lundi 5 mai 2008

Tchernobyl : une des conséquences possibles de l’action de l’homme ?

Tchernobyl : une des conséquences possibles de l’action de l’homme ?


Nous nous tacherons à travers une revisite problématisée des circonstances de la catastrophe de Tchernobyl à montrer l’impossibilité pour cet « être ordinaire et faible qu’un rien peut détruire »[1] qu’est l’homme de maîtriser la finalité de ses actes à moyens et à long terme et d’en prévoir les conséquences éventuelles. Ce regard est tridimensionnel. La première partie est consacrée aux faits. La deuxième à la dimension politique de l’événement tant à l’échelle nationale qu’internationale. Et en fin, nous mettrons accent sur les conséquences passées, actuelles et futures de la catastrophe et ce qu’elle peut nous enseigner.

1. Les faits

Ce jour de 26 avril 1986, où est survenu la catastrophe, rappelle à l’humanité toute entière un défi : celle de prévoir la finalité et les possibles conséquences de ses actes. Mais, c’est aussi le jour qui allait plonger le peuple ukrainien (URSS) et ses voisins les plus proches dans une souffrance inédite qui aura des répercussions sur des générations entières. Cette partie s’attelle à retracer les circonstances du drame.

1.1. Un drame ukrainien sous « commandements de l’URSS »

Il y a 22 ans que la centrale nucléaire de Tchernobyl, situé dans la partie Nord de l’Ukraine, suite a un accident d’envergure, rejette dans l’atmosphère d’énormes quantités de substances radioactives. Substances qui allaient être dispersées dans l’hémisphère nord à travers l’Europe. Un jour plus tôt des opérations de maintenances devaient être effectuées à la tranche 4 de la centrale nucléaire. Les responsables devaient s’assurer que la centrale était apte à fournir de l’énergie électrique suffisante pour le fonctionnement du système de refroidissement du cœur du réacteur « et les dispositifs de secours pendant la période de transition entre une perte d’alimentation électrique générale de la centrale et la mise en route de l’alimentation électrique de secours par les groupes diesel »[2]. Une erreur humaine engendrée par un manque d’information et de coordination serait à la base du plus grand accident de l’histoire nucléaire civile. Mais des imperfections résultant de la conception du réacteur aurait amplifié la probabilité qu’un accident survienne. « La dispersion d’une grande partie du cœur du réacteur dans l’environnement, a soulevé de nombreux problèmes de « gestion », liés non seulement au traitement des personnes gravement exposées, mais aussi aux décisions qui ont dû être prises concernant la population. »[3] Cette association de facteurs a provoqué une explosion suivie d’un incendie qui détruit totalement le réacteur et rejette d’importantes quantités de matières radioactives dans l’environnement. Le feu graphite qui s’en est suivi a occasionné pendant plus de dix jours la dispersion intense des produits radioactifs présents dans le réacteur à une altitude de plus de 1000 m. L’ex-URSS a été fortement touchée par « le panache radioactif et par le dépôt consécutif de substances radioactives sur le sol extrêmement étendue »[4].

Cette catastrophe fait réfléchir sur les incertitudes qui jalonnent l’action humaine dans cet univers d’objets et de « vivants » que l’homme prétend pourtant maîtriser

1.2.Une catastrophe sous « commandements de l’humain »

La catastrophe de Tchernobyl souvent présentée comme la résultante des erreurs humaines et matérielles imputables aux autorités soviétiques est en réalité l’illustration de l’incertitude résultant de l’action humaine. L’homme à travers ses activités n’a de cesse de mettre son espèce en danger mais aussi son environnement au sens le plus large. Etant donné l’impossibilité de parvenir à un niveau de risque zéro, les ouvrages humains sont potentiellement destructeurs. Et la croyance en l’homme maître de son ouvrage augmente la probabilité de risque en suscitant un manque d’attention et une confiance aux « objets techniques ». Il est vrai que le développement de la sociotechnique, illustré a travers les forums hybrides remet de plus en plus en cause cette confiance[5] mais la dangerosité des entreprises humaines de plus en plus sophistiquées et potentiellement destructrices reste réelle. Les actions sont posées à des niveaux multiples ce qui leur donne une dimension politique à la fois nationales et internationale car les catastrophes nucléaires ne respectent pas les frontières artificielles tracées par l’humain.

2. Une dimension politique nationale et internationale

La survenue de l’accident remet en cause l’industrie nucléaire même qui est loin le fait des seuls Soviétiques mais aussi vu le caractère transnational des substances radioactives, Tchernobyl n’est pas ukrainien ou soviétique mais mondial. Cette partie essayera d’appréhender la question à travers cette dimension multilatérale.

2.1.Nationale

Les autorités nationales chargées de la santé publique, des plans d’intervention publique n’ont pas su anticiper les conséquences de la catastrophe. Il n’était pas non plus préparer, vu les critères et procédures d’intervention en vigueur à faire face à un accident à l’ampleur de Tchernobyl. Les informations disponibles au cours de la phase initiale de l’accident étaient minimes. Les autorités politiques agissaient ou n’agissaient pas en fonction des pressions politiques et de l’idée que le public se faisait sur les dangers de rayonnements. Pour éteindre l’incendie les autorités ont fait appel à des pompiers résidant à quelques 3 km de la centrale. Les interventions sont faites sans équipements spéciaux. Ce qui a causé l’irradiation irrémédiable de la plupart des intervenants. L’incendie allait être finalement éteint par projection de sac de sables et de plombs depuis des hélicoptères dans le brasier. La culture du secret en vogue dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques a crée une certaine opacité administrative dans les premières heures suivant la catastrophe. Le Chef de l’Union Mikhaïl Gorbatchev n’a pas eu toutes les informations en vue de réaliser l’ampleur de l’accident, ce qui a engendré une sous-évaluation.

Par ailleurs les critères d’interventions étaient également basés sur des considérations d’ordre économiques concernant l’indemnisation et d’autres attentions de ce type. La population locale vaquait à ses activités habituelles sans immédiatement prendre connaissance de l’accident. Il a fallu attendre le 27 avril pour qu’enfin débute l’évacuation. Ces habitants allaient être précairement hébergés dans la région de Polesskoie, qui n’était pas elle-même épargnées de la radiation. Les symptômes de radiation n’allaient pas se faire attendre. L’opération d’évacuation allait se poursuivre jusqu’à la fin du mois d’Août, 250 000 habitants de Russie, Biélorussie et d’Ukraine seront concernées. La radiation allait très vite avoir une dimension internationale.

2.2.Internationale

La contamination s’est progressivement propagée vers des pays extérieurs à l’ex-URSS. L’Europe septentrionale mais aussi le canada, le Japon et les Etats-Unis ont été touchés, à des niveaux différents, par « les panaches venant de Tchernobyl »[6]. Point n’est besoin de préciser que les réactions des autorités de divers pays concernés ont été très variées en fonction des rapports de force internes et l’appréhension des enjeux de la catastrophe. Selon le Réseau "Sortir du nucléaire" « l'industrie nucléaire française, pour cacher les véritables conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, a mis en place des programmes de désinformation sur les conséquences de la catastrophe en zones contaminées. Présentés comme scientifiques, humanistes et humanitaires, internationalisés au fil des mois, ces programmes ont en réalité été montés de toute pièce par le CEPN, un organisme aussi discret que puissant : il rassemble EDF, Areva, le CEA et l'IRSN. »[7] Des lobbys commerciaux auraient influencé les décideurs publics en vue de l’écoulement des produits agricoles contaminés après l’accident. La catastrophe de Tchernobyl marque et marquera pendant encore longtemps l’opinion publique mondiale mais affecte également, à juste titre, à l’image du développement nucléaire à l’échelle planétaire.

L’Organisation des Nations Unies par le biais de son Secrétaire Général a déclaré les années 2006-2016 la « décennie de la reconstruction et du développement durable pour la région Tchernobyl. » C’est une façon pour la communauté internationale de réhabiliter son image et celle du nucléaire en quelque sorte. Mais quant aux conséquences, elles demeureront sans doute longtemps réelles.

3. Conséquences passées, présentes et futures

La catastrophe de Tchernobyl a fait des milliers de victimes, principalement en Ukraine. Lors de la commémoration du 22eme anniversaire de l’accident le ministre ukrainien de la santé a rappelé la dimension planétaire de « Tchernobyl » qui « continue jusqu’à maintenant à faire des dégâts considérables sur la santé des gens et l’environnement »[8]. Les conséquences, notamment la présence du césium radioactif, peuvent s’étaler au-delà de 300 ans car la diminution des niveaux de contamination résultera principalement de la décroissance radioactive. Mais outre les conséquences sur l’environnement, la vie et le « devenir des gens » sont préoccupants. Cette catastrophe renvoie à des interrogations sur l’homme-même en tant qu’agent agissant dans un environnement ou un « monde incertain »[9] qu’il pense maîtriser. Cette partie s’attèlera à ces deux dimensions où, d’une part, les experts essayent de quantifier les conséquences à travers des chiffres parfois considérés comme douteux, et d’autre part la dimension « inconsciente » de l’homme à travers ses actions.

3.1.Bataille de chiffres et scepticisme

Selon les chiffres officiels, parfois contestés par les Organisations Non-gouvernementales, « Tchernobyl » a fait plus de 2,3 millions de victimes, c’est-à-dire des personnes considérées comme « ayant souffert à la suite de la catastrophe ». Environ 4.400 Ukrainiens qui étaient adolescents ou enfants lors de l’accident ont subi, entre 1986 et 2006, des opérations chirurgicales pour des cancers de la thyroïde. Ce qui est probablement dû à la radiation. Des habitants de Kiev, témoins les plus rapprochés du drame (l’accident est survenu sur un affluent du Dniepr à seulement 110 km de Kiev), ont manifesté leur hostilité à l’occasion du 22eme anniversaire de l’accident au nucléaire en brandissant une pancarte mentionnant : "Ne construisez pas un nouveau Tchernobyl, économisez l'énergie".

La centrale de Tchernobyl est restée fonctionnelle jusqu’en 2000. Elle représente encore un danger imminent car ses restes renferment quelque 200 tonnes de magma radioactif. La situation peut dégénérer si la pluie ou la neige parvient à pénétrer à l’intérieur du sarcophage.

Des populations d’enfants et de nourrissons ont été irradiées en inhalant et ingérant des isotopes radioactifs de l’iode (131I et radionucléides à courte période) au moment de l’accident. Ces données varient en fonction de l’exposition et sa durée. Des personnes ont étonnamment reçu des doses élevées au niveau de l’organisme et de la Thyroïde. Des doses thyroïdales allant de 70 millisieverts (mSv) à 1000 mSv selon l’âge.

Par ailleurs des centaines de milliers de travailleurs connus sous l’appellation de « liquidateurs » ont participé aux interventions d’urgence en vue des opérations d’assainissements. Ces gens-là ont été les victimes de premier rang. Cependant une récente étude conduite par l’Organisation des Nations Unies a revu à la baisse le nombre de victimes et les conséquences de l’accident. « Les conclusions proposées – qui attribuent à cet « effet » une ampleur moindre que généralement annoncé - vont certes à l’encontre de l’opinion communément établie. Il est donc compréhensible qu’elles provoquent chez certains le scepticisme, voire le rejet. »[10] Les travaux de l’ONU nous enfoncent un peu plus dans la querelle des chiffres et mettent l’observateur lambda et sa posture de neutralité dans une situation où il lui est impossible de déceler la moindre parcelle de vérité. Ce scepticisme légitime encore plus le questionnement relatif au statut de l’homme dans ses actions.

3.2.L’Homme : acteur ou simple « joueur avec le feu » ?

Les questions relatives aux réelles capacités de l’être humain à maitriser la finalité de ses actes et leurs conséquences sont récurrentes. Plus d’un se complaisent à la croyance de l’homme qui maitrise tout d’un bout à l’autre, de l’homme rationnel. Les organismes officiels, les « scientifiques » et les autorités publiques ont intérêt à faire croire qu’ils maîtrisent l’ensemble de leurs « entreprises » car de là résulte leur raison d’être, leur crédibilité, leur légitimité et la confiance que le public place en eux. Ainsi l’Agence Française pour l’Energie étale ses domaines de compétences englobant entre autres « la sûreté nucléaire et le régime des autorisations, la gestion des déchets radioactifs, la radioprotection, les sciences nucléaires, les aspects économiques et technologiques du cycle du combustible, le droit et la responsabilité nucléaires et l’information du public »[11]. Dans quelle mesure est-elle réellement capable d’assurer ses missions quand on sait que la connaissance et la capacité technique de l’homme vient de l’expérience, et qu’on ne sait pas grand-chose sur « ce qu’on ne sait » ?

Avant Tchernobyl les activités industrielles de l’homme avaient déjà fait des centaines de milliers de victimes. Nous pensons à Bhopal qui a fait 7575 morts officiellement recensés par le gouvernement indien , aux catastrophes survenues dans les mines de charbon qui ont causé 15 000 morts par an dans le monde ou encore les ravages causés par l’amiante en France chiffrés autour de 35 000 morts entre 1965 et 1997 ; 60 000 à 100 000 morts attendues dans les 20 à 25 ans à venir[12]. Dans quelle mesure ces faits ont-ils été anticipés ? Quelle a été la réelle capacité de l’homme à les prévoir ? L’homme ne se trouve-t-il dans la situation d’un joueur jouant à un jeu et qui croit que celui-ci en vaut la chandelle, perdant ainsi tout sens de retenue ? Dans quelle mesure est-on capable de négliger nos intérêts dits économiques plus immédiats au profit de l’incertitude et du doute ?

Conclusion

La plus grande catastrophe de l’histoire nucléaire civile a été pour l’industrie nucléaire un coup dur mais les premières victimes sont les populations locales. Au-delà de ces deux aspects, elle est surtout pour l’homme l’occasion de se questionner réellement sur la portée de ses actes. Cependant des considérations plus immédiates poussent tantôt à négliger les conséquences plus lointaines. Vingt-deux ans après des incertitudes planent encore sur Tchernobyl. Trois cents ans plus tard ses conséquences risquent de se faire également sentir.

Il y a quelques siècles l’homme ne saurait s’enorgueillir d’avoir la capacité de détruire toute la planète en quelques instants mais aussi de modifier les gènes des organismes et de breveter le vivant, de maîtriser « le fonctionnement de son propre organisme, d’allonger sa durée de vie ».

Pour autant le monde est-il plus sûr avec la capacité technique de l’homme issue de l’expérience ou devient-il de moins en moins sûr au fur et à mesure que les savoirs techniques progressent ? Dans quelle mesure sommes-nous réellement capables d’éviter un second Tchernobyl ?

Bibliographie

- Axel Kahn, L’homme ce roseau pensant… Essai sur les racines de la nature humaine, Paris, Nil éditions, 2007

- Réseau Sortir du nucléaire, « L'après Tchernobyl ou Vivre "heureux" en zone contaminée », Tchernobyl : enquête exclusive Comment le lobby nucléaire français enterre la vérité en zones contaminées, www.sortirdunucleaire.org Mars 2006

- Agence Pour L’Energie Nucléaire, Organisation de Coopération et de Developpement Économique (OCDE), TCHERNOBYL Évaluation de l’impact radiologique et sanitaire Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà

- Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil (collection "La couleur des idées")

Sitographie

- WWW.afp.fr

- http://www.dissident-media.org/infonucleaire/enfants_malades.html

Annexe

Carte des centrales nucléaires en Ukraine

Photos de victimes innocentes

http://www.dissident-media.org/infonucleaire/Enfants_Tcherno1.jpeg

1) Minsk, Biélorussie 1997. Scène quotidienne dans l'asile Novinski. Ce jeune garçon hurle tandis que ses amis jouent dehors.

2) Hôpital des enfants cancéreux, Minsk, Biélorussie 2000. Vova sait qu'il est gravement malade. Malgré l'amputation, son état ne s'est pas amélioré.

3) Foyer pour enfants, Minsk, Biélorussie 2000. Alla tient dans les bras un enfant de 2 ans dont le cerveau se trouve dans l'excroissance.

4) Asile Novinski, Minsk, Biélorussie 1997. Ces enfants ne peuvent pas se tenir debout et sont nourris par terre.

5) Asile Novinski, Minsk, Biélorussie 1997. Cet asile est le principal centre d'accueil pour enfants contaminés en Biélorussie.

6) Foyer pour enfant, Minsk, Biélorussie 2000. Cet enfant de 3 ans est là depuis sa naissance. Il est inopérable: l'excroissance contient ses reins

7) Orphelinat pour enfants abandonnés, Gomel, Biélorussie 1999. Sasha, 5 ans, souffre d'une quasi absence de système lymphatique. Son organisme produit des toxines que sont corps ne peut donc plus éliminer.

8) Asile Novinski, Minsk, Biélorussie 1997. Cet enfant est en état de terreur constant.



[1] Axel Kahn, L’homme ce roseau pensant… Essai sur les racines de la nature humaine, Paris, Nil éditions, 2007, P. 14

[2] - Agence Pour L’Energie Nucléaire, Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), TCHERNOBYL Évaluation de l’impact radiologique et sanitaire Mise à jour 2002 de Tchernobyl : Dix ans déjà, p. 10

[3] AEN, op. cit. P. 3

[4] Ibib. P.11

[5] Michel Callon, Op. cit.

[6] AEN, P.9

[7] Réseau « Sortir du nucléaire », op. cit.

[8] AFP, « Vingt-deux ans après, l'Ukraine commémore la catastrophe de Tchernobyl » http://afp.google.com/article/ALeqM5gPiXXbtp8jan-orliugOFHoHu9yg consulté le 28/04/08

[9] Incertitude scientifique et stratégies divergentes d’acteurs sont au cœur de ce problème qui renvoie au final à la capacité réelle de l’homme à maitrîser la finalité et les conséquences de ses actes. Voir Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil (collection "La couleur des idées")

[10] Société Française d’Energie Nucléaire, « Nouveau regard sur Tchernobyl L’impact sur la santé et l’environnement »

[11] AEN, op. cit.

[12] Société Française de l’Energie nucléaire, op. cit.

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