samedi 9 janvier 2010

science et Idéologie : la touche de Ray

Amis-lecteurs,
Renald,
Guichard,

Encore de très intéressantes réflexions de Renald qui ne cesse depuis quelques temps de nous transporter dans de plus hautes sphères de la pensée. Je l'en remercie infiniment. Ce genre d'échanges apporte un démenti flagrant à ceux qui pensent que nous sommes incapables de penser sans Google ou de composer toute pensée cohérente sans plagier. Comment peut-on entretenir de tels préjugés vis-à-vis de professionnels haïtiens qui produisent du savoir, du savoir-faire dans les boîtes occidentales et qui sont à l'avant-garde de la spécification des nouvelles technologies de pointe ? C'est à croire que tout ce qui vient de l'Haïtien ne peut être que du réchauffé sans originalité aucune. Ce genre d'attitude traduit le mépris inculqué sur les bancs de l'école élitiste haïtienne où l'esprit déformé par la formation importée glorifie tout ce qui est étranger au détriment de ce qui provient de l'Haïtien. C'est là un trait étranger aux Chinois et aux Indiens avec lesquels j'ai travaillé toute ma vie et qui croient en leur capacité à faire entendre leur propre voix parmi les premières du monde. Ceux qui sont vraiment cultivés apprécieront avec respect les efforts de réflexion et de composition de leurs compatriotes qui les invitent à la réflexion sérieuse sur des sujets divers. Bref, passons à ce débat science-idéologie.

Je dois noter toutefois, avant d'aborder le vif du sujet, que le prix Nobel de 1921 décerné à Einstein en 1922, ne fut nullement une acceptation de sa théorie (relativité générale) que seulement une poignée de physiciens comprenaient vraiment à l'époque. La relativité générale n'a jamais été célébrée par un prix Nobel par jalousie, mauvaise foi, antisémitisme et obscurantisme combinés des savants du comité Nobel. Le prix de 1921 lui fut décerné pour ses "services à la physique théorique (theoritical physics) et surtout pour sa découverte de l'effet photoélectrique" qui n'est qu'une goutte dans l'océan par rapport au monument éternel qu'est la relativité générale. Les membres du comité du Nobel étaient incapables d'apprécier la relativité que l'un de leurs membres, le détracteur le plus perfide et le plus puissant d'Einstein, Philipp Lenard se plaisait à dénigrer. De fait, quand un journaliste approcha Sir Arthur Eddington au sujet de la relativité, il lui demanda :

-- On dit qu'il n'y a que trois physiciens sur Terre à comprendre la relativité générale (1915), Einstein, un autre et vous.
-- Je ne connais pas l'autre, répondit Eddington, pour signifier qu'on était aux cîmes glaciales de la pensée humaine.

(Un peu exagéré, mais proche de la réalité.)

La théorie de la relativité demeure toujours difficile. On ne l'enseigne d'ailleurs pas dans le cursus du premier cycle universitaire (B.S.) où Newton est toujours de vigueur même dans les écoles polytechniques. On enseigne Newton à l'école secondaire, car l'univers newtonnien est un modèle mathématique effectif de notre univers de tous les jours même s'il manque de précision en Cosmologie. C'est pour cela que les écoliers du secondaire et la majorité des étudiants des premier et deuxième cycles universitaires sont enseignés et régurgitent des concepts érronés tels, par exemple, cette notion de force gravitationnelle (pesanteur) qu'exerceraient deux corps célestes l'un sur l'autre et la Terre sur tout être ou object dans son champ; il n'en est rien. Einstein a renversé ce concept de force en le remplaçant par l'effet due à la courbure de l'espace-temps (the curvature of space-time), elle-même causée par l'énergie sombre et la matière (sombre et visible) ambiantes. Pour Newton, l'espace (3 dimensions) et le temps ne participent pas aux événements de l'univers. Pour Einstein, ils en font partie inhérente, acteurs de tout décor; il remplace le temps absolu de Newton par le temps personnel; ce qui importe est le mouvement relatif des objects. Deux observateurs qui se déplacent l'un par rapport à l'autre ont chacun leur propre temps. C'est d'ailleurs ce qu'illustre le paradoxe (qui n'en est pas un) des frères jumeaux (twin paradox); un qui reste sur Terre et l'autre qui voyage à la vitesse de la lumière vers le Cosmos en direction de l'Alpha du Centaure, l'étoile la plus proche de notre étoile solaire. Celui qui voyage retourne environ 4 ans 2 mois plus jeune que celui qui reste sur Terre.

Quand l'église catholique voulut passer à la vitesse supérieure au-delà de la preuve scientifique d'un commencement de l'univers pour prouver l'existence de Dieu, le Vatican a voulu utiliser les résultats de George Lemaître (atome premier/primeval atom).

Cependant, ces remarques prouvent-elles que la science se fait mal ? Pourquoi ne remplace-t-on pas Newton à l'école (là où il avait tort) ? Tout simplement parce qu'au delà des concepts erronés, Newton est toujours effectif pour nos besoins quotidiens, même quand, par exemple, son modèle prédit seulement la moitié de ce que la déviation de la lumière devrait être dans le champ gravitationnel solaire. Alors que le modèle d'Einstein la prédit correctement. Il faudrait qu'on réécrive tous les livres de physique. Mais à quoi bon ? Quand l'église s'appuyant sur la preuve scientifique d'un commencement (Big Bang), pour prouver l'existence de Dieu, la science est-elle imputable ?

Doit-on blâmer la science ou les scientifiques ou ceux qui influencent ces derniers ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord se demander qu'est-ce que la science ? La définition adoptée par la majorité des scientifiques nous vient de celui qui est considéré comme le plus grand philosophe de la science, Karl Popper. Cependant, il est préférable avant de comprendre la démarche de Popper de revoir comment Popper est interprété par Stephen Hawking, professeur Lucasien de mathématiques à Cambridge et celui qui avec Roger Penrose a établi que les équations d'Einstein montrent que l'univers a un commencement dans le Big Bang (the primeval atom de George Lemaître du Vatican) et une fin : "Une théorie scientifique est un modèle mathématique qui décrit et codifie nos observations. Une bonne théorie décrit une multitude de phénomènes sur la base de quelques postulats simples et fait des prédictions qui peuvent être vérifiés. Si les prédictions sont en accord avec les observations, la théorie survit ce test, quoiqu'on ne puisse jamais prouver qu'elle est correcte. Si les observations contredisent les prédictions, la théorie doit être rejetée ou modifiée. (C'est ce qui devrait se passer. Cependant, dans la pratique, on questionne souvent la qualité des observations et la fiabilité et le caractère moral de ceux qui les conduisent.)" (Stephen Hawking, The Universe in a Nutshell, Cambridge, May 2, 2001).

Cet énoncé de Stephen Hawking illustre bien la philosophie de la science de Popper qui se base sur le caractère réfutable de la théorie scientifique. Toute assertion ou théorie ne peut être scientifique que si elle est capable d'être réfutée par l'observation, c'est-à-dire si on peut la tester. Si on accepte une telle définition de la science, une idéologie qui établit sa vérité indiscutable ne peut pas être scientifique car elle ne permet pas qu'on la réfute. Une idéologie de la science ne serait pas non plus scientifique (???)

Par exemple, l'attitude du Vatican visant à prouver par la science l'existence de Dieu participe de l'influence religieuse sur la conduite du scientifique. La proposition que notre univers n'est qu'un parmi tant d'autres d'un multiverse passe-t-elle le test de Popper ? Les "clinical trials" des grandes firmes pharmaceutiques ou de biotechnologie sont-ils à l'abri des influences de ces dernières ? Dans tous ces cas, il s'agit d'interventions externes relatives à la méthodologie scientifique qui peuvent l'altérer et dont les conséquences sont donc susceptibles d'être identifiées et corrigées éventuellement.

Quand les physiciens de la théorie de la gravitation quantique ajoutent 6 ou 7 dimensions supplémentaires qu'ils n'ont jamais observées aux quatre dimensions de la relativité générale, font-ils de la science ou pas ? (Gravitation quantique : théorie qui vise à unifier la relativité générale et la mécanique quantique au voisinage des "trous noirs" [Black Holes] où les deux effets se manifestent.)

Oui, selon Hawking qui déclare que cette théorie et les autres théories rivales telles que Super-string Theory présentent ce qu'on appelle des dualités entre elles qui, si on s'en foutait serait "équivalent à penser que Dieu a placé des fossiles dans les strates géologiques rien que pour induire Darwin en erreur quant à l'évolution des espèces". Et non, selon ceux qui pensent qu'on introduit des dimensions non observables donc non-réfutables selon le critère de Popper. Mais une telle conclusion pourrait se révéler prématurée selon des observations planifiées pour 2010.

Il y a d'autres philosophies de la science telles que celle d'Howson basée sur une approche Bayésienne (ceux qui ont étudié la théorie des probabilités connaissent le théorème de Bayes/conditional probability). En un mot, ici le travail des scientifiques n'est pas de réfuter comme chez Popper mais d'accumuler les évidences en faveur d'une théorie. Et quand il y a des théories rivales comme c'est le cas en physique théorique recherchant une théorie du champ unitaire, les scientifiques les évaluent l'une par rapport à l'autre en accumulant les évidences.

En fin de compte, quelle que soit la philosophie de la science, aucune thérorie scientifique ne peut être acceptée sans l'observation empirique. Et c'est justement ce qui différencie la science des autres activités de la pensée humaine qui restent hermétiques à toute critique. Qu'on l'oriente selon une idéologie ou des intérêts économiques et stratégiques, ce qui arrive d'ailleurs le plus clair du temps, la méthodologie employée reste sujette à la critique, et les observations à la réfutation éventuelle ou la vérification des prédictions. C'est dans cette optique que Renald dit judicieusement : "Il faut concevoir la vérité scientifique dans sa provisoirité. C’était vrai en 1600, c’est encore vrai aujourd’hui et ce sera probablement vrai demain." (Je dirais certainement.)

On ne peut pas dire autant pour l'idéologie. Les idéologies meurent d'ailleurs, mais la science, si elle mourrait, ce serait la fin de l'humain, de la pensée.

Renald poursuit : "Or la principale idéologie de la science constituée est le fait de faire croire qu’elle n’a pas d’idéologie." La science est une idéologie dans le sens qu'il y a une manière de faire la science (méthodologie propre à chaque science) qui n'a pas changé et qui ne se laisse pas changer faute d'alternatives valables jusqu'ici. (Évidemment, après 3 révolutions industrielles spectaculaires qui ont causé la crise de l'environnement, le moment n'est-il pas venu d'apporter de nouvelles dimensions à la pratique de la science ? Une théorie scientifique est-elle acceptable si elle ignore le paramètre environnement ou débouche sur des pratiques qui portent atteinte à notre écosystème ?) L'épistémologie est également idéologie. Nous éduquons nos jeunes scientifiques et ingénieurs dans la manière de pratiquer la science. Il n'y a pas à sortir de là. Par contre, une théorie scientifique n'est pas une idéologie dans le sens que ses démonstrations et ses prédictions restent sujettes à la réfutation ou à la vérification empirique. La théorie scientifique peut être réfutée ou modifiée.

Par contre, l'idéologie n'est pas la science en ce sens qu'elle ne laisse pas changer ses observations, prédictions et représentations. Et ceci même si l'idéologie emprunte une méthodologie scientifique, une fois son modèle formulé, ce modèle est au-dessus de toute critique.

Il faut noter que Thomas Khun (The Structure of Scientific Revolutions) s'était intéressé aux processus historiques qui pourraient permettre à une idéologie de s'adapter à la réalité socio-politique et économique. Cependant, nous savons empiriquement que cela s'est jusqu'ici révélé futile, car la tendance historique générale est que les idéologies meurent et se remplacent à mesure que leurs modèles statiques ne répondent plus aux besoins de la société ou du groupe.

Ray H. Killick

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