lundi 31 mars 2008

Les récentes élections au Kenya : paisibles et/ou controversées ?

Les récentes élections au Kenya : paisibles et/ou controversées ?

Introduction

Dans les régimes contemporains de démocratie dite représentative, l’élection est « l’instrument démocratique par excellence »[1] contrairement à la démocratie athénienne où « le tirage au sort /…/ paraissait le mieux apte à respecter l’égalité stricte des candidats »[2]. La manière dont se sont déroulé des élections dans un pays joue désormais le rôle d’indicateur qui permet de mesurer le degré de la démocratie qui elle devient à la fois normative et morale « dans les luttes d’influence sur la scène internationale »[3]. Le Jeudi 27 décembre 2007 des élections générales ont lieu au Kenya – pays revenu en 1991 « au multipartisme après plus d’une vingtaine d’année de vie politique sous parti unique »[4] - avec deux grands favoris: Mwai Kibaki, président sortant, et son ancien allié Raila Odiga. Les résultats de ces élections accordant la victoire au président sortant allaient très vite être contestés par l’opposition donnant ainsi lieu à de violents affrontements entre les partisans des deux camps, affrontements qui seront interprétés par de nombreux médias et commentateurs politiques comme des conflits interethniques[5]. Comment les acteurs – l’opposition et les observateurs - justifient-ils cette controverse ? Pourquoi certains choisissent-ils de qualifier les violences qui s’en suivent de « guerre interethnique »[6] ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans ce travail bidimensionnel. Il s’agira dans un premier temps d’une contextualisation (interne et externe) des récentes élections kenyanes avec une présentation sommaire des faits et ensuite nous aborderons le pays à travers le paysage sociopolitique bien particulier –stabilité - qu’il présente ou qu’on présente de lui.

1. Elections : contextualisation

Dans cette partie nous nous efforcerons de contextualiser brièvement le déroulement des dernières élections kenyanes (déc. 2007) en essayant primo de retracer les principaux faits, et secundo de les situer dans le « climat interne » du pays et plus généralement la « configuration géopolitique régionale » de l’Afrique orientale. Cependant il ne peut nullement s’agir d’un traitement exhaustif ni approfondi dans un travail aussi sommaire, nous vous prions donc de nous accorder le bénéfice d’une approche ‘allusive’.

1.1. Les faits

Le 27 décembre 2007 ont lieu des élections générales au Kenya, avec plus de 14 millions d’électeurs, dans un contexte où, d’un coté « l’opposition redoute [dores et déjà] des fraudes »[7], et de l’autre des observateurs internationaux dénoncent les violences dans la campagne. A la veille du scrutin l’observateur envoyé par l’Union Européenne Alexander Graf Lambsdorff déclare : « Nous avons noté avec inquiétude le niveau de violence (...) pendant le processus électoral, en particulier (dans les régions de) Kuresoi et du Mont Elgon »[8]. Un premier bilan des résultats partiels donnait une avance de plus d’un million de voix sur 8 millions au candidat de l’opposition Raila Odinga, avance qui allait être effondrée peu de temps après. Dans beaucoup de cas « les fonctionnaires chargés de l’acheminement des résultats compilés dans les circonscriptions ont purement et simplement disparu »[9], des bulletins et d’autres documents officiels n’ont pu être trouvés, de nombreuses autres irrégularités ont été recensées dans le processus de décompte[10]. C’est dans ce contexte que « l'opposition, représentée par le candidat Raila Odinga, revendique la victoire sur la base du dépouillement d'un peu plus de 75% des voix, mais [que] le président sortant Mwai Kibaki refuse de reconnaître sa défaite. »[11] Cependant ces élections controversées et les violences qui allaient s’en suivre ne sont « compréhensibles » que si on les situe dans le contexte socioéconomique du pays mais aussi, dans une perspective plus large dans le contexte géopolitique de l’Afrique Orientale – guerre en Somalie, tensions entre l’Ethiopie et l’Erythrée, etc.

1.2. Contexte interne, externe ou régionale

Cette République au climat très diversifié de 30 990 000 habitants à la superficie de 582 647 KM² à la limitrophe du Soudan et de l’Éthiopie au nord, la Somalie à l’est, l’Ouganda à l’ouest et la Tanzanie au sud a vu, suite aux conflits postélectoraux, 300 000 de ses habitants déplacés et séjournés dans 300 camps répartis de la vallée du Rift vers l’Ouest du pays. Les violences ont déjà fait plus de 1.500 victimes depuis le début de l’année.

Le Kenya a une capacité d’autosuffisance pour l’ensemble des denrées alimentaires de base. C’est un grand exportateur de café, de thé et de fleurs. Le pays connaît toutefois des inégalités régionales criantes susceptibles d’attiser les conflits. Selon le Baromètre de décembre 2007 du Heidelberg Institute for International Conflict Research. Une hausse des conflits a été constatée dans la région notamment dans « la zone poudrière des Grands Lacs (Rwanda, Burundi, Ouganda, Kenya et République démocratique du Congo), du lac Kivu au lac Tanganyka, la région de la corne de l’Afrique (Somalie, Éthiopie, Érythrée)[12] etc. C’est dans ce contexte régional qu’est survenu les conflits électoraux au Kenya.

2. Kenya : une situation bien particulière ?

Le Kenya présente souvent les caractéristiques d’un pays ayant une situation socio-économique différente de ses voisins grâce à l’image de stabilité qu’il projette. Cette partie sera une tentative de problématisation de cette image face aux récentes irrégularités électorales et les conflits qui s’en sont suivis.

2.1. Simples irrégularités électorales ou l’effondrement de l’image du Kenya stable ?

Ces irrégularités électorales qui ont débouché sur ces vagues de violences sont en réalité révélatrices d’un « malaise profond »[13] de la société kenyane, « ce pays d’Afrique de l’Est considéré comme un pôle de stabilité dans une région très troublée »[14]. Cependant cette vision de « stabilité » dans beaucoup de cas ne tient pas compte de la question de la distribution des richesses et notamment la question agraire.

En effet, « jusqu'au début des années quatre-vingt, le Kenya était réputé pour sa stabilité Politique »[15] mais la tentative de coup d’Etat de 1982 allait de facto remettre en question cette image rassurante avec l’irruption des populations urbaines dans l’arène politique, l’essor du nationalisme ethnique, les difficultés économiques aggravées par l’application du plan d’ajustement structurel et l’autoritarisme politique. Les années 90 allaient voir le retour du multipartisme après plus de deux décennies de parti unique[16]. Des politiciens habiles peuvent toujours chercher à s’appuyer sur le malaise social en vue de la conquête du pouvoir et raviver (ou créer) les tensions que certains observateurs ne sauraient tarder à qualifier de « guerre ethnique ».

2.2. « Guerre interethnique », un qualificatif facile ?

Effectivement, il y a souvent un problème de séparatisme dans certains pays africains, mais ce n'est pas le cas au Kenya. C'est important, car dans les explications données aux guerres ethniques, il y a ces fameuses frontières décidées par la colonisation, taillées à l'emporte-pièce qui font que les états sont fragiles. Mais le déclencheur du conflit kenyan c’est le résultat des élections et non une quelconque animosité ethnique.

Cependant la répartition du pouvoir politique et économique s’est pendant longtemps appuyée sur une base ethnique. Au début des années 90 on a observé que « environ 300 000 habitants de la vallée du Rift vivent dans des camps, victimes des opérations de purification ethnique menées par des élites voulant expulser les « étrangers » Kikuyu, Luo et Luhya de « leur » territoire. »[17] On peut affirmer que ce sont des politiciens habiles qui utilisent des motifs ethniques en vue de s’approprier le pouvoir.

Conclusion

L’élection est un moyen d’expression dans le champ bien spécifique que constitue l’arène politique, moyen d’expression qui n’est pas détaché de la réalité socioéconomique du pays. Qu’il s’agit du Mexique ou de l’Ukraine (révolution orange), une fois exprimées ses voix, le peuple cherche toujours à faire respecter son choix. Cela peut se faire de manière pacifique (setting au Mexique) ou parfois de manière violente si le contexte sociopolitique est favorable à la violence. C’est en ce sens qu’on peut comprendre les controverses électorales Kenyanes qui avaient l’air de s’appuyer sur des problèmes ethniques existants. Cependant ce n’est pas le problème ethnique qui est à la base du conflit mais des controverses électorales. Ces conflits surviennent souvent dans des contextes où la démocratie n’est pas tout à fait consolidée, mais ne pourraient-ils pas survenir également dans n’importe quel pays s’il y avait des irrégularités électorales criantes ?

Bibliographie

- Bernard Manin, Principe du gouvernement représentatif,

- Denis-Constant Martin (dir.), Nouveaux langages du politique en Afrique orientale, paris, Karthala-IFRA, 1998

- Chris Thomas, « Le Kenya d'une élection à l'autre Criminalisation de l'Etat et succession politique (1995-1997) », CERI, L e s É t u d e s d u C E R I N° 35 - décembre 1997

- Daniel, Bourmaud, « Les élections au Kenya : tous derrière et Moi devant.. . », Politique africaine, numéro 031085

Sitographie

- « Le Kenya au bord de la guerre interethnique » Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/international/2008/01/02/01003-20080102ARTFIG00190-le-kenya-au-bord-de-la-guerre-interethnique.php consulté le 30/03/08

- « Le Kenya en eaux troubles », JDD, http://www.lejdd.fr/cmc/international/200752/le-kenya-en-eaux-troubles-_82501.html

- CERI, http://www.ceri-sciences-po.org/publica/etude/etude35.pdf

- AJANews 64 - Spécial Kenya - février 2008, http://www.jesuitaids.net/htm/news/64FRA.pdf

- Desiré Baere, « Elections au Kenya : Kibaki et Odinga se disputent le pouvoir », http://www.afrik.com/article13233.html consulté le 30/03/08

- Jean-Philippe REMY, « Kenya : Un document révèle l’étendue des fraudes électorales », Le Monde, 1er Janvier 2008, http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=10134 consulté le 30/03/08

- Rémi DUCHEMIN, « Le Kenya en eaux troubles », JDD, http://www.lejdd.fr/cmc/international/200752/le-kenya-en-eaux-troubles-_82501.html consulté le 30/03/08

- http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/031085.pdf



[1] Bernard Manin, Principe du gouvernement représentatif,

[2] Idem

[3] Denis-Constant Martin (dir.), Nouveaux langages du politique en Afrique orientale, paris, Karthala-IFRA, 199, P. 7

[4] Idem P. 29

[5] « Le Kenya au bord de la guerre interethnique » est par exemple le titre d’un article paru dans Le Figaro, voir http://www.lefigaro.fr/international/2008/01/02/01003-20080102ARTFIG00190-le-kenya-au-bord-de-la-guerre-interethnique.php consulté le 30/03/08

[6] idem

[7] Désiré Baere, « Elections au Kenya : Kibaki et Odinga se disputent le pouvoir », http://www.afrik.com/article13233.html consulté le 30/03/08

[8] Rapporté par Désiré Baere, OP. Cit.

[9] Jean-Philippe REMY , « Kenya : Un document révèle l’étendue des fraudes électorales », Le Monde, 1er Janvier 2008, http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=10134 consulté le 30/03/08

[10] idem

[11] Rémi DUCHEMIN, « Le Kenya en eaux troubles », JDD, http://www.lejdd.fr/cmc/international/200752/le-kenya-en-eaux-troubles-_82501.html consulté le 30/03/08

[12] Cité par Nouh El Harmouzi in « Ethnisme, multipartisme et violences en Afrique », www.afrik.com, consulté le 31/03/08

[13] Nouh El Harmouzi, « Ethnisme, multipartisme et violences en Afrique », op. cit.

[14] Desiré Baere, « Elections au Kenya : Kibaki et Odinga se disputent le pouvoir », http://www.afrik.com/article13233.html consulté le 30/03/08

[15] Chris Thomas, « Le Kenya d'une élection à l'autre Criminalisation de l'Etat et succession politique (1995-1997) », CERI, L e s É t u d e s d u C E R I N° 35 - décembre 1997, P. 2

[16] Idem

[17] Chris Thomas, op. cit.

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