dimanche 31 mai 2009

Comment faire la critique d’une critique sans se détourner de l’objet initial ?

Comment faire la critique d’une critique sans se détourner de l’objet initial ?
Quand Bastien regarde le monde depuis sa petite bulle .

Au premier abord, je peux affirmer que la cohérence n’est pas ce qui caractérise le mieux l’auteur de cette critique. Il a dans un premier temps affirmé : « Luberice, tu flirtes avec les théories du nouveau roman, et tu cherches réellement à nous impressionner. Tu restes en superficie, tu fais l'œuvre d'un démagogue. Tu approfondis et tu deviens créateur. A toi de choisir! Tu devrais aller un peu plus loin. Tu as quand même le mérite de tenter l'acte de transfert cognitif qui consiste a appliquer les éléments et principes d'un domaine a un autre qui lui est tout a fait étranger. Alain Robbe-Grillet ne t'en voudra pas. » Et Bastien de se rétracter hâtivement « J'aime ce texte. Il y a des idées fortes et des idées faibles. Il a toutefois le mérite de remettre en question quelques aspects de notre crise identitaire. Et pour être direct, je m'empresse d'exprimer qu'il n'existe absolument rien qui justifie l'acharnement de certains haïtiens à faire du vodou un critère d'haitianite. Il s'agit la d'une dérive tout aussi dangereuse qu'absurde. » Ce n’est pas dans son habitude d’expliquer ses assertions ni de vérifier à quelles conditions sont-elles vraies. Le vodou est dangereux parce que Bastien, l’adventiste, le pense, point.
Bastien a quand même le mérite de se mouiller la chemise, pour une fois, sur une question qui n’est manifestement par son sujet de prédilection. Dès son premier postulat, il met en exergue le double complexe dont il est objet. Ce double complexe tend à le placer soit au centre du monde au point de se féliciter de pouvoir « dégager une vision nouvelle qui aboutirait éventuellement a un apaisement de notre crise identitaire » (et c’est dans cet esprit qu’il a tiré à boulets christiques rouges sur le vodou, jusqu’à ce qu’il ne lui en reste plus), soit par rapport au lieu où j’écris (qu’il sacralise). Il n’a eu de cesse de faire allusion à l’endroit où j’habite quitte à frôler le ridicule. C’est le cas lorsqu’il affirme péremptoirement que je reprends des concepts en vogue dans les milieux littéraires français, arguant qu’il s’agit d’une pensée qui ne s’assume pas. Il n’a manifestement pas lu mes textes, sinon il aurait compris qu’il y a une cohérence implacable. Je m’efforce de transcender les cadres conceptuels coloniaux qui inspirent des gens comme lui dans leurs pratiques discursives et leur regard sur la société haïtienne.
Bastien oppose les concepts qu’il croit en vogue dans les milieux littéraires (à défaut de pouvoir les situer disciplinairement) à la théorie de l’anti-roman, comme l’appellerait Sartre. Il ignore ou a omis de souligner que la « déconstruction » est une démarche scientifique adoptée par les sciences humaines et sociales modernes dans le cadre de la construction de l’objet. Etant donné que Bastien regarde le monde à partir de sa petite bulle, il ignore que le concept de déconstruction (consistant, à la base, à relever un décalage et une confusion de sens) – qu’il attribue par ignorance à Robbe-Grillet - a été élaboré par Heidegger et popularisé par Derrida. On n’est pas dans un postulat a-normatif, comme c’est le cas de l’anti-roman. En faisant appel à la déconstruction je veux mettre en exergue le décalage qui existe entre certaines valeurs historiques, d’origine notamment coloniale, et l’Haïti que nous chérissons.
A lire Bastien, on voit qu’il ne vient pas des sciences humaines et sociales. Pourquoi veut-il nous emmener sur ce terrain au risque d’y perdre son âme? Enlever une phrase de son contexte au profit d’une démonstration en mal d’argument relève de la malhonnêteté intellectuelle. La croyance, ou pour être plus précis, la croyance religieuse monothéiste est exclusive. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer à Bastien que je ne dissocie pas la croyance religieuse et les valeurs sur lesquelles elle se repose, et qui lui donnent forme.
Malgré lui Bastien a mis en exergue ce qui handicape sa compréhension du texte : ses références. Il s’agit d’une émission télévisée et la théorie du nouveau roman. C’est comme si j’utilisais TF1 et Marc Lévy comme référence d’une analyse sociologique et anthropologique. Il n’a pas su comprendre que la « déconstruction » est une démarche conceptuelle dont l’objet est les ressources immatérielles dont nous disposons. Certaines de ces ressources semblent constituer un blocage à l’émergence d’une nation haïtienne à la hauteur de son histoire.
L’attitude de Bastien et ses coéquipiers à l’égard du vodou me conforte dans ma thèse selon laquelle la nation butte des le début sur des socles immatériels qui hypothèquent son devenir. Ces socles immatériels renvoient à des manières d’être, des façons d’appréhender le monde qui appartiennent au monde colonial. En Haïti l’héritage colonial participe au processus d’agencement des moyens, des actes d’arbitrages et de non-arbitrages. Les « valeurs » coloniales, les différentes épreuves que traverse l’Etat adjointes à des facteurs de sérendipité concourent au « devenir-Etat » du pays. C'est-à-dire ce qu’il est aujourd’hui. Il y a des mécanismes qui ont permis la reproduction du système colonial au-delà même de 1804.
L’empirique et le théorique devront se rejoindre en vue d’une nouvelle lecture de soi et du monde en tant qu’haïtien. L’incohérence est manifestement la chasse gardée de Bastien. Lui qui a affirmé haut et fort que le vodou est Le responsable du sous-développement d’Haïti, se met tout d’un coup à se questionner sur le rôle d’une « classe mercantile, mercenaire et apatride ». Il n’a pas encore compris que l’élite haïtienne continue à avoir le même rapport avec Haïti que l’élite coloniale avait avec Saint-Domingue : La richesse est ici produite mais sa destinée et la destinée des enfants d’élite est l’étranger. Comme ce fut le cas au temps de la colonie.
Je peux toutefois m’en réjouir car nos discussions sur le vodou semblent l’avoir ramené à la raison. C'est-à-dire le vodou n’est plus LE responsable du sous-développement d’Haïti. Youpi ! Espérons toutefois qu’il soit cohérent pour la suite, au moins sur ce point. Bastien à dû lire plusieurs fois mon texte pour finir par y voir que de l’harmonie musicale des syllabes. Malheureusement ces lectures répétitives n’engendrent pas une meilleure compréhension, elles ne lui ont pas permis de déceler que lorsque je parle des valeurs historiques, je fais allusion à la généalogie de la morale nietzschéenne. Autre chose qui a échappé a Bastien c’est la question de la dialectique.
En fait, ce texte est en quelque sorte une réponse aux objections d’un compatriote à la « rupture historique » que je prône. Il m’avait fait comprendre que la rupture historique revêtait une contradiction. A cela j’ai répondu, qu’il pouvait, certes, avoir contradictions mais ce ne sont pas des contradictions pures. Elles étaient dialectiques.
Dans une tentative désespérée, en dehors de toute logique, Bastien affirme qu’« On la [la société] voit évoluer parfaitement et de manière très efficace dans les métropoles occidentales.» Il confond individus et société. Pour lui les expatriés haïtiens là où ils se trouvent forment la société (la société haïtienne) ! On est dans le cadre d’une démonstration par l’absurde qui ne peut même pas prendre en compte le fait que ces haïtiens là ne font que s’assimiler à des structures sociales existantes, au point où leur descendant renient leur origine haïtienne. La plupart des jeunes haïtiens, nés en France, se font passer pour des martiniquais, des guyanais, des guadeloupéens, etc. C’est donc cela la société haïtienne à l’œuvre dans les métropoles occidentales ?
Le leadership d’exécution sans la « déconstruction » de certains socles immatériels, s’apparenterait plus à une culture « boulangère » de la nation, suggérant qu’il suffit de mélanger de l’eau, de la farine avec un peu de levure pour obtenir de la pâte à pain. Une nation est bien plus complexe. La gestion de l’Etat est bien différente de celle d’IBM (pour les septiques, je me référerais aux analyses de l’action publique, Lagroye, Padioleau, etc.).
Bastien a trouvé le moyen d’extraire un mot dans l’ensemble de mes textes, et de réduire tout à cela. Cette stratégie ne fait que me détourner du sujet en cours qui est le vodou. Sujet sur lequel Bastien n’a aucun argument à part les textes inspirés des dieux européens et summériens – la bible – (à ce sujet, voir Les lieux de la culture, d’Homi Bhabha). Ça fait trois semaines que Bastien nous a promis un texte sur le vodou (qui serait le fruit de ses recherches). En attendant ses recherches je ne répondrai plus à un texte qui parle d’autre chose que du vodou. Je peux faire un débat sur les concepts mais ce sera après la discussion autour du vodou.


Renald LUBERICE






Voici le texte de Keny Bastien auquel je réponds
L'incoherence de certains raisonnements et la precarite conceptuelle avec lesquelles des sujets touchant a la crise sociopolitique et identitaire de l'haitien sont interpretes, pourraient susciter l'inquietude de certains esprits sur le vide ideologique affectant l'espace intellectuel haitien.

J'ai suivi au debut, avec attention Luberice qui touche a de multiples sujets, dont le choix laisse entrevoir une tres belle sensibilite. Je m'etais mis a caresser l'espoir, qu'avec une volonte sereine, nous pourrions a travers nos echanges degager une vision nouvelle qui aboutirait eventuellement a un apaisement de notre crise identitaire. Mon attente aura ete de courte duree. Tous les titres annonces par Luberice ont lamentablement echoue sur un littoral de contresens et de lieux communs. Des concepts puissants, en vogue dans les milieux litteraires francais, sont repris et catapultes dans les forums sans subir de refonte au creuset d'une pensee qui s'assume.

C'est ainsi que j'ai ete surpris et amuse de lire sous la plume de Luberice : " Une Deconstruction est necessaire a la Reconstruction d'Haiti ". Le titre est prometteur. Je m'attendais a une certaine altitude de l'analyse. Je commencais a jubiler avec cette joie d'enfant anticipant la promesse, et qui s'attend a recevoir son jouet precieux, une fois l'emballage defait. Luberice promet beaucoup et enfante le neant.
J'en veux pour preuve cette phrase quelque peu gauche : "Car par definition toute croyance ( a part des cas averes de synchretisme ) est exclusive". Il nous a ete deja donne de demontrer le caractere abusif et tres maladroit d'une telle generalisation. Une croyance n'est jamais exclusive, mais les valeurs qu'elles preconisent peuvent le devenir.

Luberice recidive et assomme le lecteur que je suis et qu'il pretend vouloir preserver, en ecrivant: " Une Deconstruction est necessaire a la reconstruction d'Haiti ". Ce titre annoncait la fete que Luberice ne nous a pas faite, et que Maureen me reproche d'avoir mal recue. Elle a raison et a droit a ma justification. Que je lui dise en passant, que je suis tres sensible a son esprit d'ouverture, et a l'interet qu'elle porte a ses freres haitiens deportes et deracines de leurs continents d'origine. Elle est devenue dans mon imaginaire la matrice parturiente qui me rattache a l'alma mater, cette afrique qui la tient par son cordon ombilical. Elle est et restera mon point de depart et mon point de non retour. Elle est mon Afrique a moi que je n'ai pourtant jamais vue, ni cesse de revoir. Ma crise identitaire a beaucoup a voir avec mes freres d'Afrique. Je ne cesse de m'interroger sur leur desolidarite et les motifs qui les ont empeches de resister a la tentation negriere. Apres tout, les noirs d'Afrique n'ont-ils pas vendus leurs propres freres a la boucherie esclavagiste?


DECONSTRUCTION
J'ai fait remarquer a Luberice dans l'une de mes interventions qu'il flirtait avec les theories du nouveau roman. Il m'apostropha avec superbe, en affirmant qu'il ne repond pas a ce genre de discours, et qu'il estime que le lecteur merite mieux que cela. J'ai pris bonne note de son interet pour le lecteur. J'ai donc decide de faire amende honorable aujourd'hui, aupres de Maureen qui me trouvait trop lapidaire, et des autres lecteurs , y compris mon amical Catel.

On ne peut parler de DECONSTRUCTION sans se lancer dans la dynamique theoricienne des regles du nouveau roman. Il ne suffit pas non plus de saisir un tel concept en APOSTROPHE : l'emission televisee de Bernard Pivot, et de l'imposer completement denature au lecteur qui s'y perd. C'est vraisemblablement cette pointe d'ironie subtile que j'avancais, en avouant a Luberice qu'il savait tres bien de quoi je parlais, peut etre qu'au fond , il ne savait pas vraiment.

Le concept de DECONSTRUCTION est la base structurelle du nouveau roman. Deconstruction est un neologisme qui fit son apparition en 1965 dans le vocabulaire du francais officiel. Il designe le fait de deconstruire un systeme social ou une notion selon le petit Robert. Cette deconstruction s'apparente davantage a une demarche analytique systematique qui prend le contrepied du systeme interroge en bouleversant ses regles de fonctionnement, sans pour autant detruire le cadre de ses manifestations. DECONSTUIRE n'est pas synonyme de DETRUIRE. La DECONSTRUCTION est avant tout une analyse, et non une rupture ou une destruction. Ce n'est guere , non plus l'antonyme de CONSTRUCTION.

Dans le contexte qui nous preoccupe, le roman traditionnel par rapport au nouveau roman se definit, en paraphrasant Jean Ricardou, comme la lecture d'une aventure. Le nouveau roman se presente comme l'aventure d'une lecture, une deconstruction. Il importe de creer une litterature objective qui n'existe que pour elle-meme. Celle-ci ne cherche pas a representer la realite ( La deconstruction de Luberice est entierement en porte a faux par rapport a la realite haitienne). Elle cree un univers neuf sans aucune coherence en dehors d'elle-meme ( " Une litterature a la limite schizophrenique ou la communication devient circulaire et evolue en cercles concentriques repetitifs ". Keny Bastien). Le mot du nouveau roman ne renvoie a rien d'autre qu'au discours interne du texte. L'adequation du signifiant au signifie devient secondaire. Le fil conducteur du roman se confond a la mouvance meme de l'ecriture. Il n'y a pas de theme central ou dominant. Alain Robbe-Grillet: Les gommes (1953), La jalousie ( 1957 ) , se fait le specialiste de l'hyperdescription qui finit par ne plus correspondre a aucune realite perceptible. Il n'existe pas de linearite du discours, ni de chronologie des evenements.
Michel Butor : L'emploi du temps ( 1956 ), La modification (1957 ) s'est fait le champion d'une certaine atemporalite par la reconstitution d'une temporalite propre au recit. Cette deconstruction chere a Luberice releve d'une sous-conversation chez Nathalie Sarraute : Tropismes (1939 ), Portrait d'un inconnu (1949 ), Martereau ( 1953 ), Le Planetarium ( 1959 ). Elle reproduit a travers ses romans un conflit de generations qui se cristallise autour d'un evenement ou d'un objet insignifiant. Peut-on inviter a la sous-conversation quand une nation entiere est muselee par une classe mercantile, mercenaire et apatride, et de rupture en se referant a une realite faite d'evenements ou d'objets insignifiants?

La DECONSTRUCTION de Luberice prend l'allure d'une figure de style, davantage orientee vers une musique de syllabes qui se referme dans une decevante confusion de sens. Cette deconstruction, je cite Luberice, je l'appelle la rupture historique... Nous devons entamer un questionnement progressif du role de la valeur des valeurs historiques ( Encore la recherche musicale des syllabes au detriment d'un discours significatif : Keny Bastien ) dans la stagnation de la nation haitienne que nous avons le devoir de reconstruire. C'est seulement apres ce questionnement qu'on pourra proceder a la deconstruction. Luberice semble ne pas tres bien comprendre le concept qu'il a lui-meme introduit. Le questionnement progressif est l'outil-cle de l'analyse qui definit la deconstruction dans son champ semantique et conceptuel. Proceder a la deconstruction apres le questionnement accuserait un pleonasme procedurien qui ramene a la litterature schizophrenique evoluant en cercles concentriques evoquee anterieurement.

La DECONSTRUCTION ou ce que LUBERICE appelle la rupture historique sera dialectique, donc il ne saurait etre question de contradiction pure. Qu'estce qui differencie la contradiction pure de la contradiction non-pure? La encore Luberice me deconcerte. Que ce soit pour Hegel ou Camus, les propositions contradictoires forment l'essence meme de la pensee dialectique. These et antithese s'unissent dans une categorie superieure qu'est la synthese de la dialectique hegelienne. Il en sera de meme pour Kant , Marx et Sartre. Luberice continue dramatiquement de s'embourber avec son concept de DECONSTRUCTION.

Je reprends, pour fermer ce premier volet, cette phrase de LUBERICE : L'intelligence de la societe tout entiere devra etre mise en oeuvre pour parvenir a des resultats satisfaisants. Est-ce une phrase de remplissage ou pas? Ici encore je vois en filigrane la deconstruction, qui malheureusement est fondamentalement inapplicable a la societe haitienne. Ce n'est pas notre societe qui est a refaire. On la voit evoluer parfaitement et de maniere tres efficace dans les metropoles occidentales. C'est de preference la classe politique qui doit acceder, comme le developpe R.H. Killick, a un leadership d'execution et non a une deconstruction.

En depit de la faiblesse de l'argumentation, l'incoherence du raisonnement et la superficialite du discours, Luberice s'inscrit dans la classe grandissante des haitiens qui interrogent leur culture pour lui trouver un sens, une legitimite et en meme temps assurer sa particularite et sa perennite. Je m'interesse a tout ce qui touche a mon haitianite. Luberice touche a mon haitianite. C'est pour cette raison que j'ecrivis et reitere : Luberice , tu flirtes avec les theories du nouveau roman, et tu cherches reellement a nous impressionner. Tu restes en superficie, tu fais l'oeuvre d'un demagogue. Tu approfondis et tu deviens createur. A toi de choisir! Tu devrais aller un peu plus loin. Tu as quand meme le merite de tenter l'acte de transfert cognitif qui consiste a appliquer les elements et principes d'un domaine a un autre qui lui est tout a fait etranger. Alain Robbe-Grillet ne t'en voudra pas.


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dimanche 17 mai 2009

Zombification, sorcellerie, vodou : la grande déception

Zombification, sorcellerie, vodou : la grande déception

Lorsque dans une société des universitaires, des élites politiques et économiques mettent sur un pied d’égalité des mythes et légendes (récits oraux et écrits dont la précision historique importe peu par rapport à l’intention spirituelle ou morale), des histoires de lycanthrope ou loup-garou (humain ayant la capacité de se transformer, partiellement ou complètement prenant généralement la forme d’un loup) et le principe de relativité (les lois physiques sont les mêmes pour tous les observateurs, les mesures faites sont vérifiées par les mêmes équations), on peut dire que l’école ou la science plus largement a failli à sa mission (en Haïti). La modernité, qui est portée dans toute société par les élites, ne l’a donc pas « atteinte ». Et même en ayant fait des études à l’étranger où les histoires de loup-garou sont considérées à leur juste valeur : des mythes qui peuvent, utilisés intelligemment, nous apprendre des choses sur notre passé.
La discussion sur le vodou m’a permis d’apprendre une chose essentielle : bon nombre de nos élites dont des universitaires ont la même croyance dans « les concepts fondamentaux de la physique » que dans les lycanthropes ! Elles n’hésitent pas à la faire valoir en tant que telle sur la place publique. Il est bien des circonstances où le discours ne renseigne pas sur l’objet mais sur le sujet (celui qui parle). Des messages postés sur le vodou par ces élites ne nous renseignent pas sur le vodou mais sur leurs auteurs (les élites).
N’est-ce pas Foucault qui nous a dit que le gouvernement des autres c’est d’abord le gouvernement de soi (gouvernementalité). Un dirigeant (politique ou économique), un professeur qui croit que l’invisible détient un pouvoir « suprême » sur le devenir des individus et même de la société dans son ensemble (les esprits maléfiques du vodou sont responsables du sous-développement) n’accorde quasiment aucune importance à la praxis. La manière dont il conçoit le monde se reflète dans ses actions quotidiennes. Pour remporter un concours par exemple il attribue au moins autant de crédit au travail intellectuel qu’à un bain chez un « Bòkò » (et ce, malgré ses confessions religieuses chrétiennes). Le dirigeant politique n’a pas besoin d’améliorer la condition des gens pour assurer son pouvoir car les invisibles s’en chargent. L’énergie consacrée à l’application erronée de la loi de causalité est incommensurable.
En Haïti, rares sont ceux qui cherchent sérieusement les origines de nos maux. Car la défaillance du politique ne peut être résorbée sans l’intervention du « Blanc ». Quand nous avons nos problèmes politiques aucune décision ne serait valable sans la bénédiction des « ambassades-amies » d’Haïti et/ou de l’OEA. Les échecs et les réussites individuels sont dus à la sorcellerie. Pourquoi chercher quand on peut trouver une réponse toute faite ? Pourquoi chercher la cause de la mortalité infantile quand on sait que ce sont les loups-garous qui bouffent les enfants ? Souvent quand on parle de problème d’éducation on croit que ce sont seulement les paysans analphabètes qui sont concernés. Et l’élite qui a bac+X et qui croient que les loups-garous sont responsables du sous-développement d’Haïti (parce qu’ils mangent les enfants !), celle qui a conduit le pays dans la direction où il est en excluant les pauvres, n’a-t-elle pas besoin d’être éduquée ?
On prend des éléments disparates (poison, contre poison, mythes, légende, culte, rites, etc.), des croyances populaires qui sont par définition portées par le peuple, on les mélange, leur attribue une authenticité et une véracité. Etant donné l’image coloniale du vodou et l’origine de la majorité de la population haïtienne l’amalgame sera vite et bien fait. Des faits avérés jonchés sur des mythes donnent facilement une image monstrueuse. Ces élites qui n’arrivent pas à dissocier le réel de l’imaginaire verront le vodou comme quelque chose de monstrueux qui paradoxalement sert leurs intérêts mesquins et rafraichit leur esprit colonial. La sorcellerie qui « existe » presque partout dans le monde et qui est liée « aux rapports de force qui sont noués entre les personnes, entre les groupes, du fait des caractéristiques du système sociopolitique ou économique » [Alban Bensa in de Rosny. 2006 : 54] sera arbitrairement attachée au vodou.
Il s’agit d’une réflexion facile du genre : étant donné que le vodouisant pratique la sorcellerie, cele-ci est donc le fait du vodou. On aurait pu se demander pourquoi des non-vodouisants pratiquent la sorcellerie ? Pourquoi dans des pays où le vodou n’existe pas la sorcellerie est-elle présente dans l’imaginaire populaire ? Ces questions nécessiteraient au moins quelques heures de bibliothèque mais nos savants (c’est ironique, je sais qu’il y a des gens sérieux qui se sont penchés sur la question) ne semblent pas avoir de temps pour cela. Alors le mieux c’est de spéculer.
Des problèmes comme les angoisses, les peurs (qui peuvent occasionner des maladies réelles et même la mort) se sont vus attribués une origine mystique. On puise dans « les croyances du milieu culturel auquel [on] appartient pour retrouver une logique dans ce qui lui arrive ». Abega et Abe (p.41) nous dit que « pour les riches, le sorcier est le pauvre parce que celui-ci éprouve de la frustration devant la réussite des autres, pour les pauvres c’est le riche qui puise dans la matière et les potentialités des autres pour accumuler, parce que son accumulation provoque des inégalités et donc une désarticulation de la structure sociale. » Quand on parle de « manger » on est de l’ordre de l’image. Des cas biens identifiés par les psychiatres sont chez nous considérés comme le fait de la sorcellerie, du vodou. Les manifestations de l’inconscient à défaut du développement de la psychiatrie dans notre pays sont prises en charge par le vodou, qui les code à sa manière. La sorcellerie n’est rien d’autre qu’un « mode de codification et de figuration indigène/autochtone de l’ordre social » (Abega et Abe. P.37)
La question de la zombification est un très bon exemple. Car elle semble combiner une image historique qui est le fait de l’esclavage et une hypothèse qui n’est ni de l’ordre de la religion ni de la sorcellerie mais de la physique et de la chimie (l’empoisonnement qui a été également utilisé comme outils d’émancipation - Makandal). J’ai dit bien : une hypothèse. L’hypothèse reste à vérifier, mais là je vais parler de l’image qu’on a de la zombification.
Dans la langue bëti parlée au sud du Cameroun le terme kong désigne une « espèce de commerce de vies humaines ». « Nong mot a kong, prendre quelqu’un dans le kong signifie le faire mourir après une maladie plus ou moins longue. Après sa mort, la victime est supposée aller travailler dans un pays lointain au service d’un patron à qui il a été vendu par son meurtrier, lequel perçoit pour cela une certaine somme d’argent. Une personne qui s’enrichit trop vite est accusée de vendre les siens de cette manière, surtout si le taux de mortalité semble anormalement élevé dans son entourage. » Vous avez compris, on parle là de la zombification. Il s’agit en réalité de la « description [populaire] de l’écho du phénomène de l’esclavage, surtout dans sa forme traite négrière transatlantique. Il y a des travaux sur cette question. On peut se référer à ceux de Warnier, Desjeux ou de Rosny.
Les images du vécu africain mêlées du vécu colonial ont été réinterprétées, déformées, réformées en Haïti. Personnellement (personne n’est obligé de faire comme moi), je crois qu’elles font partie de la richesse nationale. Mais il est décevant de voir que nos élites les prennent pour argent comptant et en faire le motif de leur chasse aux sorciers (aux pauvres) et de déresponsabilisation.
Renald LUBERICE
Paris, 15/05/09

dimanche 10 mai 2009

La sorcellerie ou le rapport des « sans-parts » à eux-mêmes, à l’au-delà et à la société ?

La sorcellerie ou le rapport des « sans-parts » à eux-mêmes, à l’au-delà et à la société ?

Les Allemands l’appellent « hexerei », les Anglais « witchcraft », les Espagnols « brujeria», les Camerounais la bifurquent : les personnes qui combattent la sorcellerie (bat oba mianga, besunkan –en langue douala) et les personnes perverses (bewusu, balemba, bekong) [Eric de Rosny. 2006 : 27]. Quoi qu’il en soit la sorcellerie concerne le concret de l’existence. Elle renvoie à la vie familiale, politique, religieuse, etc. Cette pratique remonte très loin dans l’histoire de l’humanité. Les humains en général reconnaissent « un désir de mort, une agressivité primordiale au sein des rapports de l’homme à l’homme » [Beinaert, Revue christus, n° 52. 1966 : 496].
La potentialité perverse de l’homme pour l’homme est reconnue par quasiment toutes les religions et même par la philosophie. N’est-ce pas Hobbes qui nous a expliqué dans sa théorie fictive du contrat social que « l’homme est un loup pour l’homme ». Marx quant à lui met en exergue le fait qu’un petit groupe d’hommes s’accapare le grand capital (pervers, source d’injustice) au détriment des autres hommes, et que ce même petit groupe d’hommes sous couvert d’une démocratie et d’un droit formels use des appareils d’Etat à leur bénéfice. Des disciplines comme la psychiatrie et la psychanalyse se proposent de libérer l’individu des ses angoisses.
La sorcellerie est une illustration des relations conflictuelles de l’individu à lui-même, entre l’individu et le groupe ou encore entre les groupes. Sa fonction sociale est de permettre à « un groupe de personnes de continuer de vivre ensemble en tempérant, en détournant l’agressivité qu’elles portent en leur sein, sans attaque frontale, en faisant passer au niveau mystique le désir de nuire physiquement à autrui » [Rosny. 2006 : 28]. Charles Henri Pradelles de Latour affirme que les « affaires de sorcellerie résolvent les conflits en faisant l’économie des coups et blessures » [Ch-H. Pradelles de Latour. 1991 : 81].
Un observateur extérieur se demanderait comment et pourquoi la société haïtienne tient encore debout. La forte majorité de la population est rurale. Les maigres moyens étatiques de prévention et de résolution des conflits se concentrent dans les villes. Nombre de paysans naissent et grandissent sans jamais avoir à rencontrer un représentant de l’Etat (la présence de l’Etat sur l’ensemble du territoire s’est vraisemblablement amenuisée à la chute des Duvalier). Or, les campagnes haïtiennes sont étonnamment calmes. A titre d’illustration, pour les Zones de Baptiste, Mont-Léon, Lianne-Riché, Aléandre, Lianne-trompette, Matou, etc. (dans le département du centre) il y avait jusqu’à date récente moins de 5 policiers armés de pistolets de calibre 38 et de fusils 12 ! Que feraient ces policiers si les individus se mettaient à se quereller violemment?
Il se trouve que dans ces zones-là chacun sait que si tu violes la fille de X et que tu ne te maries pas, il te tuera, que si tu fais du mal à quelqu’un sans raison il se vengera (par des moyens occultes). Le fait que tout un chacun croit qu’on peut recourir à la sorcellerie en cas d’injustice crée un certain équilibre et une pacification sociale.
La sorcellerie prend également en charge sans a priori les personnes délirantes, en tentant de « rationnaliser » le délire. Ainsi tous les problèmes d’ordre psychologique des paysans haïtiens trouvent une rationalité (cause à effet). Il ne peut pas exister de problème de schizophrénie chez le paysan car dès lors que ces symptômes se présentent on cherche à savoir qui de ses connaissances proches ou lointaines est à la base de ce dysfonctionnement.
Il s’agit d’un mal dont il faut chercher les racines à « l’extérieur ». Dans ce sens, l’individu atteint du mal est déresponsabilisé. Si « se fè yo fè-l sa », son corps et son esprit ne sont pas responsables. Du coup les malheurs individuels sont forcément la résultante des interactions entre les individus du groupe.
La sorcellerie est présente dans tous les maux du groupe. Si le responsable n’est pas une proche connaissance, alors ce sera le fait de certains esprits maléfiques. Tous les maux que les « sans-parts » ne savent pas expliquer sont de la faute de la sorcellerie. Ainsi une fille de paysans atteinte de drépanocytose (anémie à cellules falciformes), cette maladie héréditaire qui atteint pour l’essentiel des personnes à peau noire, sera considérée comme victime de l’intervention de mauvais esprits. Elle sera prise en charge en tant que telle.
En guise de conclusion j’affirmerai que la sorcellerie ne relève pas d’une religion particulière mais de la condition humaine. Rien ne sert d’éradiquer une religion sous prétexte de sorcellerie. Cette volonté d’accuser une religion soi-disant responsable de sorcellerie est digne de religieux qui souhaitent augmenter l’effectif de leur propre religion et non de personnes sensées censées de réfléchir sur la société haïtienne.

Renald LUBERICE

Paris, 10/05/09

vendredi 8 mai 2009

Vodou : Réponse à Jacques Mali

Vodou : Réponse à Jacques Mali

Cher Jacques,
En attendant le résultat de la recherche de M. Bastien, je me permets de mettre en exergue nos points d’accord et de désaccord. Je me méfie généralement des discours qui se veulent scientifiques prononcés par les initiés (qu’il s’agit du vodou ou d’une autre religion). Je pense qu’il y a souvent un problème de réflexivité (P. Bourdieu) qui se pose. Je ne pense pas que le religieux soit le mieux placé pour analyser objectivement sa religion ou celle des autres. Car par définition la croyance (à part des cas de syncrétisme avérés) est exclusive.
Le vodou comme je le dis tantôt est une réalité. Il me semble que tu es de cet avis. Par contre l’assertion qui veut que le vodou haïtien ait une tendresse particulière pour les loas maléfiques est quelque chose qui reste à prouver. Dans mon texte intitulé « vodou : véhicule d’évasion, outil de l’ailleurs, corvéable à merci », j’ai montré comment les esclaves ont utilisé intelligemment le vodou comme outil de pression psychologique sur les colons. Dans ce sens, pour que cela marche, il fallait que ces derniers aient peur du vodou.
Ce n’est pas parce que des adeptes du vodou affirment que les vodouisants ont un penchant particulier pour le mal, que les maux reprochés au vodou lui sont effectivement dus. La relation « cause à effet » n’a jamais été prouvée. Les chercheurs haïtiens devront se mettre au boulot pour pouvoir répondre à ces questions.
Les croyances primitives attribuées au vodou ne sont pas les croyances des vodouisants mais celles de la société haïtienne dans son ensemble. Quel haïtien peu importe sa confession ne croit pas en la vertu maléfique ou bénéfique du vodou ? Et ce sans qu’il y ait l’application de la loi de causalité !
Quand j’étais petit, on me racontait que Duvalier savait voyager dans un « layé (espèce de cabaret volant) ». Un jour j’ai été à l’église un pasteur (ancien houngan converti) nous a expliqués qu’il savait se transformer en grenouille quand il était adepte du vodou ! Les fidèles de l’Eglise croient dans ces histoires rocambolesques.
Jacques, je crois que le vodou est le miroir de la société haïtienne. Les croyances dites primitives sont partout dans la société haïtienne, y compris chez des gens très instruits.
Contrairement à toi, je crois que c’est le sous-développement qui permet la prolifération et la perpétuation de ces croyances dites primitives et non l’inverse. Tout comme toi, je pense qu’il ne faut pas et qu’on ne pas (on a déjà essayé et cela n’a pas marché) rejeter le vodou. Je suis pour une modernisation et pour l’institutionnalisation du vodou, avec un organisme central qui s’en occupe et qui sanctionne les dérives des houngans et des mambos. L’Etat y jouera un rôle surement mais je suis pour un Etat laïque.
Cependant je ne crois pas à un darwinisme religieux. Je crois que la religion s’exerce en fonction de la condition matérielle d’existence de ses adeptes. Si on améliore la condition matérielle de ces gens, la religion s’améliorera automatiquement.
Si la codification dont tu parles vise à faire comme les chrétiens (sorte de bible), alors je suis contre. Mais si elle établit des règles et des modalités de fonctionnement, je suis à 1000% pour. L’analphabétisme est l’handicap sérieux du vodou, or personne de sensé ne peut affirmer que c’est à cause du vodou que les gens ne sont pas scolarisés. Le problème du vodou c’est le sous-développement mais le problème du sous-développement ce n’est pas le vodou mais les élites haïtiennes formées pour la plupart à l’école congréganiste.
Bien cordialement
Renald Lubérice.

jeudi 7 mai 2009

Vodou : véhicule d’évasion, outil de l’« ailleurs », corvéable à merci

Vodou : véhicule d’évasion, outil de l’« ailleurs », corvéable à merci

S’il ne fait aucun doute des fonctions sociales des pratiques cultuelles, les raisons qui poussent l’humain à avoir recours à un « au-delà » imaginaire font l’objet d’âpres discussions et controverses. L’une des hypothèses les plus sérieuses renvoie à deux idées fondamentales : « la faiblesse humaine » et le fait que l’humain ait conscience de lui-même et de son entourage. Dans une nature truffée de grands mammifères prédateurs l’homme apparaît bien faible. Pour survivre il doit se défendre face aux dangers dont il est en permanence objet. C’est une nécessité qui le pousse à développer des compétences et aptitudes de survie et d’autoconservation.

Le fait qu’il ait conscience de lui-même et du monde qui l’entoure le met en face d’événements heureux (la naissance d’un enfant), d’événements malheureux (la mort d’un proche) ou des phénomènes naturels et environnementaux (les tonnerres, le vent, les éclairs, etc. bref, le déchainement de la nature). L’humain sera « vite » capable de se demander « pourquoi je vis ? Pourquoi mes proches meurent ? D’où viennent les orages ? »

Ce sont des phénomènes qui le dépassent. Son imagination va créer différents « êtres » capables d’expliquer ces phénomènes. Ces « êtres » vont être des arbres, le soleil et des êtres invisibles. Ils seront considérés comme étant à l’origine des malheurs, des bonheurs et l’ensemble des phénomènes que l’humain ne sait pas expliquer. Ils seront intégrés dans l’ensemble des activités humaines. Les êtres vont jusqu’à être utilisés en politique pour légitimer l’action du politique et la domination de ceux qui ont accaparé les capitaux sur les hommes et les femmes.

Dans un processus de monopolisation certaines sociétés vont réduire jusqu’à l’unité le nombre de ces êtres dénommés dieux. Certaines d’entre elles lui attribueront une morphologie humaine avec des attributs humains. On l’imagine dans un royaume, comme c’est désormais le cas dans la plupart des sociétés humaines, avec des servantes et des serviteurs parfois baptisés anges.
Les formes et les manières attribuées à ces divinités ne surgissent pas ex nihilo. Elles sont le fruit de l’imagination humaine, elle-même tributaire de l’expérience humaine et des conditions matérielles d’existence des humains. Ces divinités lui permettent de s’évader en l’espace de quelques instants et de s’extraire de ses soucis et de ses conditions humaines.
L’humain dont toute l’essence humaine est perdue à cause de sa déshumanisation par ses propres congénères peut toujours s’oublier quelques temps, s’abandonner à cet être ou ces êtres et ainsi avoir une certaine sensation de bonheur. Dans la colonie l’esclave dont l’espérance de vie est de cinq ans environ peut la nuit s’extraire de sa piteuse condition de non-humain et de non-étant grâce au culte vodouesque offert aux divinités.

Le colon dispose de nombreuses armes pour asservir physiquement et détruire psychologiquement l’esclave. Ce dernier qui n’en a quasiment aucune va utiliser le vodou comme outil de pression psychologique sur le colon. Pour que cet outil soit efficace l’esclave doit faire peur au colon. Le vodou sera dans ce cas utilisé comme outil de la peur. On lui attribuera des vertus qu’il n’a pas forcément (comme le pouvoir de métamorphose). Les empoisonnements ou d’autres coups purement physiques portés au colon seront attribués au vodou, ce qui multiplie sa capacité phobique. Cette capacité à faire peur au colon est la condition réelle ou supposée de son efficacité en tant qu’outil de résistance.

Il est évident qu’une telle recette ne fonctionnera que si elle est secrètement gardée. La capacité à garder le secret sera une des compétences nécessaires à la fonction de prêtre vodou. Le colon de son coté n’hésitera pas à utiliser le vodou comme outil de marginalisation des déshumanisés. Il le fera connaitre en tant qu’instruments maléfiques dont usent les esclaves contre leur maître.

Inutile de chercher la véracité de cet énoncé puisque le seul fait pour l’esclave de se rebeller contre son maître est déjà condamné par la bible et la société coloniale. La véracité des pouvoirs accordés au vodou n’a non plus d’importance. Le seul fait de se revendiquer d’autres dieux que le dieu des blancs est déjà condamnable et condamné.

Le vodou fait partie intégrante de l’esclave avec tout ce qu’il a en termes de savoirs et de savoir-faire non-occidentaux. Les pratiques médicinales d’origine africaine seront intégrées dans le vodou. On attribuera aux « remèdes-feuilles » utilisés une dimension mystique conçue comme condition de l’efficacité de la guérison.

L’ensemble de ces représentations et de fonctions attribuées au vodou forme désormais son image. Une image partagée dans toutes les couches de la société. Il ne faut pas croire que la société des vodouisants est une société égalitaire et parfaite. Le houngan détient un pouvoir « magique » qu’il exerce sur ses subalternes. Pour que ce pouvoir soit vu et perçu comme légitime, il faut que les subalternes y croient.

Le houngan a tout intérêt que la croyance au pouvoir maléfique et bénéfique du vodou soit maintenue. Il faut donc faire valoir le pouvoir d’avoir un accès privilégié aux esprits. Grace à ces accès privilégié et au pouvoir magique qui lui est reconnu, le houngan peut jouer la fonction de maître. Fonction qui est dans la plupart des cas dans le monde colonial réservée aux blancs.

Le vodou sert de liaisons, de lien de rencontre entre les esclaves. Il les lie aussi à la terre ancestrale qu’est l’Afrique. Cette Afrique n’est pas forcément l’Afrique continentale. C’est une Afrique construite par opposition au monde colonial qui le déshumanise. Elle est aux antipodes du calvaire de la traversée océanique où l’esclave est attaché dans une cale de navire dans l’odeur suffocante de ses propres excréments.

L’Afrique exprimée dans le vodou haïtien est un « ailleurs ». Le vodou est le véhicule permettant d’atteindre cet ailleurs, l’espace d’une nuit en dehors du calvaire de la plantation. Dans la colonie la religion dominante est celle du maître. En ce sens les croyances vodouesques relèvent de la superstition. Dans la mesure où elles « vont à l’encontre des doctrines et pratiques attestées par les fractions dominantes » de la société coloniale [Askevis-Leherpreux, 1998].

Je me focalise ici sur Haïti avec le présupposé que les lecteurs savent déjà que les superstitions et la sorcellerie vont bien au-delà de nos frontières. Favre-Saada a fait un travail très remarquable autour de la sorcellerie en France dans le Bocage. Au cours d’un entretien un désensorceleur français lui a déclaré : « on dit qu’ils sont sauvages en Afrique ; mais plus sauvages que nous, est-ce que vous en connaissez, vous qui avez tout lu ? Ici, on est tout de suite pris à mort : la mort on en connait que ça chez nous ».

On n’est pas ici en Haïti ni à l’époque médiévale : on est en France, en 1985 ! « Les paysans (français) expliquent leur malheur par la jalousie qui aurait poussé leur voisin à leur jeter un sort ; ils s’adressent à un désenvouteur qui les protègent de leur agresseur imaginaire en utilisant des rituels secrets » [Favret-Saada, 1985].

En Haïti, suite à la révolution de 1804, on aurait pu s’attendre à deux logiques concernant le vodou. Soit les haïtiens adoptent le vodou et ses croyances en rejetant le christianisme. Soit ils adoptent le christianisme et l’attitude savante occidentale qui relègue les croyances dont le vodou est porteur au rang de « l’application erronée de la loi de causalité » [Arnold va Gennep, 1938].

Les élites haïtiennes ne suivront aucune de ces deux logiques. Ils choisiront le christianisme qu’ils grefferont sur les croyances qui appliquent de manière erronée la loi de causalité (attribuée au vodou), tout en marginalisant le vodou. Enorme paradoxe ! Les nouveaux leaders politiques continueront à jouir des croyances dans leur pouvoir magique.

Le fait qu’un siècle après l’indépendance seulement environ 2 % des enfants en âge scolaire sont scolarisés renforce les croyances et l’application erronée de la loi de causalité. Le vodou sera l’interlocuteur privilégié d’une masse d’anciens déshumanisés qui n’ont toujours pas accès à la chose politique. En s’appropriant ces croyances sans se soucier des conditions matérielles d’existence de la masse paysanne, l’élite notamment politique se dote d’un double pouvoir : le pouvoir magique conféré par le Vodou d’une part et le pouvoir socio-économico-politique d’autre part.

Avec l’arrivée des courants religieux nés en Amérique du nord se revendiquant des réformes luthériennes et calvinistes, le vodou jouera un nouveau rôle. Celui de légitimer ces courants protestants. En effet, dans le monde social toute activité se doit d’être justifiée, tout acteur exerçant un pouvoir quelconque se trouve dans un impératif de justification du pouvoir exercé. Il doit clairement prouvé sa raison d’être. Les esprits vodouesques pourvoiront cette raison d’être à ces courants.

Les religieux protestants vont se donner une mission de « déchouqueurs (du français dessoucher) de malheurs ». Le principal responsable des malheurs est naturellement le vodou.
Etant donné qu’en Haïti le malheur ce n’est pas ce qu’il manque, les églises vont pousser comme des champignons. De la culpabilisation du vodou, ce nouveau business va prospérer. Et des chefs religieux s’enrichiront sur le dos des pauvres. Dans ces églises on peut même trouver des malades du sida internés prétextant que la prière a déjà guéri des personnes atteintes du Sida et que ces malades peuvent avec la foi bénéficier de cette guérison. Plus les témoignages sont rocambolesques, plus ils font sensations et plus le business marche.
Dans le monde politique, se faisant passer pour un adepte du vodou qui a du pouvoir, F. Duvalier utilise la peur qu’éprouvent les gens pour endiguer toute velléité de contestation. Par ailleurs la non-intégration dans l’esprit des gens d’un système judiciaire crédible les pousse à chercher justice ailleurs à travers une forme de vengeance personnelle.

Le Vodou est ainsi utilisé à des fins diverses. Sa non-institutionnalisation le dépouille de toute influence politique directe. Il est corvéable à merci. On s’en sert tout en le marginalisant. Et ce n’est pas avec une société dont le taux d’analphabétisme avoisine les 60 %, une université qui a du mal à produire un savoir anthropologique crédible sur le vodou, des élites appliquant à l’envers la loi de causalité que cette situation est prête de changer. Reste à espérer que les « sans-parts » réclament un jour leur part.

Renald LUBERICE
Paris, 06 mai 09

lundi 4 mai 2009

Vodou : quand les chèvres et les choux sont mélangés au service d’une pensée coloniale d’arrière-gardiste.

Vodou : quand les chèvres et les choux sont mélangés au service d’une pensée coloniale d’arrière-gardiste.

La pensée occidentale (scientifique) contemporaine relative à l’ « autre » prend, grâce notamment aux travaux de Saïd, Appadurai, Bhabha, Balandier, etc., une nouvelle orientation. Il s’agit de l’introduction à travers les sciences humaines et sociales d’une pensée postcoloniale qui affirme justement la présence des dominés. La compréhension du présent et ses enjeux nécessitent de faire le lien avec l’histoire, de « prendre une distanciation par rapport à l’actuel, faire apparaître ses conditions de formation, sa complexité et ses ambigüités » [Smouts, 2007]. La colonisation a laissé de nombreuses traces (positives, négatives ou autres) sur la modernité occidentale.
Le postcolonialisme (et d’autre école de pensée) met en exergue une perspective qui fait écrouler tout un pan de la théorie du grand partage qui veut que l’humanité soit divisée entre deux états : état premier et état second. L’état premier renverrait au « primitif », « simple », « traditionnel ». Chacune de ces situations renverrait respectivement au « civilisé », « avancé », « moderne ».
Les sciences humaines et sociales « bougent ». Les modes de pensée changent. Mais certains compatriotes haïtiens ne le comprennent pas. Ils croient qu’il suffit de brandir leur diplôme à chaque correspondance pour que leur discours soit scientifique et donc « crédible ». L’obtention d’un diplôme de licence ou de master leur suffit pour qu’ils nous racontent qu’ils sont des intellectuels et donc légitimes à discourir sur l’ensemble des objets relatifs à la société, la nature et à l’univers tout entier. Ils ressassent un discours colonial sur l’ « autre », qui a fait ses preuves avec Hitler, mêlé de leur croyance chrétienne. Ils nous racontent que le vodou tue, que le vodou empoisonne, etc.
Ils nous refont le discours de leur chef religieux. Par ignorance ou mauvaise foi, ils ne se rendent pas compte de la faiblesse de leur argumentaire. Sans vouloir entrer dans un débat religieux et en respectant les croyances religieuses de chacun, je rappelle pour mémoire que la pratique de l’inquisition à travers les instruments de torture tels que l’eau, la poutre et le feu ne fut pas le fait du vodou mais du christianisme.
Des formes d’empoisonnement dont on attribue une dimension mystique en Haïti (zombification) ou des formes particulières de vengeance personnelle ne sont pas inhérentes au vodou. Elles mettent tout simplement en exergue le fait que l’Etat ou la société n’arrive pas à « dompter » les mœurs et instituer des cadres légaux légitimes de règlements des conflits. Je ne résiste pas à l’idée de conseiller à nos chers savants qui n’ont de cesse eu de mélanger les chèvres et les choux dans leur démonstration l’opus d’Elias, La civilisation des mœurs. Ils se rendront compte, s’ils prennent le temps de lire ce livre, que la plupart des choses qu’ils reprochent au vodou ne sont pas le fait du vodou mais d’une société où l’Etat a du mal à s’émerger et la nation à se construire.
Comment font nos savants pour arriver à conclure que le vodou est responsable du sous-développement en Haïti, alors que l’élite qui a dès le début de notre histoire toujours été au pouvoir ne se réclame pas du vodou mais des valeurs occidentales qui seraient selon elles contraires aux pratiques vodouesques ? Le vodou « sale » dont on parle est le fait des marginaux. Ceux qui ont toujours été soigneusement exclus de la société : les pauvres ! Comment ces savants font-ils pour ne pas s’attaquer à l’exclusion mais aux exclus ?
La plupart des vodouisants et des houngans dont ils parlent ne savent même pas lire et écrire, ils n’ont pas de route, pas d’électricité, pas d’eau potable, pas de système de soin. Bref, ils n’on rien, à part le voudou ! Alors c’est de la faute du vodou ça ? Moi, qui suis entrain d’écrire ce message, si je ne savais pas lire j’aurai pu continuer, comme le pasteur m’en avait fait la lecture biblique, à croire que « l’esclave doit obéir à son maitre, car s’il y a des esclaves et des maîtres c’est parce que Dieu l’a ainsi voulu ».
Je me demande bien par quel raisonnement absurde peut-on arriver à la conclusion que les pauvres sont la cause du sous-développement. Pourtant, sans avoir de MBA, MA, etc., il suffit juste d’un peu de bon sens pour comprendre que c’est la pauvreté qui est à la base du sous-développement et pas les pauvres !
On aurait, après tout, pu admettre l’hypothèse que les conditions dans lesquelles le vodou est pratiqué participent au sous-développement. Mais cette hypothèse nécessiterait au moins une thèse avec plusieurs années de recherches à la clef. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut soutenir par une démonstration absurde d’une demi-page où tout est amalgamé!
N’étant pas un dogmatique je suis prêt accepter des hypothèses aussi rocambolesques soient-elles, mais ce n’est pas en mélangeant des choux et des chèvres au service d’une pensée coloniale d’arrière-gardiste qu’on arriverait à les vérifier.

Bien cordialement.

Renald LUBERICE
Paris, 04/05/09

dimanche 3 mai 2009

voir le message précédent : "des esprits colonisés..."

Cher-ère-s compatriote-s,

Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont su faire de leur mieux pour éviter que cette discussion sur le vodou ne tourne au “joure manman”. Au premier abord nous pouvons avoir l’impression que ce débat est nouveau. Mais en réalité il est aussi vieux qu’Haïti. Il ne s’agit pas d’une discussion entre les partisans du vodou et ceux qui s’y opposent. Ce n’est pas non plus, contrairement à ce que certains détracteurs du vodou veulent faire croire, un débat qui tend à essentialiser le vodou. C’est un débat entre d’une part ceux qui comprennent qu’aucune culture n’est figée et que les cultures dites sauvages ont participé au même titre que la culture dite occidentale à la modernité, et d’autre part ceux qui croient que la culture dite occidentale est d’essence supérieure. Je reproche à ces derniers de s’approprier le discours de leur ancien maître sans réflexivité aucune. Je réaffirme que la modernité occidentale n’aurait pas été possible sans la colonisation et les « sauvages ».

Je ne souhaite pas, comme le font certains, profiter de ce débat pour vendre ma petite personne. C’est pourquoi vous constaterez que j’évite autant que possible de parler de moi. Ceux/celles qui me lisent et me connaissent savent que ne suis ni voudouisant ni religieux. Mais si j’avais une croyance religieuse j’aurais trouvé cela indécent de l’utiliser dans un débat de cette nature.
Il y a dans la vie les gens qui passent leur temps à analyser les choses telles qu’elles devraient être et ceux qui les appréhendent telles qu’elles sont. Le vodou est une réalité au même titre que le christianisme en Haïti.

La religion en général a des incidences négatives sur la vie d’une communauté mais elle lui est peut être aussi utile. Sinon on se demanderait bien pourquoi une société, une personne ou un groupe de personnes s’adonnerait à un ensemble de rites, de croyances théistes, composé de règles (éthiques ou pratiques), de récits, de symboles ou de dogmes. La liberté de culte est un principe consacré par notre constitution. De la même manière que cela serait scandaleux de partir en croisade contre le christianisme, il est scandaleux et incongru d’utiliser le vodou comme bouc émissaire.

La croyance dans le caractère maléfique ou bienveillant du vodou participe à « l’haïtiannité ». Les détracteurs du vodou le prouvent encore une fois. Certains ont perdu des êtres qui leur étaient chers, probablement faute de soins appropriés, faute d’un système de santé efficace, et ils nous disent que c’est le vodou. Moi aussi j’aurai pu dire que des gens sont morts à cause du christianisme. Parce que j’en connais des paysans chrétiens qui, quand ils ont un proche malade, préfèrent passer leur temps à prier pour lui au lieu de l’emmener à l’hôpital. Il s’agit d’un problème d’éducation. C’est en réalité ni la faute du christianisme ni la faute du vodou. Ces religions ne font que combler un vide laissé par l’Etat.

Certains ont cru que quand on parle du vodou on se réfère à une race. Là encore c’est la preuve tangible que l’esprit du XIXe siècle est vivant. Haïti n’est pas faite pour une race, les valeurs que véhicule 1804 ne sont pas les valeurs d’une race mais d’humanité. Haïti n’est ni noire, ni rouge, ni verte ni blanche. Elle est nègre ! Gare aux esprits coincés qui verraient dans le mot nègre une référence raciale. C’est une référence historique qui a construit le vivre ensemble et que nous ne saurons rejeter.

Une personne n’est pas obligée d’être noire ni vodouisant, tout comme elle n’est pas obligée d’être chrétienne, pour être haïtienne. Etre haïtien c’est adhérer aux idéaux de 1804, c’est respecter la liberté de culte. Traiter le vodou comme une religion barbare ou la religion des sauvages devrait être un délit. Ceux qui ont du mal à appréhender la dimension anthropologique du vodou utilisent leur expérience personnelle mêlée d’un discours colonial pour nous dire que la culture occidentale est géniale et que le vodou est barbare. Ces gens oublient que jusqu’au début du XXe siècle cette civilisation occidentale dont il se réclame ne les considérait pas comme des hommes. Seuls étaient hommes les européens. Quel paradoxe !

En calomniant le vodou, ces détracteurs tendent à l’essentialiser. Or je n’attribue aucune essence au vodou. Le vodou haïtien c’est aussi la culture occidentale. Ma culture en tant qu’haïtien est aussi bien une culture africaine qu’une culture occidentale empreinte de culture indigène. On me parle de la « saleté » qui serait le fait du vodou. A ces personnes, je dis : ayez l’intelligence de comprendre que la saleté n’est pas inhérente à la pratique vodouesque mais ce sont les conditions de son exercice qui engendrent la saleté ! Changeons donc les conditions de son exercice, et le vodou sera aussi propre que vous semblez le souhaiter.


Cordialement

Renald LUBERICE

vendredi 1 mai 2009

Des esprits colonisés par les « loas » ou des esprits du XIXe siècle ? Chronique d’une démonstration ratée

Des esprits colonisés par les « loas » ou des esprits du XIXe siècle ?
Chronique d’une démonstration ratée


L’accumulation de faits peut être impressionnante mais ne relève nullement de l’ingéniosité. L’accumulation de faits n’est pas de la démonstration, la description n’est pas l’analyse. En IUT (Institut Universitaire de Technologie), j’avais un professeur qui s’amuse toujours à nous rappeler qu’une fausse démonstration terminée par la mention C.Q.F.D annule l’ensemble de la copie de l’étudiant.

Il parait que le discours tenu sur le vodou est un discours intellectuel. J’avoue ne pas savoir ce que c’est qu’un intellectuel. Ce que je sais c’est que la capacité à accumuler des faits est humaine, elle relève du vécu et non d’une quelconque capacité intellectuelle. Les aprioris et le « sens commun » ne sont pas des savoirs scientifiques peu importe la prétention de leur prétendu auteur.

Au risque de décevoir plus d’un, le CV d’un individu peu importe ses qualités ne saurait renforcer une analyse ou crédibiliser une démonstration. La prolepse n’est pas digne d’une démonstration. Si elle est crédible et sensée la démonstration dans sa cohérence interne se suffit à elle-même. Le Vodou a dès le début fait figure d’« alter » (du latin, autre), celui qui n’est pas d’ici. Il est porté et véhiculé par le nègre. En ce sens, c’est une valeur barbare. J’ai récemment dans une brève réponse à un message sur le vodou fait référence au livre de Laennec Hurbon, Le barbare imaginaire. Si l’auteur de la démonstration ratée avait pris le soin de consulter cet ouvrage, il aurait pu tenir un discours intelligent et intelligible.

Le vodou a été et sera davantage altérisé parce qu’il a fait figure (réelle ou supposée) d’outils d’émancipation. Les savoirs prétendument scientifiques véhiculés par les détracteurs du vodou sont en fait une forme de connaissance cumulant les savoirs socialement transmis et largement diffusées dans la culture coloniale occidentale. C’est une interprétation de la réalité qui conduit à des incompréhensions et à la dénaturation de la culture des exclus.

La colonisation est une chose de terrible. Elle revêt au moins deux dimensions : 1) La colonisation physique (le fait pour le colon d’occuper le territoire indigène) qui est matérielle. 2) La colonisation immatérielle qui renvoie aux valeurs socialement transmises, aux mécanismes de légitimation qui rendent la colonisation matérielle plus ou moins admissible et acceptable.

En effet, 1804, à cause de sa nature, n’a eu d’effets que sur la première dimension de la colonisation. C'est-à-dire la colonisation matérielle. Elle a été l’occasion pour les actants de se libérer de la colonisation physique. Mais en vérité la colonisation physique est loin d’être la plus terrible.

Une fois l’indépendance acquise, les élites ont délibérément/ ou malgré elles choisi de garder les valeurs occidentales et coloniales qui consistent à altériser les valeurs nègres, à ne voir dans la civilisation africaine qu’une vulgaire culture sauvage et à inférioriser le nègre. Ces valeurs et ces manières de considérer l’autre qui sont le fait du colon ont été reprises par les haïtiens au point de « s’autoaltériser ». L’haïtien est donc fier de dire je suis un autre.

N’est-ce pas Frantz Fanon dans Peau noire Masque blanc qui a su le mieux mettre en exergue le dilemme du nègre. Le nègre se trouve perpétuellement dans « un dédoublage du moi ». Il y a le « moi » originel, qui est le moi de l’haïtien en tant que nègre avec sa culture de nègre d’un coté, et le « moi » idéal, de l’autre. Le « moi » idéal est en réalité le « moi » de l’ancien maître avec les valeurs judéo-chrétiennes et singulièrement sa couleur « blanche ». L’haïtien, et surtout l’élite haïtienne se trouve constamment à la recherche de ce « moi idéal » qu’il n’arrive pas à atteindre. Et à chaque fois que cela se produit, il se met en colère contre « les exclus ». C’est-à-dire la majorité de la population haïtienne. Celle qui n’arrive pas à manger à sa faim, et que pour s’extraire de sa piteuse condition matérielle d’existence doit s’abandonner dans un au-delà que lui procure le vodou. Dans cet au-delà, il oublie quelques instants sa condition d’exclus et d’exploités.

Alors la pauvre et crétine élite haïtienne ne veut pas ou ne peut pas s’attaquer à la condition matérielle d’existence désastreuse des exclus. Elle préfère chercher un bouc émissaire qui ne sait même pas se défendre : le vodou. Mais quelle est cette élite qui accapare toutes les richesses, économiques sociales, politiques, culturelles et symboliques, se montrant incapable d’améliorer les conditions de la masse, préfère la culpabiliser.

Quelle est cette élite dont l’incapacité à adopter les valeurs occidentales qu’elle prône est avérée préfère, au lieu de se remettre en question à travers ses pratiques, se cacher derrière un bouc émissaire qui est le vodou. Quelle est cette élite, se montrant incapable de produire un discours anthropologique et sociologique intelligent sur le vodou préfère s’accaparer des discours sociaux produits par les européens du XIXème siècle (dont de Gobineau) pour nous faire croire qu’elle est intelligente et qu’elle maitrise la science, qu’elle peut produire un discours intelligent et intelligible sur le vodou.

Arrêtez, vous êtes ridicules ! Vous ne nous ferez pas croire que ce discours vous appartient. Il est aux européens, rendez-le-leur ! Mettez-vous au boulot pour produire un véritable discours anthropologique et sociologique qui soit intelligible. Dire cela ce n’est pas être colonisé par des « loas » mais c’est vous demander gentiment de vous débarrasser de l’esprit colonial du XIXème siècle pour vous mettre en fin à l’heure !


Renald LUBERICE

Paris, 01/05/08