de nos leaders se sont trompé-e-s de sphère d’activité, ils/elles avaient voulu être riches de et par la politique maintenant ils/elles doivent changer, se reconvertir, leur parti se réformer ou dissoudre. La société quant à elle devra se forger une (nouvelle) culture de parti. Si l’élite a une nouvelle vocation ce pourra bien être celle-là.

Renald LUBERICE

Paris, 21 juin 2008

mardi 10 juin 2008

Les migrants haïtiens et leurs descendants en Rép. dominicaine : discrimination à la naissance

Les migrants haïtiens et leurs descendants en Rép. dominicaine : discrimination à la naissance

Les migrants haïtiens et leurs descendants en République dominicaine : discrimination à la naissance



Un travailleur migrant Haitien dans une batey de la région de  Los LLanos, juin 2006
Un travailleur migrant Haitien dans une batey de la région de Los LLanos, juin 2006
Les migrants haïtiens et les Dominicains d’origine haïtienne sont souvent confrontés, dans les bureaux de l’état civil, à des pratiques discriminatoires qui les empêchent d’enregistrer la naissance de leurs enfants. Or le certificat de naissance est le document légal qui atteste de l’identité d’une personne et détermine ses liens juridiques et politiques avec l’Etat dominicain. Par ailleurs la Constitution de ce pays définit le citoyen dominicain comme toute personne née sur le sol dominicain. Le refus des autorités d’accorder la nationalité dominicaine à ces enfants les prive de leurs droits sociaux, économiques, civils et politiques dès la naissance, en violation non seulement de leurs obligations internationales et régionales, mais aussi de la Constitution dominicaine.

L’un des instruments internationaux protégeant les droits des travailleurs migrants et les membres de leurs familles est la Convention pour les travailleurs migrants, entrée en vigueur le 1er juillet 2003. Cette convention juridiquement contraignante n’a pas été ratifiée par la République dominicaine.





Découvrez le film : Haïti Chérie

Amnesty International soutient ce film qui décrit la discrimination subie par des Haïtiens de la part de Dominicains et la vie misérable des Haïtiens dans les bateyes de la République dominicaine.
Sortie en salle le 28 mai




http://www.amnesty.fr/index.php/agir/campagnes/refugies_et_migrants/actions/les_migrants_haitiens_et_leurs_descendants_en_rep_dominicaine_discrimination_a_la_naissance


AgissezEcrivez au Président de la République dominicaine



Président S.E. Leonel Fernández
Presidente de la República
Palacio Nacional
Santo Domingo
République dominicaine

E-mail : correspondencias@presidencia.gov.do




Monsieur le Président,

Malgré l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme de septembre 2005, les parents haïtiens ou Dominicains d’origine haïtienne rencontrent toujours des difficultés pour déclarer la naissance de leurs enfants au registre civil.

C’est pourquoi je vous demande instamment qu’il soit mis fin aux politiques discriminatoires qui empêchent les Dominicains d’origine haïtienne d’obtenir la nationalité dominicaine et de faire en sorte que les procédures légales soient respectées chaque fois que la nationalité d’une personne est en cause.

Les autorités dominicaines doivent également ratifier et appliquer intégralement la Convention internationale sur la protection des driots de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en vue de protéger les droits des travailleurs migrants haïtiens et de leurs enfants en République dominicaine

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

Nom, prénom
Adresse, pays
Date, signature

lundi 9 juin 2008

Plaidoyer pour une rupture historique (part 1)

Plaidoyer pour une rupture historique

En guise d’introduction

Ici, j’aimerais poser quelques bases de ce qui devrait constituer à l’avenir un ensemble plus ou moins systématisé d’idées, de la représentation de la réalité haïtienne dont les forces vives de la nation se chargeront de la transmission et la consolidation. Cependant, il est nécessaire d’affirmer un certain nombre de postulats en vue de gagner en temps : 1) La réalité, bien que perceptible et sensible, est une res construite. 2) L’histoire ne va pas de soi. Elle est le produit d’une sélection, d’une opération politique. 3) On ne fait pas l’histoire pour de l’histoire mais, sans être profondément utilitariste, en raison de ce qu’elle peut apporter comme plus value historique à la nation (ou à l’humanité dans une certaine mesure.) 4) Il ne faut pas sous-estimer le poids des morts, à travers notamment les faits et les événements du passé, sur le cerveau des vivants.

L’histoire porte en elle des valeurs qui peuvent contribuer à l’invention et la prospérité d’une nation mais aussi à sa stagnation ou son blocage. D’où l’importance de questionner la valeur de ces valeurs[1] qu’elle véhicule. Après ce questionnement un choix pourra s’avérer nécessaire. C’est pourquoi je préconise ici un questionnement progressif du rôle de la valeur des valeurs historiques dans la stagnation de la nation haïtienne que nous avons le devoir de reconstruire. La décision qu’on pourra prendre à partir du résultat de cette démarche constituera une branche de la rupture historique nécessaire à l’édification de notre nation.

Je souhaite par ailleurs que les débats qui résulteront de ce plaidoyer ne débordent pas du cadre du sujet. Seuls les débordements éclairants notre discussion sont les bienvenues. Grâce à ces réflexions l’avenir sera d’une autre couleur.

Pour une Haïti à la hauteur de son HISTOIRE !!!

Solidarités haïtiennes

Renald Lubérice



[1] Voir F. Nietzche, Zur Genealogie der Moral, « introduction », 6

Plaidoyer II

Plaidoyer II

pour une rupture historique en Haïti.

Il est certaines choses de notre passé historique qui constituent un ensemble de mécanismes de blocage, de stagnation de notre nation qu’il convient de connaître réellement, de déceler puis de « détruire » en vue de poser les bases de la nouvelle nation qui doit émerger. Certains pans de notre histoire, de notre rapport à l’autre, à la société et à nous-mêmes bloquent la renaissance de l’homme haïtien et l’émergence d’une Haïti digne, à la hauteur de son histoire.

Certaines lectures historiques consistant à faire de l’acte héroïque des premiers des Haïtiens quelque chose allant uniquement dans le sens de certains hommes haïtiens, les balbutiements économico-sociopolitiques et ce que représente la révolution haïtienne ont manifestement empêché sa juste reconnaissance à travers toute la planète. Or la révolution haïtienne ne s’est pas orientée en fonction d’un idéal exclusif et particulier mais d’un idéal total et universel visant à réhabiliter l’humain dans son essence même et ce qu’il a d’universel, c’est-à-dire l’humanité. La révolution haïtienne n’a pas été faite pour une race particulière mais pour la réhabilitation de l’espèce humaine.

Nos erreurs, nos balbutiements historiques et la façon d’être haïtien constituent désormais un ensemble de structures structurantes qui structurent nos pensées et nos actions engendrant ainsi un blocage historique que seule une rupture sera capable de dénouer. De part sa nature et son ambition de permettre la célébration du 250eme anniversaire de l’indépendance d’une Haïti à la hauteur de son histoire, cette rupture sera historique.

Elle sera historique parce qu’elle reconsidèrera l’histoire d’Haïti non pas en fonction des ses absurdités sous-jacentes et répétées mais en fonction du caractère universel et les principes réels d’humanité que véhicule la révolution Haïtienne. La rupture sera historique parce qu’elle visera à réhabiliter des femmes et des hommes qui se sont battus pour l’application de valeurs qui ont été prononcées (les droits de l’homme) mais demeurées formelles.

Cette une rupture historique parce qu’elle s’attache non pas à la contemplation d’une histoire lointaine mais à l’action afin que naisse l’Haïti que Anténor Firmin, Massillon Coicou, Dumarsais Estimé, Price Mars etc. auraient voulu voir de leur vivants. C’est une rupture historique parce qu’elle est la résultante de la prise de conscience que nous sommes les acteurs contemporains de l’histoire de demain et que de nos actions d’aujourd’hui dépend la couleur de l’Haïti de nos enfants.

Solidarisons-nous

Pour une Haïti à la hauteur de son histoire

Renald LUBERICE

Paris 28/04/08

Plaidoyer pour une rupture historique

Le plaidoyer dont il est question est une proposition de travail dans le seul but de construire « un ensemble plus ou moins systématisé d’idées, de la représentation de la réalité haïtienne dont on doit ensuite se charger de la transmission et la consolidation ». Autrement dit, il s’agit de l’élaboration d’un socle idéologique en vue de prôner la reconstruction d’Haïti. Il ne s’agit pas d’une pensée figée mais évolutive, constructive.

Si nous avons jugé important de reconstruire Haïti, c’est qu’il y a logiquement quelque chose qui ne va pas. On ne reconstruit pas sur une construction bancale. Une reconstruction nécessite une déconstruction préalable. Cette déconstruction je l’appelle « rupture historique ». Cependant n’étant pas un adepte du « fétichisme des mots », on peut l’appeler autrement. Mais je demeure convaincu de cette nécessité de déconstruction.

J’aimerais par ailleurs attirer votre attention sur le fait que PREH est un parti à construire, qui n’a pour l’instant pas de base idéologique solide et que je ne saurai, ni ne souhaite faire ce travail seul. Si je vous fais cette proposition ce n’est pas pour que vous jouiez à l’apprenti professeur mais que vous contribuiez à l’élaboration du projet. A moins que vous ne voyiez pas la nécessité !

Le texte que j’avais précédemment envoyé s’intitulait « en guise d’introduction », donc une manière d’entrée dans la matière. J’y ai précisé qu’il s’agira « ici d’un questionnement progressif du rôle de la valeur des valeurs historiques dans la stagnation de la nation haïtienne que nous avons le devoir de reconstruire ». C’est seulement après ce travail de questionnement qu’on pourra procéder à la déconstruction ou à la rupture historique, dont il sera question. Le questionnement devra être le fait du groupe mais pas de moi seul. La rupture historique sera dialectique donc il ne saura être question de contradiction pure. Si vous préférez on pourra parler de dialogique.

Etant donné que c’est un travail en construction les possibilités d’interprétation sont variables. C’est comme un géomètre qui va dessiner une figure. Il commence toujours par tracer un point. A ce moment précis, le point donne lieu à toutes sortes d’amalgames parce que l’observateur est incapable de savoir au juste où veut en venir le géomètre, mais lui sait son projet. Pour cette rupture historique PREH est le géomètre, ensemble nous allons élaborer les bases que nous aurons jugées nécessaires à l’édification de l’édifice.

Non, la rupture historique n’est pas une rupture avec l’histoire mais une relecture de la partie historique qui constitue le blocage pour pouvoir mieux déceler les causes. Un peuple ne se renie pas en possédant à une relecture de son histoire mais se redéfinit en se donnant de nouvelles bases et de nouvelles directions. La rupture historique pourrait se résumer ainsi, si vous tenez vraiment que je la définisse tout seul : dans l’histoire d’Haïti, contrairement à ce que l’imaginaire collectif laisse entendre, il n’y a pas eu que des pourris mais ce sont des pourris qui ont toujours vaincu, réhabilitons donc les sains, afin que sur leur trace nous puissions reconstruire Haïti.

Comment pourrions-nous reconstruire Haïti sans rompre par exemple avec l’idée que « voler l’Etat, n’est pas voler », que nous pouvons « plimen poul la depi nou pa kitel kriye », que si nous construisons notre pays « le blanc » ne va pas être content, que si nous n’allons pas à l’ambassade X nous ne pourrons pas résoudre notre problème. Notre histoire est jalonnée d’exemple similaire, rompre avec tout ça c’est faire une rupture historique.

La rupture historique passe justement par le rejet d’un certain nombre de valeur et l’adoption de normes susceptibles de nous faire avancer. La rupture historique c’est dire à l’Haïtien lambda qui croit que c’est mort pour Haïti, qu’on n’y peut rien que l’Haïti de demain dépend de ses actions d’aujourd’hui. Une nation se base sur un certain nombre de valeurs, des valeurs ont été édifiées en vue de la révolte esclavagiste, mais ces valeurs-là ne sont plus compatibles à l’Haïti contemporaine, pourtant nous les gardons encore, je pense au fameux « coupe tèt boule kay » qui est présent dans l’imaginaire collectif, nous devons rompre avec tout cela pour la nouvelle Haïti.

La rupture historique est une reconsidération de notre histoire. L’identité d’un peuple n’est pas quelque chose de figée mais est en perpétuelle évolution selon les besoins réels et l’ambiance contemporaine. C’est pourquoi le peuple Allemand qui s’est longtemps considéré comme étant essentiellement Aryen et qui considérait la nationalité allemande comme quasi-exclusivement transmise par le jus sanginis a revu récemment cette conception pour considérer la nationalité allemande selon d’autres aspects également. Ernest Renan met surtout l’accent sur la volonté de vivre ensemble comme critère de cohésion nationale. Il serait problématique d’affirmer que « ce sentiment d’appartenance commune ne saurait avoir de sens sans une histoire commune, sans un passé auquel on s’identifie tous ». Si Ernest Renan parle de volonté de vivre ensemble c’est parce que justement, tous les peuples ou individus de la nation n’ont pas ce passé auquel ils s’identifient tous. Quelle serait la légitimité d’un américain blanc de revendiquer un passé commun avec l’indien qui est sur le territoire depuis des millénaires ? Qu’est ce qui fait que le passé des alsaciens est plus commun avec les français qu’avec les allemands ? Non dans la pensée de Renan, les alsaciens sont français plutôt qu’Allemands parce qu’ils ont la volonté d’être français et non en raison de leur passé.

Je propose qu’on revienne ultérieurement sur cette question quand on aura à attaquer la question de la nation et de la nationalité. Mais pour l’instant posons les bases, donnons de la direction à la rupture historique, à la déconstruction nécessaire à la reconstruction d’Haïti