jeudi 25 décembre 2008


Carte de la République d’Haïti


Haïti : Etat « serendip » ?

Mécanismes de blocage et/ou d’accélération dans la « construction » d’un Etat « moderne » en Haïti (1804-1825)

« Je ne veux pas faire la guerre avec la France. (…) mais si elle vient m’attaquer, je me défendrai »[1]

Introduction

Ce pays situé aux fins fonds de la Caraïbe non loin des Etats-Unis, « l’hyperpuissant » voisin, à quelques kilomètres du Cuba « révolutionnaire » des Castro, à l’ouest du « paradis » touristique qu’est devenue la République Dominicaine, est surtout connu pour ses turbulences économiques, politiques et sociales au point ou certains n’hésitent pas à infirmer son « existence »[2]. Pourtant c’est à Ayiti[3] que « tout » a commencé. C’est en foulant son sol que Christophe Colomb, par sérendipité, posa les bases d’une transformation géopolitique et économique de toute une planète. Ce petit bout de territoire allait devenir quelques siècles plus tard la colonie la plus riche du monde, le bastion du capitalisme français mais aussi l’endroit de « déshumanisation »[4] par excellence.

Des circonstances internes et externes ont poussé une grande partie de ses habitants à déclarer l’indépendance en vue de recouvrer la dignité humaine longtemps perdue. La jeune nation va connaître une période de balbutiements, « de psychose d’un éventuel retour offensif de colons agresseurs »[5] et n’arrivera à centraliser (définitivement ?) la gestion de la violence qu’avec l’arrivée au pouvoir de Jean-Pierre Boyer (1776-1850) et la mort d’Henri Christophe[6] en 1820. La « hardiesse » haïtienne n’a pas débouché sur les résultats « escomptés ». Les efforts entrepris dès les premières années de l’indépendance visent implicitement à faire émerger « l’Etat moderne » en Haïti.

Le sens des actions posées –constitution d’une armée indigène, élaboration d’une constitution, etc. – par les acteurs porte à croire que cette « méga-institution » qu’est l’Etat serait pour eux incontournable dans l’optique de la sauvegarde d’Haïti sur la carte étatique mondiale mais aussi du monopole de l’accès aux ressources. Or les actions entreprises paraissent souvent contradictoires. Certaines semblent accélérer l’émergence de l’Etat « moderne » d’autres le bloquent. Déceler, comprendre, expliquer ce double processus paradoxal est à la base de ce mémoire. Il s’agit, également, d’une analyse des contraintes externes et internes auxquelles firent face les acteurs dans le processus de monopolisation de la violence légitime en Haïti de 1804 à 1825[7].

L’histoire d’Haïti est riche en paradoxe et en effet « serendip ». Elle est rejetée par les Espagnols pour cause d’épuisement de mines d’or pourtant « rien n’intéresse d’avantage la nation [française] que l’île de Saint-Domingue »[8]. Première République dans l’histoire moderne à s’être fondée après de longs combats acharnés au nom de la liberté de « Tous » en jurant de « vivre libre ou de mourir », tandis qu’une grande partie de ses habitants ne jouira pas de cette liberté. Après avoir vaincu l’une des plus puissantes Armées du monde, Haïti sera contrainte de verser une importante indemnité[9] avec l’envoi par la France d’une « escadre de trois navires et six frégates »[10] en vue de la reconnaissance d’une indépendance qu’elle a pourtant acquise par la force. Après avoir grandement participé à « une étape importante du développement capitaliste à l’échelle mondiale »[11], elle va être l’un des endroits où celui-ci est le moins développé. C’est à travers ce champ sociohistorique jonché de contradiction et de « résultat atteint par chance ou erreur »[12] qu’il faut déceler les mécanismes de blocages et/ou d’accélération de « l’émergence » d’un Etat « moderne » en Haïti. Les décisions prises par ses premières élites, souvent placées « sous l'influence de motivations et d'intérêts relativement simples, peu problématiques »[13], auront de profondes incidences sur le devenir du pays.

Faut-il parler de « construction » ou d’« émergence » de l’Etat moderne ? Ces deux termes ne sont pas exempts de contradictions majeures. Emerger, s’agissant de l’Etat, suppose que « le sujet »[14] soit la cause du mouvement ou du phénomène, cela peut signifier également « venir à l’existence »[15], ce qui augure à son tour l’idée d’un nihilisme de départ ou d’un surgissement ex nihilo débouchant sur la dynamique en question. Construire est un terme polysémique. Son sens grammatical, à savoir : « agencer, disposer (des mots) dans un certain ordre pour en faire un ensemble signifiant »[16], correspondrait plus à l’idée que nous voulons exposer ici. Ce terme renverrait donc à une action dans laquelle le sujet agit, et l’objet de son coté ne fait que subir, il dépend de la volonté de l’initiateur, de phénomènes qui sont extérieurs à l’objet. Il augure une intention, sans forcément de perspective téléologique.

Le terme « construction » peut avoir un sens, dans le cas qui nous importe, en considérant que l’apparition de l’Etat d’Haïti est « sérendipitienne »[17]. C’est-à- dire quelque chose dont le résultat (la finalité) était imprévisible (non-téléologique). Ce sont les actes posés consciemment et/ou inconsciemment qui vont engendrer l’Etat haïtien, en ce sens cette histoire est « opaque aux hommes qui la font »[18].

Parler de blocage dans la construction ou l’émergence d’un Etat « moderne » suppose l’hypothèse d’un Etat « non-moderne ». L’Etat « dit » moderne, selon Weber, doit être conçu « comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé –la notion de territoire étant une de ses caractéristiques- revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique [tenue pour] légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du ‘‘droit’’ à la violence. »[19]. Ce monopole va être double grâce à la formation progressive d’un appareil de fiscalité différencié[20]. L’Etat « non-moderne » peut être conçu par le déficit ou l’absence du monopole de la violence tenue pour légitime et celui de la fiscalité, en d’autre terme, par la non-étatisation « de l’organisation sociale féodale »[21]. On serait en face d’une centralisation inachevée ou insuffisante, d’une spécialisation des tâches non-effective et/ou d’un chevauchement de la sphère publique sur la sphère privée (et/ou) vice versa[22]. Joseph Schumpeter note à propos de la définition du terme Etat : «Nous pouvons, bien entendu, le définir en utilisant le critère de souveraineté, puis parler d'un État socialiste. Cependant, sous peine de transformer l'État, organisme substantiel, en un simple fantôme légal ou philosophique flottant dans le vide, nous ne devons jamais l'introduire dans des discussions relatives aux sociétés féodales ou socialistes, étant donné qu'aucune d'entre elles n'a établi, ni consenti à établir entre le secteur public et le secteur privé la ligne de démarcation qui donne à l'entité « État » sa signification essentielle.»[23]. L’essentiel de la définition est donc la «ligne de démarcation », la distinction entre le secteur public et le secteur privé. Dans quelle mesure le secteur privé et public se confondent-ils dans le cas qui nous importe ?

La problématique du blocage dans la « construction » ou l’émergence d’un Etat « moderne » en Haïti pendant les 25 premières années de l’existence du deuxième pays indépendant du continent américain après les Etats-Unis nous renvoie aux interrogations suivantes : A quel type d’Etat avions-nous affaire ? S’agissait-il d’un Etat féodal ? D’un Etat néopatrimonial, pour parodier J.-F Médard ? Ou d’un Etat d’un tout autre type ? Historiquement la féodalité est un « ordre économique, politique et social qui se développa du Xe au XVe siècle dans les États issus du démembrement de l'Empire carolingien, se caractérisant par l'existence de fiefs, de liens particuliers entre suzerains, vassaux et serfs, et qui se prolongea au-delà du Moyen Âge par la survivance de droits et de privilèges attachés aux propriétaires fonciers, aux nobles »[24]. L’Etat féodal est l’ancêtre de l’Etat « moderne » en Europe. Parfois, par analogie, on désigne par féodalité le « fait de se constituer en puissance autonome à l'intérieur d'un État; groupement d'intérêts particuliers qui impose le poids de sa puissance à l'État et à la société »[25]

Il est possible de subdiviser la société féodale en deux âges. Celui allant primo du Xème siècle au milieu du XIème siècle est caractérisé par la stabilité de l’organisation d’un espace rural avec des échanges faibles et irréguliers. Secundo celui allant jusqu’au XVème siècle correspond à une prospérité économique et monétaire. Les Grands organisent la production et « la transmet, bon gré, mal gré, au groupe de citadins de marchands [et] de bourgeois »[26]. Au regard de ces éléments nous pouvons voir s’il est possible de parler de l’Etat féodal dans le cas qui nous concerne, c’est-à-dire l’Haïti du début du XIXème siècle.

L’Etat néopatrimonial est le « type » retenu par Sauveur Pierre Etienne dans son Enigme haïtienne[27]. Cependant son analyse prétend englober les deux-cents-six ans de l’indépendance. Le problème est que Haïti a connu un nombre considérable de formes de gouvernements qui ont eu presque chacun des incidences colossales sur le type d’Etat au quel on peut avoir affaire, c’est pourquoi il est judicieux que l’analyste fasse appel à des concepts différents suivant qu’il travaille sur le gouvernement d’un Henri Christophe ou d’un Léon Dumarsais Estimé. Car dans l’histoire du pays, « il n’y a pas eu que des ‘pourris’ et que les représentations politiques en Haïti comme un lieu marqué par une absence totale d’éthique sont fausses »[28].

Le néopatrimonialisme est une situation d’hybridité « dans laquelle la logique patrimoniale se combine et se mélange avec d’autres logiques »[29]. Dans quelle mesure ce concept est-il pertinent ? Dire que certains Etats seraient néopatrimonialistes et pas d’autres c’est établir une frontière nette entre « l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique, bien complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la population »[30] dont procèdent les Etats. Or il est empiriquement difficile de montrer objectivement qu’il existe certains Etats où la logique patrimoniale se combine avec « d’autres logiques » et d’autres où cette logique dite patrimoniale aurait complètement disparu. Dans un article intitulé « Quand l’Etat fait ce qu’il nous interdit », Sophie Coignard montre comment en France, « L'Etat, allègrement, viole ou contourne les lois qu'il impose aux particuliers ou aux entreprises. Autant de privilèges, d'illégalités ou d'arbitraire dont il semble peu désireux de se défaire. »[31].

Cet Etat « non-patrimonialiste » s’autorise dans un certain nombre de cas « des privilèges, des passe-droits, des prérogatives, des attitudes arbitraires »[32]. Yves Mény affirme qu’en France « la corruption prend appui sur des mécanismes, des valeurs et des règles parfaitement intégrées et légitimées par le système politique »[33]. Leslie Péan quant à lui met en exergue comment aux Etats-Unis la corruption a jalonné des pratiques gouvernementales dès le tout-début de la fondation de la nation[34]. Dans ce cas là, même entant que « type mixte et modal »[35], utiliser le concept de néopatrimonialisme pour une certaine catégorie d’Etat et pas d’autres est problématique. Sinon, il faudrait dessiner une échelle avec des échelons qui indiqueraient à quel degré de mélange de patrimonialisme avec « d’autres logiques » qu’il est convenu de parler de néopatrimonialisme. Car on peut affirmer que la plupart des Etats occidentaux dits modernes sont plus ou moins néopatrimoniaux au vu de cette définition stricto sensu du concept.

En quoi l’Etat d’Haïti n’est donc pas « moderne » ? Un Etat « moderne » doit-il nécessairement s’accorder à la définition de Weber complétée par Hintze, Elias, etc. ? Cette définition correspond à l’observation d’un type particulier d’organisation, d’institution politique par l’auteur de l’opus magma Economie et société dans un contexte géographique et culturel bien déterminé. Comment l’étendre à un pays comme Haïti qui est l’objet d’une histoire sociopolitique et d’une culture toutes singulières ? « L’erreur la plus crasse, nous dit Jean casimir, que l’on puisse imaginer consiste à croire, contre toute évidence que la diffusion massive de la culture occidentale puisse, par un processus d’imitation spontanée, vitaliser et dynamiser un système culturel autre. »[36] Devons-nous considérer que l’Etat wébérien fait partie intégrante de la culture occidentale ou d’un « système culturel autre »? S’il fait partie d’un « système culturel autre », Jean Casimir ne pose-t-il pas là la source du blocage ou du moins n’exclut-il pas toute possibilité d’utiliser l’Etat européen comme une sorte d’étalon dans un champ culturel non-occidental en vue de la compréhension du type d’Etat auquel on a affaire?

Ce mémoire se divise en trois parties principales. La première s’intitulant sociogenèse d’Haïti Saint-Domingue nous permettra de revenir sur la structure de la société qui a vu l’émergence de l’Etat d’Haïti, à savoir primo les classes sociales et antagonisme de classe, secundo, la manière dont la métropole a géré les conflits et les contradictions récurrentes qui en découlent, tertio, nous nous intéresserons à la dynamique sociale dans sa dimension à la fois locale et globale.

La deuxième partie intitulée un Etat de guerre permanent est une analyse empirique de la situation (une hantise permanente) dans laquelle va évoluer la jeune nation. Pour la France la perte de la perle des Antilles est un frein à son rêve de se constituer un empire en Amérique. Pour exister en tant qu’Etat Haïti va devoir accélérer le processus de monopolisation de la violence. Cependant les bases sur lesquelles l’Etat dit moderne aurait pu émerger semblent avoir été détruites.

La troisième et dernière partie dénommée L’Etat contre la société analyse la manière dont le nouvel Etat entend gérer les rapports sociaux et les ressources, arbitre entre les valeurs et les intérêts qui ne sont pas toujours compatibles. A la fin de cette partie nous interrogerons sur le type de gestion à savoir s’il s’agit de la construction d’un type d’Etat nouveau ou non.

Sur le plan méthodologique nous utiliserons certaines archives coloniales comme les actes administratifs (déclaration de l’abolition de l’esclavage, lettres, rapports officiels, Constitutions, etc.) et les sources de seconde main. Quand nous nous sommes lancés dans la recherche en vue de l’élaboration de ce mémoire nous avons rencontré des difficultés relatives à la délimitation spatiotemporelle (devons nous travailler sur 20, 30 ans et plus, inclure la France métropolitaine dans notre terrain d’analyse pour la période d’avant 1804, etc. ?). De concert avec notre directeur de recherche nous avons opté pour la période allant de 1804 à 1825 qui est une période charnière pour l’Etat d’Haïti. Nous avons également pris en compte la métropole dans notre analyse.

L’autre source de difficulté a concerné les archives. Au début nous pensons pouvoir avoir facilement accès aux documents administratifs coloniaux en région parisienne. Mais nous nous sommes rendu compte que la plupart des documents sont en province (Nantes, Aix…). Nous étions dans l’impossibilité de nous déplacer ce qui a fait que nous avons choisi des archives numériques et de seconde main. Etant donné que ce mémoire est conçu comme un travail préalable à un master II, puis une thèse, nous avons particulièrement mis accent sur certaines théories de l’Etat (Weber, Elias, Hintze, Médard etc.) ce qui nous facilitera, espérons-le, les travaux futurs.

1. Sociogenèse d’Haïti

Concept éliassien se rapportant à la causalité sociale d’un phénomène, la sociogenèse dont il est ici question sera un effort de rapprocher la dimension étatique (de l’Etat) au système « d’économie émotionnelle des individus » de la société saint-Dominguoise. La sociogenèse d’Haïti sera donc considérée comme un processus de monopolisation dans le contexte assez particulier qu’est la colonisation à Saint-Domingue où les jeux d’interactions, d’intérêts individuels, de classe ou de « race » vont engendrer quelque chose comme Haïti que personne n’avait explicitement voulue (phénomène serendip).

On peut appréhender la construction de l’Etat d’Haïti comme toutes « les constructions historiques [qui] sont toujours issues de lutte entre intérêts opposés, ou plus exactement, ambivalents. Les structures qui périssent du fait de ces luttes ou qui se fondent dans des structures nouvelles, qu'il s'agisse des seigneuries absorbées par la royauté ou d'un gouvernement royal emporté par l'Etat bourgeois /…/ Sans les entreprises violentes, sans le stimulant de la libre concurrence, il n'y aurait pas de monopole de la contrainte physique, et sans ce monopole, personne n'aurait jamais pu pacifier le territoire, limiter et réglementer l'emploi de la violence »[37]

1.1. Classes sociales et antagonisme de classe

La plus riche colonie du monde qu’est Saint-Domingue est en réalité un « eldorado construit sur un volcan »[38]. L’exploitation capitaliste de l’esclavage des noirs, la structure des classes sociales et les antagonismes de classes/races font de cette société un « grand containeur d’explosif » prêt à exploser à tout moment. Cependant les problèmes de classe étaient sans cesse « greffés sur des problèmes de race »[39] , ce faisant les contradictions de classe s’aggravaient et rendaient moins probable « [l’] alliance entre les factions d’une même classe[40] ». Ce climat très mouvementé servait de socle d’accumulation de capitaux – économique, social, politique et symbolique – aux élites, non sans incidences sur l’Etat métropolitain et sur l’Haïti[41] qui allait naitre.

Dans les rapports sociaux les actants[42] ont pris habitude de dissimuler les contradictions et oppositions de classes au profit de l’antagonisme de races. Serait à la base de ce phénomène, selon Sauveur P. Etienne, le récurrent « amalgame classe-race[43] ». Le facteur premier désignant l’appartenance d’un individu à une classe est le taux de mélanocyte contenu dans son sang et non la communauté d’intérêts à la quelle il appartient objectivement. Dans ce schéma les classes sociales de Saint-Domingue se déclinent en une répartition ternaire: Blancs, Affranchis (sangs-mêlés et une toute petite minorité de Noirs libres) et Esclaves.

Sauveur P. Etienne réfute cette lecture de la configuration de la société au profit d’une nouvelle forme de répartition toujours ternaire : « la classe supérieure, la classe moyenne et la classe des esclaves.[44] ». Dans ce nouveau schéma ce sont les intérêts de classe qui priment. Cependant l’auteur de l’énigme haïtienne semble sous-estimer un autre facteur déterminant qui est la « conscience de classe ». Des groupes sociaux qui ont l’air d’avoir des intérêts communs au-delà même de leur appartenance ethnique, unis par une même condition sociale, négligent le facteur concernant leurs conditions matérielles réelles d’existence au profit de supposés intérêts ethniques ou raciaux pour ne pas être complètement anachronique.

L’intérêt ethnique ou racial va de paire avec la création de l’identité raciale qui est le résultat d’un processus historique, d’une construction intellectuelle. Les actants sont pris dans une certaine réalité travaillée par l’idéologie que constitue « l’illusio » racial à Saint-Domingue. Tous les groupes sociaux semblent à un moment donné jouer le jeu. Le racisme est ancré dans toutes les sphères de la société, c’est « de la routine, des choses que l'on fait, et que l'on fait parce qu'elles se font »[45]. La société s’est construite sur lui et sa ‘‘disparition’’ remettrait l’existence même de Saint-Domingue en question. Ce qui ne tardera pas à arriver.

Les groupes sociaux susmentionnés constituent certainement une « classe en soi »[46] mais l’habitus « racial » avec toutes ses implications a pendant longtemps handicapé toute velléité d’union par communauté d’intérêts. Or, la compréhension des actants eux-mêmes des causes de leur situation, c’est-à-dire leur « maturité », est fondamentale. C’est à ce moment-là que les intérêts de race vont se révéler illusoires, les mécanismes de domination –les stratégies de division pour mieux régner – vont être à jour, les actants s’uniront en fonction de leur communauté d’intérêts et deviendront une « classe pour soi ». Avant cette prise de conscience ultime qui allait permettre l’alliance entre mulâtres et noirs parler de classe sociale entant que communautés d’intérêts revient à projeter un regard sur les groupes sociaux et les structures de classe dans la société de Saint-Domingue qui ne corrobore pas à l’idée que les actants se font eux-mêmes de leur situation et la manière dont ils l’appréhendent.

Les intérêts existent en tant que catalyseur de conflits sociaux et permettent également « l’assemblage » d’individus, de groupes d’individus ou sociaux suffisamment conscients des bénéfices qu’ils peuvent tirés d’une éventuelle alliance avec des pairs mais aussi avec des ennemis d’hier[47]. Même si des actants peuvent avoir a priori des intérêts identiques, ces intérêts ne sont pas naturellement des intérêts communs. Ils ne le deviennent qu’après la prise de conscience des avantages qu’on peut tirer d’un « agir collectif » ou d’un nouement d’une alliance factuelle. C’est pourquoi certains groupes sociaux peuvent à un moment mettre en exergue l’argument des intérêts raciaux, puis celui des intérêts de classe, etc.

Quand cela les arrange, des mulâtres font valoir l’argument racial, autrement ils avancent d’autres arguments. Pensant qu’entant que Mulâtre s’il met accent sur l’argument racial, cela peut, peut-être, contribuer à asseoir sa suprématie sur les Noirs mais l’empêcher de gouverner les Blancs du Sud, Rigaud[48] a préféré jouer la carte des Droits de l’Homme. A cet effet il déclare : « […] je crois trop aux droits de l’homme pour penser qu’une couleur est naturellement supérieure à une autre. Je connais les hommes en tant qu’homme sans plus.[49] »

Après avoir Bénéficié d’un accord de commerce exclusif avec Saint-Domingue par le Biais de l’émissaire Angalis Maitland la Grande Bretagne semble tout à coup avoir une autre vision des Noirs et des luttes qu’ils mènent à Saint-Domingue. Bien que ce qui suit ne puisse pas refléter l’état d’esprit global des Britanniques, il montre néanmoins que les arguments raciaux ou de classe sont souvent stratégiques. Après avoir pris connaissance de l’accord commercial exclusif dont va Bénéficier son pays la London Gazette écrit :

L’événement le plus intéressant de la guerre actuelle pour la cause de l’humanité et pour les intérêts permanents de la Grande Bretagne est sans aucun doute le traité que le général Maitland vient de conclure avec le général noir Toussaint relatif à l’évacuation de Saint-Domingue. Ce traité reconnait en fait l’indépendance de cette île si précieuse qui sera à l’abri de tous les efforts des Français pour la reconquérir. Non seulement l’Angleterre n’aura pas à supporter les frais de fortification de l’île ou d’entretien des armées, mais elle jouira de l’avantage de se voir réservé son commerce exclusif.

Toussaint Louverture est un nègre, et dans le jargon guerrier il a été qualifié de brigand. Mais au dire de tout le monde c’est un nègre né pour défendre les droits de sa race et pour démontrer que le caractère des hommes est indépendant de la couleur de leur peau. Les derniers événements de Saint-Domingue ne tarderont pas à attiser l’attention publique. On les dirait calculés pour satisfaire toutes les parties. C’est une question capitale que d’arracher cette ile immense des griffes du directoire ; car de là, s’il regagnait du terrain, il pourrait à tout moment menacer et peut être assaillir notre meilleure possession des indes occidentales. D’autre part c’est un grand point en faveur de la cause de ‘humanité de voir une domination noire constituée et organisée pratiquement sous le commandement d’un chef ou roi noir. C’est à sa honte que le monde chrétien a pris l’habitude de dégrader la race noire… Tout libéral britannique se sentira fier de voir heureusement abouti la révolution dans ce pays[50]...

Pourtant quelque mois plus tôt les Anglais avaient tout mis en œuvre pour ramener en vain les Saint-Domingois à l’esclavage. Au moment où l’auteur écrit cet article pour « défendre » la cause de l’humanité, l’Angleterre a plein d’esclaves Noirs dans ses colonies. Voila comment des arguments raciaux –la prétendue infériorité noire – a disparu en l’espace de quelques instants au profit d’une vision égalitaire des races. L’intérêt des britannique devient le même que celui de Toussaint. Ce sont les bénéfices, l’auteur le laisse entendre, que l’Angleterre peut tirer d’une éventuelle indépendance de Saint-Domingue qui justifie cet article.

D’un autre coté bien que les élites aient justifié la « fondation » d’Haïti par la nécessité d’assouvir des intérêts personnels plus immédiats sous couvert de la nécessité de liberté et d’égalité, «quoique l’esclavage eut été aboli avant l’indépendance, il subsistait une séparation rigide entre les masses et l’élite. Ce qu’on appelait l’élite formait un cercle étanche et s’occupait plus de la préservation de ses intérêts propres que de la direction et de l’orientation des masses »[51]. La condition de vie des paysans est exécrable, les femmes doivent accomplir des travaux qui ne sont généralement pas dédiés aux humains[52]. Les paysans étaient « préservés » de la culture occidentale. Ils vivaient encore selon des principes et coutumes des traditions africaines[53].

Leslie Péan fait valoir le fait qu’en Haïti « l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique, bien que complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l’économie politique, pour instrument essentiel les dispositifs de sécurité »[54] a pour source la gouvernementalité coloniale. De fait les différentes relations de pouvoir structurant la société « ne sont pas des relations cordiales et confiantes mais plutôt de défiance et d’incompréhension, relations conflictuelles marquées par la sévérité et les affrontements. »[55]

On remarquera que dans une certaine mesure la lecture de Leslie Péan s’oppose à celle de Jean Price Mars. Le premier met l’accent sur le fait que la gouvernementalité[56] haïtienne régissant le pouvoir dans toutes les sphères de la société a une origine coloniale. C’est donc une sorte de « continuité » de l’habitus colonial. Price Mars de son coté soutient que les paysans, la majorité des haïtiens, vivent selon les principes et les coutumes africaines. N’y aurait-il pas une différence entre la gouvernementalité coloniale et les coutumes africaines ?

En tant que concept foucaldien, si on utilise le terme de gouvernementalité on est obligé de l’insérer dans la pensée foucaldienne pour le rendre intelligible. Ainsi nous pouvons affirmer que les relations de pouvoir concernent toutes les sphères de la société allant de la famille aux plus hautes instances administratives et étatiques. Donc quand Péan parle de gouvernementalité dans ce qu’il appelle « l’espace haïtien », il parle aussi bien des paysans que des élites (relation de pouvoir). Et si les relations de pouvoir chez les élites sont considérées comme régissant par la gouvernementalité coloniale, il ne saurait être autrement pour les paysans qui avant d’être paysans étaient esclaves et confrontés quotidiennement à la gouvernementalité coloniale. Considérer qu’ils sont préservés de la culture occidentale c’est affirmer autrement qu’ils ont rompu avec l’habitus colonial et développer une nouvelle forme de socialisation qui trouve sa racine en Afrique. Si ce n’est tout simplement renouer avec l’Afrique.

Les relations de pouvoir dans une société peuvent être d’une très grande importance analytique et compréhensive dans la mesure où elles sont capables d’apporter des explications aux échecs ou aux réussites de grande construction historique. Les élites haïtiennes n’ont de cesse de clamer haut et fort leur volonté de se débarrasser du legs colonial. Cependant quand on cesse de s’intéresser à ce que disent ces actants pour analyser un peu plus en profondeur ce qu’ils font, on se rend vite compte qu’au lieu de se démarquer réellement de la gouvernementalité coloniale, ils la « rationalise[nt] et lui donne[nt] un autre lustre ».[57] Ainsi le premier Empereur d’Haïti affiche d’un coté sa volonté de combattre la corruption, de rationaliser l’administration et de l’autre n’hésite pas à affirmer « plumez la poule et ne la laissez pas crier » ? Quand on analyse « les structures de gouvernementalité imposées par les pères fondateurs » on révèle qu’ils refusent toute place à l’idée que les gouvernants doivent rendre des comptes ». Christophe refusera la constitution de 1806 prétextant qu’il ne lui donne pas suffisamment de pouvoir. Pétion renverra le Sénat qui lui demande de la transparence dans son administration. Une pétition datant de 1807 stipule : « […] le sénat, justement effrayé des dilapidations qui se renouvellement chaque jour dans les finances de la République, et occupé du soin d’en arrêter le cours, afin de pourvoir aux dépenses que nécessite la guerre actuelle»[58]

Il y aurait donc en Haïti deux sociétés (avec des frontières non évidentes), une qui est régie par la gouvernementalité coloniale et l’autre par la gouvernementalité africaine. Chacun de ces deux héritages aurait d’une manière ou d’une autre constitué un ensemble de mécanisme de blocage à l’émergence de l’Etat dit moderne en Haïti, qui nécessite, on l’a vu, un certain nombre de conditions préalables. Si on considère que l’Etat moderne est avant tout l’affaire des élites, le fait qu’en Haïti « le gouvernement de soi et des autres »[59] est dicté par la violence coloniale, les raisons de la non-émergence de l’Etat dit moderne se trouveraient dans le passé colonial. Cette thèse nécessite néanmoins un travail plus approfondi que nous ne sommes pas prêt à effectuer ici.

Comprendre l’Etat qui allait prendre naissance en Haïti en 1804 suppose d’abord de bien saisir la manière dont la métropole à travers ses administrateurs coloniaux, les décrets, et tout autre acte d’arbitrage entre des intérêts et des valeurs qui ne sont pas constamment compatibles dans la colonie. Ces actes d’arbitrages ne sont pas non plus toujours cohérents. On obtient ainsi des résultats imprévisibles et sérendipitiens. La sous-partie suivante s’atèle aux contradictions internes des politiques métropolitaines vis-à-vis sa riche colonie.

1.2. La métropole et sa politique contradictoire

Inconstante. Voila comment on aurait pu qualifier la politique française vis-à-vis de sa riche colonie « peuplée d’environ mille blancs, à peu près du même nombre de nègres et de mulâtres libres, et de sept cent mille esclaves parmi lesquels on comptait douze à quinze mille mulâtres »[60] en 1789. Pour corroborer cette « affirmation » nous n’avons pas besoin de remonter au début de la colonisation, c’est-à-dire sous l’ancien régime. Tardons-nous seulement à la période d’après 89.

Aout-septembre 1793 Sonthonax et Polvérel, commissaires de la République, proclament l’abolition de l’esclavage[61] en déclarant aux habitants de la colonie, en particulier les Noirs et les Mulâtres que « toute monde vini dans monde pour io rétés libes & égal entre io : a vlà, citoyens, vérité qui sorti en France. Li temps pour que io piblié li dans toute pays la République Français, pour toute monde conné »[62]. Moins d’une décennie plus tard, soit le 30 Floréal An X, Napoléon – encourager par sa femme créole Joséphine et les milieux d’affaires coloniaux – va confier une impressionnante expédition à son beau frère Emmanuel Leclerc avec pour mission : le rétablissement de l’esclavage aux Antilles ce qui va dresser la majorité de la population contre l’armée française[63] dans un contexte où les troubles qu’a suscités 1789 sont encore vivaces[64]. Mais avant cette ultime décision lourde de conséquences tant sur le plan humain que matériel. Les ex-esclaves formulaient des revendications d’ordre politique – la liberté – mais aussi économique – revendication agricole.

Cette dernière consistait en une demande de « trois jours de la semaine où ils soient libres de travailler et de cultiver pour eux-mêmes »[65], revendication que les « patrons de l’époque […] n’ont même pas prise au sérieux »[66]. Or le commissaire Polvérel avait bien envisagé en l’été 1793 « de lier abolition de l’esclavage et attribution de terres aux esclaves »[67], mais a préféré y renoncer sans élucider les motivations de sa nouvelle décision.

Polvérel a renoncé à quelque chose qui aurait pu permettre à Saint-Domingue de parvenir à une certaine «autosuffisance alimentaire »[68] quand on sait que la quasi-totalité des outils et autres produits consommés dans la colonie provient de l’importation (métropole). Cette « non-décision » a probablement joué dans l’échec de l’expédition commandée par Leclerc. Car Saint-Domingue vit au rythme des blocus maritimes. Dès qu’il y a rupture avec l’extérieur « la colonie n’a plus rien de ce qu’il lui faut […]. Pas même de quoi équiper d’armes à feu et de munitions les forces qu’elle emploie contre les révoltes d’esclaves »[69]. Emmanuel Leclerc s’est trouvé avec ses troupes coupé de la métropole à cause d’un blocus maritime imposé par l’Angleterre, ce qui allait donner à l’armée indigène un avantage significatif. Pourtant, « malgré leurs succès, les chefs de l'insurrection avaient conservé une sorte d'attachement et de respect pour la métropole. Si donc sous le Consulat le gouvernement français avait reconnu franchement la liberté des Noirs et les droits politiques des affranchis, il eut été certainement possible d'y faire reconnaître la suzeraineté de la France. Mais les anciens préjugés n'étaient pas dissipés à la cour des Tuileries : on ne croyait pas les Noirs susceptibles d'organisation, et on oubliait la capacité qu'avaient montrée les hommes de couleur depuis 1792. »[70] Napoléon et ses conseillers croyaient qu’il suffisait d’envoyer une « formidable armée composée des bandes de l'Italie et des débris de l'armée d'Égypte »[71] pour faire régner l’ordre dans la colonie et parvenir à satisfaire les ambitions esclavagistes de ses proches.

La contradiction dans la politique de la Métropole envers Saint-Domingue est palpable. D’un coté les autorités métropolitaines faisaient inscrire sur les drapeaux la mention : « Braves Noirs, la France reconnaît seule vos droits et votre liberté », un décret, datant du 20 mai 1802, allait de l’autre consacrer la suppression de cette liberté. Une explication semble plausible à cette politique : au jour le jour les autorités métropolitaines surfent, esquivent, contournent, jouent sur les rapports de force, arbitrent entre des valeurs et des intérêts souvent contradictoires dans la France métropolitaine mais ne semblent pas prendre suffisamment conscience des rapports de force et les antagonismes au sein de la colonie qui nécessitent une certaine constance et des mesures appropriées. Ce qui fait que les arbitrages dans la colonie ressemblent plus à de la « tractation (marchandage)» que des mesures cohérentes consciemment prises en vue d’influer sur la vie des habitants et leur en environnement en adéquation avec la volonté de la France.

Pendant tous ces épisodes de « tractations » aucun des actants, ni les Noirs de Saint-Domingue, ni les « Grands Blancs » qui pourtant auraient voulu une indépendance sous leur contrôle en vue de satisfaire seuls leurs intérêts, ni les envoyés de Napoléon, n’a pu anticiper des conséquences de leurs actions. C’est en ce sens que l’apparition de l’Etat d’Haïti est sérendipitienne. « Après avoir été mis hors la loi par le capitaine général Leclerc, Christophe lutta contre les troupes françaises. Mais à la fin d'avril, il accepta de se soumettre, après avoir obtenu d'être maintenu dans son grade »[72]. Ce qui était le plus important pour Christophe, le futur Henri 1er, c’est vraisemblablement son grade. Une fois confirmé dans sa position, il n’aura pas de mal à se battre contre les rebelles qui étaient pourtant préalablement dans son camp, jusqu’à ce que la situation d’un revirement lui soit favorable. Cette remarque (ces faits) met à mal une partie de la mythologie haïtienne qui veut qu’Haïti soit une construction dans le sens architecturale du terme. Comme si les héros de l’indépendance avait tout prévu des le début des combats en vue de parvenir à un Etat qui s’appellera haïtien. Et les mulâtres, et les Noirs n’ont eu de mal à combattre dans n’importe quel camp. Il semble que ce qui leur était primordial était les rétributions personnelles. En suivant les faits historiques il serait délicat d’affirmer que les actants Domingois avaient un plan bien élaborés ou suivaient un plan allant dans le sens de l’indépendance.

« Devenu premier consul, Bonaparte voulut employer les hommes de couleur à retirer le gouvernement de l'île à Toussaint-Louverture, qui avait traité avec les Espagnols. A cette fin il leur donna des grades, mais inférieurs à ceux qu'ils avaient, dans l'expédition qu'il confia à son beau-frère le général Leclerc (1801). L'armée était composée en partie des vieilles bandes qui avaient fait les campagnes d'Italie. Boyer [mulâtre qui deviendra président d’Haïti] y fut employé comme capitaine. Il débarqua au Cap le 1er février 1802 »[73]. Il n’y a pas eu refus motivés par la croyance à des valeurs universelles qui seraient liberté et égalité qui pourtant ont semblé justifier l’acte de l’indépendance.

Haïti semble plus être le fruit de tractations, d’erreurs, de calculs (du coté des habitants de la colonie comme du coté de la métropole), de volonté de promotion personnelle plutôt que d’une action concertée visant dès le départ l’indépendance nationale. « Dans une proclamation du 8 novembre 1801, le Premier consul avait promis aux habitants de Saint-Domingue, sans distinction de couleur, la liberté et l'égalité des droits ; mais par un arrêté antérieur et secret (du 25 décembre 1800), il avait envoyé trois commissaires pour y rétablir les « cultures », autrement dit l'esclavage. Le 20 mai 1802, il fit promulguer à Paris la loi rétablissant l'esclavage dans les colonies. » [74]

Cette décision politique aura les conséquences que l’on connaît : l’indépendance d’Haïti[75]. Cependant Saint-Domingue n’était pas un simple champ ou la métropole menait sa politique contradictoire et où les habitants étaient en proie aux calculs, stratégies en vue d’assouvir des intérêts immédiats. La colonie avait sa dynamique propre capable de se joindre à la dynamique globale qu’a connue l’Europe des derniers siècles et qui a permis des accumulations de capitaux, des monopolisations de contraintes que l’histoire de l’humanité connue n’a jamais révélées.

1.3. Une dynamique à la fois locale et globale

Saint-Domingue s’inscrit dans la continuité des dynamiques occidentales ayant conduit à l’émergence de l’Etat moderne en Europe. Déjà la bipartition de l’ile est le fait d’un transfert de rivalités de puissance entre l’Espagne et la France en dehors du territoire européen. Tout comme le traité de Westphalie signé entre les puissances européennes, le traité de Ryswick (singé en 1697 à Rijswij) reconnaissant à la France ses conquêtes de la Baie d'Hudson au Canada, lui permettant de récupérer Terre-Neuve en gardant une partie de l'Acadie et surtout de partager l'île d'Haïti est fondamental pour le devenir d’Ayiti Quisqueya Bohio. L’existence même de Saint-Domingue est le fait de la « dynamique de l’émergence du système interétatique et du système capitaliste en expansion »[76]. Les guerres franco-espagnoles, anglo-espagnoles, anglo-françaises, anglo-hollandaises, hispano-hollandaises et franco-hollandaises ont eu des incidences sur toute l’Amérique[77].

Des conflits entre puissance européenne résulte l’appui qu’un Etat-nation européen va apporter ou non à une colonie en conflit avec sa métropole. Cet appui est aussi conditionné par les supposés bénéfices qu’on pense pouvoir en tirer. Ainsi la France et l’Espagne n’ont pas hésité à appuyer les Etats-Unis naissants dans leur guerre contre leur métropole, et l’Angleterre d’appuyer Saint-Domingue dans sa guerre contre la France une fois bénéficié d’un accord commercial avec Toussaint Louverture (1743-1803). Ces appuis sont parfois décisifs.

Haïti a quant à elle, peut-être dans une autre optique, et malgré son fragile état, apporté un appui déterminant à Simon Bolivar dans la planification de son entreprise de libération de l’Amérique hispanique. Dans une lettre datée du 8 février 1816[78], Simon Bolivar[79] déclare au président haïtien Alexandre Pétion[80] :

Je suis accablé du poids de vos bienfaits. /…/ En tout vous êtes magnanime et indulgent. Nos affaires sont presque arrangées et sans doute, dans une quinzaine de jours, nous serons en état de partir. Je n’attends que vos dernières faveurs, et s’il est possible, j’irai moi-même vous exprimer l’étendue de ma reconnaissance. /…/

Dans ma proclamation aux habitants de Venezuela, et dans les décrets que je dois expédier pour la liberté des esclaves, je ne sais pas s’il me sera permis de témoigner les sentiments de mon cœur envers votre Excellence, et de laisser à la postérité un monument irrécusable de votre philanthropie. Je ne sais, dis-je, si je devrai vous nommer comme l’auteur de notre liberté. Je prie votre Excellence de m’exprimer sa volonté à cet égard. Le lieutenant colonel Valdès vous adresse une pétition que je me permets de recommander à votre générosité. /…/

Agréez, Monsieur le Président, les respectueux hommages de la haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être de votre Excellence, le très humble et obéissant serviteur.

Alexandre Pétion dans sa réponse à Simon Bolivar met accent sur ses « sentiments pour ce que » le Général a à cœur et pour lui personnellement. Il « désire voir sortir du joug de l’esclavage ceux qui y gémissent ». Mais par crainte de représailles il se voit obliger son ami de ne pas citer son nom ni celle de la république d’Haïti dans ses actes.[81]

Haïti a indéniablement contribué au combat de Bolivar. Il serait par ailleurs intéressant dans le cadre d’un travail plus poussé de voir quelle a été la contribution réelle d’Haïti. Ce qui n’est pas ici de notre propos.

Un autre point saillant concernant la double dynamique tant à la fois locale que globale dans laquelle l’Etat d’Haïti s’est inséré renvoie aux idéaux de la révolution française survenue seulement quelques années plutôt. La révolution haïtienne est la fille de la révolution française. Cependant, « la ‘révolution de Saint-Domingue’ surpassa sous certains aspects non-négligeables la révolution métropolitaine »[82].

Ces idéaux révolutionnaires allaient parfois transcender les frontières sociales. Le Compte de Lameth l’illustre à travers les propos suivants : « Je suis l’un des principaux propriétaires de Saint-Domingue, mais je vous déclare que je préfère perdre tout ce que je possède plutôt que violer les principes consacrés par la justice et l’humanité. Je me déclare à la fois partisan des sangs-mêlés [Mulâtres ou métis] dans les assemblées administratives et de la liberté des noirs »[83]. Ces propos sont évidemment choquants et inacceptables pour la majorité des Blancs dont un groupe réclame l’indépendance[84] pour pouvoir mieux asseoir son hégémonie au détriment des classes/races dites inférieures dans la colonie.

Une hypothèse (d’indépendance) que la métropole refuse d’envisager car colonie était pour elle trop importante. Celle-ci « embrassait [en 1789], à elle seule près de deux tiers des intérêts commerciaux de la France. »[85] La grande révolution qui éclate en France a permis l’émancipation non seulement de la France et ses colonies « mais aussi de l’Europe entière »[86]. L’émergence de l’Etat d’Haïti s’inscrit ainsi dans une dynamique globale qui a vu naitre un long et lent processus de bureaucratisation, de monopolisation des ressources et des contraintes, d’accumulation de capitaux.

Tout au long de la colonisation les puissances européennes ont diffusé, sans probablement être conscientes des éventuelles conséquences, le model de l'exercice du pouvoir et le nouveau mode de politique constitutive (les normes régissant le fonctionnement institutionnel) qui découlaient de la disparition du système féodal. Disparition corollaire à la montée en puissance de la bourgeoisie. Celle-ci établit un rapport nouveau à la richesse qui n’est plus forcément héréditaire mais acquise, accumulée grâce à l’exploitation de « l’homme par l’homme »[87]. Le travail est source de production de richesse. Une nouvelle forme de gouvernement de soi et des autres que les élites coloniales vont utiliser dans les quêtes d’accession à la direction des monopoles de contraintes et de richesses. Ainsi Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe, etc. vont calquer leur stratégies, sans forcément y parvenir[88], de prise et surtout d’ « économie de pouvoir »[89] sur la France, c'est-à-dire sur le type d’exercice du pouvoir qui y existe.

Tout cela aura grandement influencé la construction d’un Etat haïtien. D’autres dynamiques européennes – révolutions françaises, guerres européennes – ont par ailleurs exacerbé « les conflits sociopolitiques »[90] entre les élites saint-dominguoises. Ce qui provoquera l’effondrement de l’Etat colonial et l’émergence de l’Etat Haïtien. Des deux côtés de l’Atlantique se sont produits des événements qui vont « défaire » l’Etat colonial et « faire » l’Etat national haïtien. « La guerre civile, le chaos et l’anarchie ainsi que l’invasion de Saint-Domingue par l’Espagne et l’Angleterre signifiaient donc l’effondrement progressif de l’Etat colonial français et la mise en place de l’Etat haïtien. »[91] Deux projets vont donc échouer : celui de Toussaint Louverture de se construire un Etat sur mesure attaché à la métropole mais où il est gouverneur à vie, omnipotent ; et celui de Bonaparte de rétablir l’esclave en vue de faire plaisir à son épouse créole Joséphine et satisfaire aux exigences des milieux d’affaire coloniaux.

Par effet serendip on va obtenir une indépendance qui n’était pas explicitement désireux par ceux qui l’obtiennent. Les Grands planteurs Blancs, grands perdants, réclamaient certaines fois l’autonomie, d’autres fois l’indépendance. « Grâce à des mouvements de sédition, /…/ [ils sont] parvenus à arracher dans le passé certaines concessions des autorités métropolitaines. Aini ils avaient obtenu, dans un premier temps, la suppression des compagnies à monopole en 1734 »[92], etc. Ce que recherchent les grands planteurs est un rapport de force favorable en vue de l’obtention de l’abolition du pacte colonial qui ne leur permet pas d’accumuler la quantité de capitaux qu’ils désirent. 1789 et le processus de démocratisation qui allait s’en suivre, selon eux, leur offrent l’occasion de parvenir à leur fin, de pouvoir faire comme les « 13 colonies américaines qui venaient de proclamer leur indépendance face à leur métropole »[93].

L’opposition dans la colonie entre des groupes royalistes d’une part et des groupes autonomistes ou indépendantistes de l’autre crée une dynamique « guerrière » à Saint-Domingue. La bourgeoisie libérale allait former une assemblée coloniale dite de Saint-Marc en s’arrogeant « le pouvoir législatif, compétent pour aménager le régime intérieur de l’île »[94].

Pour le maintien du système colonial l’assemblée de Saint-Marc affirme l’impossibilité d’appliquer les droits de l’homme aux Antilles car le passé spécifique de l’île, son éloignement par rapport à la France, la différence de climat, de mœurs et de population la rendraient ingouvernable. Dans cette dynamique chaque groupe d’actants cherchent à justifier par tous les moyens leur positionnement comme s’il y avait un impératif de justification pour chacun. Les arguments de part et d’autre se veulent rationnels. Mais en réalité chacun essaie de déployer des stratégies qui servent (ou qu’ils croient servir) son intérêt propre. C’est un jeu, on y joue parce qu’on s’y sen bien et parce qu’on y croit.

Les esclaves sont conçus comme des instruments, ne disposant pas de logos (exclu de fait des champs de compétition pour l’accès aux ressources matérielles et symboliques) ou très rarement, les élites des différents camps peuvent les utiliser à leur guise. Pourtant ces « sans part »[95] que sont les esclaves vont finir par faire une nouvelle fois fermement irruption sur la scène politique pour prendre simplement leur part. Ce qui était pour les élites et les esclaves eux-mêmes inenvisageables il y a peu de temps devient désormais devient désormais possible : un Etat indépendant sans les puissances intérieures que sont les grands planteurs blancs et les autres.

Cette accession à l’indépendance est problématique. Elle remet en cause les fondements mêmes du tout nouveau système capitaliste florissant. Car au delà de tout jugement normatif qu’on peut porter sur l’esclavage il est une réalité qu’on doit prendre en compte : l’esclavage qui démarre après la découverte du nouveau monde n’est rien de plus qu’un moyen de production comme le sont les machines aujourd’hui. Sa disparition sans les moyens de production de substitution remet en cause le mode de production. Ce qu’aucun Etat colonial de l’époque n’était prêt à accepter même avec l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Contrairement à Haïti les Etats-Unis d’Amérique n’ont pas remis en cause les moyens de production mais leur rapport et leur lien avec la métropole. C’est cette problématique que le nouvel Etat d’Haïti va devoir gérer dans un climat de guerre permanent.

2. Un état de guerre permanent

Et vous, hommes précieux, généraux intrépides, qui insensibles à vos propres malheurs, avez ressuscité la liberté en lui prodiguant généreusement votre sang ; vous n’avez rien fait si vous ne donnez aux nations qui tenteraient de nous la ravir à nouveau un terrible mais juste exemple, de la vengeance que doit exercer un peuple fier d’avoir récupéré sa liberté et déterminé à la maintenir. Intimidons ceux qui oseraient tenter de nous la ravir une nouvelle fois. Commençons par les Français…[96].

A travers ces propos, J.J. Dessalines[97] confirme l’état de guerre permanent dans lequel va évoluer la jeune nation. La perte de cette colonie a été pour la France l’effondrement du rêve « de se constituer un empire en Amérique »[98]. Cette déception est illustrée par la liquidation rapide de la Louisiane, mais elle ne la (à Haïti) lui pardonnera jamais. Ce chapitre se consacre à cette situation et ses conséquences sur le devenir d’Haïti en tant qu’Etat indépendant.

2.1 La hantise

Une fois l’indépendance acquise, la société haïtienne est loin d’atteindre « l’ataraxie sociale ». Elle vit dans la peur et consacre quasiment tous ses moyens dans sa défense et dans l’entretien de cette peur[99]. Celle-ci se justifie par le fait que les Etats voisins refusent de reconnaître l’Etat d’Haïti. Pas même ceux dont elle entretenait des relations commerciales privilégiées ou d’entraide[100]. Les colons émigrés en France n’ont de leur coté eu de cesse de presser le « gouvernement pour qu’il soumît par la force la partie occidentale de Saint-Domingue. »[101]

L’arrivée d’Haïti dans le « concert des nations » est problématique. « La raison en est que c’est une émancipation de fait qui avait été arrachée au colon. »[102] La France va ainsi s’opposer à l’émancipation de son ancienne « perle des Antilles » pendant près d’un quart de siècle au cours duquel « le pays a figuré au ban de toutes les nations occidentales esclavagistes. Pour ces dernières, aucune émancipation n’aurait su dépendre de la volonté de l’esclave qui, tout au plus, ne pouvait que la désirer ou la mériter. »[103] Dans le cadre des « tractations» et des rivalités interétatiques certains Etats comme l’Angleterre ou les nouveaux Etats-Unis d’Amérique ont soutenu d’une manière ou d’une autre la guerre de l’indépendance d’Haïti. Ils ne l’ont pas soutenue parce qu’ils voulaient voir l’île indépendante mais contre la France et grâce aux avantages commerciaux ou coloniaux qu’ils pouvaient en tirer.

Il est toutefois indélicat que des Etats esclavagistes soutiennent une révolution d’esclaves contre « perpétrées » leur maîtres. Le capitalisme de la fin du 18eme siècle et du début du siècle suivant se repose sur ce moyen de production « essentiellement fait de rapports sociaux » et « d’hommes-objets », que constitue l’esclavage. La reconnaissance d’Haïti aurait pu donc être considérée comme un signal envoyé aux autres colonies adjacentes. Ce qui mettrait à mal le système capitaliste colonial. Cependant la hantise n’était pas le fait exclusif d’Haïti mais aussi d’Etats voisins à commencer par l’ancienne métropole. L’étonnante centralisation de la violence par Jean-Pierre Boyer laissait à désirer.

En effet, de son coté la France, « craignait pour ses colonies des Antilles (dans lesquelles elle maintenait l’esclavage) [en voyant] l'accroissement du pouvoir de Boyer, devenu chef des Noirs comme des Mulâtres, [elle] essaya de traverser l'entreprise en faisant paraître ses forces navales à la presqu'île de Samana ; mais son gouvernement n'osa pas intervenir efficacement ». Cette crainte de l’ancienne mère patrie devait s’amplifier quand Jean-Pierre Boyer arbora « ouvertement une politique de protection à [l’égard d’habitants de colonie française] : en 1822, il donna secours et asile aux proscrits de la Martinique. »[104]

La crainte et la menace permanente que fait peser cette indépendance sur la jeune nation allait prendre une tournure particulière et lourde de conséquence quand en « 1825, une flottille française commandée par un capitaine de vaisseau parut dans la rade de Port-au-Prince, avec pour mission d'obtenir l'enregistrement immédiat d'une ordonnance du roi Charles X (ord. du 17 avril 1825) : la France réclamait le versement d'une indemnité de 150 millions, pour prix de la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti. »[105]

Cette a semblé faire frémir Boyer qui avait, probablement, peur de perdre l’indépendance de la patrie ou de voir la ville de Port-au-Prince, bâtie en bois, brulée « se soumit et fit accepter l'ordonnance dans une séance secrète du sénat, malgré les résistances et l'impossibilité où l'on était de satisfaire aux conditions imposées. »[106] Boyer allait envoyer des comminssaires contracter un emprunt de 30 millions de francs au près de la banque française afin de commencer à honorer une dette nationale artificielle. Cette dette déclarée dette nationale constituera un lord fardeau hypothéquant le développement du pays. Le corps législatif allait décréter une imposition extra-ordinaire de 30. 000 000 de gourdes dont la population est incapable de pourvoir.

Le gouvernement haïtien conscient de sa force réelle devait tout mettre en œuvre en vue de rassurer les puissances coloniales voisines de sa volonté de pas s’immiscer dans leurs affaires internes ce qui l’exposerait à une annexion ou à une recolonisation. Ainsi la Constitution 1806 a pris soin, à l’article 2, d’inscrire que « La République d'Haïti ne formera jamais aucune entreprise dans les vues de faire des conquêtes ni de troubler la paix et le régime intérieur des îles étrangères. ». La nouvelle République se trouve dans une situation d’autarcie avec l’obligation, pour continuer d’exister, de combattre tant que « l'acharnement, la barbarie et l'avarice de nos ennemis les porteront sur nos rivages »[107]. C’est une posture de défensivité extrême avec une absence totale d’offensivité.

Ce constat est valable d’aussi bien sur le plan économique (commercial) que militaro-politique. Cependant on aurait pu trouver une exception à cette affirmation concernant la campagne de l’est. Mais à vrai dire c’en est pas une puisque selon les autorités haïtiennes la République Dominicaine a, d’une part, toujours été partie intégrante d’Haïti, d’autre part, Haïti est plus sûre si elle n’a que la mer pour frontière. Donc les campagnes orientales s’inscrivent toujours dans cette politique défensive. Ce qui met l’Etat haïtien dans une situation d’angoisse permanente d’une attaque dans une situation où les moyens économiques manquent cruellement.

L’Etat haïtien n’est donc pas un Etat-puissance (Machtstaat)[108], souverain dans le cadre du système des Etats européens, ce n’est non plus un Etat commercial (Handelsstaat), relativement clos, correspondant à la forme économique et sociale du capitalisme bourgeois , l’Etat haïtien n’est pas un Etat libéral, fondé sur le droit, et la constitution et orienté vers la liberté personnelle de l’individu enfin l’Etat Haïtien des vingt premières années est différent de l’Etat national qui « reprend et exacerbe toutes les tendances précédentes et qui est orienté vers la démocratie »[109]. Haïti passe 21 ans à surveiller le retour offensif d’une France qui incarne dans l’imaginaire collectif la barbarie[110]. A partir de 1825 certains des motifs de la hantise s’écarte mais elle doit désormais consacrer toute son énergie au service de la dette contractée à la France. Cependant les luttes internes en vue d’accéder à la direction des ressources économiques, politiques et symboliques n’en finissent pas. L’assassinat de Dessalines le 17 octobre 1806 au Pont-Rouge annonce déjà la couleur.

Les difficultés auxquelles le nouvel Etat est confronté trouvent leurs racines dans le passé colonial et dans luttes pour la reconnaissance des droits puis de l’indépendance. Ces batailles ont engendré le massacre, la fuite des élites économiques et « intellectuelles » (ou administratives), la destruction de l’économie de l’île, etc. Or l’Etat moderne avant tout question de règles procédurières strictes, de division des responsabilités, de forte hiérarchie et des relations impersonnelles, de la rationalisation de la conduite des affaires publiques, de moyens et de personnels qualifiés. L’Etat Haïtien du début du était manifestement privé des moyens c’est en sens que nous pouvons parler de destruction des bases sur lesquelles l’Etat moderne ou wébérien devrait émerger.

2.2. Destruction des bases sur lesquelles l’Etat « moderne » devrait émerger

L’Etat moderne est une affaire d’appareil administratif fortement bureaucratisé et différencié, « disposant d’une armée importante et quasi permanente, bénéficiant d’un système fiscal complexe »[111] et nécessitant des ressources matérielles et humaines appropriées. La révolution haïtienne s’est axée autour du « mot d’ordre » : Koupe tèt boule kay[112]. Du point de vue des ressources économiques, la destruction a été quasi-totale. Henri Christophe n’a pas hésité à mettre le feu dans la ville du Cap en détruisant tout. « Le 26 février 1802, au moment où les Français, maîtres de Port-au-Prince, marchaient sous les ordres du général Boudet sur la ville de Saint-Marc, Dessalines, qui la commandait, ordonna de l'incendier et mit lui-même le feu à sa maison, dont l'ameublement et la construction lui avaient coûté beaucoup d'argent. »[113] Cette pratique était générale. Les esclaves étaient des « sans parts » sur le plan économique, social et politique et n’avaient donc « rien à perdre » et « tout à gagner ». Le slogan « vivre libre ou mourir » illustre bien cet état d’esprit. Point n’est besoin d’affirmer que le nouvel Etat haïtien se trouve au lendemain de l’indépendance dans une situation économique préoccupante, d’autant plus qu’il fera l’objet d’isolement diplomatique et d’un « cordon sanitaire » (cf. isolement diplomatique et cordon sanitaire). Ce qui entache les relations commerciales.

Or bon nombre d’auteurs ont, à la suite de Marx, montré combien le développement de l’économie marchande ont accéléré la construction étatique en Europe[114]. Certains, comme Immanuel Wallerstein, ont même privilégié la structure économique qui aura des incidences politiques décisives[115]. L’insertion des sociétés historiques dans de vastes et complexes « systèmes sociaux » avec une organisation économique globale et une organisation politique appropriée favorisant « l’extraction des surplus de production et de richesse créée, et l’exploitation des producteurs par les dominants »[116]. Ce processus allait peu à peu s’imposer à l’Europe du Nord-ouest puis à toute l’Europe (à quelques rares exceptions près) avant de s’élargir au monde entier.

Le système économique de Saint-Domingue se base essentiellement sur l’agriculture. C’est ce « binôme capitalisme-esclavage » qui allait faire de Saint-Domingue la colonie la plus prospère du monde[117]. L’absence de la ‘main-d’œuvre noire’ remet automatique en cause « l’alliance entre l’Etat et la bourgeoisie /…/ dont la traite des noirs et l’exploitation coloniale étaient deux des principaux piliers »[118] à la base du « miracle économique ». Cette remise en question porte un gros coup à l’économie coloniale. Par ailleurs, la révolution s’est attelée à la destruction de cette prospérité économique, bâtie grâce « au sang » des nègres, si importante à la métropole car « sans colonie, point de commerce ; sans commerce, point d’industrie et sans industrie point de richesse »[119]. Si cette destruction a occasionné la fuite des colons oppresseurs, elle ne saurait favoriser l’émergence de l’Etat moderne c’est-à-dire la constitution « de gouvernements forts et centralisateurs, d’institutions diversifiées, d’une bureaucratie puissante, de flottes et d’armées capable de faire régner l’ordre sur mer et sur terre »[120]. L’autre aspect de cette révolution c’est qu’elle est nécessairement inscrite dans la continuité des structures structurantes qui structurent (jadis) la colonie.

La colonie s’est construite autour du principe de déshumanisation, de dévalorisation de « cet autrui qui m’est étranger et différent, ce moi qui n’est pas moi mais qui prétend être mon semblable, mon alter ego »[121] (cet homme-objet) afin de pouvoir justifier son exploitation. La révolution de Saint-Domingue qui est l’affirmation de l’égalité, la réalisation des Droits de l’Homme, qui demeuraient jusque-là formels, s’est vue obliger de « massacrer, de chasser » l’homme Blanc qui serait un obstacle à la concrétisation de cette ambition. Car, dans la colonie la figure de l’homme Blanc désignait pour plus d’un celle de l’oppresseur. Aujourd’hui encore la mythologie haïtienne rapporte que Dessalines « pat janm vle wè Blan »[122]. Elle trouve probablement sa justification dans les combats de Dessalines contre les colons et ces passages de l’Acte de l’Indépendance prononcé par le premier chef d’Haïti :

Tout y retrace le souvenir des cruautés de ce peuple barbare: nos lois, nos mœurs, nos villes, tout porte encore l'empreinte française; que dis-je? Il existe des Français dans notre île, et vous vous croyez libres et indépendants de cette République qui a combattu toutes les nations, il est vrai, mais qui n'a jamais vaincu celles qui ont voulu être libres. Eh quoi! victimes pendant quatorze ans de notre crédulité et de notre indulgence ; vaincus, non par des armées françaises, mais par la piteuse éloquence des proclamations de leurs agents ; quand nous lasserons-nous de respirer le même air qu'eux ? Sa cruauté comparée a notre patiente modération ; sa couleur à la nôtre ; l'étendue des mers qui nous séparent, notre climat vengeur, nous disent assez qu'ils ne sont pas nos frères, qu'ils ne le deviendront jamais et que, s'ils trouvent un asile parmi nous, ils seront encore les machinateurs de nos troubles et de nos divisions.

Citoyens indigènes, hommes, femmes, filles et enfants, portez les regards sur toutes les parties de cette île ; cherchez-y, vous, vos épouses, vous, vos maris, vous, vos frères, vous, vos sœurs; que dis-je? Cherchez-y vos enfants, vos enfants à la mamelle ! Que sont-ils devenus ?... Je frémis de le dire... la proie de ces vautours. Au lieu de ces victimes intéressantes, votre œil consterné n'aperçoit que leurs assassins ; que les tigres encore dégoûtants de leur sang, et dont l'affreuse présence vous reproche votre insensibilité et votre lenteur à les venger. Qu'attendez-vous pour apaiser leurs mânes ? Songez que vous avez voulu que vos restes reposassent auprès de ceux de vos pères, quand vous avez chassé la tyrannie ; descendrez-vous dans la tombe sans les avoir vengés ? Non, leurs ossements repousseraient les vôtres. »[123]

Or la chasse de ces hommes qui étaient du haut de l’échelle sociale signifiait la chasse des capitaux économique, politique dans une certaine mesure, intellectuels, etc. Une certaine haine a semblé canaliser la ferveur des héros de l’indépendance et leur volonté de ne plus avoir sur le sol nation les anciens colons : « Que ces mots sacrés nous rallient, et qu'ils soient le signal des combats et de notre réunion. /…/ Paix à nos voisins ! Mais anathème au nom français ! Haine éternelle à la France ! Voilà notre cri ! »[124]

Comment constituer un ensemble d’organes administratifs, policiers et militaires, collecteurs d’impôts coiffés par un pouvoir exécutif sans un personnel qualifié ? Comment entretenir des appareils coercitifs et administratifs sans les ressources suffisantes et appropriées ?

Ainsi nous pouvons affirmer, à la suite d’autres, qu’Haïti est le résultat « du processus de ‘sélection sociale’ par l’élimination des Blancs en tant que force sociale sur l’échiquier politique à Saint-Domingue »[125].

L’économie dominguoise à la sortie de la guerre de l’indépendance est exsangue. Une grande partie de la population est fraichement issue de l’esclavage avec le taux d’analphabétisme que cela suppose. Malgré les dispositions qui ont été prises en vue de garder les professeurs, médecins, prêtres etc. très peu sont effectivement restés. La fuite massive des capitaux et des cerveaux handicape profondément toute velléité de construction de l’Etat moderne. Selon Dorsainvil, Haïti est le seul pays des « continents américains à avoir perdu l’ensemble de sa classe dominante durant les guerres pour l’indépendance, /…/ il lui manquait par conséquent ce genre de continuité et ces contacts qui s’instaurent entre jeunes Etats et anciennes métropoles, et /…/ (qui) facilite justement le maintien d’une élite – comme c’était le cas dans les autres républiques indépendantes des Amériques. »[126]

Il parait que les haïtiens surtout les masses paysannes gardaient plus de contacts (imaginaires et culturels) avec l’Afrique grâce aux « forces invisibles qui dirigent » les destinées communes d’Haïti et la terre ancestrale[127]. Il serait par ailleurs intéressant d’étudier dans quelle mesure l’attachement à une forme de culture non-occidentale ait pu bloquer l’émergence de l’Etat wébérien qui est avant tout un « modèle normatif »[128] correspondant à une culture donnée.

Par ailleurs, les mesures constitutionnelles prises en vue d’empêcher l’investissement étranger n’ont pas aidé à établir les liens aptes à favoriser la continuité nécessaire à l’émergence de l’Etat moderne. L’article 12 de la constitution stipule : « Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l'avenir y acquérir aucune propriété. »[129] L’article suivant allait essayer d’amoindrir les effets en affirmant : « L'article précédent ne pourra produire aucun effet tant à l'égard des femmes blanches qui se sont naturalisées Haïtiennes par le gouvernement qu'à l'égard des enfants nés ou à naître d'elles. Sont compris dans les dispositions du présent article, les Allemands et Polonais naturalisés par le gouvernement. » Mais cela n’a pas permis de résoudre le problème.

Haïti peinera pendant longtemps à se faire une élite nationale qui soit capable de contribuer à son développement socioéconomique. Les expulsions, le massacre de blancs, la destruction des bases économiques et sociales du pays ont sans doute pesé lourdement sur le développement ultérieur d’Ayiti Quisqueya Bohio mais ont indéniablement accéléré le processus de l’indépendance. Mais qui dit l’indépendance dira la monopolisation de la violence et des contraintes.

2.3. Accélérer le monopole de la violence

D’abord pour gagner la guerre contre les Français une gestion centralisée de la violence a été nécessaire. Ce type de gestion est primordial à la sauvegarde de « la liberté » que revendiquent les esclaves. Ce processus de monopolisation a d’abord été le fait de Toussaint. Cependant nous devons toujours garder à l’esprit l’idée qu’il s’agit de phénomène sérendipitien qu’on pourrait dans une certaine mesure qualifié de mécaniste et écarter toute perspective téléologique. Ce sont des actions posées par les uns et par les autres dans le but de défendre leurs intérêts ou du moins ce qu’ils croient l’être qui vont donner des résultats non-escomptés ou non-désirés. On pourrait avancer ce même argument concernant l’Etat européen qui est le fruit de « résultats accidentels d'efforts accomplis pour des buts plus immédiats comme la création et l'entretien d'une force armée[130] ».

Toussaint ne voulait pas l’indépendance ou en tout cas n’œuvrait pas ouvertement dans ce sens[131] pendant qu’un groupe de planteurs blancs la réclamait. Mais ces planteurs qui allaient profiter de septembre 1789 pour demander en vain le soutien de Raimond, leader mulâtre, en échange de la reconnaissance des droits des mulâtres n’avaient imaginé un seul instant que cette indépendance allait être acquise par les groupes les moins lotis de la société (les esclaves) et qu’ils n’en jouiront pas. Ils ne croyaient pas en la capacité des esclaves d’organiser un mouvement d’envergure[132].

Toussaint va prendre une série de décisions (et non-décisions) qui vont permettre la monopolisation du pouvoir et de la « violence physique » à Saint-Domingue. Tout de suite après le (l’expulsion par Toussaint) départ du commissaire Sonthonax le 24 août 1797 pour la Métropole, le Spartacus des noirs va entreprendre des négociations avec les Anglais, accepter de recevoir les émigrés mais surtout structurer et renforcer l’armée (Indigène)[133] en prenant le soin de justifier ces mesures auprès du directoire métropolitain. Toussaint n’agit pas en vue de l’indépendance mais d’une grande autonomie d’action vis-à-vis de la métropole. Il enverra ses enfants étudier en France, preuve qu’il ne souhaite pas rompre avec la mère patrie.

Les intérêts de Toussaint entant qu’ancien propriétaire d’esclaves (jusqu’à l’abolition) ne sont pas vraiment différents de ceux des autres colons attachés au système colonial. Mais la France semble ne pas souhaiter que Toussaint ait tout le monopole du pouvoir à Saint-Domingue. Le directoire envoie le 27 mars 1798, contre l’attente de Toussaint, de nouveaux commissaires sous la direction du Général Hédouville[134] qui n’a pas reçu un accueil chaleureux de la part du nouveau maitre de la colonie. Celui qui a longtemps été surnommé « fratas bâton » en raison de sa laideur ne souhaite pas avoir d’adversaire de taille dans la colonie. En ce sens il contraint Rigaud (son adversaire mulâtre du sud) à quitter l’ile et devient le seul chef dans la colonie[135]. Son projet est désormais l’unification de l’île : « à la tête d'une armée de 40.000 hommes, entouré de ses lieutenants favoris Dessalines et Christophe, il occupa la partie espagnole presque sans coup férir (26 janvier 1801). Grâce à son apparente condescendance envers le clergé catholique, les habitants de cette partie de l'île, qui contenait beaucoup de colons blancs et d'émigrés, lui devinrent aussi dévoués que les Noirs »[136].

La constitution de 1801 représente en quelque sorte la concrétisation formelle des efforts de monopolisation du pouvoir par Toussaint à Saint-Domingue. Il serait plus judicieux de voir en ces actes, non une volonté de délivrer les pauvres noirs longtemps croupissant sous le joug de l’esclavage (contrairement à ce que rapporte la mythologie haïtienne), mais des efforts en vue de la satisfaction d’ambition personnelle plus immédiate, notamment la désaltération de la soif du pouvoir personnel (autocratie) du « fatras bâton ». La Constitution de 1801 permet la concrétisation de ce désir.

L’article 8 de la constitution louverturienne écarte un autre adversaire potentiel qui est l’église catholique en affirmant : « Le gouverneur de la colonie assigne à chaque ministre de la religion l’étendue de son administration spirituelle ; et ces ministres ne peuvent jamais, sous aucun prétexte, former un corps dans la colonie »[137]. Tout est fait pour que Toussaint soit le seul à faire et défaire dans la colonie. Le titre VII de la constitution intitulé « de la législation et de l’autorité législative » stipule à l’article 19 :

Le régime de la colonie est déterminé par des lois proposées par le Gouverneur et rendues par une assemblée d’habitants, qui se réunissent à des époques fixes, au centre de cette colonie, sous le titre d’Assemblée Centrale de Saint-Domingue

Plus loin à l’article 34 il est dit :

Le Gouverneur scelle et promulgue les lois ; il nomme à tous les emplois civils et militaires. Il commande en chef la force armée et est chargé de son organisation ; les bâtiments de l’Etat en station dans les ports de la colonie reçoivent ses ordres.

Il détermine la division du territoire de la manière la plus conforme aux relations intérieures. Il veille et pourvoit, d’après les lois, à la sûreté intérieure et extérieure de la colonie, et attendu que l’état de guerre est un état d’abandon et de malaise et de nullité pour la colonie, le Gouverneur est chargé de prendre dans cette circonstance les mesures qu’il croit nécessaires pour assurer à la colonie les subsistances et approvisionnements de toute espèce.

Grace à cette constitution la volonté de monopolisation et de personnalisation du pouvoir se réalise. Toussaint est désormais le seul à pouvoir mettre en mouvement la force armée. Il s’autorise à dissiper tout « rassemblement séditieux » (cf. art. 67) par commandement verbal ou par voie militaire, à réglementer tous les domaines de l’activité sociale allant des inventions de machines rurales à la réunion publique. Cependant il demeure inapproprié de voir dans ces actions et ces mesures un quelconque acte d’indépendance, cette vision ne correspondrait pas à l’idée que les actants se faisaient eux-mêmes de leurs actions. Car, à titre d’illustration, après l’élaboration de la constitution Toussaint se donne pour obligation de la soumettre à la sanction de la métropole. L’assemblée constituante (métropole) avait préalablement accordé cette prérogative aux colonies. L’article 77 de la constitution de Toussaint Louverture le confirme :

Le général en chef Toussaint Louverture est et demeure chargé d’envoyer la présente Constitution à la sanction du gouvernement français ; néanmoins, et vu l’absence des lois, l’urgence de sortir de cet état de péril, la nécessité de rétablir promptement les cultures et le vœu unanime bien prononcé des habitants de Saint-Domingue, le général en chef est et demeure invité, au nom du bien public, à la faire mettre à exécution dans toute l’étendue du territoire de la colonie.

Cet article met en exergue la volonté de Toussaint d’être loyal mais bon gestionnaire à la fois, capable de prendre les décisions qui s’imposent au moment difficile, sans avoir à attendre les décisions de la métropole, mais aussi la volonté d’asseoir son pouvoir personnel plutôt qu’un indépendantiste. C’est un gouverneur très ambitieux et courageux qui souvent faisait « à cheval cinquante lieues sans s'arrêter et ne dormait que deux heures ; il semblait que l'ambition, source de toutes ses actions, fût aussi le soutien de son existence. »[138]

Dans ce processus de monopolisation et de centralisation tout (presque) était bon pour éliminer son adversaire potentiel. Dessalines, « au cours de la campagne contre le général André Rigaud (1799-1800), qui dirigeait une insurrection d'hommes de couleur, /…/ se livra à de tels excès (exécutions massives d'officiers et de cadres métis) qu'aussitôt il s'attira les foudres de Toussaint Louverture : ‘‘J'ai dit d'émonder l'arbre, lui aurait lancé Toussaint, non de le déraciner’’. En 1801, il écrasa la tentative d'insurrection du général noir Moïse, dans la région du Cap. »[139]

Les ambitions personnelles sont déterminantes dans ce « jeu », parfois cruel, de pouvoir. « En septembre 1802, il (Dessalines) livra à Leclerc un autre général noir, Charles Belair, qui venait d'entrer en dissidence. Cette apparente volte-face s'explique, selon toute probabilité, par la certitude qu'avait Dessalines d'une reprise prochaine de la lutte contre les Français sous la forme d'une guerre totale d'indépendance, dont il entendait assurer seul la conduite ; ce qui supposait au préalable l'élimination de ses rivaux potentiels et ceux des chefs noirs qui, comme Toussaint Louverture, pourraient être favorables à un compromis avec les Blancs : il servait ses ennemis en attendant l'occasion de se retourner contre eux »[140] Suite à la confirmation de l’annonce du rétablissement de l’esclavage par Napoléon, Dessalines va, en octobre 1802, rejoindre les révoltés. Ce qui va lui permettre de centraliser sous ses ordres le commandement de l’armée indigène à l’Arcahaye du 15 au 18 mai 1803. Il a désormais la capacité militaire de faire capituler le puissant Rochambeau du Cap qui ordonne l’évacuation de l’île. Plus la centralisation du pouvoir est effective plus on avance vers l’indépendance. La bataille de Vertières sera décisive.

L’expulsion des français engendre une nouvelle donne dans le processus d’accélération du monopole de la violence. Dessalines est général en chef et n’a plus d’ennemis ou d’adversaires colons dans la colonie mais cela ne veut pas dire qu’il n’a pas de dangereux adversaires. Nonobstant, Dessalines semblent croire qu’il détient désormais le monopole de la violence du point de vue intérieur et qu’il lui reste à, tout simplement, « par un dernier acte d'autorité nationale, assurer à jamais l'empire de la liberté dans le pays qui [l’a vu] naître ; [à] ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps [nos] (ses esprits et celui de ses compatriotes) esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir ; [à] enfin vivre indépendant ou mourir. »[141] Un peu plus d’un an après la proclamation de l’indépendance nationale, il s’est fait, dans le sillage de Napoléon, proclamé empereur. Octobre 1806 prouvera que la bataille pour le monopole de la gestion de la violence et l’accès aux ressources était loin d’être terminée. L’empereur s’est fait lâchement assassiné à travers un complot insuffisamment élucidé. La mort de Dessalines ouvre la porte à une guerre ouverte pour le pouvoir qui se soldera par la séparation du pays.

Le général Christophe rétablira un gouvernement dans le Nord que son adversaire, le général Pétion ne reconnaît pas. Mécontent de la limitation de son pouvoir par le Sénat Christophe marchera sur Port-au-Prince le 1er janvier 1807 ce qui provoquera sa destitution par l’Assemblée et son remplacement par Pétion. Grace à son armée Christophe parviendra tout de même à s’installer dans la partie Nord d’Haïti. Ce qui signifie une gestion éclatée de la violence à l’échelle nationale. Dans le Nord Christophe symbolise le pouvoir des Noirs et Pétion dans l’Ouest et le Sud celui des mulâtres.

Dessalines dans sa déclaration du premier janvier 1804 semble négliger les divisions, les luttes intérieures qui pouvaient mettre en péril le monopole de la violence qu’il a désormais entre ses mains. Pour lui la seule vraie menace est la France. D’où cette déclaration : « Jurons à l'univers entier, à la postérité, à nous-mêmes, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination. De combattre jusqu'au dernier soupir pour l'indépendance de notre pays ! »[142]

L’empereur s’autoproclame le père du peuple qu’il exhorte ainsi :

Rappelle-toi que j'ai tout sacrifié pour voler à ta défense, parents, enfants, fortune, et que maintenant je ne suis riche que de ta liberté ; que mon nom est devenu en horreur à tous les peuples qui veulent l'esclavage, et que les despotes et les tyrans ne le prononcent qu'en maudissant le jour qui m'a vu naître ; et si jamais tu refusais ou recevais en murmurant les lois que le génie qui veille a tes destinées me dictera pour ton bonheur, tu mériterais le sort des peuples ingrats.

Celui qui allait peu de temps après Napoléon se faire proclamer Empereur n’a vraisemblablement pas évalué les véritables forces intérieures dans les luttes pour l’accès à la direction des monopoles qui pouvaient remettre en cause sa propre légitimité et mais également l’Etat qui est sur le point de se construire. Ccet Etat repose sur Dessalines, son unité dépend de lui. L’assassinat de l’empereur donne à l’Etat une nouvelle direction pour le meilleur ou pour le pire.

Au lendemain de 1806 plusieurs Etats naissent dans l’Etat, ce qui enlève à l’Etat d’Haïti son essence jusqu’à la mort d’Henri Christophe dans le nord et l’avènement de Jean-Pierre Boyer en 1822 qui allait, grâce à une armée de 20.000 hommes, lancer une expédition contre la partie orientale de l’ile qu’il annexe avec succès le 9 janvier ou février 1822[143]. Ainsi la violence physique légitime est monopolisée à l’échelle de tout le territoire. Haïti a désormais la mer pour frontière comme l’ont souhaité les héros de l’indépendance. Mais les esclaves qui se sont révoltés l’ont fait surtout pour transcender leurs conditions matérielles et sociales d’existence. Les différents gouvernements qui se succèdent mettent en place des dispositifs d’arbitrages entre les intérêts, les valeurs qui ne sont pas toujours compatibles en vue d’agir ou ne pas agir sur « l’environnement » des individus. Ces actes d’arbitrages que posent les élites vont souvent à l’encontre des aspirations de la masse. Un Etat est certes construit mais c’est un Etat qui agit contre la société ou qui n’agit pas dans le « sens de la société ».

3. L’Etat contre la société

Bien que les différents pères de l’indépendance, particulièrement Dessalines, n’aient eu de cesse de s’approprier la paternité de la nation et la considérer comme une grande famille unie par l’intérêt national une observation sociologique de la société haïtienne laisse plutôt entrevoir « une société éclatée […] en centaines de milliers de communautés familiales de base à l’échelle d’un terroir rural, d’un taudis urbain, peu organisée et comme en marge de l’officialité »[144]. Le pouvoir étatique (ou politique) avec ses élites s’érige vraisemblablement à l’encontre de la société. Jean casimir affirme : « La nation naît en s’efforçant d’éluder un pouvoir politique qui ne rêve que de la détruire, de détruire tout ce qu’elle a de spécifique. »[145] Il faut remonter au moins à la période louverturienne pour comprendre cet antagonisme Etat/Nation ou Etat/société.

3.1. Un impératif existentiel ?

Les esclaves se sont révoltés parce qu’ils veulent être libres mais pas l’indépendance. C’est en ce sens que Boukman organise avec ses troupes la cérémonie du Bois Caïman et prononce l’oraison nocturne suivante :

Dieu qui a crée le soleil, qui nous donne le jour, qui soulève les vagues et conduit l’ouragan, nous observe, caché par les nuages. Il voit tout ce que font les hommes blancs. Le dieu des Blancs leur inspire des crimes mais le Nôtre ne nous pousse qu’aux bonnes actions. Notre Dieu bon pour nous, nous ordonne de nous venger des offenses reçues. Il dirigera nos armes et nous aidera à chasser le symbole du blanc qui nous a tant fait gémir, et écoutez la voix de la liberté qui parle dans notre cœur à tous[146].

Cependant allait apparaître que le recours à l’organisation de la société sous forme d’Etat[147] était la solution la plus probable pour les Dominguois de disposer de la liberté tant désirée. L’indépendance et la capacité d’entretenir les relations internationales étaient le meilleur moyen de sauvegarder cette liberté chèrement acquise. Les relations internationales que vont entretenir les Haïtiens au lendemain de l’indépendance vont être surtout belliqueuses (du moins dans les esprits) vu la nature de leur Etat. Les dirigeants doivent sans cesse rallumer la « flamme combative » de leurs généraux, susciter la bravoure du peuple :

Qu'ils [les français] frémissent en abordant nos côtes, sinon par le souvenir des cruautés qu'ils y ont exercées, au moins par la résolution terrible que nous allons prendre de dévouer à la mort quiconque, né français, souillerait de son pied sacrilège le territoire de la liberté. /…/ Nous avons osé être libres, osons l'être par nous-mêmes et pour nous-mêmes ; imitons l'enfant qui grandit : son propre poids brise la lisière qui lui devient inutile et l'entrave dans sa marche. Quel peuple a combattu pour nous ? Quel peuple voudrait recueillir les fruits de nos travaux ? Et quelle déshonorante absurdité que de vaincre pour être esclaves. Esclaves !... Laissons aux Français cette épithète qualificative : ils ont vaincu pour cesser d'être libres. Marchons sur d'autres traces ; imitons ces peuples qui, portant leur sollicitude jusque sur l'avenir, et appréhendant de laisser à la postérité l'exemple de la lâcheté, ont préféré être exterminés que rayés du nombre des peuples libres.

Des incertitudes planent quant aux intentions des puissances coloniales voisines qui ne souhaiteraient pas que l’exemple haïtien serve de catalyseur de révoltes dans les plantations. Le nouveau gouvernement est bien conscient de cette situation et cherche à rassurer ses voisins coloniaux et négriers. Dans l’Acte de l’indépendance même Dessalines lance ce message, qui n’est pas vraiment destiné à son auditoire mais manifestement aux puissances étrangères :

Gardons-nous cependant que l'esprit de prosélytisme ne détruise notre ouvrage ; laissons en paix respirer nos voisins, qu'ils vivent paisiblement sous l'empire des lois qu'ils se sont faites, et n'allons pas, boutefeux révolutionnaires, nous érigeant en législateurs des Antilles, faire consister notre gloire à troubler le repos des îles qui nous avoisinent : elles n'ont point, comme celle que nous habitons, été arrosées du sang innocent de leurs habitants ; elles n'ont point de vengeance à exercer contre l'autorité qui les protège.[148]

Cette affirmation tendant à faire croire que la situation des autres Antillais était différente de celle des Haïtiens était franchement problématique. Quant on sait que Napoléon n’avait pas voulu rétablir l’esclavage uniquement à Saint-Domingue mais aussi en Guadeloupe et ses autres colonies. Son projet a échoué à Saint-Domingue mais réussi dans ses autres colonies. C’était plutôt une promesse faite aux puissances coloniales à fin qu’elles laissent Haïti en paix. Car la situation du pays ne lui aurait pas permis de lutter efficacement contre une invasion anglaise ou américaine. L’émergence de l’Etat d’Haïti le place dans une autre dimension. Les autorités doivent désormais prendre en compte l’influence de la rivalité internationale de même que les rivalités internes entre groupes d’intérêts et classe sociales.

La liberté et l’indépendance nécessaires à sa sauvegarde deviennent obsessionnelles. Au point où les élites dirigeantes, en légitimant leurs décisions par la nécessité de l’indépendance, oublient ce que liberté veut dire. Elles oublient que la liberté de quelques-uns n’est pas liberté. Tout est orienté dans le sens de ce qu’elles croient nécessaires à l’existence de l’Etat d’Haïti sans prendre en considération que le combat du peuple était justement l’élimination du joug qui l’anéantit.

Dans le but d’être reconnu par la France et d’exister, car l’indépendance d’Haïti a été unilatéralement proclamée et dans le concert des nations un Etat n’existe que si les autres Etats reconnaissent son existence et son droit d’exister, l’Etat d’Haïti a contracté l’importante dette[149] (dette de l’indépendance) que nous avons décrite dans les chapitres précédents au détriment des citoyens.

« Les Haïtiens disent avec colère /…/ qu’ils ne devaient rien aux propriétaires de Saint-Domingue. Imposer une indemnité à des esclaves vainqueurs de leurs maitres, en effet, c’est leur faire acquitter à prix d’argent ce qu’ils ont déjà payé de leur sang. »[150] Le pays se trouve devant un impératif permanent : la lutte pour l’existence. Cette lutte sert également à justifier certains choix politiques et économiques faits par les élites dirigeantes. Son autoconstitution pose toujours problème sinon reste incompréhensible, ce qui n’est pas sans incidence sur les luttes pour la reconnaissance.

Ludwell Lee Montague avance : « Haïti ne se trouve qu’à six cent miles de la Floride… Etant donné sa proximité, sa position stratégique et le caractère unique de cette république noire, il est frappant de constater que ce pays et ce peuple demeurent si étrangers aux américains. Bien que l’histoire d’Haïti est intimement liée à celle des Etats-Unis pendant plus de deux siècles, Haïti reste toujours aux yeux des Américains une terre de présages et de mystères-une terra incognita »[151]. Pourtant Haïti est selon les mots de John Adams en 1783 vitale pour les Etats-Unis de la même manière que les Etats-Unis lui sont vitaux[152]. Cependant, les Etats-Unis, malgré les rapports commerciaux assez étroit, ont refusé de reconnaitre l’indépendance d’Haïti jusqu’en 1862. Bien que la France l’ait reconnue.

Paradoxalement les Etats-Unis avaient apporté quelques maigres soutiens à Haïti lors des luttes contre l’Armée française. Ces soutiens se sont inscrits dans le cadre des efforts américains « destinés à contrer les puissances anglaises et françaises, de façon à créer leur propre sphère d’influence dans les Amériques. »[153] Mais les Etats-Unis voulaient toute fois garder de très bons rapports avec les puissances européennes. Par ailleurs Rayford Logan souligne « l’importance des préjugés raciaux dans les relations américano-haïtiennes »[154]. On peut également imaginer que les Etats-Unis avec ses nombreux esclaves se trouvaient dans une position indélicate de reconnaître Haïti qui est un Etat issu de la rébellion d’esclaves contre leur maitres. Thomas Hart Benton, député de Missouri, déclare :

Notre politique envers Haïti… a été fixée… depuis trente-trois ans. Nous commerçons avec eux, mais aucune relation diplomatique n’a été instaurée entre nous… Nous ne recevons aucun consul mulâtre, et aucun ambassadeur noir envoyé de leur part. Et pourquoi ? Parce que la paix de onze Etats américains ne supportera pas parmi eux l’exhibition des fruits d’une insurrection noire. Elle ne supportera pas de voir les consuls et les ambassadeurs noirs… donner à leur semblable noirs aux Etats-Unis la preuve des honneurs qui les attendent s’ils arrivent à fournir les mêmes efforts de leur coté. Elle ne supportera pas le fait qu’on lui montre, et qu’on lui dise que, ayant assassiné leurs maitres et leurs maitresses, ils ont des chances de trouver des amis au sein de la population blanche des Etats-Unis[155].

Tout va être entrepris afin d’éviter la propagation de cette contagion que représente la révolution haïtienne. Un cordon sanitaire est mis en place. Il ne faut pas exhiber ce qui pourrait nuire à la stabilité des colonies et remettre en cause le mode de production capitaliste esclavagiste. Pour continuer à exister Haïti doit s’y conformer car n’ayant pas suffisamment de moyens matériels et militaires elle résisterait très mal à une coalition américano-franco-anglaise. La révolution haïtienne est présentée comme une hardiesse, un exemple à éradiquer. C’est dans ce climat international que le nouvel Etat va désormais évoluer. Cette situation influe sur type d’Etat que va devenir Haïti.

En dehors de ces problèmes de reconnaissance internationale, le pays est confronté à des problèmes intérieurs urgents qu’il faut résoudre. Comment, par exemple, concilier la liberté des anciens esclavages et la nécessité de produire suffisamment de richesse pour entretenir une armée, un appareil administratif, etc. ? Comment rompre avec l’habitus colonial ? Ce sera l’objet de la partie suivante.

3.2. Exploitation et déni de liberté

Le slogan « liberté ou la mort ! » claironne sur cette partie ouest de l’ile. Il met en exergue la fierté d’une Haïti libre mais « […] cette fierté est tissée d’angoisse dans un pays où il fallait réaliser une difficile symbiose entre groupes d’origines diverses et motivés par tant d’intérêts contradictoires. »[156] Au-delà de ce slogan dont Dessalines est le principal promoteur surgissent des problèmes pratiques[157] hérités de la structure coloniale qu’il faut immédiatement résoudre. Bien que le peuple soit enthousiasmé derrière ses dirigeants en jurant en chœur de « vivre libre ou mourir !», il semblerait qu’il n’entend et ne conçoit pas la même chose de la liberté. Les dirigeants conçoivent la liberté, qui est d’abord le fait des élites militaires, comme la liberté par rapport à la métropole et aux autres puissances coloniales qui « tenteraient de ravir » cette indépendance durement acquise. Mais le peuple envisage une liberté « réelle » où ses conditions d’existence changent par rapport au temps de la colonie. Cette divergence de vue entre gouvernants et gouvernés va « pourrir » les rapports Etat/société pendant de longues années. « Le maintien - dans un souci de rentabilité - de la grande propriété privée ou étatisée allait à l'encontre des espérances de la masse des Noirs qui, conformément aux promesses de l'Empereur, espéraient bénéficier d'une réforme agraire. »[158] En outre, le régime dessalinien soumet les cultivateurs noirs «à une stricte discipline qui conduisit au travail salarié forcé sur les plantations »[159]

Dès l’époque de Toussaint Louverture (avant l’indépendance) le problème de la régulation de la liberté ou de la compatibilité de l’abolition de l’esclavage avec le système « économique de plantation » s’était posé.

En effet, Toussaint Louverture se trouve dès le début de « sa » monopolisation du pouvoir politique à Saint-Domingue face à un dilemme : Comment gérer les nouveaux libres ? Comment les maintenir dans les champs afin que les travaux des plantations ne s’interrompent pas ? Car, quoi qu’on puisse affirmer, à Saint-Domingue l’esclavage est avant tout un moyen de production consistant à chosifier les hommes pour l’exploitation capitaliste. Abolir l’esclavage suppose d’autres moyens de production de substitution. Or le capitalisme du début du XIXème siècle n’entendait pas se priver de la force des esclaves, très peu onéreuse. Les préoccupations de Toussaint apparaissent clairement dans l’article 14 de la constitution de 1801, lorsqu’il affirme : « La colonie, étant essentiellement agricole, ne peut souffrir la moindre interruption dans les travaux de ses cultures. »[160]

Comment expliquer aux nouveaux libres qu’ils sont libres mais doivent encore rester dans les plantations, ce qui est pour eux symbole d’aliénation ? Toussaint tentera d’établir un « régime de travail forcé », qui ne dit pas son nom, en remplacement de l’esclavage. L’article 16 affirme que « tout changement de domicile de la part des cultivateurs entraine la ruine des cultures. » avant d’ajouter que « pour réprimer un vice aussi funeste à la colonie que contraire à l’ordre public, le gouverneur fait tous les règlements de police que les circonstances nécessitent »[161]. Ces mesures « économiques » ne correspondent pas à l’aspiration des esclaves qui se sont insurgés en vue d’être libres.

Et le « Spartacus des noirs », Toussaint Louverture, et le Héros de Pont Rouge[162], Jean Jacques Dessalines, prennent des décisions dans le but de consolider l’Etat au détriment de ce pourquoi le peuple s’est battu : la liberté. Dessalines ira jusqu’à inscrire dans la Constitution de 1805 que « La qualité de citoyen d'Haïti se perd par l'émigration et par la naturalisation en pays étranger, et par la condamnation à des peines afflictives et infamantes. Le premier cas emporte la peine de mort et la confiscation des propriétés.»[163] Ces mesures auraient été prises en vue de la sauvegarde nationale. Mais comment le peuple les entend-il ?

Henri Christophe dans la volonté de solidifier l’économie du Nord « fit construire des manufactures de cotonnades et des usines d'armement. Mais d'un autre côté, son autoritarisme sans nuance fut de plus en plus mal supporté : il se livra à des exactions, monopolisa l'industrie, et rétablit le servage de la glèbe, avec des moyens de répression bien voisins de l'esclavage. Il avait créé une maison royale et militaire, avec une armée de 24.000 hommes, que ne pouvait entretenir une population pauvre et sans commerce de 240.000 âmes.» Avec 1 soldat pour 10 habitants, l’Etat « christophien » s’apparente à un véritable Etat « policier ».

Par ailleurs les intérêts politiques des élites semblent opposer à l’intérêt public. Les fondateurs « de la République ont mis du temps à se défaire de la mentalité d’anciens colonisés. »[164] En effet dans le contexte colonial « pour un esclave voler le maître n’est pas voler »[165]. Dans l’Haïti « libérée », le maitre ce ne sont pas les colons mais l’Etat. Cela à une double signification. L’oppresseur a changé de nom et de visage. L’homme blanc n’est plus, Saint-Domingue non plus. Le nom de colonie a été remplacé par République mais les fonctions restent pour l’ancien esclave les mêmes : celles d’oppresseur et d’oppressé. Et si dans le cadre colonial on avait l’habitude de banaliser, normaliser le fait de voler le maître oppresseur il n’y a pas raison qu’il en soit autrement concernant l’Etat oppresseur. Ainsi le ton est donné par « Jean Jacques Dessalines à l’égard de l’Etat qu’il est censé construire /…/ ‘‘plumez la poule mais ne la laissez pas crier !’’ »[166] Pour entretenir ses nombreuses maitresses l’Empereur n’hésite pas à utiliser les recettes douanières[167].

Par ailleurs Leslie Péan met accent sur le fait que Haïti soit construite sur des bases raciales et que les politiques partisanes sont déterminées par les antagonismes entre mulâtre et noirs. Les masses paysannes deviennent « les otages permanents » de ces conflits partisans entre des élites qui ne songent qu’à leurs intérêts propres. Jacques Chevrier qui a préfacé l’ouvrage de L. Péan que nous avons susmentionné affirme que « sans doute doit-on admettre que la source du mal remonte à la blessure coloniale, le traumatisme se transmettant de génération en génération. /…/ [c’est] un Etat malade de la débrouille, du tribalisme, de l’intimidation et de la terreur quotidienne. »[168]

Haïti a su se construire un type de socialisation à partir de ses différents héritages –amérindiens, africains et européens. C’est une socialisation de « transculturalité » qui peut rendre peu pertinente les typologies traditionnelles utilisées pour décrire les formes d’organisation sociale, politique et juridique. La source des éléments qui attribuent une dimension transculturelle à la socialisation haïtienne reste néanmoins imaginaire (de image) dans la mémoire collective. C’est-à-dire liée symboliquement à un ailleurs très flou. Le terme qui correspondrait le plus est imago venant du latin et qui signifie image. Imago désigne aussi le stade final du développement d'un insecte ptérygote qui a effectué sa métamorphose. Il peut s’agir également d’adulte reproducteur. Répondant aux questions d’un enquêteur canadien un paysan haïtien dénommé Gillilus[169] affirme :

L’enquêteur : Gillus, les gens de Guinée[170], qu’est-ce qu’ils sont venus faire ici ?

Gillus : Et bien, les gens de Guinée eux-mêmes, moi je ne les ai jamais rencontrés... Mais j’ai entendu mon père en parler. Les gens de Guinée, ce qu’ils sont venus faire ici, moi je n’en sais rien, non ! Mais ces anciens de Guinée, ils ont à voir avec les vieux murs qui sont là... C’est eux qui les ont faits, ces Guinée !

Enquêteur : Est-ce que ce ne sont pas les Blancs qui les ont fait faire, ces murs-là ?

Gillus : Non, ce ne sont pas les Blancs qui les ont faits, non mais c’est leur cerveau à eux qui a conçu ce travail.

Le type de socialisation qui s’est développé en Haïti est spécifique car ce «sont les esclaves eux-mêmes qui ont arraché leur liberté à la suite d’une révolte et d’une guerre victorieuse.»[171] Cette spécificité, le caractère transculturel d’Haïti n’influe-t-il pas sur les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques utilisés en vue de conquérir le pouvoir politique, accéder à la direction des monopoles de contraintes, arbitrer entre des intérêts et des valeurs souvent opposés? Comment comprendre le mode de gestion de la violence en vogue en Haïti ? N’a-t-on pas affaire à un type d’Etat nouveau ? N’avons-nous pas déjà souligné quelques limites du modèle normatif wébérien ? Cette troisième et dernière sous-partie sera une tentative d’apporter réponses à ces interrogations.

3.3.Gestion de la violence : impuissance ou « construction » d’un type d’Etat nouveau ?

Les travaux véritablement sociohistoriques sur l’Etat d’Haïti sont rares. Sauveur Pierre Etienne fait partie des seuls auteurs ayant travaillé sur le sujet. Il a eu recours, comme c’est le cas des auteurs qui travaillent sur un certains nombre d’Etats issus de colonisation, aux théories de l’Etat néopatrimonial qui « s’inspirent du patrimonialisme comme toile de fond du modèle idéal-typique de domination traditionnelle chez Max Weber[172] ». Sauveur pierre Etienne s’inspire ouvertement des théories de J-F Médard (traditionnel) et de J-F Bayart (historicité) en vue d’apporter une explication à ce qu’il appelle l’échec de l’émergence de l’Etat moderne en Haïti[173]. J-F Bayart soutient la thèse que le pouvoir de l’Etat permet d’accéder aux ressources matérielles et morales de cet Etat[174]. Sauveur Pierre Etienne reformule cette thèse en affirmant : «L’Etat post colonial haïtien se trouvait à la base du processus de stratification sociale en Haïti et c’est l’interaction entre les constructions de l’Etat et la formation des classes sociales qui permet une meilleure compréhension des rapports entre Etat et société et de la lutte acharnée que se sont livré les élites politiques pendant deux siècles pour la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir politique.[175] ». On sait que les thèses de l’Etat néopatrimonial de J-F Médard et celle de la « politique du ventre»[176] relatif à l’Etat en Afrique ont été très critiquées.

Cependant nous ne réfutons pas l’utilisation du terme de néopatrimonialisme pour les mêmes raisons dans le contexte haïtien. Ce sont les idées et les faits qu’exprime le concept qui sont problématiques et qui ne correspondent pas à la réalité haïtienne, à savoir, notamment, que le néopatrimonialisme est un « mélange de tradition et d’arbitraire » combiné avec « d’autres logiques » sur lequel s’appuie un pouvoir personnel. L’idée de tradition renvoie à un passé immémorial, en Haïti on ne peut pas parler de domination traditionnelle, ni même de tradition vu la composition (structure) même de la société –des gens venus de toute part, de culture éloignée les unes des autres – nous n’ignorons évidemment pas le caractère ambigu de la tradition car «des traditions qui semblent très anciennes ou se proclament comme telles ont souvent une origine très récente et sont parfois inventées[177] », et l’un des gros problèmes de l’Haïti contemporaine peut-être justement conçu comme l’incapacité à « inventer la tradition », qui aurait pu servir à légitimer la domination et la cohésion sociale.

Les habitants de Saint-Domingue venaient d’horizons très variés, et tout était fait pour ne pas réunir dans un même endroit des esclaves qui pouvaient avoir des liens culturels ou tribaux. L’idée même de conscience collective leur était étrangère (ou était à inventer). Les esclaves de Saint-Domingue ont dû s’inventer une nouvelle culture qui n’est autre que le produit d’une transculturation[178], c'est-à-dire un emprunt à la culture française mélangé avec des notions africaines et quelques vestiges Taïnos (amérindiens), puis façonné à leur manière. En ce sens l’Etat d’Haïti des 25 premières années ne saurait être ni patrimonial[179], ni néopatrimonial. Pour avoir une idée plus précise du type d’Etat auquel on a affaire regardons de plus près les moyens –militaires, économiques et administratifs et humains- dont il dispose tout au long de cette période (1804-1825).

Après l’indépendance (1804) Haïti présente les caractéristiques d’un Etat-nation. On assiste à un apparent processus d’institutionnalisation du pouvoir[180]. Dessalines prétend l’exercer au nom de l’Etat, essaie d’établir des règles qui régiraient l’attribution du pouvoir suprême à sa succession à travers des mécanismes constitutionnels. On observe, dans une certaine mesure, la réunion des trois éléments : territoire, population et autorité publique. Cependant les autorités semblent prétendre que le territoire haïtien c’est l’ile d’Haïti (avec l’actuelle République dominicaine), ce qui fait que la délimitation territoriale est ineffective. Car l’espace envisagé n’est pas effectivement soumis à la domination de l’Etat, du moins jusqu’à l’avènement au pouvoir de Jean-Pierre Boyer.

Mais d’un autre coté, si l’on se place objectivement dans le contexte du début du 19eme siècle ne pourrait-on pas qualifier l’Etat issu de la révolution haïtienne, celui de 1804-1806, de l’Etat moderne? Un Etat n’est, semble-t-il, moderne que par rapport aux autres Etats contemporains. Pour ce faire, il faudrait donc analyser les moyens dont dispose le nouvel Etat par rapport aux autres Etats. Nous n’avons cependant pas le temps et la capacité à entreprendre ce travail ici. Nous nous contenterons d’affirmer que l’Etat est étroitement lié (dépendant des) aux interactions commerciales, militaires et diplomatiques. Dans ce système d’interdépendance plus les Etats sont disposés de populations importantes, d’une « économie commercialisée » capitaliste et capables d'imposer « les lois de la guerre et leur forme d'Etat »[181] plus ils seraient à même d’être « Etats wébériens ».

On n’a pas de forme achevée de ce qu’est ou doit être un Etat moderne. On ne pourra qualifier tel ou tel Etat de moderne que par rapport à ce qui existe comme Etat à l’Epoque où l’on parle. Aujourd’hui dans le cadre de la construction de l’Union Européenne de nouvelles possibilités d’organisation internationale de la société s’ouvrent et semblent clairement indiquées que la forme étatique actuelle n’est pas définitive. Nous sommes désormais obligés d’appréhender l’Etat dit moderne non dans une perspective normative mais comme une forme possible d’organisation d’une société humaine. L’Etat ne sera plus défini par rapport à ce qui fait défaut ou qui excède dans telle ou telle société donnée mais en termes de possibilisation d’organisation sociale[182].

Sur le plan économique l’Etat haïtien issu de l’indépendance est tout de suite soumis à un embargo colonial. Il devra commercer seulement avec les pays qui acceptent de prendre le risque de contourner cette sanction. L’Angleterre et les Etats-Unis sont des pays qui n’ont pas voulu donner leur accord à l’embargo. Car l’indépendance du Saint-Domingue (future Haïti) est pour eux le meilleur moyen de remplacer les français. Malgré la destruction des bases économiques à cause de la guerre de l’indépendance et la nécessité de chasser les colons l’agriculture semble, en juin 1803, ne pas se porter si mal, à en croire Jean-Jacques Dessalines : « Le commerce avec les Etats-Unis, Monsieur le Président [du congrès], présente aux immenses récoltes que nous avons en dépôt et à celles, plus riantes, qui se présentent cette année un débouché que nous réclamons des armateurs de votre nation »[183]. Le système économique que met en place Dessalines est un système dirigiste. C’est l’Etat qui désigne le « nombre de marchands autorisés à recevoir des marchandises des négociants étrangers suivant un système de rotation »[184].

Il est bon de noter que la politique commerciale de Dessalines générait conflits et incompréhension car les « procédures douanières variaient d’un port à l’autre »[185], ce qui handicape le commerce international. Il surgissait des difficultés inintelligibles entre la perception et le remboursement des droits sur l’exportation des denrées. L’économie haïtienne est donc la suite logique de l’économie coloniale essentiellement tournée vers l’exportation avec une différence de taille : l’économie coloniale se voulait plus rationnelle. Autrement dit, elle se basait sur des règles généralement intelligibles en vue de son optimisation. Il y avait une certaine harmonisation. Le type d’économie en vogue dans un système peut donner une idée du type d’Etat auquel on a affaire. Le poids de l’économie détermine la puissance de l’Etat. Sa capacité en termes de ressources humaines indique la possibilité, au sens mathématique, de son degré de structuration sur le plan bureaucratique, social et administratif, et surtout son aptitude à collecter les impôts nécessaires à la formation et l’entretien d’une armée supérieure ou égale à la taille des forces armées des Etats rivaux.

Les principaux efforts d’après l’indépendance sont consacrés à la défense nationale. On peut supposer que les bénéfices tirés des exportations servent, après déduction de la répartition des recettes entre chefs et sous chefs, à entretenir l’armée[186]. Ce qui fait que sur le plan militaire l’Etat d’Haïti avait les moyens de dissuasion et de protection de son territoire vis-à-vis d’une puissance moyenne. Cette hypothèse est plausible si l’on prend en compte le fait que l’Armée indigène a battu l’Armée française qui était à l’époque une puissance militaire[187]. L’armée louverturienne a tenu en échec différentes tentatives d’invasion anglaise et a vaincu les espagnols de la partie orientale de l’ile.

Les institutions haïtiennes qui ont été mises en place sur les vestiges des institutions coloniales dépendent des facteurs économiques et humains que nous avons susmentionnés. L’Etat haïtien qui n’est pas un « produit voulu » présente les caractéristiques logiques des éléments qui le constituent –colonial et indigène –, des conditions qui ont favorisé son émergence. C’est un Etat serendip puisqu’il est le fruit de synthèses personnelles et imprévisibles, de l’action humaine, d’essais et d’erreurs. Les actants qui ont permis l’émergence de l’Etat serendip haïtien, cherchait autre chose, à savoir la satisfaction d’intérêts propres, et des fois rien de particulier. Bon nombre d’anomalies stratégiques de la part de la métropole, des élites de Saint-Domingue, etc. qui n'a pas été anticipé a donné Haïti comme résultat serendip.

Rien ne sert donc d’analyser l’Etat d’Haïti en fonction de ce qui lui fait défaut ou qu’il a en excès. Pour le comprendre, il faut l’appréhender comme la possibilisation d’organisation sociale, juridique et institutionnelle d’une société humaine. On a affaire à un type d’Etat nouveau, sérendipitien, qui est le résultat de luttes, d’agencements sociaux, institutionnels et politiques qu’ont consentis les hommes et les femmes de la fin du 18ème siècle et du début du 19ème siècle. Les stratégies utilisées dans la gestion de la violence correspondent aux expériences acquises dans la société qui a vu évoluer les actants, tout comme l’apparition de l’Etat moderne en Europe est le fruit d’expérience empirique. Chaque société contient en elle-même des probabilités (possibilité) d’organisation sociale en fonction des expériences des individus qui la composent et aussi les déterminants hasardeux résultant des actions sociales. L'ensemble des activités des hommes et des femmes susceptibles de transformer le milieu naturel ou de modifier les rapports sociaux (praxis) sont le fruit de l’expérience, de l’incertitude et du hasard. Dans une perspective a-normative désignons le type d’Etat qui a apparu en Haïti en 1804 d’Etat Sérendipe.

Conclusion

L’Etat d’Haïti entant qu’ancienne colonie française a apporté une contribution décisive à une époque importante au développement du capitalisme. Son itinéraire est jonché de contradictions qui ont permis des résultats atteints par chance ou erreur. Comme presque toutes les grandes constructions historiques, les luttes entre intérêts opposés, ambivalents ont permis la disparition de la structure coloniale et la formation d’une nouvelle structure. Haïti est le résultat hasardeux d’actions posées dans un cadre contraignant tant du point de vue externe qu’interne. En ce sens, il s’agit bien d’un Etat Sérendipe. Une fois parvenu à cette conclusion nous avons essayé de déceler les principaux mécanismes qui ont pu bloquer ou accélérer la construction ou l’émergence de l’Etat. Si dans une société les motivations et intérêts relativement simples influencent grandement la formation des structures sociales, les actes d’arbitrage en tant que politique constitutive (normes régissant le fonctionnement du pouvoir), redistributive, normative ou distributive qu’entreprennent les élites dirigeantes ne sont pas sans incidences sur le devenir de la société.

En ce sens nous pouvons faire nôtre cette assertion de Machiavel : « On peut appeler heureuse la république à qui le destin accorde un homme tellement prudent, que les lois qu'il lui donne sont combinées de manière à pouvoir assurer la tranquillité de chacun sans qu'il soit besoin d'y porter la réforme. /…/ Au contraire, on peut considérer comme malheureuse la cité qui, n'étant pas tombée aux mains d'un sage législateur, est obligée de rétablir elle-même l'ordre dans son sein. Parmi les villes de ce genre, la plus malheureuse est celle qui se trouve plus éloignée de l'ordre ; et celle-là en est plus éloignée, dont les institutions se trouvent toutes détournées de ce droit chemin qui peut la conduire à son but parfait et véritable, car il est presque impossible qu'elle trouve dans cette position quelque événement heureux qui rétablisse l'ordre dans son sein »[188]

Les tensions sociales qui règnent à Saint-Domingue, l’exploitation industrielle capitaliste de l’esclavage des noirs, la structure des classes sociales et les antagonismes de classes/races mettent la société dans une situation d’incertitude où les moindres efforts de révolte sont susceptibles de provoquer le chaos. Un chaos qui accélèrera la décomposition de la structure coloniale en vue de la formation de nouvelle structure. Le fait que les problèmes de classe sont sans cesse greffés sur des problèmes de race aggrave la situation mais rend paradoxalement moins probable l’alliance entre les factions de classe. Ce climat très mouvementé sert de socle d’accumulation de capitaux – économique, social, politique et symbolique – aux élites, ce qui allait avoir de profondes incidences sur la direction de la colonie et sur l’Haïti qui allait naitre.

La manière dont la métropole gère, à travers ses administrateurs coloniaux, les décrets, et tout autre acte d’arbitrage – qui ne sont pas souvent cohérents, la distance accentue davantage l’incohérence – entre des intérêts et des valeurs qui ne sont pas constamment compatibles, la colonie attise les tensions. L’ensemble de ces facteurs ont accéléré l’émergence de l’Etat d’Haïti qui pourtant a toujours été imprévisible.

Si la conjoncture (structure) internationale a permis la constitution d’une colonie aussi riche et prospère au profit de la France d’une part, elle a d’autre part favorisé l’indépendance (blocus maritime des anglais aux français, soutient des Etats-Unis, les guerres franco-espagnoles, anglo-espagnoles, anglo-françaises, anglo-hollandaises, hispano-hollandaises et franco-hollandaises qui ont eu des incidences sur toute l’Amérique). Une fois l’Etat d’Haïti émergé, la conjoncture internationale ne lui est guerre favorable car elle est la remise en cause par excellence de l’ordre esclavagiste mondial, donc du mode de production capitaliste. L’esclavage étant considéré comme un moyen de production.

Cette conjoncture défavorable ajoutée a d’autres facteurs tels que la « gouverne-mentalité imposée » par les pères fondateurs qui ont pour corollaire la corruption (refus de l’idée que les gouvernants doivent rendre des comptes), l’inscription de Saint-Domingue dans la continuité de l’habitus colonial (raciste, travail forcé, etc.), l’impossibilité pour la société haïtienne d’atteindre « l’ataraxie sociale » à cause d’une peur perpétuelle d’un retour offensif de colons agresseurs, sa non-admission dans le concert des nations, le manque criant de ressources humaines et de capitaux, la confusion entre secteur public et privé, etc. ont bloqué le développement du pays et l’épanouissement du capitalisme. Le niveau de développement d’une société et le mode de production en vogue dessinent le type d’Etat.

Nous avons essayé en partant des typologies classiques de l’Etat (Weber, Elias, Bloch, Hintze, Médard…) de faire une considération qui se veut a-normative en ayant soin de ne pas définir l’Etat d’Haïti en fonction de ce qui lui manque ou qu’il a en excès par rapport aux autres Etats mais le définir comme la possibilisation d’organisation institutionnelle et juridique d’une société. Nous avons défendu l’idée que l’Etat haïtien est serendip, ce qui est probablement le cas de beaucoup de grande construction historique. Cette posture permet d’évacuer la dimension ethnocentrique qui jalonne certaines analyses sociohistoriques de l’Etat. Si on a affaire à un ensemble de résultats atteints par chance ou erreur on sera obligé de se garder de toute hiérarchisation des types d’Etat. Ce qui permet une analyse plus ou moins conforme à son objet.

On n’a pas de forme achevée de ce qu’est et ce que doit être l’Etat. Les formes d’organisation sociale se métamorphosent avec le temps et chaque organisation sociale donnée ouvre la possibilité à de nouvelles formes d’organisations sociales. Ainsi l’Etat « post-féodal » qui a émergé en Europe semble, a travers l’Union Européenne, sur le point de se transformer pour donner une structure inédite, car on n’a affaire ni à un Etat classique, ni un Etat fédéral, ni confédéral, ni associé, pour ne citer que ceux-là. Ainsi la réflexion débouche sur ces interrogations : Etant donné que l’Etat est « un résultat atteint par chance ou erreur », il y a-t-il des stratégies, un agir collectif permettant de parvenir à un résultat historique donné ? Sinon quel est le sens de l’action au-delà de ce que peuvent lui attribuer les actants ou les analystes ?

Chronologie des événements

5 déc. 1492

Découverte d’Ayiti par Christophe Colomb et son équipe

1503

Introduction des premiers noirs à Hispaniola

1685

Promulgation du code noir

20-30 sept. 1697

Traité de Rijswijk, l’Espagne concède la partie Ouest de Saint-Domingue à la France

20 juin 1789

Admission par l’assemblée nationale française de neuf députés de Saint-Domingue dans ses rangs

Juillet 1789

Réduction du nombre de députés représentants Saint-Domingue à 6

8 mars 1790

Adoption d’un décret accordant aux assemblées locales la prérogative de proposer une constitution coloniale

1er fév. 1791

Décret de l’Assemblée nationale constituante demandant au roi d’envoyer des commissaires civils à Saint-Domingue pour y maintenir l’ordre

1er fév. 1793

Entrée en guerre de la convention contre l’Angleterre et la Hollande

7 mars 1793

Déclaration de guerre de la convention à l’Espagne

21 juin 1793

Affranchissement des esclaves combattants pour la République

29 août 1793

Abolition de l’esclavage dans la partie nord

Sept. 1793

Occupation des villes côtières de Saint-Domingue par les Anglais

4 fév. 1794

Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises par la convention

3 mai 1797

Accession de Toussaint Louverture au grade de commandant en chef de l’Armée française à Saint-Domingue

24 Aout 1797

Expulsion de Sonthonax, commissaire du directoire, de la colonie par Toussaint Louverture

2 mai 1798

Signature par Toussaint Louverture de l’accord par lequel les Anglais restituèrent à la république française l’Ouest de l’île, y compris Port-au-Prince

13 aout 1798

Signature entre les deux parties de l’évacuation de l’île par les Anglais

31 aout 1798

Signature entre Toussaint Louverture et Maitland d’une convention politique, militaire et commerciale secrète, au détriment de la République de France

6 nov. 1798

Missive de Toussaint Louverture au président américain John Adams lui proposant la reprise de navigation entre les Etats-Unis et Saint-Domingue

4 mars 1799

Reprise des relations commerciales entre les Etats-Unis et Saint-Domingue

8 juillet 1799

Début de la guerre civile dans le sud opposant le général en chef Toussaint Louverture (noir) et le général de division André Rigaud (mulâtre)

Juillet 1800

Fin de la guerre entre Toussaint et Rigaud

28 nov. 1800

Emprisonnement de Roume l’agent du directoire par Toussaint Louverture

26 janvier 1801

Annexion de la partie orientale de Saint-Domingue par Toussaint qui a désormais le contrôle de l’ile entière

8 juillet 1801

Promulgation d’une constitution qui fait Toussaint gouverneur à vie avec le droit de désigner son successeur

29 janvier 1802

La flotte de Napoléon commandée par son beau-frère Leclerc arrive à Saint-Domingue

7 juin 1802

Toussaint est arrêté et déporté en France où il allait être enfermé et mourir de froid et de faim le 7 avril 1803

Octobre 1802

Début de la guerre contre le rétablissement de l’esclavage qui allait déboucher sur l’indépendance d’Haïti

18 nov. 180.32

Défaite des troupes françaises

1er janvier 1804

Proclamation unilatérale de l’indépendance d’Haïti. Jean Jacques Dessalines devient gouverneur général à vie.

6 oct. 1804

Dessalines s’est fait nommé empereur Jacques 1er

17 oct. 1806

Assassinat de l’empereur jacques 1er

1807-1812

Guerre civile en Haïti

17 fév. 1807

Création de l’Etat puis du royaume du nord le 26 mars 1811

9 mars 1807

Fondation de la République de l’Ouest et du sud

1810

André Rigaud crée l’Etat du sud qui n’aura qu’une courte durée.

Mars 1812

Réunification du sud et de l’ouest

1820

Devenu faible physiquement et politiquement, le roi Henri Chistophe (du Nord) se suicide. Réunification des parties septentrionale et occidentale

1822

Annexion de la partie orientale de l’île. Les autorités ont désormais le contrôle de toute l’ile et le monopole de la violence.

1825

Le président Jean-Pierre Boyer accepte l’ordonnance du roi de France, Charles X, qui reconnait l’indépendance d’Haïti contre une indemnité de 150 millions de francs or.

1838

Reconnaissance officielle de l’indépendance d’Haïti par la France

Annexes

Annexe I[189]

SONTHONAX est cet avocat français, membre de la commission envoyée à Saint-Domingue en 1792 par la Convention : Il réussit, dans un premier temps, à rallier à la république française, Toussaint Louverture, mais, très vite (en 94), celui-ci le forcera à rembarquer pour la France.

Vous voyez ici la première proclamation d'abolition de l'esclavage colonial six mois avant celle de la Convention !!-.

DANS NOM LA REPUBLIQUE

P R O C L A M A T I O N

Nous, LEGER-FÉLICITÉ SONTHONAX, Commissaire Civil que Nation Française voyé dans pays-ci pour metté l'ordre et la tranquillité tout-par-tout.

Toute monde vini dans monde pour io rétés libes & égal entre io : a vlà, citoyens, vérité qui sorti en France. Li temps pour que io piblié li dans toute pays la République Français, pour toute monde conné.

Jordi, citoyens, que zautes gâgné ça zautes té mandé, gny a point raison encore pour nègues fait la guerre contre blancs & contre milates ; io doit donc rentrer chacun la case à io pour fait travail à io, parce que gny a point liberté sans travail ; & qu'en France, outi toute monde libe, toute monde travail en payant, comme ça va y est dans pays-ci. Io doit songer, sur-tout, que toute Blancs qui encore dans pays ci, c'est frères à io, parce que toutes mauvais blancs parti avec Galbaud ; io doit songer aussi que c'est Milates ave Nègues libes, qui premiers metté zarmes dans main à io, pour défendre ça io hélé droit de l'homme, que Galbaud qui té vini pour roi, té vlé empêché io gagné ; io doit songer encore que Pagnole, qui zamis à roi avec toute blancs qui dans pagnole, après trompé Jean-François & Biassou avec toute nègues qui avec io, parce que si Pagnole té vlé nègues libes, io té doit commencer par quin à io, & io pas té feré acheté nègues dans main à Jean-François & Biassou comme io après fait tous les jours.

Rouvri donc zieux à zautes, Citoyens, & guété comme Pagnole après trompé zautes. Na pas io qui té livré Ogé pour fait li mourir, parce que li té mandé trois jours par semaine pour nègues ? Jordi-là, zautes blié tout ça Ogé té fait pour bonheur à zautes ; & au lieu zautes songé pour venger la mort à li, zautes après couté toute mauvais conseils Pagnols après ba zautes.

Li donc temps, citoyens, pour moi parlé zautes la vérité : gnia point roi encore ; qui la peine donc zautes après fait nous la guerre. C'est roi qui fait zesclaves, c'est République Français qui ba zautes libes.

Malheureux que zautes yest ; zautes pas songé que si la France sé prend ion roi, zautes ta reté dans l'esclavage toute la vie, & que mauvais blancs là io qui dans Pagnole, et qui fait bon valete côté zautes, seré premier qui ta tourné metté fouette dans corps à zautes encore.

Après toute monde conné que io libe & égal en droits douvant bon dié tant comme douvant monde, io fait ion l'assemblée, prope jour la Saint-Louis, outi toute monde té allé, Blancs, Milates & Nègues, pour io té conné façon pensé à io, la fos liberté générale. Quand io té fini parlé, & que io toute té d'accord pour dire OUI, alors io écrire ion papier, que io hélé pétition, outi toute monde signé, pour mandé Commissaire Civil liberté générale pour toute zesclaves, & io nommé député pour porté li baille Commissaire Civil, qui approuvé papier là, & qui prononcé, par proclamation cila-là, qui gnia point zesclaves encore.

Ainsi, d'après pouvoirs que République Français baille à Commissaire Civil, par décret là que Convention Nationale té fait dans mois mars de l'année cila-là, li ordonné ça qui va suive pour la province du Nord.

Article premier : Déclaration droits de l'homme & du citoyen va imprimé. La minicipalité va piblié li & affiché li dans toute ville & dans toute bourg ; & Commandant militaire va fait la même chose dans toute camp & poste à io.

Art. II : Toute nègues & milates, qui zesclaves encore, nous déclaré io toute libe. Io gagné même droit que toute les autes citoyens Français ; mais, io va suive zordonnance que nous va fait.

Art. III : Toute cila io qui té zesclaves & que libes jordi, io va allé aqué a io & pitite à io outi la municipalité qui dans paroisse à io, Minicipalité là va ba io ion billette citoyen Français, que Commissaire Civil déjà signé.

Art. IV : C'est nous qui va dire tout ça billette là io doit parlé, & l'Ordonnateur Civil va voyé io baille à toute minicipalité.

Art. V : Toute cila qui servi valete ou bin servante, io va payé io suivant marché io va fait avec monde io doit servir. Marché là, li pour trois mois ; après io va fait l'aute pour trois mois encore, si io vlé.

Art. VI : Toute nourrice ou bin valete aqué servante qui servi vieux monde malade qui pas capable marché, Commissaire Civil défende que io quitté io ; mais io va payé io ion portiguaise par mois pour nourrice, & quatre gourdes par mois pour valete aqué servante.

Art. VII : Monde qui gagné domestique, va payé io tous les trois mois.

Art. VIII : Toute cila qui va besoin zouvriers, va rangé aqué yo pour zouvrages io gagné pour fait, & pour paiment à io.

Art. IX : Toute nègues qui rété dans bitation, io va continué rété là, & io va travail dans place.

Art. X : Toute guerrier qui enrôlé dans camp ou bin dans la ville, io capable allé travail sus bitation, mais pour ça io va bligé mandé ion congé à capitaine à io, ou bien à Commissaire civil, & io metté ion monde bonne volonté pour remplacer io.

Art. XI : Toute nègues qui té zesclaves & qui travaille sus habitation, io va engagé pour ion an ; pendant toute l'année là io va pas lé capable changé bitation sans io prend permission dans main à juge de paix, comme li va parlé titalor.

Art. XII : Revenu à chaque bitation va partagé en trois parts, quand toute droit va payé à la République.

Premier part li va pour maite bitation.

La deuxième part pour acheté befe, miléte, cabrouette, & tout ça qui faut pour travail.

Troisième part, c'est pour séparer entre toute monde qui travaille dans bitation là.

Art. XIII : Part là que maite la terre va prend pour acheté zoutis & zanimaux, va servi pour payé zouvriers, pour commandé cazes, payé chirurgien, colome, & tout ça qui faut pour l'hopital.

Art. XIV : Dans part revenu qui rété pour nègues qui travail terre, Commandor, que io va hélé astor conducteur, va gagné trois parts ; ou bin quand les autres nègues gagné yon gourde, conducteur là va gagné trois gourdes.

Art. XV : Deuxième conducteur, avec sucrier digotier io va gagné deux parts, ou bin quand les autres nègues gagné yon gourde, yo va gagné deux.

Art. XVI : Toutes les autes nègues qui travail la terre, & que yo va hélé astor cultivateurs, tout cila yo qui gagné déjà quinze ans ou qui passé quinze ans, yo va gagné yon part dans revenu.

Art. XVII : Toute néguesses qui gagné quinze ans ou qui passé quinze ans, yo va gagné deux tiers de part, ou bin quand les autes nègues gagné trois gourdes, femme la yo va gagné deux.

Art. XVIII : Jeune monde depuis dix ans jouque quinze ans, va gagné demi part, ou bien quand les autes nègues va gagné ion gourde, jeune monde là io va gagné deux gourdins.

Art. XIX : Toute monde va gagné place à io pour planter vives pour io : io va séparé places là io par famille, suivant que gni en a monde dans chaque famille.

Art. XX : Toute femme qui gagné petite qui pas encore gagné dix ans, io va gagné ion part entier dans revenu, mais io même va nourrir & billé petit à io.

Art. XXI : Pitit monde, depuis dix ans jouque quinze ans, io va gardé zanimaux assez, ou bin io va ramassé caffé ou coton, ou bin io va faire travail qui pas fort.

Art. XXII : Viex monde aqué malades qui pas capabes travail encore, parens à io même va nourrir io, & maite bitation là va billé io & ba io remede si io besoin.

Art. XXIII : Quand io va séparé revenu, maite bitation là va baye part à cultivateurs en denrées, si li vlé ; ou bin en argent si li vlé en payant même prix que io vende denrées tout par tout. Si li vlé payé en denrées, li va bligé charréyé par à io toute à l'embarcadaire qui pis proche bitation là.

Art. XXIV : Io va metté ion juge en chef dans chaque quartier avec l'autes juges qui va second à premier juge là. Juges la io va réglé zaffaires entre cultivateurs & maite, & zaffaires à nègues entre io, là sus toute bitation qui dans quartier là : io va voit l'hôpital si maité soin li bin ; io va prend garde que toute monde travail égal ; io va empêché que personne fait bataille, & que io pas gagné dispute ; & c'est io qui va réglé l'argent pour part à chaque monde, pour que ioun pas trompé l'aute.

Art. XXV : Maite bitation ou bin colome va gagné ion gros live qui approuvé par minicipalité, pour écrire toute revenu qui fait sur bitation là, & pour voir comment io séparé part à toute monde, & l'Inspecteur qui va y est dans quartier va voir si live là en règle.

Juge de paix va gagné tou ion l'aute gros live pareil à quin à colome, & l'inspecteur quartié là va visité lives là io ; si tous les deux parlé également vérité, pour personne pas trompé pièce dans partage à io.

Art. XXVI : L'inspecteur général de la province du Nord va visité toute bitation. Li va mandé à juge paix la io tout ça io conné ; si conducteur mené toute monde bin, si bitation la en ordre, si toute monde travail bin, & si maite bitation la soin bin cultivateurs la io ; & l'inspecteur la va rende compte tout ça à commissaire civil, à général, & à l'ordonnateur civil, & li va rété en tournée au moins vingt jours dans chaque mois.

Art. XXVII : Io pas taillé monde encor, fouette la défende absolument : punition à cultivateurs, c'est dans barre pour ion, deux ou trois jours pour pitit faute & pour grand manquement, io va perdi la moitié ou bin tout dans part à revenu, que io va prend baye à tout les zautes cultivateurs, & c'est juge paix qui va jugé ça.

Art. XXVIII : Pour toute les zautes grand faute, comme tuyé monde, ou bin si io volé dehors la caze, ou dans bitation là même, juge paix va fait procès à io, & li va jugé io, tant comme io coutumé fait pour toute monde qui sorti en France.

Art. XXIX : Cultivateurs va gagné dimanche pour io avec deux heures tous les jours pour travail dans place à io. C'est juge paix qui va réglé l'heure travail doit commencé, & quel heure li doit fini.

Art. XXX : C'est maite bitation là ou bin colome qui va choisi conducteurs, & io va metté plusieurs si io vlé, & io changé io si io pas méné travail bin ; mais maite bitation là va bligé rende compte à juge paix, pour juge paix jugé si c'est mal à propos io changé conducteurs là io.

Le même chose si cultivateurs pas contents conducteurs là io, io capabes porté plaintes à juge paix qui va changé io, si plaintes véritabes.

Art. XXXI : Femmes qui grosses sept mois io va pas lé travail, & l'heure io accouché io va rété encore deux mois avant io allé dans place, & ça va pas empêché io prend part à io toujours dans revenu.

Art. XXXII : Cultivateurs capabes changé bitation si io pas porté bin la outi io y est.

Tout de même si toute l'attelié mandé renvoyé io camarade à io qui pas bon, io va porté plainte à juge paix qui va jugé ça pour li sorti allé.

Art. XXXIII : Deux semaines après io piblié proclamation cila-là, toute monde qui va trouvé dérive dans grand chemin ou dans rue, qui pas travail pièce, qui pas valete ou bin qui pas enrôlé, & qui pas gagné de quoi vivre sans fait a rien, io va ramassé io metté en prison.

Art. XXXIV : Femme qui pas fait a rien & qui pas gagné de quoi vivre va arrêté tou & méné en prison.

Art. XXXV : Tout cila io qui va arrêté, va rété en prison pendant ion mois pour premiere fois ; deuxième fois io va rété deux mois ; & pour troisième fois, io va travail pendant ion an dans travaux publics, sans io gagné paiement.

Art. XXXVI : Toute monde qui travail dans bitation & cila qui domestique à l'aute, io va pas lé capable quitté paroisse à io, sans ion permission la minicipalité ; cila qui va quitté paroisse à li sans permission là, io va puni li ; soit que io metté li dans barre, soit que io ôté ion portion dans part à li dans revenu.

Art. XXXVII : Juge paix va bligé fait la visite dans toute bitation dans paroisse à li, ion fois chaque semaine ; li va metté en écrit tout ça li va voir & tout ça li va fait, & li va voyé écrit là à l'inspecteur général. L'inspecteur général va voyé li à commissaire civil, à général & à l'ordonnateur civil.

Art. XXXVIII : Io va pas lé traité nègues comme l'aute fois encore : nous détruire zordonnances à Roi qui té permette ça.

Proclamation cila-là va imprimé & affiché tout par tout.

Io va proclamé li dans toutes les rues & dans toute place publique ; soit dans la ville, soit dans bourgs de la province du Nord. C'est zofficiers minicipaux qui va proclamé li avec zécharpes à io. Douvant io va marché grand Bonnet la Liberté, que io va porté en haut ion grand picque.

Nous baille zordes la Commission Intermédiaire, la Municipalité, aqué toutes les autes Bireaux, pour que io écrire proclamation cila-là dans grand live à io, & pour io fait piblié li & affiché li.

Nous ordonné à toute Commandant militaire pour qué io baille main forte pour fait exécuté li.

Nous mandé à Gouverneur Général, par intérim, pour li baille la main pour toute monde exécuté li.

Au Cap, le 29 août 1793, l'an deux de la République Française.

SONTHONAX

& plus bas li écrit :
Par le Commissaire civil de la République.
GAULT, Secrétaire adjoint de la Commission Civile

Annexe II

PROCLAMATION POUR ABJURATION DE LA NATION FRANÇAISE[190]

LIBERTE OU LA MORT !

Du Général en chef du Peuple de Hayti

Citoyens,

Ce n’est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis trop longtemps ; ce n’est pas assez d’avoir mis un frein aux factions lesquelles se succédaient à tour de rôle en jouant avec le fantôme de la liberté que la France exposait à leurs yeux ; il faut, par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vu naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout nouvel espoir d’asservissement ; il faut enfin vivre indépendant ou mourir.

Indépendance ou la mort… Que ces mots sacrés nous rallient, et qu’ils soient le signal des combats et der notre réunion.

Citoyens, mes compatriotes, j’ai rassemblé dans ce jour solennel ces militaires courageux, qui, à la veille de recueillir les derniers soupirs de la liberté, ont prodigué leur sang pour la sauver ; ces généraux qui ont guidé vos efforts contre la tyrannie, n‘ont point encore assez fait pour votre bonheur… Le nom français lugubre encore nos contrées ; tout y retrace le souvenir des cruautés de ce peuple barbare. Nos lois, nos mœurs, nos villes, tout porte encore l’empreinte française ; que dis-je ? Il existe des Français dans notre îles, et vous vous croyez libres et indépendants de cette république qui a combattu toutes les nations, il est vrai, mais qui n’a jamais vaincu celles qui ont voulu être libres.

Eh quoi ! Victimes pendant quatorze ans de notre crédulité et de notre indulgence ; vaincus, non par des armées françaises, mais par la piteuse éloquence des proclamations de leurs agents ; quand nous lasserons-nous de respirer le même air qu’eux ? Sa cruauté comparée à notre patiente modération ; sa couleur à la nôtre ; l’étendue des mers qui nous séparent, notre climat vengeur, nous disent assez qu’ils ne sont pas nos frères, qu’ils ne le deviendront jamais et que, s’ils trouvent un asile parmi nous ils seront encore les machinateurs de nos troubles et de nos divisions

Citoyens indigènes, hommes, femmes, filles et enfants, portez les regards sur toutes les parties de cette île ; cherchez-y, vous, vos épouses, vous, vos maris, vous, vos frères, vous vos sœurs ; que dis-je ? Cherchez-y vos enfants, vos enfants à la mamelle ! Que sont-ils devenus ? Je frémis de le dire… la proie de ces vautours. Au lieu de ces victimes intéressantes, les yeux consternés ne voient que leurs assassins — ces tigres encore recouverts du sang des victimes, et dont la terrifiante présence vous reproche votre insensibilité et votre lenteur à les venger. Qu’attendez-vous pour apaiser leurs mânes ? Songez que vous avez voulu que vos restes reposent auprès de ceux de vos pères, quand vous avez chassé la tyrannie ; descendrez-vous dans la tombe sans les avoir vengés ? Non, leurs ossements repousseraient les vôtres.

Et vous, hommes précieux, généraux intrépides, qui insensibles à vos propres malheurs, avez ressuscité la liberté en lui prodiguant généreusement votre sang ; vous n’avez rien fait si vous ne donnez aux nations qui tenteraient de nous la ravir à nouveau un terrible mais juste exemple, de la vengeance que doit exercer un peuple fier d’avoir récupéré sa liberté et déterminé à le maintenir. Intimidons ceux qui oseraient tenter de nous la ravir une nouvelle fois. Commençons par les Français… Qu’ils frémissent en abordant nos côtes, sinon par le souvenir des cruautés qu’ils y ont exercées, au moins en s’apercevant de la résolution absolue que nous allons prendre de vouer à la mort tout natif français qui souillera de son pied sacrilège le territoire de la liberté.

Nous avons osé être libres, osons l’être par nous-mêmes et pour nous-mêmes ; imitons l’enfant qui grandit : son propre poids brise la lisière qui lui devient inutile et l’entrave dans sa marche. Qui sont ces peuples qui ont combattu pour nous ? Quel peuple voudrait cueillir les fruits de nos travaux ? Et quelle déshonorante absurdité que de vaincre pour être esclaves.

Esclaves !… Laissons aux Français cette épithète qualificative : ils ont vaincu pour cesser d’être libres.

Marchons sur d’autres traces; imitons ces peuples qui, apportant leur sollicitude jusqu’à l’avenir, et se souciant de ne pas laisser à la postérité l’exemple de la lâcheté, ont préféré être exterminés que d’être rayés du nombre des peuples libres.

Gardons-nous cependant, de l’esprit de prosélytisme qui pourrait détruire notre œuvre ; laissons nos voisins respirer en paix, qu’ils vivent paisiblement sous l’empire des lois qu’ils se sont faites, et n’allons pas, en boutefeux révolutionnaires, nous ériger en législateurs des Antilles, faire consister notre gloire à troubler le repos des îles qui nous avoisinent : elles n’ont point, comme celle que nous habitons, été arrosé du sang innocent de leurs habitants ; elles n’ont point de vengeance à exercer contre l’autorité qui les protège.

Heureuses de n’avoir jamais connu les fléaux qui nous ont détruits, elles ne peuvent que faire des vœux pour notre prospérité. Paix à nos voisins ! Mais anathème au nom français ! Haine éternelle à la France ! Voici notre cri.

Indigènes d’Hayti, mon heureuse destinée me réservait à être un jour la sentinelle qui dût veiller à la garde de l’idole à laquelle nous offrons un sacrifice. J’ai vieilli, à force de combattre pour vous, quelquefois tout seul ; et, si j’ai été assez heureux pour d’accomplir et de livrer entre vos mains la mission sacrée qui m’avait été confiée, rappelez-vous que c’est à vous qu’il revient maintenant de le conserver. En combattant pour votre liberté, j’ai travaillé à mon propre bonheur. Avant de la consolider par des lois qui assurent votre liberté individuelle, vos chefs que je rassemble ici, et moi-même nous devons la dernière preuve de notre dévouement.

Généraux, et vous, chefs, unissez-vous à moi pour le bonheur de notre pays ; le jour est arrivé, ce jour qui doit éterniser notre gloire, notre indépendance.

S’il pouvait exister parmi vous un cœur tiède, qu’il s’éloigne et tremble de prononcer le serment qui doit nous unir.

Jurons à l’univers tout entier, à la postérité, à nous-mêmes, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination.

De combattre jusqu’au dernier soupir pour l’indépendance de notre pays !

Et toi, peuple trop longtemps infortuné, témoin du serment que nous prononçons, souviens-toi que c’est sur ta constance et ton courage que j’ai compté quand je me suis lancé dans la carrière de la liberté pour y combattre le despotisme et la tyrannie contre lesquels tu as combattu ces dernières quatorze années ; rappelle-toi que j’ai tout sacrifié pour voler à ta défense, parents, enfants, fortune, et que maintenant je ne suis riche que de ta liberté; que mon nom est devenu en horreur à tous les peuples qui veulent l’esclavage, et que les despotes et les tyrans ne le prononcent qu’en maudissant le jour qui m’a vu naître ; et si jamais tu refusais ou recevais en murmurant les lois que le génie qui veille à tes destinées me dictera pour ton bonheur, tu mériteras le sort des peuples ingrats.

Mais loin de moi cette affreuse idée. Tu seras le soutien de la liberté que tu chéris, l’appui du chef qui te commande.

Prête donc entre ses mains le serment de vivre libre et indépendant, et de préférer la mort à tout ce qui tendrait à te remettre sous le joug.

Jure enfin de poursuive à jamais les traîtres et les ennemis de ton indépendance.

J.J. Dessalines

Fait au quartier général des Gonaïves, le 1er janvier 1804, l’an 1er de l’Indépendance

Annexe III

Liberté ou la mort

ARMÉE INDIGÈNE
GONAÏVES, LE PREMIER JANVIER 1804
AN I DE L'INDÉPENDANCE

Aujourd'hui premier janvier dix huit cent quatre, le Général en chef de l'Armée indigène, accompagné des généraux, chefs de l'armée, convoqués à l'effet de prendre les mesures qui doivent tendre au bonheur du pays :

Après avoir fait connaître aux généraux assemblés ses véritables intentions d'assurer à jamais aux indigènes d'Haïti un gouvernement stable, objet de sa plus vive sollicitude : ce qu'il a fait à un discours qui tend à faire connaître aux puissances étrangères la résolution de rendre le pays indépendant, et de jouir d'une liberté consacrée par le sang du peuple de cette île ; et, après avoir recueilli les avis, a demandé que chacun des généraux assemblés prononçât le serment de renoncer à jamais à la France, de mourir plutôt que de vivre sous sa domination, et de combattre jusqu'au dernier soupir pour l'indépendance.

Les généraux, pénétrés de ces principes sacrés, après avoir donné d'une voix unanime leur adhésion au projet bien manifesté d'indépendance, ont tous juré à la postérité, à l'univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination.

SIGNÉ :

Dessalines
général en chef

Christophe, Pétion, [Augustin] Clerveaux, Geffrard, Vernet, Gabart
généraux de division

P . Romain, G. Gérin, L. Capois, Daut, Jean-Louis François, Férou, [Pierre] Cangé, G. Bazelais, Magloire Ambroise, J. J. Herne, Toussaint Brave, Yayou
généraux de Brigade

[Guy Joseph] Bonnet, F. Papalier, Morelly, Chevalier, Marion
adjudants-généraux

Magny, Roux
chefs de brigade

Chareron, B. Goret, Macajoux, Dupuy, Carbonne, Diaquoi aîné, Raphaël, Malet, Derenoncourt
officiers de l'armée

Boisrond Tonnerre
secrétaire

Annexe IV

Lettre de Simon Bolivar à Pétion

À son Excellence M. le président d’Haïti.

Monsieur le Président,

Je suis accablé du poids de vos bienfaits. M. Villaret est retourné on ne peut pas bien dépêché par votre excellence. En tout vous êtes magnanime et indulgent. Nos affaires sont presque arrangées et sans doute, dans une quinzaine de jours, nous serons en état de partir.

Je n’attends que vos dernières faveurs, et s’il est possible, j’irai moi-même vous exprimer l’étendue de ma reconnaissance.

Par M. Ingignac, votre digne secrétaire, j’ose vous faire de nouvelles prières. Dans ma proclamation aux habitants de Venezuela, et dans les décrets que je dois expédier pour la liberté des esclaves, je ne sais pas s’il me sera permis de témoigner les sentiments de mon cœur envers votre Excellence, et de laisser à la postérité un monument irrécusable de votre philanthropie. Je ne sais, dis-je, si je devrai vous nommer comme l’auteur de notre liberté.

Je prie votre Excellence de m’exprimer sa volonté à cet égard. Le lieutenant colonel Valdès vous adresse une pétition que je me permets de recommander à votre générosité.

Agréez, Monsieur le Président, les respectueux hommages de la haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être de votre Excellence, le très humble et obéissant serviteur.

Cayes le 8 février 1816.

Signé : Simon Bolivar

Lettre d’Alexandre Pétion au Général Ignace Marion

Liberté, Égalité, République d’Haïti

Au Port-Au-Prince, le 5 Février 1816, an 13e de l’indépendance.

Alexandre Pétion Président d’Haïti,

Au général Ignace Marion, commandant l’arrondissement des Cayes.

À la demande qui vous en a été faite par le commissaire du Congrès des Etats-Unis de la Nouvelle-Grenade. Je vous invite, dans toute votre conduite, à ne pas perdre de vue combien il importe que le système de neutralité parfaite que nous professons soit exactement suivi, et d’éviter aucun malentendu qui puisse donner de l’inquiétude à aucun autre gouvernement, ce qui est pour le notre de la plus haute importance.

Je vous renverrai les pièces que vous m’avez adressées ou mes instructions, après que j’aurai vu M. Aury que vous m’annoncez.

Je vous salue d’amitié,

Signé : Alexandre Pétion

Lettre d’Alexandre Pétion à Simon Bolivar

Alexandre Pétion, président d’Haïti,

A son Excellence le Général Bolivar

J’ai reçu hier, général, votre estimable lettre du 8 de ce mois. J’écris au général Marion au sujet de l’objet que vous m’avez fait demander, et je vous réfère à lui à ce sujet.

Vous connaissez, Général mes sentiments pour ce que vous avez à cœur de défendre et pour vous personnellement, vous devez être donc pénétré combien je désire voir sortir du joug de l’esclavage ceux qui y gémissent, mais des motifs qui se rapportent aux ménagements que je dois à une nation qui ne s’est pas encore prononcée contre la République d’une manière offensive, m’obligent à vous prier de ne rien proclamer, dans l’étendue de la République, ni de nommer mon nom dans aucun de vos actes, et je compte à cet égard, sur les sentiments qui vous caractérisent.

J’ai bien reçu la supplique du lieutenant-colonel Juan Valdès et j’y ai fait droit. Le général Marion est chargé de lui faire donner l’objet de sa demande.

Je fais des vœux pour le bonheur de votre Excellence, et la prie de me croire avec la plus parfaite considération.

Signé : Pétion

Port-au-Prince, le 18 Février 1816, an 13e de l’indépendance

Bibliographie

- AUBIN Eugène, En Haïti. Planteurs d'autrefois et nègres d'aujourd'hui, Paris, A. Colin, 1910

- BADIE Bertrand, L’Etat importé, Paris, Fayard, « L’espace du politique », 1992

- Beauvoir-Dominique Rachel, L’ancienne Cathédrale de Port-au-Prince, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1991

- Barthélemy Gérard et Girault Christian (dir.), La République haïtienne, état des lieux et perspectives, Paris, ADEC-KARTHALA, « hommes et sociétés », 1993

- ----- Créoles-Bossales. Conflit en Haïti, Petit-Bourg (Guadeloupe), Ibis Rouge Editions, 2000

- ----- Le Pays en Dehors, essai sur l'Univers rural haïtien. Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1989

- Barros Jacques, Haïti de 1804 à nos jours, paris, l’Harmattan, 1984

- Bayart Jean-François, L’Etat en Afrique, la politique du ventre, paris, Fayard, 1989

- Benoit Pierre, 1804-1954, 150 ans de commerce extérieur d'Haïti, Port-au-Prince, collection des cent cinquantenaires, IHSI, 1954

- Bénot Yves et Dorigny Marcel, Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. 1802 aux origines d’Haïti, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003

- Bellegarde Dantes, La Nation Haïtienne, Paris : éd. J. de Gigord, 1938

- BOURDIEU Pierre, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997

- Casimir Jean, La culture opprimée, Port-au-Prince, Média-texte, 2006

- C. Dorsainvil Justin, Eléments de droit constitutionnel, étude juridique et critique sur la Constitution de la République d’Haïti, Paris, 1912

- Chancy Emmanuel, Les événements de 1902, faits contemporains pris sur le vif, Port-au-Prince, imprimerie A. Héraux, 1905

- CHARMANT Alcius, La mort de Chicoye, Le Havre, Duval et Daroult, 1907

- Chassany Pascale, Haïti : politique et commerce (1890-1911) selon les archives consulaires françaises, Mémoire de maîtrise d'histoire (Paris X-Nanterre, sous la direction d’O.D. Lara, A. Plessis et N. Schmitt, 1998)

- COICOU Massillon, Poésies choisies. Les Classiques haïtiens Expliqués, Port-au-Prince, éd. Christophe, 1994

- Corvington Georges, Port-au-Prince au cours des Ans, la métropole haïtienne du XIXème siècle 1888-1915 . Port-au-Prince : H. Deschamps, Edition revue et corrigée 1994.

- Cornevin Robert, Haïti, Paris : PUF Que sais-je, 1982CYRYL L. R. James, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, Paris, Editions Caribéennes, 1988

- D. Heinl Jr Robert et G.Heinl Nancy, Written in blood, The story of Haitian people 1492-1971, Boston Company, Houghton Miffin, 1978

- DalecourT François, Histoire d’Haïti : Cinq siècles d’Histoire 1492-1930, Port-au-Prince : imprimé chez l’auteur, 1935

- DanIEL Justin (dir.), Les îles Caraïbes. Modèles politiques et stratégies de développement, paris, Karthala « hommes et sociétés », 1996

- D. Coradin Jean, Histoire diplomatique d’Haïti 1870-1908 T. III, Port-au-Prince : Editions des Antilles, 1995

- Depestre Edouard, La faillite d'une démocratie, politique et administration haïtienne 1889-1915, Port-au-Prince, imprimerie Abeille, 1916

- DEVIENNE Castera, Souvenirs d'épopée, Port-au-Prince, imprimerie d'Etat, 1935

- Di Chiara C. Eve., Le dossier Haïti : un pays en péril, Paris : Taillandier, 1988

- Elias Norbert, La Dynamique de l’Occident (Über den prozess der Zivilisation, II, 1969), paris Calmann-Lévy, 1975

- E. Malval Magloire., Thèse de doctorat : La politique financière extérieure de la République d’Haïti depuis 1910, la Banque Nationale de la République d’Haïti ou nos emprunts extérieurs, 1932.

- Ferro Marc (dir.), Le livre noir du colonialisme. XVIe-XXIe Siècle : de l’extermination à la repentance, Paris, Hachette Littératures, 2005

- FIRMIN Anténor, Une défense, M. Stewart et les finances haïtiennes, Paris, éd. F. Pichon, 1892.

- ---- De l’égalité des races humaines, anthropologie positive, Paris, Gallica, 1885.

- ---- La France et Haïti, Paris, nouvelle édition F. Pichon, 1901

- F. Manigat Leslie, La crise haïtienne contemporaine, Haïti des années 1990 : une grille d’intelligibilité pour la crise présente, Port-au-Prince : Editions des Antilles S.A, 1995

- Fombrun Odette Roy, Toussaint Louverture : tacticien de génie : la Constitution indépendantiste de 1801, Port-au-Prince, Maison Henri Deschamps, « Collection du Bicentenaire », 2000

- GAILLARD Gusti-Klara, Expérience haïtienne de la dette extérieure, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1989

- Gaillard Roger, La République Exterminatrice (L’Etat vassal, les blancs débarquent) trois tomes, Port-au-Prince : Editions Le Natal

- ---- La République Exterminatrice Tome 5 Le grand Fauve 1902-1908 Port-au-Prince : Editions Le Natal, 1995

- G. Leyburn James, The haitian people with a forword by S. W. Mintz, Yale Univ. Press New Haven et Londres, 1941 réédition de 1966

- GIRAULT Christian, Le commerce du café en Haïti, Habitants, spéculateurs et exportateurs. Paris : éd. du CNRS, 1981.

- Hintze Otto, Féodalité, capitalisme et Etat moderne, Paris, MHS, 1991

- Hobsbawm Eric, Ranger O. Tarence, The invention of tradition, Cambridge, Cambridge University press, 1992

- Hurbon Laënnec, Le barbare imaginaire, Paris : éd. du Cerf, 1988

- ---- Comprendre Haïti, essai sur l’Etat, la nation, la culture, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1987.

- Jacqué Jean-Paul, Droit constitutionnel et institutions politiques, 5eme éd., Paris, Dalloz, 2003

- JOACHIN Benoît, Les racines du sous-développement en Haïti, p-au-p, Henri Deschamps, 1979

- JANVIER Louis-Joseph, Du gouvernement civil en Haïti, Lille, éd. Bigot Frères, 1905.

- ---- L’échec du firminisme mai-décembre 1902 T. II Port-au-Prince : H. Deschamps, 1984

- ----- La ville éclatée déc. 1902-juill 1915 T. III, Port-au-Prince : H. Deschamps, 1993

- Justin Joseph, De la nationalité en Haïti, suivi d'un aperçu sur le droit haïtien, Port-au-Prince, imprimerie Abeille, 1905

- Laurent-Ropa Denis, Haïti. Une colonie française 1625-1802, Paris, L’Harmattan, 2006

- Machiavel Nicolas, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531), Paris, Gallimard, 2004

- Madiou Thomas, Histoire d'Haïti, Port-au-Prince, Editions Henri Deschamps, 1989

- Madray-Lesigne Françoise et Jeanine Richard-Zappella (éds.), Lucien Tesnière aujourd'hui, « acte du colloque international » CNRS, Université de Rouen, 16-17-18 Novembre 1992, (Eds 1995)

- MANIGAT Mirlande, Traité de Droit Constitutionnel Haïtien, Univ. Quisqueya, Port-au-Prince, 2000, 2 vol.

- Mény Yves, la corruption de la République, paris, Fayard, 1992

- M. Nerestan Micinal, Religion et politique en Haïti, Paris, Karthala, 1994

- MORAL Paul, Le paysan haïtien, Paris : Maisonneuve et Larose, 1961

- Médard Jean-François, « L’État néo-patrimonial en Afrique noire » in Jean- Médard François, dir, Etats d’Afrique noire : formation, mécanismes et crise, Paris, Karthala-CEAN, 1991

- MICHEL Georges, Les chemins de fer de l’île d’Haïti Port-au-Prince : éditions Le Natal, 1989

- MOÏSE Claude, Constitutions et Luttes de Pouvoir en Haïti, éd. du CIDIHCA, Port-au-Prince, 1997, t. 1

- Mollien Gaspard-Théodore, Histoire et Mœurs d’Haïti. De Christophe Colomb à la révolte des esclaves 1492-1802, Saint-Amand-Montrond (Cher), Le Serpent de Mer, 2001

- Neveu Erik, sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La Découverte, 2004

- NICHOLLS David, From Dessalines to Duvalier, race, colour & National Independance in Haïti, New-York, Rutgers University Press,1979

- Péan J.-R. Leslie, Haïti économie politique de la corruption, tome I, Paris, Maison & Larose, 2003

- Péan Marc, L’illusion héroïque 1890-1902, 25 ans de vie capoise T. I 2ème édition, Port-au-Prince : H. Deschamps, 1977

- Price-Mars Jean, La République d’Haïti et la République Dominicaine, tome II, Port-au-Prince : « collection du tricentenaire de l’Indépendance d’Haïti », 1953

- ----- La vocation de l'élite, Port-au-Prince, imprimerie E. Chenet, 1919

- Pierre Etienne Sauveur, L’énigme haïtienne. Echec de l’Etat moderne en Haïti, Montréal, PUM, 2007

- Pluchon Pierre, Toussaint Louverture, un révolutionnaire d’anciens régimes, Paris, Fayard, 1989

- Saint-Gérard Yves, Haïti l’enfer au paradis. Mal développement et troubles de l’identité culturelle, Toulouse, Eché éditeur, 1984

- Schœlcher Victor, Des colonies étrangères. Haïti, Paguerre, Paris, 1843

- SERE -Secrétairerie d’Etat des relations extérieures-, Recueil des Traités de la République d’Haïti 1905-1921, Port-au-Prince, Haïti, 1951

- Terray Emmanuel, Une histoire du royaume Abron du Gyaman, Paris, Karthala, 1995.

- Trouillot Henock, Haïti entre la francophonie et l'américanisme XIX-XXème siècle, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 1975

- TURNIER Alain, Quand la Nation demande des comptes, Port-au-Prince, Editions Le Natal S.A., 1989

- TILLY Charles Tilly, Contrainte et capital dans la formation de l'Europe 990-1990, Paris, Aubier, 1992

- Weber Max, Economie et société, Saint-Amand-Montrond (France), Pocket, 2006, t.I

- ---- Le Savant et le Politique, Paris, Editions 10/18, 2002

- ---- Etique protestante et l’esprit du capitalisme, Saint-Amand-Montrond (France), Pocket, 1989

- Williams Eric, De Christophe Colomb à Fidel Castro, l’Histoire des Caraïbes 1492-1969, Paris, Présence Africaine, 1975

- YACOU Alain, Saint-Domingue et la révolution nègre d’Haïti. Commémoration du Bicentenaire de la naissance de l’Etat d’Haïti, paris, Karthala, « hommes et sociétés », 2007

Journaux

- Daniel Voguet, Marie-France …, Le Monde diplomatique, « Longue marche contre l’oubli », novembre 2007

- London Gazette, décembre 1798

Revues

- David NichollS, « Idéologie et mouvements politiques en Haïti, 1915-1946 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, Année 1975, Volume 30, Numéro 4, p. 654 – 679

- D. LARA Oruno, Article Haïti extrait de l’Universalis édition 1991 et 1993 pp 165-173

- Gérard Barthélemy, « Réflexions sur deux mémoires inconciliables : celle du maître et celle de l’esclave Le cas d’Haïti », Cahiers d’Études africaines, XLIV (1-2), 173-174, 2004, pp. 127-139

- Gérard Pierre-Charles, « La genèse de la Nation Haïtienne et Dominicaine », Ahora, Madrid (Espagne) 1973

- Laënnec HURBON, « Nationalisme », Chemins critiques, Vol.3,N°1-2 / décembre 1993.

- Leslie MANIGAT, « La substitution de la prépondérance américaine à la prépondérance française en Haïti au début du XXème siècle », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, tome XIV, octobre-décembre 1967, pp321-354

Sitographie

- Association Le Donjon de Houdan, « Evolution vers une nouvelle répartition des pouvoirs », http://ledonjondehoudan.free.fr/v3/Exposition/Societe/Societe2.htm, consulté le 15/11/07

- Amélie Blom « La guerre fait l’Etat »: trajectoires extra-occidentales et privatisation de la violence » http://www.c2sd.sga.defense.gouv.fr/IMG/pdf/la_guerre_fait_lEtat.pdf consulté le 18/11/07

- Jean-Pierre Depetris, « Autour de Bolgopol » http://jdepetris.free.fr/Livres/voyage3/cahier32.html consulté le 20/11/07

- Sophie Coignard, « Quand l’Etat fait ce qu’il nous interdit », Le point, 10/12/1999 http://www.lepoint.fr/actualites-societe/quand-l-etat-fait-ce-qu-il-nous-interdit/920/0/76515, consulté le 11/03/08

- Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=4060986435; consulté le 15/11/07


[1] Toussaint (on ne sait pas très bien s’il s’appelait déjà Louverture ou Breda) cité in Jean casimir, la culture opprimée .P. 71

[2] Voir Christophe Wargny, Haïti n’existe pas, 1804-2004 : Deux cents ans de solitude, paris, Autrement, 2006

[3] Ayiti kiskeya bohio fut l’ancien nom « indien » de l’île. En créole Ayiti désigne aujourd’hui la partie occidentale.

[4]J. Fouchard illustre cette déshumanisation à partir des châtiments infligés aux nègres : la suspension par les quatre membres … La pendaison par l’oreille clouée… L’ablation de l’oreille… Le supplice du fouet aggravé de tisons de feu, de piment, de sel, de citron, de cendre, d’aloès ou de chaux vive. Cité par Jean Casimir in La culture opprimée, Port-au-Prince, Média-texte, 2006, P. 93

[5] Yves saint-Gérard, Haïti l’enfer au paradis. Mal développement et troubles de l’identité culturelle, Toulouse, Eché éditeurs, 1984, P. 111

[6] Henri Christophe allait devenir, suite à la mort de Jean-Jacques Dessalines en 1806, Henri 1er dans le Nord

[7] Ce travail est conçu comme préalable à d’autres travaux de recherches plus approfondis sur le sujet, vu le temps qui nous est imparti il sera sommaire.

[8] Napoléon 1er, correspondance 8ème vol., Plon, 1861, Lettres 6456-6468 cité in Denis Laurent-Ropa, Haïti Une colonie française 1625-1802, Paris, L’Harmattan, 1993, P. 15

[9] Voir Leslie J.-R. Péan, Haïti économie politique de la corruption, tome I, Paris, Maison & Larose, 2003 P. 3

[10] Alain Yacou (dir.), Saint-Domingue espagnole et la révolution nègre d’Haïti, Paris, Karthala « hommes et sociétés », 2007, p. 668

[11] Daniel Voguet, Marie-France …, Le Monde diplomatique, « Longue marche contre l’oubli », novembre 2007

[12] C’est l’effet Serendip. Voir Erik Neveu, sociologie du journalisme, Tournai (Belgique), La Découverte, 2004, p.51. Pour un développement historique plus large voir Jean-Pierre Depetris, « Autour de Bolgopol » http://jdepetris.free.fr/Livres/voyage3/cahier32.html consulté le 20/11/07

[13] Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie : La doctrine marxiste; le capitalisme peut-il survivre ? Le socialisme peut-il fonctionner ? TROISIÈME ET QUATRIÈME PARTIES,(Traduction française, 1942), document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

P. 98

[14] Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=869058105; consulté le 15/11/07

[15] Idem.

[16] Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1320254340; consulté le 16/11/07

[17] Jean-Pierre Depetris, « autour de Bolgopol » , op. cit

[18] Emmanuel Terray, Une histoire du royaume Abron du Gyaman, Paris, Karthala, 1995, cité par Clemens Zobel in The appropriation of alterity: politics, identity and history in the village communities of the Manding hills of Mali, Ph.D. in ”cotutelle” at the Centre d’Études Africaines, EHESS, Paris and at the Department of Social and Cultural Anthropology, University of Vienna, Austria. p. 278

[19] Max Weber, Le savant et le politique, « Politik als Beruf » paris, Plon, 2002 (1919), p.125

[20] Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident (Über den prozess der Zivilisation, II, 1969), paris Calmann-Lévy, 1975, P.30

[21] Otto Hintze, Féodalité, capitalisme et Etat moderne, paris MHS, 1991, P.308

[22] Le chevauchement de la sphère publique sur la sphère privée ne renvoie pas forcément à l’idée d’un Etat totalitaire ou absolutiste.

[23] Joseph Schumpeter, op. cit. P. 9

[24]Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=4060986435; consulté le 15/11/07

[25] Idem

[26] Association Le Donjon de Houdan, « Evolution vers une nouvelle répartition des pouvoirs », http://ledonjondehoudan.free.fr/v3/Exposition/Societe/Societe2.htm, consulté le 15/11/07

[27] Sauveur Pierre Etienne, op. cit.

[28] Leslie J.-R Péan, Haïti économie politique de la corruption, De Saint-Domigue à Haïti, 1791-1870, Paris, p.7

[29] Sauveur Pierre Etienne, L’énigme haïtienne Echec de l’Etat moderne en Haïti, op. cit. p.30

[30] Michel Foucault, « la gouvernementalité », P.102, Magazine littéraire, numéro 269, Paris, 1989.

[31] Sophie Coignard, « Quand l’Etat fait ce qu’il nous interdit », Le point , 10/12/1999 , http://www.lepoint.fr/actualites-societe/quand-l-etat-fait-ce-qu-il-nous-interdit/920/0/76515 , consulté le 11/03/08

[32] idem

[33] Yves Mény, la corruption de la République, paris, Fayard, 1992, cité par Mwayila Tshiyembe in « La science politique africaniste et le statut théorique de I‘État africain : un bilan négatif », p.113

[34] Leslie péan, op. cit.

[35] Jean-françois médard, « l’Etat néo-patrimonial en Afrique noire », in j-f médard, etats d’afrique noire. Formation, mécanismes et crises, paris karthala, 1991, p.332

[36] Jean Casimir, La culture opprimée, Port-au-Prince, Média-texte, 2006

[37] Norbert Elias, La dynamique de l'Occident, Paris, Calman-Lévy, 1975, p. 25. On peut voir plus précisément, le chapitre un de la première partie (« La sociogenèse de l'Etat ») P.97

[38] Benoît Joachim, Les racines du sous-développement en Haïti, p-au-p, Henri Deschamps, 1979, P.15, Cité par Sauveur P. Etienne in L’enigme Haïtienne, …, op. cit. P. 55

[39] Sauveur Pierre Etienne, Op. Cit. P. 60

[40] Ibid

[41] Haïti existait déjà avant le débarquement de Colomb en 1492. Cependant ses premiers habitants ont été décimés et le nom de l’île a changé. L’Haïti qui nous intéresse est donc la deuxième qui allait naitre en 1804

[42] Ni le terme agent (trop passif), ni le terme actant (trop actif) ne correspond à l’idée que nous voulons ici exposer. C’est pourquoi nous avons recours au concept de « actant » emprunté à Lucien Tesnière. « Les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon la plus passive, participent au procès. » il permet, à notre sens, de mettre en évidence une dialectique passivité/activité qui est à la base de ces faits sociaux. Voir Françoise MADRAY-LESIGNE et Jeanine RICHARD-ZAPPELLA (éds.), Lucien Tesnière aujourd'hui, « acte du colloque international » CNRS, Université de Rouen, 16-17-18 Novembre 1992 (Eds 1995), P. 152

[43] Sauveur pierre Etienne, op cit. p.61

[44] idem P.62

[45] A propos du concept « illusio » voir Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, pp.122-123

[46] « Classe en soi » et « classe pour soi » sont des termes utilisés par Marx et Engels in Manifeste du parti communiste, P. 36 en vue de désigner les différents degrés de maturité du prolétariat.

[47] Toussaint est un grand maître en la matière. A ce sujet Cyril L.R James déclare : « J’en demeure convaincu, jusqu’à ce jour, hormis Napoléon, aucun chef ou stratège de la période 1793-1815 n’a dépassé Toussaint et Dessalines. » in CLR James, Les jacobins noirs, Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, Chatillon-sous-Bagneux, Editions Caribéennes, « Précurseurs Noirs », 1988, P. 12. Victor Schœlcher quant à lui déclare « quelle promptitude de jugement, quelle présence d’esprit ne lui fallait-t-il (à Toussaint) pas pour soutenir la lutte sur vingt points différents ! Et que l’on songe à qui il avait affaire, à des généraux comme Boudet, Hardy, Rochambeau, Debelle, à ces soldats de la République, qui avaient étonné le monde par l’élan et la solidité de leur courage. Il faut bien le reconnaître : le nègre qui, quoique toujours battu, sut rester debout trois mois durant et chaque jour le sabre à la main devant une telle armée, était ce que Shakespeare appelle ‘’un homme’’ in Vie de Toussaint Louverture, Paris, Paul Ollendorf, 1889, p.337

[48]André Rigaud (1761-1811) est un chef Mulâtre opposé à Toussaint Louverture (Noir).

[49] CLR James, op. cit. P. 203

[50] London Gazette, 12 décembre 1798, reproduit par C.L.R James, op. Cit. Pp.199-200

[51] David Nicholls, « Idéologie et mouvements politiques en Haïti, 1915-1946 » Annales. Histoire, Sciences Sociales, Année 1975, Volume 30, Numéro 4, p. 654 – 679, Pp. 658-659

[52] Ibid.

[53] Jean Prince Mars, Ainsi parla l’oncle, Port-au-Prince, Compiégne,1928.]

[54] Michel Foucault, « La gouvernementalité », Magazine littéraire, numéro 269, paris, 1989, P. 102, cité par Leslie Péan, op. cit. p. 24

[55] Ibid

[57] Ibid.

[58] Cité par Leslie péan, op. cit. p. 57

[59] Leslie Péan, op. cit. p. 27

[60] Victor Schœlcher, Vie de Toussaint Louverture, Paris, Karthala, 1982, P. 29. Ces chiffres ne sont pas précis. « on n’avait déclaré en 1789 que cinq cent mille esclaves ; mais comme les relevés se faisaient par tête imposée à 40 sous et à 3 livres, on ne déclarait ni les enfants, ni les adultes de plus de quarante-cinq ans ; le nombre de ces deux classes se montait à deux cent mille. » Malenfant, Des colonies, et particulièrement de celle de Saint-Domingue, In-8°, paris, 1814, cité par Victor Schœlcher, Ibid.

[61] Voir en annexe l’acte de l’abolition de l’esclavage.

[62] Acte de proclamation de l’abolition de l’esclavage rapporté par l’Avocat Français, le commissaire Sonthonax et ses coéquipiers. Cependant, avant même d’avoir eu ces informations les esclaves s’étaient déjà affranchis.

[63] Gérard Barthélemy et Christian Girault (dir.), La République haïtienne, état des lieux et perspectives, Paris, ADEC-KARTHALA, « hommes et sociétés », 1993, p.7

[64] « La révolution qui débute en 1789, en se prolongeant dans les colonies françaises d’Amérique, y entraina des troubles profonds, particulièrement dans la principale colonie, la partie occidentale de Saint-Domingue (actuelle République d’Haïti). Les événements qui se succédèrent dans cette île furent caractérisés par une radicalisation croissante : tentative autonomiste des « Grands Blancs » (grands propriétaires, principalement du nord de l’Île), révolte des libres de couleur revendiquant l’égalité des droits avec les Blancs et, surtout, révolte des esclaves (aout 1791). Ces troubles coïncidèrent avec une tentative d’invasion anglaise, la France républicaine étant entrée en guerre avec la Grande-Bretagne. », Victor Schœlcher, op. cit. p.5

[65] Yves Bénot, « Le compromis historique de Toussaint Louverture », in Gérard Barthélémy (dir.), La République haïtienne. Etat des lieux et perspectives, Paris, ADEC-KARTHALA, « hommes et sociétés », 1993, P. 22. Mais aussi, Yves Bénot, La démence coloniale sous Napoléon, Paris, La Découverte, 1992

[66] Ibid, P. 23

[67] Ibid.

[68] Ce terme est probablement anachronique, mais permet ici une meilleure argumentation.

[69] Yves Bénot, op. cit. P. 24

[71] Ibid.

[72] Thomas MADIOU, op. cit., 1847-1848, t. II, chap. 26, p. 246

[74] Ibid.

[75] Voir Yves Bénot et Marcel Dorigny (sous la direction de), Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. 1802 aux origines de Haïti, paris, Maisonneuve et Larose, 2003, p.590

[76] Sauveur Pierre Etienne, op. cit. p. 68

[77] Ibid.

[78] Ces archives sont consultables en ligne à l’adresse : http://alexandrepetion.com/documents/SB_08_02_1816.pdf

[79] Général et homme politique sud-américain, Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar y Palacios, plus connu sous le nom de Simón Bolívar est né le 24 juillet 1783 à Caracas au Venezuela, et est mort le 17 décembre 1830 à Santa Marta en Colombie. C’est une figure emblématique en Amérique hispanique

[80] Alexandre Sabès, dit Pétion (2 avril, 1770 - 29 mars, 1818) était au pouvoir dans le sud d'Haïti puis Président de la République de 1806 jusqu'à sa mort.

[81] Lettre de Pétion à Bolivar datée du le 18 Février 1816, an 13e de l’indépendance, op. cit.

[82] C.L.R. James, op. cit. p. 8

[83] Cité par C.L.R. James, Op. Cit. P. 57

[84] Garran-Coulon, Rapport sur les troubles de SD, vol. II. P.6, cité par C.L.R. op. cit., p. 89

[85] « Saint-Domingue, la reine de des Antilles, comme on l’appelait, /…/ [devient] le grand marché du nouveau monde, /…/ [elle reçoit] dans ses ports 1578 bâtiments de commerce, tant français qu’étrangers. Son mouvement d’affaires, importations et exportations, montait à 716, 715,962 livres sur lesquels le trésor de la métropole percevait 21597180 livres de droits directs ou indirects ». P. Lacroix, Mémoires pour servir à l’histoire de Saint-Domingue, 1819. Vol. II, P. 277 à 279. Cité par Victor Schœlcher, op. cit. p. 30

[86] Ibib

[87] K. Marx et F. Engels, Manifeste du parti communiste, op. cit.

[88] Sauveur pierre Etienne parle de « transplantation, perversion et dégénérescence du modèle d’Etat européen dans l’Haïti postcoloniale », op. cit. p. 75

[89] Michel Foucault, surveiller et punir : naissance de la prison, Paris Gallimard, 1993

[90] Sauveur Pierre Etienne, op. cit. p. 75

[91] Ibid.

[92] Ibid.

[93] Ibid.

[94] Pierre Pluchon, Toussaint Louverture, un révolutionnaire d’anciens régimes, Paris, Fayard, 1989, p.33

[95] L’expression est employée par Jacques Rancière in La haine de la démocratie, paris, La Fabrique, 2006

[96] J.J. Dessalines, « Proclamation pour abjuration de la nation française ». Voir l’allocution complète en annexe.

[97] Premier chef d’Etat d’Haïti

[98] Gérard Barthélémy, La République haïtienne. Etat des lieux et perspectives. Paris, P. 8

[99] Les moyens de l’Etat sont consacrés à la sauvegarde de l’indépendance mais aussi à l’enrichissement personnel des élites dirigeantes. A ce sujet, voir Leslie Péan, Haïti, économie politique de la corruption, op. cit.

[100] Haïti avait des relations commerciales privilégiées avec l’Angleterre grâce à un accord commercial contracté par Toussaint Louverture (cf. accord commercial). Elle a également pourvu de l’aide à certains dirigeants de l’Amérique hispanique dont Simon Bolivar qui a séjourné en Haïti dans le cadre de la préparation de l’indépendance de son pays.

[101] Alain Yacou, op. cit. P. 668

[102] Gérard Barthélemy, « Réflexions sur deux mémoires inconciliables : celle du maître et celle de l’esclave. Le cas d’Haïti, Cahiers d'études africaines, 173-174, 2004, http://etudesafricaines.revues.org/document4567.html

[103] Ibid.

[105] Ibid.

[106] Ibid.

[107] Jean Jacques Dessalines, "Lettre Responsive De Dessalines a la Requête De Ses Généraux" 15 février 1804. in Bell Angelot, La Constitution de 1805...deux cents ans après: Les chants de résistance, p. 100, voir aussi Angelot ,"Nomination De Dessalines Comme Empereur," Port-au-Prince, 25 janvier 1804 , signée par les généraux de la révolution : Vernet, Clervaux, Christophe, Pétion, Gabart, Geffrard, Jean-Louis François, Férou Gerin, Magny, Raphael, Lalondrie Paul Romain, Cange Jean-Philippe, Daut, Toussaint, Brave, Morau Yayou, Magloire, Amboise, Bazelais, etc. p. 98

[108] Voir Otto Hintze, Féodalité, capitalisme et Etat moderne, tr. Fr. Paris, MSH, 1991, P.310

[109] Sauveur Pierre Etienne, op. cit. p. 110

[110] Voir l’acte de l’indépendance et les déclarations du gouverneur général à vie, Jean-Jacques Dessalines en annexe.

[111] Jacques Lagroye, Bastien François, Frédéric Sawicki, Sociologie politique, Paris, Presse de Science po et Dalloz, 5eme éd., 2006, p. 44

[112] Décapiter, destruction matérielle (des biens des colons).

[114] Voir, par exemple, Immanuel Wallerstein, Capitalisme et économie-monde, 1450-1640, Ed. Flammarion, 1980, Le capitalisme historique, Ed. La Découverte, 1985 [nouvelle édition 2002, avec Postface : "La mondialisation n'est pas nouvelle."]

[115] Jacques Lagroye, op. cit.

[116] Ibid.

[117] Sauveur pierre Etienne, op. cit. p. 52

[118] Ibid. p. 53

[119] Delmas (1814), Histoire de la révolution de Saint-Domingue, t.2, Pp. 263 et 268, cité par Jacques Barros, Haïti. De 1804 à nos jours, op. cit. P. 172

[120] Jacques Lagroye, Op. cit. P. 43

[121] R. Lubérice, Débat autour de « la question de couleur », http://luberice.blogspot.com/2008/04/question-de-couleur-suite.html

[122] Dessalines fut hostile envers les Blancs.

[123] Acte de l’Indépendance D’Haïti. Op. cit.

[124] Jean Jacques Dessalines, op. cit.

[125] Sauveur pierre Etienne, op. cit. p. 86

[126] Cité par David Nicholls, « Idéologie et mouvements politiques en Haïti, 1915-1946 », Annales. Histoire, Sciences Sociales, Année 1975, Volume 30, Numéro 4

p. 654 - 679

[127] Arthur Holly cité par David Nicholls, Op. cit. p. 660

[128] David Nugent, Acompanion to the Anthropology of politics, London: Blackwell, 2004, p.

[129] La Constitution de 1805, op. cit.

[130] Charles Tilly, Tilly, Contrainte et capital dans la formation de l'Europe 990-1990, Paris, Aubier, 1992 , P.56

[131] « Selon Kerverseau, général républicain qui fut proche des Girondins, Toussaint prépare secrètement, et depuis sa promotion, une indépendance noire avec le soutien des Américains et des Anglais » mais cette affirmation semble invraisemblable au regard de la constitution de 1801. D’autant plus que Kerverseau ne cite pas ses sources et qu’il est d’une part le seul à rapporter cela, d’autre part des travaux récents vont à l’encontre de cette thèse. Voir la revue : http://ahrf.revues.org/document2024.html consulté le 21/04/08

[132] Cyril L. R. James, op. cit. Pp. 59 et 74

[134] De son nom complet Gabriel Marie Théodore Joseph de Hédouville (1755-1825), il se heurtera à Toussaint à Saint-Domingue

[135] Ibid.

[136] Ibid.

[137] Constitution de 1801, article 8.

[138] Voir « Toussaint » http://webu2.upmf-grenoble.fr/Haïti/Toussaint.htm consulté le 29/04/08

[140] Jean-Marcel CHAMPION, notice biographique consacrée à Jean-Jacques Dessalines dans le Dictionnaire Napoléon, Fayard, 1989, p. 599

[141] Tiré in Acte de l’indépendance Nationale

[142] Ibid.

[144] Gérard Barthélémy et Christian Girault (sous la direction de), La République haïtienne. Etats des lieux et perspectives, Paris, ADEC-Karthala, 1993, Pp. 12-13

[145] Cité par Gérard Barthélémy, op. cit. P. 13

[146] Cyril L. R. James, op cit. P. 79

[147] Voir Jean Paul Jacqué , Droit constitutionnel et institutions politiques, 5eme éd., Paris, Dalloz, 2003, p. 3

[148] Acte de l’indépendance d’Haïti, op. cit.

[149] Pour dédomager les anciens colons propriétaires de plantation (esclaves compris)

[150] Victor Schœlcher, Des colonies étrangères. Haïti, Paguerre, Paris, 1843, P. 162

[151] Cité par Alyssa-Goldstein Sepinwall in Yves bénot et Marcel Dorigny, op. cit., p. 387

[152] Ibid.

[153] Ibid.

[154] Cite par Alyssa-Goldstein, op. cit. p. 389

[155] Ibid. P. 391

[156] Yves Saint-Gérard, op cit. P. 111

[157] L’organisation des plantations est par exemple au cœur des préoccupations de l’Etat

[158] « Biographie de Dessalines » http://webu2.upmf-grenoble.fr/Haiti/Dessalines.htm consulté le 21/04/08

[159] Ibid.

[160] Voir la Constitution de 1801, « Des cultures et du commerce », art. 14

[161] Ibid. art. 16

[162] L’endroit où il est assassiné le 17 octobre 1806

[163] Constitution de 1805, art.7

[164] Leslie J. R- Péan, op. cit. p. 2

[165] Ibid.

[166] Ibid.

[167] Pour Pétion, le successeur de Dessalines « voler l’Etat ce n’est pas voler ».

[168] Jacques Chevrier « préface » in Leslie Péan, op. cit. p. 5

[169] Voir Gérard Barthélémy, « Réflexions sur deux mémoires inconciliables : celle du maître et de l’esclave. Le cas D’Haïti », Cahiers d’études africaines, XLIV (1-2), 173-174, 2004, pp. 127-139

[170] Le terme « gens de guinée » signifie les ancêtres c’est une référence à l’Afrique qui n’est pas l’Afrique continentale mais imaginaire.

[171] Gérard Barthélémy, op. cit.

[172] Mwayila Tshiyembe, « L’échec des théories de ‘’l’Etat politique du ventre’’ et de ‘’l’Etat néopatrimonial’’ », P. 111

[173] Sauveur Pierre Etienne, Op. Cit.

[174] Jean-François Bayart, L’Etat en Afrique, la politique du ventre, paris, Fayard, 1989, P.87

[175] Sauveur Pierre Etienne, op. cit. P. 117

[176] Voir Mwayiala Tshiyembe, Op. Cit.

[177] Eric Hobsbawm, Tarence O Ranger, The invention of tradition, Cambridge University press, 1992, Pp. 171-189

[178] « Processus par lequel des communautés régionales, marginales, subordonnées ou en position de minorité empruntent certains matériaux à la culture nationale, dominante, métropolitaine ou majoritaire et les remodèlent selon leur propre usage » ce concept a été développé par l’anthropologue et sociologue cubain Fernando Ortiz dans les années 1940 voir http://www.ditl.info/arttest/art4438.php et « Fernando Ortíz on the Phases of Transculturation », http://www.historyofcuba.com/history/race/Ortiz-2.htm, consulté le 24/03/07

[179] « On appellera domination patrimoniale toute domination orientée principalement dans le sens de la tradition, mais exercée en vertu d’un droit personnel absolu » affirme Max Weber in Economie et société, Les catégories de la sociologie/1, Paris, Pocket, 2006

[180] Il serait judicieux de parler d’un pouvoir individualisé sous Dessalines qui l’exerce plus ou moins en fonction de « ses qualités personnelles », du rôle qu’il a joué lors de la guerre de l’indépendance.

[181] Charles Tilly, op, cit. p. 56

[182] Il ne s’agit pas d’une posture purement relativiste mais « a-normative ».

[183] Lettre de Dessalines, Général en chef de l’armée de Saint-Domingue au président du congrès des Etats Unis d’Amérique, daté du 23 juin 1803. Réproduite in Yves Auguste, « Jefferson et Haïti (1804-1810) », Revue d’Histoire Diplomatique, paris, octobre-décembre 1972, pp. 335-336,

[184] Leslie Péan, op. cit. p. 104

[185] Ibid

[186] Dans son ouvrage, Haïti, économie politique de la corruption. De Saint-Domingue à Haïti 1791-1870, op. cit. Leslie Péan met accent sur le poids de la corruption légitimée par les premiers dirigeants du pays dont Dessalines, Pétion, etc. Sauveur Pierre Etienne (cf. introduction) en fait l’une des causes de la non-émergence de l’Etat moderne en Haïti.

[187] Il faut évidemment prendre en compte la conjoncture internationale qui n’a pas joué en faveur de la France.

[188] Nicolas de Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531), Paris, Gallimard, 2004, P.7

[190] Carruthers, Jacob (1985), The Irritated Genie, The Kemetic Institute, Chicago, pp. 123-126

Reproduit in http://www.margueritelaurent.com/pressclips/dessalines.html#horrify

Aucun commentaire: