jeudi 7 janvier 2010

Science et idéologie

Science et idéologie

Voilà maintenant deux ans que Dore a publié dans Le Matin l’article intitulé « l’idéologue est il un scientifique?». M’appuyant sur Callon et Latour, j’y ai répondu en mettant accent sur certaines controverses en cours à propos de la sacrosainte neutralité scientifique. Dore a jugé bon de republier sur le net ces articles, ce qui ne peut être que salutaire pour tous ceux et toutes celles s’intéressant à la question. Ray Killick a apporté une judicieuse touche à l’édifice. Je ne m’efforcerai pas ici de contredire ce qui a été judicieusement dit mais de prolonger la discussion.

En effet, la perception, la lecture du réel quadridimensionnel (trois d’espaces et un de temps) qu’est la réalité n’est pas dépourvue d’enjeu de pouvoir, de prestige réel et/ou symbolique. Elle ne l’est pas moins lorsqu’elle est appréhendée par la science. Il faut concevoir la vérité scientifique dans sa provisoirité. C’était vrai en 1600, c’est encore vrai aujourd’hui et ce sera probablement vrai demain.

Lorsque Bruno Giordano adhéra au système de Copernic il fut brulé. Il fut, avant Einstein, des notions physiques qu’on croyait des mieux établies. Pourtant en 1921, la communauté scientifique, à travers le prix Nobel, approuve sa théorie qui bouleversera la physique et le monde.

La position de Giordano Bruno par rapport à la découverte copernicienne fut punie parce qu’elle ne correspondait à « l’idéologie scientifique » ou l’idéologie tout court de l’époque. Elle remit en cause une vérité sur laquelle l’église pensa devoir compter.

J’utilise volontiers ce thème de Ganguilhem, « idéologie scientifique » pour marquer mon opposition à l’opposition tranchée entre Science et Idéologie. Ganguilhem a fait remarquer qu’une idéologie scientifique est une proto-science dans la mesure où elle est immature et qu’elle se repose sur une science constituée. Les méthodes utilisées en proto-science sont approximatives. L’idéologie comble le manque de précisions de la proto-science.

Là où Ganguilhem s’est probablement fourvoyé c’est en laissant entendre que la science constituée du fait de l’utilisation de méthode précise n’a pas d’idéologie. Or la principale idéologie de la science constituée est le fait de faire croire qu’elle n’a pas d’idéologie. La situation est encore plus préoccupante lorsque les sciences humaines et sociales, c’est surtout le cas en Amérique du Nord, « pensent » devoir utiliser des méthodes de sciences dites dures pour se faire une stature de science constituée et de ce fait dépourvue d’idéologie.

La science qu’on croit constituée l’est en fonction des acquis du moment. Il peut ne plus l’être demain. C’était le cas pour la médecine, la biologie et l’anthropologie du XIXe siècle lorsque leurs objets d’étude étaient les non-européens. Pourtant ces sciences-là revendiquaient pour la plupart le statut de science « constituée ».
Du fait qu’on ne fait pas de science pour la science, que la science a des applications sociotechniques, c’est être idéologue que de dire que la science n’est pas idéologique.

jeudi 7 janvier 2010
Renald LUBERICE

Aucun commentaire: