dimanche 31 mai 2009

Comment faire la critique d’une critique sans se détourner de l’objet initial ?

Comment faire la critique d’une critique sans se détourner de l’objet initial ?
Quand Bastien regarde le monde depuis sa petite bulle .

Au premier abord, je peux affirmer que la cohérence n’est pas ce qui caractérise le mieux l’auteur de cette critique. Il a dans un premier temps affirmé : « Luberice, tu flirtes avec les théories du nouveau roman, et tu cherches réellement à nous impressionner. Tu restes en superficie, tu fais l'œuvre d'un démagogue. Tu approfondis et tu deviens créateur. A toi de choisir! Tu devrais aller un peu plus loin. Tu as quand même le mérite de tenter l'acte de transfert cognitif qui consiste a appliquer les éléments et principes d'un domaine a un autre qui lui est tout a fait étranger. Alain Robbe-Grillet ne t'en voudra pas. » Et Bastien de se rétracter hâtivement « J'aime ce texte. Il y a des idées fortes et des idées faibles. Il a toutefois le mérite de remettre en question quelques aspects de notre crise identitaire. Et pour être direct, je m'empresse d'exprimer qu'il n'existe absolument rien qui justifie l'acharnement de certains haïtiens à faire du vodou un critère d'haitianite. Il s'agit la d'une dérive tout aussi dangereuse qu'absurde. » Ce n’est pas dans son habitude d’expliquer ses assertions ni de vérifier à quelles conditions sont-elles vraies. Le vodou est dangereux parce que Bastien, l’adventiste, le pense, point.
Bastien a quand même le mérite de se mouiller la chemise, pour une fois, sur une question qui n’est manifestement par son sujet de prédilection. Dès son premier postulat, il met en exergue le double complexe dont il est objet. Ce double complexe tend à le placer soit au centre du monde au point de se féliciter de pouvoir « dégager une vision nouvelle qui aboutirait éventuellement a un apaisement de notre crise identitaire » (et c’est dans cet esprit qu’il a tiré à boulets christiques rouges sur le vodou, jusqu’à ce qu’il ne lui en reste plus), soit par rapport au lieu où j’écris (qu’il sacralise). Il n’a eu de cesse de faire allusion à l’endroit où j’habite quitte à frôler le ridicule. C’est le cas lorsqu’il affirme péremptoirement que je reprends des concepts en vogue dans les milieux littéraires français, arguant qu’il s’agit d’une pensée qui ne s’assume pas. Il n’a manifestement pas lu mes textes, sinon il aurait compris qu’il y a une cohérence implacable. Je m’efforce de transcender les cadres conceptuels coloniaux qui inspirent des gens comme lui dans leurs pratiques discursives et leur regard sur la société haïtienne.
Bastien oppose les concepts qu’il croit en vogue dans les milieux littéraires (à défaut de pouvoir les situer disciplinairement) à la théorie de l’anti-roman, comme l’appellerait Sartre. Il ignore ou a omis de souligner que la « déconstruction » est une démarche scientifique adoptée par les sciences humaines et sociales modernes dans le cadre de la construction de l’objet. Etant donné que Bastien regarde le monde à partir de sa petite bulle, il ignore que le concept de déconstruction (consistant, à la base, à relever un décalage et une confusion de sens) – qu’il attribue par ignorance à Robbe-Grillet - a été élaboré par Heidegger et popularisé par Derrida. On n’est pas dans un postulat a-normatif, comme c’est le cas de l’anti-roman. En faisant appel à la déconstruction je veux mettre en exergue le décalage qui existe entre certaines valeurs historiques, d’origine notamment coloniale, et l’Haïti que nous chérissons.
A lire Bastien, on voit qu’il ne vient pas des sciences humaines et sociales. Pourquoi veut-il nous emmener sur ce terrain au risque d’y perdre son âme? Enlever une phrase de son contexte au profit d’une démonstration en mal d’argument relève de la malhonnêteté intellectuelle. La croyance, ou pour être plus précis, la croyance religieuse monothéiste est exclusive. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer à Bastien que je ne dissocie pas la croyance religieuse et les valeurs sur lesquelles elle se repose, et qui lui donnent forme.
Malgré lui Bastien a mis en exergue ce qui handicape sa compréhension du texte : ses références. Il s’agit d’une émission télévisée et la théorie du nouveau roman. C’est comme si j’utilisais TF1 et Marc Lévy comme référence d’une analyse sociologique et anthropologique. Il n’a pas su comprendre que la « déconstruction » est une démarche conceptuelle dont l’objet est les ressources immatérielles dont nous disposons. Certaines de ces ressources semblent constituer un blocage à l’émergence d’une nation haïtienne à la hauteur de son histoire.
L’attitude de Bastien et ses coéquipiers à l’égard du vodou me conforte dans ma thèse selon laquelle la nation butte des le début sur des socles immatériels qui hypothèquent son devenir. Ces socles immatériels renvoient à des manières d’être, des façons d’appréhender le monde qui appartiennent au monde colonial. En Haïti l’héritage colonial participe au processus d’agencement des moyens, des actes d’arbitrages et de non-arbitrages. Les « valeurs » coloniales, les différentes épreuves que traverse l’Etat adjointes à des facteurs de sérendipité concourent au « devenir-Etat » du pays. C'est-à-dire ce qu’il est aujourd’hui. Il y a des mécanismes qui ont permis la reproduction du système colonial au-delà même de 1804.
L’empirique et le théorique devront se rejoindre en vue d’une nouvelle lecture de soi et du monde en tant qu’haïtien. L’incohérence est manifestement la chasse gardée de Bastien. Lui qui a affirmé haut et fort que le vodou est Le responsable du sous-développement d’Haïti, se met tout d’un coup à se questionner sur le rôle d’une « classe mercantile, mercenaire et apatride ». Il n’a pas encore compris que l’élite haïtienne continue à avoir le même rapport avec Haïti que l’élite coloniale avait avec Saint-Domingue : La richesse est ici produite mais sa destinée et la destinée des enfants d’élite est l’étranger. Comme ce fut le cas au temps de la colonie.
Je peux toutefois m’en réjouir car nos discussions sur le vodou semblent l’avoir ramené à la raison. C'est-à-dire le vodou n’est plus LE responsable du sous-développement d’Haïti. Youpi ! Espérons toutefois qu’il soit cohérent pour la suite, au moins sur ce point. Bastien à dû lire plusieurs fois mon texte pour finir par y voir que de l’harmonie musicale des syllabes. Malheureusement ces lectures répétitives n’engendrent pas une meilleure compréhension, elles ne lui ont pas permis de déceler que lorsque je parle des valeurs historiques, je fais allusion à la généalogie de la morale nietzschéenne. Autre chose qui a échappé a Bastien c’est la question de la dialectique.
En fait, ce texte est en quelque sorte une réponse aux objections d’un compatriote à la « rupture historique » que je prône. Il m’avait fait comprendre que la rupture historique revêtait une contradiction. A cela j’ai répondu, qu’il pouvait, certes, avoir contradictions mais ce ne sont pas des contradictions pures. Elles étaient dialectiques.
Dans une tentative désespérée, en dehors de toute logique, Bastien affirme qu’« On la [la société] voit évoluer parfaitement et de manière très efficace dans les métropoles occidentales.» Il confond individus et société. Pour lui les expatriés haïtiens là où ils se trouvent forment la société (la société haïtienne) ! On est dans le cadre d’une démonstration par l’absurde qui ne peut même pas prendre en compte le fait que ces haïtiens là ne font que s’assimiler à des structures sociales existantes, au point où leur descendant renient leur origine haïtienne. La plupart des jeunes haïtiens, nés en France, se font passer pour des martiniquais, des guyanais, des guadeloupéens, etc. C’est donc cela la société haïtienne à l’œuvre dans les métropoles occidentales ?
Le leadership d’exécution sans la « déconstruction » de certains socles immatériels, s’apparenterait plus à une culture « boulangère » de la nation, suggérant qu’il suffit de mélanger de l’eau, de la farine avec un peu de levure pour obtenir de la pâte à pain. Une nation est bien plus complexe. La gestion de l’Etat est bien différente de celle d’IBM (pour les septiques, je me référerais aux analyses de l’action publique, Lagroye, Padioleau, etc.).
Bastien a trouvé le moyen d’extraire un mot dans l’ensemble de mes textes, et de réduire tout à cela. Cette stratégie ne fait que me détourner du sujet en cours qui est le vodou. Sujet sur lequel Bastien n’a aucun argument à part les textes inspirés des dieux européens et summériens – la bible – (à ce sujet, voir Les lieux de la culture, d’Homi Bhabha). Ça fait trois semaines que Bastien nous a promis un texte sur le vodou (qui serait le fruit de ses recherches). En attendant ses recherches je ne répondrai plus à un texte qui parle d’autre chose que du vodou. Je peux faire un débat sur les concepts mais ce sera après la discussion autour du vodou.


Renald LUBERICE






Voici le texte de Keny Bastien auquel je réponds
L'incoherence de certains raisonnements et la precarite conceptuelle avec lesquelles des sujets touchant a la crise sociopolitique et identitaire de l'haitien sont interpretes, pourraient susciter l'inquietude de certains esprits sur le vide ideologique affectant l'espace intellectuel haitien.

J'ai suivi au debut, avec attention Luberice qui touche a de multiples sujets, dont le choix laisse entrevoir une tres belle sensibilite. Je m'etais mis a caresser l'espoir, qu'avec une volonte sereine, nous pourrions a travers nos echanges degager une vision nouvelle qui aboutirait eventuellement a un apaisement de notre crise identitaire. Mon attente aura ete de courte duree. Tous les titres annonces par Luberice ont lamentablement echoue sur un littoral de contresens et de lieux communs. Des concepts puissants, en vogue dans les milieux litteraires francais, sont repris et catapultes dans les forums sans subir de refonte au creuset d'une pensee qui s'assume.

C'est ainsi que j'ai ete surpris et amuse de lire sous la plume de Luberice : " Une Deconstruction est necessaire a la Reconstruction d'Haiti ". Le titre est prometteur. Je m'attendais a une certaine altitude de l'analyse. Je commencais a jubiler avec cette joie d'enfant anticipant la promesse, et qui s'attend a recevoir son jouet precieux, une fois l'emballage defait. Luberice promet beaucoup et enfante le neant.
J'en veux pour preuve cette phrase quelque peu gauche : "Car par definition toute croyance ( a part des cas averes de synchretisme ) est exclusive". Il nous a ete deja donne de demontrer le caractere abusif et tres maladroit d'une telle generalisation. Une croyance n'est jamais exclusive, mais les valeurs qu'elles preconisent peuvent le devenir.

Luberice recidive et assomme le lecteur que je suis et qu'il pretend vouloir preserver, en ecrivant: " Une Deconstruction est necessaire a la reconstruction d'Haiti ". Ce titre annoncait la fete que Luberice ne nous a pas faite, et que Maureen me reproche d'avoir mal recue. Elle a raison et a droit a ma justification. Que je lui dise en passant, que je suis tres sensible a son esprit d'ouverture, et a l'interet qu'elle porte a ses freres haitiens deportes et deracines de leurs continents d'origine. Elle est devenue dans mon imaginaire la matrice parturiente qui me rattache a l'alma mater, cette afrique qui la tient par son cordon ombilical. Elle est et restera mon point de depart et mon point de non retour. Elle est mon Afrique a moi que je n'ai pourtant jamais vue, ni cesse de revoir. Ma crise identitaire a beaucoup a voir avec mes freres d'Afrique. Je ne cesse de m'interroger sur leur desolidarite et les motifs qui les ont empeches de resister a la tentation negriere. Apres tout, les noirs d'Afrique n'ont-ils pas vendus leurs propres freres a la boucherie esclavagiste?


DECONSTRUCTION
J'ai fait remarquer a Luberice dans l'une de mes interventions qu'il flirtait avec les theories du nouveau roman. Il m'apostropha avec superbe, en affirmant qu'il ne repond pas a ce genre de discours, et qu'il estime que le lecteur merite mieux que cela. J'ai pris bonne note de son interet pour le lecteur. J'ai donc decide de faire amende honorable aujourd'hui, aupres de Maureen qui me trouvait trop lapidaire, et des autres lecteurs , y compris mon amical Catel.

On ne peut parler de DECONSTRUCTION sans se lancer dans la dynamique theoricienne des regles du nouveau roman. Il ne suffit pas non plus de saisir un tel concept en APOSTROPHE : l'emission televisee de Bernard Pivot, et de l'imposer completement denature au lecteur qui s'y perd. C'est vraisemblablement cette pointe d'ironie subtile que j'avancais, en avouant a Luberice qu'il savait tres bien de quoi je parlais, peut etre qu'au fond , il ne savait pas vraiment.

Le concept de DECONSTRUCTION est la base structurelle du nouveau roman. Deconstruction est un neologisme qui fit son apparition en 1965 dans le vocabulaire du francais officiel. Il designe le fait de deconstruire un systeme social ou une notion selon le petit Robert. Cette deconstruction s'apparente davantage a une demarche analytique systematique qui prend le contrepied du systeme interroge en bouleversant ses regles de fonctionnement, sans pour autant detruire le cadre de ses manifestations. DECONSTUIRE n'est pas synonyme de DETRUIRE. La DECONSTRUCTION est avant tout une analyse, et non une rupture ou une destruction. Ce n'est guere , non plus l'antonyme de CONSTRUCTION.

Dans le contexte qui nous preoccupe, le roman traditionnel par rapport au nouveau roman se definit, en paraphrasant Jean Ricardou, comme la lecture d'une aventure. Le nouveau roman se presente comme l'aventure d'une lecture, une deconstruction. Il importe de creer une litterature objective qui n'existe que pour elle-meme. Celle-ci ne cherche pas a representer la realite ( La deconstruction de Luberice est entierement en porte a faux par rapport a la realite haitienne). Elle cree un univers neuf sans aucune coherence en dehors d'elle-meme ( " Une litterature a la limite schizophrenique ou la communication devient circulaire et evolue en cercles concentriques repetitifs ". Keny Bastien). Le mot du nouveau roman ne renvoie a rien d'autre qu'au discours interne du texte. L'adequation du signifiant au signifie devient secondaire. Le fil conducteur du roman se confond a la mouvance meme de l'ecriture. Il n'y a pas de theme central ou dominant. Alain Robbe-Grillet: Les gommes (1953), La jalousie ( 1957 ) , se fait le specialiste de l'hyperdescription qui finit par ne plus correspondre a aucune realite perceptible. Il n'existe pas de linearite du discours, ni de chronologie des evenements.
Michel Butor : L'emploi du temps ( 1956 ), La modification (1957 ) s'est fait le champion d'une certaine atemporalite par la reconstitution d'une temporalite propre au recit. Cette deconstruction chere a Luberice releve d'une sous-conversation chez Nathalie Sarraute : Tropismes (1939 ), Portrait d'un inconnu (1949 ), Martereau ( 1953 ), Le Planetarium ( 1959 ). Elle reproduit a travers ses romans un conflit de generations qui se cristallise autour d'un evenement ou d'un objet insignifiant. Peut-on inviter a la sous-conversation quand une nation entiere est muselee par une classe mercantile, mercenaire et apatride, et de rupture en se referant a une realite faite d'evenements ou d'objets insignifiants?

La DECONSTRUCTION de Luberice prend l'allure d'une figure de style, davantage orientee vers une musique de syllabes qui se referme dans une decevante confusion de sens. Cette deconstruction, je cite Luberice, je l'appelle la rupture historique... Nous devons entamer un questionnement progressif du role de la valeur des valeurs historiques ( Encore la recherche musicale des syllabes au detriment d'un discours significatif : Keny Bastien ) dans la stagnation de la nation haitienne que nous avons le devoir de reconstruire. C'est seulement apres ce questionnement qu'on pourra proceder a la deconstruction. Luberice semble ne pas tres bien comprendre le concept qu'il a lui-meme introduit. Le questionnement progressif est l'outil-cle de l'analyse qui definit la deconstruction dans son champ semantique et conceptuel. Proceder a la deconstruction apres le questionnement accuserait un pleonasme procedurien qui ramene a la litterature schizophrenique evoluant en cercles concentriques evoquee anterieurement.

La DECONSTRUCTION ou ce que LUBERICE appelle la rupture historique sera dialectique, donc il ne saurait etre question de contradiction pure. Qu'estce qui differencie la contradiction pure de la contradiction non-pure? La encore Luberice me deconcerte. Que ce soit pour Hegel ou Camus, les propositions contradictoires forment l'essence meme de la pensee dialectique. These et antithese s'unissent dans une categorie superieure qu'est la synthese de la dialectique hegelienne. Il en sera de meme pour Kant , Marx et Sartre. Luberice continue dramatiquement de s'embourber avec son concept de DECONSTRUCTION.

Je reprends, pour fermer ce premier volet, cette phrase de LUBERICE : L'intelligence de la societe tout entiere devra etre mise en oeuvre pour parvenir a des resultats satisfaisants. Est-ce une phrase de remplissage ou pas? Ici encore je vois en filigrane la deconstruction, qui malheureusement est fondamentalement inapplicable a la societe haitienne. Ce n'est pas notre societe qui est a refaire. On la voit evoluer parfaitement et de maniere tres efficace dans les metropoles occidentales. C'est de preference la classe politique qui doit acceder, comme le developpe R.H. Killick, a un leadership d'execution et non a une deconstruction.

En depit de la faiblesse de l'argumentation, l'incoherence du raisonnement et la superficialite du discours, Luberice s'inscrit dans la classe grandissante des haitiens qui interrogent leur culture pour lui trouver un sens, une legitimite et en meme temps assurer sa particularite et sa perennite. Je m'interesse a tout ce qui touche a mon haitianite. Luberice touche a mon haitianite. C'est pour cette raison que j'ecrivis et reitere : Luberice , tu flirtes avec les theories du nouveau roman, et tu cherches reellement a nous impressionner. Tu restes en superficie, tu fais l'oeuvre d'un demagogue. Tu approfondis et tu deviens createur. A toi de choisir! Tu devrais aller un peu plus loin. Tu as quand meme le merite de tenter l'acte de transfert cognitif qui consiste a appliquer les elements et principes d'un domaine a un autre qui lui est tout a fait etranger. Alain Robbe-Grillet ne t'en voudra pas.


Prochain theme:

Aucun commentaire: