lundi 29 décembre 2008

Texte intégral du discours du Président René Préval devant la 62e Assemblée générale de l’ONU

Texte intégral du discours du Président René Préval devant la 62e Assemblée générale de l’ONU


Monsieur le Président

Permettez-moi d’abord de vous féliciter pour votre accession à la Présidence de la 62ème Session de notre Assemblée Générale. Nul doute que votre grande connaissance du monde académique alliée à votre expérience du monde politique et de l’entreprise sont un atout majeur pour vous permettre de nous guider à pas srs dans la conduite de cette assemblée générale. Je souhaite vivement que nos débats soient fructueux et aboutissent à des résolutions pertinentes.

Permettez-moi également de saluer notre nouveau Secrétaire général, Mr. Ban Ki-moon, qui vient d’ailleurs de nous faire l’honneur de sa première visite en Haiti en août dernier. Nous avons la ferme conviction que le nouveau Secrétaire général mettra rapidement à contribution son expérience du système des Nations Unies, sa vaste culture et sa grande ouverture d’esprit pour mener à bien les réformes que la majorité des membres de notre organisation reconnaissent comme nécessaires.

Notre organisation reste, quelles que soient ses difficultés, le principal forum qui offre à tous les Etats, grands ou petits, le même espace de dialogue pour traiter des questions fondamentales concernant notre vivre ensemble et notre devenir sur cette planète. Que le Secrétaire Général soit assuré du soutien des Haitiens dans ses efforts pour accrotre l’efficacité des Nations Unies et permettre à notre organisation de réaliser toutes ses potentialités.

Monsieur le Président, je parle ici au nom d’un peuple qui depuis 200 ans endure l’expérience d’une grande souffrance : privations matérielles de toutes sortes, vulnérabilité face aux risques naturels et aux désastres, difficulté d’accès aux soins de santé et à l’éducation, décès de centaines de milliers d’enfants pour cause de malnutrition, une population très jeune (65% au dessous de 25 ans) privée de vraies chances d’emploi, etc.

Je parle au nom d’un peuple qui a l’air de se vider de lui-même lorsque ses cadres parmi les plus compétents abandonnent un quotidien difficile pour aller accrotre la performance d’autres administrations ou d’autres entreprises au Canada, en France, aux Etats-Unis ou lorsque ses enfants, ses femmes enceintes et ses vieillards, fatigués de vivre une vie qui leur parait sans issue, prennent le large, sur des embarcations de fortune, à la recherche d’une vie meilleure sous d’autres cieux.

Je parle au nom d’un Etat que ses voisins, mme les plus puissants, présentent parfois comme une menace pour la sécurité de la région, parce que Haiti surgit trop souvent à l’agenda de l’Assemblée Générale ou du Conseil de sécurité de l’ONU avec un pesant contingent de problèmes d’insécurité ou de turbulences politiques.

Je parle au nom d’un pays que des analyses, plutt htives, décrivent souvent comme un Etat en faillite parce qu’il a de la difficulté à faire fonctionner ses institutions et à organiser un espace de vie approprié pour l’ensemble de ses citoyens ; parce que cet Etat est lui-mme, malheureusement, fort souvent affairé à mener une guerre sans lendemain contre ses propres enfants.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Haiti est en train de dire adieu à cet Etat.

Lentement, patiemment, mais avec détermination.

Les gangs armés organisés responsables de violence directe à l’encontre de populations innocentes ont été démantelés et il n’y a plus de zone interdite pour les citoyens paisibles sur aucun espace de notre territoire.

La gouvernance de notre économie s’est considérablement améliorée :

* La planche à billets a été mise au placard, avec pour effet une inflation réduite au dessous de 10%, après avoir pavoisé pendant plusieurs années et mme jusque, il y a quelques mois, dans les hauteurs de 40%.

* Notre PIB connait une croissance modérée mais soutenue, après avoir été négatif pendant plus de dix ans.

Nous avons patiemment oeuvré à établir un climat d’apaisement et de convivialité au sein de la classe politique, ce qui est une condition essentielle pour permettre aux forces politiques du pays de mettre fin à leurs sempiternelles querelles de clans et de se mobiliser autour d’un véritable projet de reconstruction nationale.

Monsieur le Président, le Conseil de Sécurité va renouveler pour une nouvelle année le mandat de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haiti (MINUSTAH). Ce renouvellement vient fort à propos et nous remet à l’esprit que notre victoire sur l’insécurité, la réalisation d’élections démocratiques, l’amélioration de la gouvernance du pays, le renforcement de notre système judiciaire ont été rendus possibles grce, en grande partie, à l’effort déployé par les forces de l’ONU dans le cadre de son programme de maintien de la paix. Certes, notre Police nationale, quoique jeune, inexpérimentée et sous équipée a fait preuve de courage et de détermination dans la bataille contre l’insécurité ; mais le soutien de la MINUSTAH à ses ctés était plus qu’appréciable.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de renouveler mes remerciements à votre organisation, au Conseil de sécurité et aux pays amis qui ont mobilisé leurs ressources propres et leurs citoyens pour venir assister le Haiti dans ce moment difficile de son histoire.

Les haitiens, se rappelant qu’ils appartiennent à un peuple forgeur de liberté et qui a porté ce flambeau de liberté sur de nombreuses autres rives du continent, continuent de percevoir la présence de forces armées étrangères sur leur sol comme une blessure à leur souveraineté nationale. Pourtant, au plan pratique, c’est la seule formule, réaliste, disponible en ce moment, pour permettre aux haitiens de retrouver la liberté et de vivre dans la paix.

Il appartient maintenant aux haitiens de profiter de cette accalmie pour se ressaisir, repenser leur destin avec une vision positive de leur avenir, redevenir au quotidien un peuple discipliné, laborieux, respectueux de la loi, pendant que notre Etat renforce sa cohésion interne, modernise son système judiciaire, améliore sa gouvernance et sa capacité d’intervention, pour pouvoir créer et maintenir un environnement propice à la relance économique et à un véritable développement durable.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l’adoption des Objectifs du Millénaire est un acte de prise de conscience. Cependant, à mi-chemin de l’échéance de ces objectifs, il apparat clairement que beaucoup d’entre nous, et c’est le cas de mon pays, ne seront pas au rendez-vous des résultats fixés pour 2015, en dépit de multiples progrès accomplis çà et là.

La mobilisation des ressources pour soutenir la poursuite des Objectifs du Millénaire est une tache plus difficile ; pourtant elle est indispensable. Elle n’est pas seulement indispensable pour des raisons éthiques ou parce qu’il s’agit pour la Communauté internationale de tenir ses engagements. Les problèmes qui n’ont pu tre résolus dans un Etat pauvre vont émigrer vers les Etats plus fortunés qui se trouveront ainsi comme forcés de revenir en arrière sur des problèmes qu’ils avaient déjà réglés pour eux-mmes, à leur niveau propre.

Cette Assemblée Générale a inscrit à l’ordre du jour de la session le thème de la coopération dans la lutte contre les activités criminelles transnationales organisées. En rapport avec cette question, je voudrais mettre l’accent sur les efforts déployés dans mon pays pour lutter contre la corruption et le trafic illicite des stupéfiants.

Nous construisons les moyens, en Haiti, pour faire face à la corruption et nous avons commencé à travailler à consolider les structures de l’Etat et à envisager les réformes légales et réglementaires à mettre en place pour que ce mal endémique disparaisse de nos pratiques institutionnelles, en politique comme en affaire.

La lutte contre le trafic de la drogue est d’une autre envergure. Car, elle place en face de nous des adversaires sophistiqués, organisés et disposant de réseaux puissants au niveau international, tant dans les pays producteurs que dans les pays consommateurs.

Nous sommes sensibles aux souffrances humaines et aux bouleversements sociaux imputables à l’abus des drogues et sommes conscients des efforts qui sont faits pour le traitement et la réadaptation des toxicomanes principalement dans les pays de grande consommation. Cependant, ce trafic a des effets néfastes sur les structures économiques, sociales et politiques des petits Etats comme le mien et fait peser une menace grave sur leur souveraineté et leur sécurité.

L’approche qui s’est dégagée, à partir de diverses conférences internationales, vise à travailler sur la prévention et la réduction de la demande dans les pays consommateurs, la réduction de l’offre dans les pays producteurs et la suppression des réseaux de trafiquants.

Haiti et la République Dominicaine sont dans l’axe d’échange d’un des flux les plus intenses entre les producteurs de l’Amérique du Sud et les consommateurs de l’Amérique du Nord. Nous avons la ferme volonté d’aider les pays du Nord à éliminer la drogue qui arrive sur leur sol en prenant notre territoire comme lieu de transit. Mais nous ne pouvons faire face seul à ce fléau et nos efforts pour améliorer la surveillance de nos frontières terrestres, maritimes et aériennes et renforcer nos institutions se heurtent à la puissance des réseaux mis en place par les trafiquants.

Chers amis, les solutions apportées aux problèmes que nous venons de mentionner seront sans doute sans lendemain si l’on ne s’attaque pas de fac¸on urgente à la question de développement économique du pays. Car, comme le dit si bien l’un des documents produits par le Sécrétariat Général : "Le développement est l’autre nom de la Paix.’’

Il découle de ce constat qu’il nous faut acquérir une nouvelle culture de solidarité internationale fondée sur une approche globale et coordonnée, dans laquelle la lutte contre la pauvreté va de pair avec le développement soutenable ; une approche dans laquelle l’aide au développement et la lutte contre l’insécurité font pendant à l’effort des pays plus développés pour ouvrir leurs marchés, encourager les flux d’investissement direct étranger et les transferts de technologie et soutenir le secteur privé et les initiatives entrepreneuriales ; une approche globale dans laquelle riches et pauvres prennent conscience qu’ils sont co-propriétaires de cette planète et que son destin est entre nos mains à tous.

Merci de votre attention

René Préval

Président d’Haïti

New York, le mercredi 26 septembre 2007

Source : Organisation des Nations Unies

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