samedi 23 février 2008

Question Armée : Haïti

La question de l’Armée d’Haïti est une question franchement politique. Une question politique implique automatiquement divergence de point de vue. L’unanimité n’est pas de l’ordre du politique mais (peut-être) du divin, de la foi (du grec fides). C’est pourquoi chacune, chacun de nous devra s’efforcer d’émettre son opinion sans offenser (insulter) celles et ceux qui ne sont pas de son avis. Une certaine morale appellerait cela « respect mutuel ». S’il y avait une vérité « immanente » à la question de l’armée d’Haïti, elle ne susciterait pas autant d’interrogation et de positions divergentes. En revanche en posant le problème de l’armée Chacune, chacun d’entre nous essaye de définir « le juste », ou ce qui est bon pour la nation haïtienne. Donc l’objectif est unique mais la manière d’y parvenir pose problème.

Le juste (du latin jus) est l’expression d’un rapport de force [M. Gérard, 1997]. Il n’est pas irréversible. C’est le politique qui définit le juste et l’injuste. Cela veut dire qu’une décision prise par un gouvernement à un moment donné dépend du rapport de force (politique) qui régit l’exercice du pouvoir à ce moment là. Ce même gouvernement peut prendre une décision tout à fait contraire si le rapport de force bascule ou lui est moins favorable. Cependant ce gouvernement quelque soit l’expression du rapport de force du moment est tenu de justifier son acte [L. Boltanski et Thévenot, 2005]. C’est-à-dire prouver le caractère légitime de sa décision. Cette tâche lui est moins complexe d’autant que le rapport de force lui est favorable. Cet impératif de justification est aussi valable pour tout acteur « énonçant » une position. Il se sent obligé de justifier son choix. J’y reviendrai.

C’est à travers donc un tel cheminement qu’Aristide a dissout l’armée de manière scandaleuse vu le caractère inconstitutionnel de son acte. Mais il a su profiter d’un rapport de force favorable. Cette décision n’a pas été prise à cause de l’incapacité économique du pays à gérer l’appareil militaire. Loin de là ! Les forces étrangères coutent bien plus chères. En outre si on devait se baser sur des considérations économiques pour savoir si on doit avoir telle institution ou telle autre on devrait commencer par supprimer la présidence, le parlement, la police etc. et en suite se demander si « Haïti a lieu d’être », vu notre incapacité à nourrir la population ! Si la question n’est pas ainsi posée c’est parce que tout le monde est plus ou moins convaincu qu’il y a des institutions qui ne sont pas négociables.

A différentes interventions sur ce forum je n’ai de cesse de mettre en exergue certaines caractéristiques de l’Etat moderne. C'est-à-dire le type d’Etat que semble revendiquer Haïti. Un Etat (moderne) n’est pas Etat parce qu’il a un territoire, une population, une autorité étatique, etc. mais il est Etat en fonction de ses moyens. Ce qui implique la capacité à contrôler l’ensemble de son territoire en étant l’unique source de la violence légitime. On ne contrôle pas un territoire avec des beaux discours mais avec des moyens militaires effectifs. Les jeux sémantiques importent peu ! Si on ne contrôle pas son territoire on ne peut pas prétendre sécuriser sa population. Si un pays ne contrôle pas son territoire c’est son existence même qui est mise en péril.

Donc si on ne veut pas d’un corps qu’il s’appelle l’Armée on sera obligé de créer un corps équivalent dont le budget ne sera pas moindre qui partage les taches avec la police. Si on n’est contre l’Etat, on en a le droit, on peut être contre l’armée. Mais être pour l’Etat et contre l’Armée est incohérent et absurde (pour s’en convaincre voir l’histoire de l’Etat moderne) !

Renald LUBERICE

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