DROITS DE L’HOMME, JUSTICE ET DEMOCRATIE EN HAITI
Conférences internationales à l`Hôtel Montana, à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, organisée par la PADF
Jean LHERISSON, directeur exécutif de Haïti Solidarité Internationale
25 novembre 2008
Il ne saurait y avoir de respect des Droits de l’Homme dans un Etat déliquescent ! Certes, les Etats dictatoriaux des siècles passés et les rares qui survivent encore perpétuent le reniement des droits. Mais ceux-là restent des marginaux des grands courants politiques et sociaux d’aujourd’hui. Ceux qui prédominent par contre encore aujourd’hui, et se prétendant suivre les courants politiques modernes, sont ces états pauvres, désarticulés et démembrés. Ils ne peuvent pas, garantir, ni prévoir, ni non plus assurer le respect des droits des collectivités, et de ceux des personnes.
L’Etat démocratique ou une justice équitable, ferme et transparente
Voilà le constat auquel tout militant des Droits de l’Homme est confronté, en Haïti mais aussi dans tant d’autres pays. Militer pour les Droits de l’Homme, c’est donc militer pour la (re) mise en place ou encore la (re) fondation d’un Etat digne de son peuple. Et le seul système étatique garant des libertés de chacun, jusqu’à preuve du contraire, c’est la démocratie politique. Et la démocratie politique repose fondamentalement sur un Etat avec une justice dynamique, forte, avec des normes et règles acceptées, et donc partagées dans des pratiques sans cesse revisitées tant par le politique que par des institutions publiques et des citoyennes et citoyens. Voilà pourquoi la réforme de la Justice en Haïti est une priorité incontournable aujourd’hui. Car c’est à partir d’elle que l’on peut parvenir à se poser des questions qui traversent la problématique de la refondation de l’Etat. Nous ne sommes pas encore en démocratie, ici. Nous sommes dans un essai démocratique. Et c’est tant mieux. Peut-être ?
Pourquoi le respect et la promotion des droits de la personne ?
Je voudrais faire aujourd’hui le contraire de ce que l’on fait habituellement. Car le pays est dans un tel état que l’on se demande si la lutte pour le respect de l’individu n’a pas occulté les droit des collectivités. Je sais que je risque d’être taxé de traître à la démocratie. Mais je dirai avec Marcel Gauchet, sous forme plutôt de question : la sacralisation des libertés, ne nuit-elle pas à la collectivité? Ce qui me pèse vraiment, c’est de voir que dans des pays comme le nôtre, alors que, l’individualisme est grandissant, la volonté d’empêcher la naissance de l’individualité est de plus en plus forte. Le récent débat politique sur le choix du chef de gouvernement en dit long encore. Ce type de contradiction entre culture, traditions et politique doit intéresser les intellectuels, ceux et celles qui pensent, mais aussi nos politiciens et politiciennes. Par-delà même, la foi dans la démocratie, il y a des femmes, des enfants et des hommes qui respirent aspirent, transpirent et rêvent d’une autre vie, d’une autre existence. Pour que leur rêve devienne réalité, il ne faut pas que des actions, mais également, et surtout, une pensée. Ai-je dit pensée globale? Ferais-je allusion à la démocratie pour toutes et tous?
L’Etat démocratique, une responsabilité tant citoyenne que des pouvoirs publics
Cela fait bien longtemps que l’humanité recherche un système politique qui couvrirait les aspirations de tout le monde, tant sur le plan social, géographique et économique, qui permettrait à chacun d’avoir une meilleure existence, dans une harmonie certaine. L’on a beaucoup essayé. L’on a beaucoup tangué. Durant près de soixante-quinze ans là-bas, et quelque part encore, l’on semble vouloir nous faire croire encore que la vie est possible autrement. Y croire serait faire fi des grands bouleversements du siècle dernier. Ne pas y croire, ce serait proscrire l’histoire de chacun de nous, comme moteur de changement. En attendant, depuis 1986, le peuple haïtien lui, réclame le respect des droits de la personne, un système démocratique exprimé dans une alternance politique avec une justice forte et correspondant à ses réalités tout en lui adjoignant l’universalité de la déclaration de l’ONU en 1948. Il ne s’agit pas ici de la démocratie dans le tumultueux silence fossé d’un quelconque aspirant au gouvernail. Le peuple réclame plutôt un dialogue sur sa destinée, la transparence et le devoir du rendre compte de ses mandants. Ne serait-ce pas cela la démocratie? Aussi participerait-il à ériger, son propre chemin avec ceux et celles qu’il aura choisi-es et désigné-es.
La démocratie exige le souci du bien public, mais aussi le devoir de questionner
Le peuple haïtien a semblé dire avec Ralph Ketcham, professeur honoraire d'histoire et de sciences politiques au Maxwell School of Citizenship and Public Affairs de l'université de Syracuse, dans l'État de New York, “la démocratie exige des citoyens qui cherchent au-delà de leurs intérêts personnels et manifestent, le souci du bien public”. C’est fort de cela que la constitution de 1987 parle de la réforme de la justice. Il ne s'agit pas d’un maquillage des bâtiments et d’une reprise çà et là de petites lois. Il s’agirait plutôt de repenser les fondements d’un Etat démocratique. Vous me pardonnerez, le comité du forum pour la réforme de la justice a repris cette pensée : un Etat réformateur est nécessairement, un Etat réformé. Si l’on prétend vouloir changer la société, lorsque l’on dirige, il faut inventer de nouvelles pratiques. La société civile aussi doit changer ses pratiques, ses regards, sa pensée et ses mots. Le “tout vroum se do”, doit suppléer à la rigueur et au respect de soi-même, de l’autre et de la nature aussi. L’état démocratique ne peut naître dans une société de “je m’en foutisme”, ni non plus de celle qui se tait, qui ne voit plus ou qui ne s’en fait pas ou encore, sa k pou mwen, m ap pran l[1]. C’est un engagement de chacun, sans lequel, nous risquons un jour, de prendre la mer sur le ventre, à la recherche d’autres lieux de vie. C’est en ce sens, lorsque l’on dénonce les violations des droits de la personne, l’on fait leur promotion, l’on contribue, en quelque sorte à la réforme de l’Etat, à son renforcement et à l’établissement de politiques publiques, à la « remembrance » de notre société et l'amélioration des conditions d’existence sur ce bout de terre. Et c’est de là que je pars pour prétendre que les Droits de l’Homme sont la “poétique de la Politique”. Il faut pouvoir rêver pour construire le Nous collectif et le Je du Nous.
« Pour ce, il va falloir que l’on commence à questionner de façon sérieuse. Nous, de la société civile, nous ne sommes point forcer de trouver des réponses. Mais nous sommes tenus de questionner, de demander des explications, de demander de faire le point… Il y a des poste, des fonctions et titres qui confèrent ce devoir de trouver des réponses, ce devoir de trouver des solutions… Ne nous laissons pas prendre dans le jeu du « Nous Tous Sommes Responsables ». Questionnons les institutions qui ont été inventées, suite des à combats, suites à des violences dans lesquelles des femmes, des enfants et des hommes sont morts pour une meilleure existence, pour la dignité humaine. Ces institutions, que sont-elles devenues ? Elles avaient pour but l’humanisme. Nombreuses d’entre elles sont devenues génocidaires. Proactives du suicide collectif. Proactives d’irrespect. Proactives des violations. Proactives d’affaiblissement »
Merci
Jean LHERISSON
Directeur exécutif de Haïti Solidarité Internationale
[1] Ce qui m’appartient, je le prends. Faisant référence à l’adage qui dit chacun pour soi, Dieu pour tous.
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