jeudi 29 octobre 2009

Mon pays est une nécessité de « rupture » historique.

Mon pays est une nécessité de « rupture » historique.

Les femmes et les hommes se rebellent. Des groupes sociaux souvent hétérogènes s’allient pour s’attaquer à la structure sociale, économique et politique qui, à leurs yeux, ne répond pas à leurs attentes. Ils s’emploient à transcender leurs conditions matérielles d’existence. En résistant par tous les moyens à l’oppression, ils s’attaquent au système institué qui est appelé à changer ou à « mourir ». Le combat contre le système institué, l’ordre établi, est un processus de constitution du chaos. Mais un chaos salvateur. Il se fait dans l’espoir que du chaos s’émergera un nouvel ordre correspondant à notre volonté. La révolution c’est l’incertitude. La peur de cette incertitude inspire nombre « d’esprits conservateurs ». C’est un pari sur l’avenir porté par l’incertitude du « devenir-révolutionnaire », pour ainsi reprendre un concept cher à G. Deleuze. Si une révolution a su donner telle chose, elle aurait pu en donner telle autre. Autrement dit, la Révolution Française a permis l’avènement du gouvernement représentatif et d’un nouveau type de bourgeoisie, la Révolution Haïtienne a fini par donner ce qu’elle a donné. Mais chacune de ces deux Révolutions congénitales aurait pu donner tout autre chose. L’Haïti ou la France d’aujourd’hui n’est autre chose qu’une possibilisation de ces deux processus de constitution du chaos. Possibilisation signifie ici, l’un des résultats possibles (avec l’idée de probabilité).

L’Haïti d’aujourd’hui n’est pas la conséquence directe et obligée de l’histoire. Mais une des possibles conséquences de l’agir de nos prédécesseurs. C’est, autrement dit, une des possibles conséquences de notre passé historique. Sur ce même passé historique Haïti aurait pu autrement « s’autoinstituer » (dans le sens de C. Castoriadis). C’est –à –dire ne pas instituer le chaos comme ordre social. C’est l’une des grandes différences entre ces deux Révolutions congénitales. Du chaos que constitua la Révolution Française, s’est émergée une bourgeoisie un petit peu différente de celle d’avant. Du chaos que constitua la Révolution Haïtienne s’est émergé le chaos comme ordre social, pour ne pas dire qu’elle a engendré un Rien. Le risque bien connu des révolutions est le risque qu’elles tournent mal. Ou qu’elles engendrent des monstres. Entre autre chose, la Révolution Anglaise a engendré Cromwell, la française Napoléon, la russe Staline ! Mais dans chacun de ces cas un autre ordre social est émergé du chaos révolutionnaire. Dans le cas haïtien, on est encore dans le chaos révolutionnaire. A force de perpétuation de ce chaos, il devient l’ordre social même. Et ça, c’est original dans les processus révolutionnaires connus.

Preuve en est que 1804 reste encore la référence explicite ou implicite des pratiques discursives et politiques en Haïti. Pas en ce qu’elle a de glorieux, d’universel. Mais comme processus de constitution du chaos prometteur d’un nouvel ordre social. Nous œuvrons, en tant que peuple, constamment dans le sens de ce processus de constitution chaotique. Des gens censés bien sensés ne font pas la différence entre une proclamation de J.J. Dessalines visant à réunir les haïtiens contre un ennemi extérieur d’il y a deux siècles – et par là même cimenter la nation -, et une situation chaotique produisant une présence étrangère hybride mi-mission/mi-occupation (une espèce de « missopation », quoi !). Alors, ils claironnent avec ferveur sur Internet: « liberté ou la mort ! ». Ils confondent, malgré eux, une situation de déshumanisation où les déshumanisé-e-s, à juste titre, sont déterminé-e-s à s’affranchir quitte à mourir, et une situation ou des citoyens estiment que leur pays n’est plus indépendant (à cause de la « missopation ») et réclament en conséquence l’indépendance. Situation créée en grande partie par « nous », faut-il le rappeler ? Ces pratiques discussives et les violences politiques (du genre père Lebrun) sont reprises comme en 1804. Le processus du chaos veut que la violence physique soit par tout, donc incontrôlée ; la contestation soit le but principal. La perte de contrôle de la violence physique légitime par l’Etat est l’une des conditions de la réussite de la constitution du chaos.

L’ordre social qu’a promis 1804 ne s’est pas encore émergé. On est dans le chaos révolutionnaire institué. Les discours révolutionnaires qu’on entend aujourd’hui sont tout, sauf révolutionnaires. Puisqu’ils vont dans le sens de l’ordre social institué, c'est-à-dire le chaos. Ils ne permettent pas de sortir de cet ordre social mais de le perpétuer ou de le conserver. La démarche consistant à construire le chaos dans le chaos est tautologique et non révolutionnaire. La démarche révolutionnaire est celle qui consiste à « construire » (ou faire émerger) un nouvel ordre social du chaos. C’est ce que je prône et que j’appelle rupture historique. Je dirai qu’une révolution vise à établir une instabilité politique et sociale provisoire pour pouvoir ensuite faire émerger un nouvel ordre social. Mais lorsque l’instabilité politique et sociale devient permanente, s’institue, une démarche visant à la perpétuer n’est pas révolutionnaire mais conservatrice. Les conservateurs se reconnaîtront dans mon discours. Ce dont mon pays, notre pays, a besoin est une rupture historique pour ne pas dire une révolution. Celle-ci a pour leitmotiv la stabilité politique : gage de la prospérité économique et sociale. L’ensemble de nos démarches doivent aller dans sens. La volonté de s’accrocher au pouvoir ou de contester tout et n’importe quoi est centrale dans le chaos comme ordre social qui s’est émergé du chaos de 1804. C’est cela qu’il faut combattre.


Québec, le 23/10/2009
Renald LUBERICE*

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