lundi 4 février 2008

« Les recherches sur la socialisation différentielle des sexes à l’école » de Nicole Mosconi


« Les recherches sur la socialisation différentielle des sexes à l’école » de Nicole Mosconi[i]

L’intérêt manifesté par les sociologues de l’école (en France) pour la variable sexe a pendant longtemps été minime. Durant les années 80 ils se sont surtout intéressés au taux de scolarisation et à la réussite scolaire des femmes. Malgré une augmentation considérable du nombre de filles scolarisées et accédant au supérieur elles « apparaissent peu nombreuses dans les filières scientifiques de haut niveau ».

Ce constat pousse les chercheurs en sciences humaines à se questionner sur les causes de cette différence. Ce qui permettrait d’éviter les réponses « évidentes » et « naturalistes », d’évacuer autrement dit, « le sens commun », pour ainsi faire appel à un concept durkheimien.

Beaucoup de ces recherches selon Nicole Mosconi ont « plus tendance à invoquer la socialisation familiale, l’influence des pairs ou des médias que d’apprécier une socialisation scolaire différenciée selon le sexe » (Baudelot et Estabet).

On constate cependant qu’en langue française, il y a moins de recherches dans ce domaine qu’en anglais.

Mosconi se propose de « faire le point sur ces travaux », notamment Anglo-Saxons. Elle met en premier lieu l’accent sur les théories de références puis sur les travaux analysant les interactions enseignant/élève, et enfin dans la troisième partie, elle s’intéresse aux effets qu’engendrent les relations entre élèves sur les attitudes, positions et préférences des sexes.

Les tentatives d’explication, « du point de vue de la variable sexe », renvoient aux grandes théories de références qui sont :

L’individualisme méthodologique[1], théorie de l’acteur rationnel (Raymond Boudon), théorie de la domination et la théorie du curriculum qui est d’une très grande importance du point de vue de l’auteure.

L’individualisme méthodologique met l’accent sur « les usages différentiels que garçons et filles font de l’appareil de formation » justifiant ainsi les raisons et le choix des filles « quant à l’utilisation qu’elles font de l’appareil scolaire ».

La théorie de la domination met en exergue la compréhension de la scolarisation des filles qui serait la résultante de la structure des rapports sociaux de sexe. Selon cette théorie le sexe masculin jouerait le rôle de dominant et le sexe féminin celui de dominé. Scolairement ces rapports se transformeraient par des formes de « discriminations sournoises entre les sexes » et une division sexuelle des savoirs donc de la connaissance.

Ainsi Mosconi croit que la théorie du curriculum[2] est d’un intérêt non négligeable. La définition que l’auteure adopte est la « manière dont les savoirs s’organisent dans les cursus ». Cela renvoie à un « ensemble continu de situations d’apprentissage auxquelles un individu s’est trouvé exposé dans le cadre d’une institution donnée ». Cette notion s’inscrit dans le paradigme de ce qui doit être enseigné (curriculum formel ou prescrit) dans les classes et ce qui s’enseigne réellement (curriculum réel).

Le premier concerne le parcours d’enseignement, les finalités, objectifs etc. et le deuxième « ce qui est effectivement accompli par la scolarisation comme développement des capacités ou modifications des comportements et des attitudes chez les élèves. »

Les sociologues distinguent une nouvelle dimension du curriculum. Il s’agit du curriculum latent ou caché (ce qui s’acquiert à l’école, sans figurer pour autant dans les programmes officiels). On peut aussi faire références à la participation de l’école dans la construction des stéréotypes

Catégorisation de sexe et stéréotypes de sexe (théorie de la psychologie sociale cognitive)

Les stéréotypes du masculin et du féminin s’inscrivent dans une sorte de « bi-catégorisation ». C’est par et grâce à eux que celle-ci fonctionne. Cette bi-catégorisation ou ces effets d’étiquetage (N. Elias) est le fait que les comportements, les intérêts ou attitudes d’une personne soient catalogués comme masculin ou féminin. Ce qui n’est pas sans effets sur nos modes de penser et nos façons de nous comporter. Ces stéréotypes donnent des explications aux places socialement conférées à chaque sexe. C’est la théorie de la psychologie sociale cognitive. Mais elle rejoint une autre théorie qui est la théorie du « Doing gender » développée aux USA par West et Zimmerman.

La théorie « doing gender » postule que toute « interaction « is doing gender », dans la mesure où elle joue un rôle actif dans la production et la reproduction des identités et différenciation sexuelles.

Grâce à ces théories nous pouvons voir ce qui se passe concrètement et quotidiennement dans les établissements scolaires en vue de comprendre la socialisation différentielle des sexes.

Interaction enseignant/élèves/élèves

Les enseignants ont souvent tendance à opposer le groupe des filles au groupe des garçons. Les remarques fréquemment faites aux filles renvoient à l’apparence physique. Malgré le fait que les enseignants pensent que les filles facilitent la vie quotidienne de la classe et aident à la discipline déclarent préférer enseigner aux garçons.

Les interactions enseignant/élèves garçons semblent plus fréquentent. Ainsi des Anglo-Saxons ont formulé cette inégalité sous la forme d’une loi de deux tiers un tiers.

Les enseignants passent aussi plus de temps avec les garçons qu’avec les filles. Quand ils interrogent un garçon il lui laisse plus de temps pour répondre que lorsqu’il s’agit d’une fille.

Dans les classes mixtes l’équité semblerait équivalente à ce qui privilégie les garçons au détriment des filles. Une étude anglaise sur le primaire montre que les feedbacks adressés aux garçons concernent surtout la qualité intellectuelle de leur travail tandis que pour les filles cela concernent plutôt la présentation de leur travail. Les stéréotypes concernant la prétendue supériorité intellectuelle des garçons dans les matières scientifiques s’est implicitement fait sentir à travers ces comportements.

« Les garçons qui ont un bon niveau font l’objet d’interaction plus intenses et plus encourageantes que les filles qui ont des résultats comparables »

Représentation et attentes des enseignants

Les enseignants s’attendent à ce que les garçons soient plus indisciplinés que les filles. La docilité est plus attendue chez ces dernières. Plus de tolérance vis-à-vis des comportements déviants des garçons. Ils n’ont pas les mêmes attentes des filles que des garçons.

- Plus de tendance à mettre en doute les capacités et les motivations des filles pour les matières scientifiques.

- Différences d’appréciations des copies selon qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Plus d’indulgence envers les copies faibles des filles que celles des garçons.

Ces différences de traitements ont des effets psychologiques chez les élèves. « L’élève dont l’enseignant attend qu’il soit bon élève ou mauvais élève a des fortes chances de le devenir effectivement. »

Au niveau comportemental

Les garçons initient plus facilement les conversations avec les enseignants que les filles. Ces dernières attendent d’être interrogées avant de répondre. Ces différences de comportement peuvent varier en fonction de l’appartenance sociale.

Certaines différences de comportements sont-elles innées ou acquises ? Comment dissocier l’inné de l’acquis ?

Des la maternelle les garçons semblent être moins disciplinés que les filles. Ce qui pousse les enseignants à les consacrés plus d’attention que les filles. On constate chez les filles plus de comportement de retraits, de silence. Elle s’adapte mieux à l’école, plus d’esprit de sérieux.

Certains chercheurs croient qu’il s’agit du fait d’une socialisation familiale qui prédispose les filles à ces comportements scolaires adaptés. D’autres croient que la socialisation scolaire contribue elle aussi à ces manières de se conduire.

D’autres encore mettent en avant le fait que les filles ont de véritables stratégies dans leur conduite scolaire : elles se tiennent tranquilles pour avoir la paix et répondre aux exigences de l’école dans une perspective de réussite scolaire.

Les différences de traitement seraient dues aux différences de comportement des élèves. (Nécessité de tenir les garçons pour que le travail scolaire soit possible).

Les enseignants et les élèves ont subi une socialisation marquée par les catégories de sexes. (Socialisation scolaire et universitaire)

Le fait que les filles reçoivent moins d’attention que les garçons, et que la place qui leur est accordée est secondaire serait dû a un message transmis par le curriculum caché qui légitime ces différences de traitement.

A vrai dire cette socialisation est aussi le fait « des relations entre pairs et entre groupe de sexes dans l’école. »

Au niveau même de l’école maternelle les enfants se partagent en groupe de sexe et jouent plus volontiers à des jeux conformes à leur sexe. Les garçons ont plus de mal adopter les attitudes « contraires à leur sexe » que les filles. Les « valeurs féminines » sont moins valorisées.

Dans les classes mixtes la dominance du groupe des garçons est très marquée. On a longtemps misé sur la scolarité mixte arguant que cela conduira à plus d’égalité. Or Mosconi rapporte que « la situation de mixité scolaire produit les mêmes phénomènes que le laboratoire où l’on constate que les filles, dans une situation d’interaction compétitive diminuent leur auto-attribution de compétence quand le groupe est mixte, par rapport à la compétence qu’elles s’attribuent dans un groupe uniquement composé de filles. » les filles en sortiraient donc avec une moindre confiance en elles.

Des différences disciplinaires selon le sexe s’opèrent également.

Mosconi Conclut en mettant en exergue ce qu’elle appelle un contraste existant entre la littérature anglaise (assez abondante) dans le domaine d’un coté et une maigre littérature francophone de l’autre. La variable sexe doit être prise en compte dans la conceptualisation des notions d’éducation et de socialisation. La variable classe sociale ne doit être pour autant négliger

L’auteure a montré (ou du moins a prétendu montrer) la place de l’école dans la production et la reproduction des rapports sociaux de sexe. Elle a en quelque sorte pointé du doigt nos « rapport au savoir » dont l’école joue un rôle très important. On pourrait lui reprocher de ne pas avoir proposé des pistes en vue d’une remédiassions a ces problèmes (ce qui n’était probablement pas le but de son travail).

L’école a surement joué un rôle important dans la socialisation différentielle des sexes. Cependant l’école n’est que le vecteur propagateur d’un ensemble de normes construites et valorisées par la société dans son ensemble (famille, médias –dans son acceptation la plus large- etc.). C’est un vecteur de transmission qui sert à perpétuer un certains nombre de valeur sociale. Autrement dit, l’école ne fabrique pas les inégalités (ou dans une mesure assez moindre) mais les transmet. Grâce à elle, elles perdurent. Si on « change » de socialisation, l’école pourra toujours se charger de la transmission et la perpétuation de ces nouvelles normes.

Renald LUBERICE

http://luberice.blogspot.com/



[1] Approche ascendante par opposition à l’holisme (approche descendante)

[2] Il semblerait qu’il n’existe pas de définition précise du terme « curriculum ». On en dénombre plus de 120. Voir, Association canadienne pour l'étude du curriculum, Congrès annuel de la SCEE 24-27 mai 2000, University of Alberta http://www.scee.ca/ACEC/Nouvelles/ACEC_Nouvelles_V1N1_automne_1999.htm#D%E9finitions%20de%20curriculum Nous avons tout de même sélectionné trois définitions qui éclaireraient notre sujet. 1- « Curriculum en tant qu'expériences et planification interdépendantes. Cette approche plus récente se concentre sur la planification des enseignants et les expériences des étudiants, sous l'encadrement de l'école. Cependant, cette approche n'est possible que si le niveau de participation de l'enseignant et de l'étudiant est élevé. Elle nécessite des enseignants flexibles et des étudiants réceptifs puisque tant ce qui est planifié que ce qui ne l'est pas doit pouvoir être intégré dans le cadre du programme ». 2- « Curriculum en tant qu'expérience holistique. Ce programme englobe tous les concepts éprouvés par les étudiants dans le cadre des activités de l'école, tant planifiées que non planifiées. De cette façon, les tâches de l'école sont plus vastes et il est difficile pour les enseignants d'identifier et d'évaluer les expériences d'une réelle valeur éducative. » 3- « Curriculum en tant qu'apprentissage personnel. Ce programme se concentre sur l'orientation à caractère personnel et social du curriculum. Il met l'accent sur la capacité de l'individu à prendre sa vie en mains. Cette approche laisse entendre que l'école n'a pas de responsabilité particulière vis-à-vis l'apprentissage de chacun/chacune puisque tant l'école comme lieu physique que l'école de la vie sont idéales aux choix individuels ».



[i] Dans : Yannick, Reudet, Bernard, Filles et garçons jusqu’à l’adolescence, paris : L’Harmattan (éd.) 1999

2 commentaires:

Anonyme a dit…

You write very well.

Moun plato santral a dit…

Je vous remercie.

Bien cordialement.


R.