vendredi 1 mai 2009

Des esprits colonisés par les « loas » ou des esprits du XIXe siècle ? Chronique d’une démonstration ratée

Des esprits colonisés par les « loas » ou des esprits du XIXe siècle ?
Chronique d’une démonstration ratée


L’accumulation de faits peut être impressionnante mais ne relève nullement de l’ingéniosité. L’accumulation de faits n’est pas de la démonstration, la description n’est pas l’analyse. En IUT (Institut Universitaire de Technologie), j’avais un professeur qui s’amuse toujours à nous rappeler qu’une fausse démonstration terminée par la mention C.Q.F.D annule l’ensemble de la copie de l’étudiant.

Il parait que le discours tenu sur le vodou est un discours intellectuel. J’avoue ne pas savoir ce que c’est qu’un intellectuel. Ce que je sais c’est que la capacité à accumuler des faits est humaine, elle relève du vécu et non d’une quelconque capacité intellectuelle. Les aprioris et le « sens commun » ne sont pas des savoirs scientifiques peu importe la prétention de leur prétendu auteur.

Au risque de décevoir plus d’un, le CV d’un individu peu importe ses qualités ne saurait renforcer une analyse ou crédibiliser une démonstration. La prolepse n’est pas digne d’une démonstration. Si elle est crédible et sensée la démonstration dans sa cohérence interne se suffit à elle-même. Le Vodou a dès le début fait figure d’« alter » (du latin, autre), celui qui n’est pas d’ici. Il est porté et véhiculé par le nègre. En ce sens, c’est une valeur barbare. J’ai récemment dans une brève réponse à un message sur le vodou fait référence au livre de Laennec Hurbon, Le barbare imaginaire. Si l’auteur de la démonstration ratée avait pris le soin de consulter cet ouvrage, il aurait pu tenir un discours intelligent et intelligible.

Le vodou a été et sera davantage altérisé parce qu’il a fait figure (réelle ou supposée) d’outils d’émancipation. Les savoirs prétendument scientifiques véhiculés par les détracteurs du vodou sont en fait une forme de connaissance cumulant les savoirs socialement transmis et largement diffusées dans la culture coloniale occidentale. C’est une interprétation de la réalité qui conduit à des incompréhensions et à la dénaturation de la culture des exclus.

La colonisation est une chose de terrible. Elle revêt au moins deux dimensions : 1) La colonisation physique (le fait pour le colon d’occuper le territoire indigène) qui est matérielle. 2) La colonisation immatérielle qui renvoie aux valeurs socialement transmises, aux mécanismes de légitimation qui rendent la colonisation matérielle plus ou moins admissible et acceptable.

En effet, 1804, à cause de sa nature, n’a eu d’effets que sur la première dimension de la colonisation. C'est-à-dire la colonisation matérielle. Elle a été l’occasion pour les actants de se libérer de la colonisation physique. Mais en vérité la colonisation physique est loin d’être la plus terrible.

Une fois l’indépendance acquise, les élites ont délibérément/ ou malgré elles choisi de garder les valeurs occidentales et coloniales qui consistent à altériser les valeurs nègres, à ne voir dans la civilisation africaine qu’une vulgaire culture sauvage et à inférioriser le nègre. Ces valeurs et ces manières de considérer l’autre qui sont le fait du colon ont été reprises par les haïtiens au point de « s’autoaltériser ». L’haïtien est donc fier de dire je suis un autre.

N’est-ce pas Frantz Fanon dans Peau noire Masque blanc qui a su le mieux mettre en exergue le dilemme du nègre. Le nègre se trouve perpétuellement dans « un dédoublage du moi ». Il y a le « moi » originel, qui est le moi de l’haïtien en tant que nègre avec sa culture de nègre d’un coté, et le « moi » idéal, de l’autre. Le « moi » idéal est en réalité le « moi » de l’ancien maître avec les valeurs judéo-chrétiennes et singulièrement sa couleur « blanche ». L’haïtien, et surtout l’élite haïtienne se trouve constamment à la recherche de ce « moi idéal » qu’il n’arrive pas à atteindre. Et à chaque fois que cela se produit, il se met en colère contre « les exclus ». C’est-à-dire la majorité de la population haïtienne. Celle qui n’arrive pas à manger à sa faim, et que pour s’extraire de sa piteuse condition matérielle d’existence doit s’abandonner dans un au-delà que lui procure le vodou. Dans cet au-delà, il oublie quelques instants sa condition d’exclus et d’exploités.

Alors la pauvre et crétine élite haïtienne ne veut pas ou ne peut pas s’attaquer à la condition matérielle d’existence désastreuse des exclus. Elle préfère chercher un bouc émissaire qui ne sait même pas se défendre : le vodou. Mais quelle est cette élite qui accapare toutes les richesses, économiques sociales, politiques, culturelles et symboliques, se montrant incapable d’améliorer les conditions de la masse, préfère la culpabiliser.

Quelle est cette élite dont l’incapacité à adopter les valeurs occidentales qu’elle prône est avérée préfère, au lieu de se remettre en question à travers ses pratiques, se cacher derrière un bouc émissaire qui est le vodou. Quelle est cette élite, se montrant incapable de produire un discours anthropologique et sociologique intelligent sur le vodou préfère s’accaparer des discours sociaux produits par les européens du XIXème siècle (dont de Gobineau) pour nous faire croire qu’elle est intelligente et qu’elle maitrise la science, qu’elle peut produire un discours intelligent et intelligible sur le vodou.

Arrêtez, vous êtes ridicules ! Vous ne nous ferez pas croire que ce discours vous appartient. Il est aux européens, rendez-le-leur ! Mettez-vous au boulot pour produire un véritable discours anthropologique et sociologique qui soit intelligible. Dire cela ce n’est pas être colonisé par des « loas » mais c’est vous demander gentiment de vous débarrasser de l’esprit colonial du XIXème siècle pour vous mettre en fin à l’heure !


Renald LUBERICE

Paris, 01/05/08

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