Rapport préliminaire
de la Commission Citoyenne Nationale de Réflexion
sur les Forces Armées d’Haïti.-
Présentation
Le 9 septembre 2004, par un Arrêté du Gouvernement signé du Président de la République, du Premier Ministre et de tous les Ministres, après discussions en Conseil des Ministres et conformément au document du 4 avril 2004, il a été créé une Commission Citoyenne Nationale de Réflexion sur les Forces Armées d’Haïti. Cette entité d’Etat était composée des neuf (9) personnalités suivantes :
1.
2. Dr. Ariel HENRY
3. Mme. Anne-Marie ISSA
4. M. Maurice LAFORTUNE
5. Me. Dilia LEMAIRE (démissionnaire par la suite)
6. Dr. Georges MICHEL
7. Professeur Frantz PIARD
8. Colonel Himler REBU
9. Professeur Jean-Robert SIMONISE
Dès la lecture officielle du texte de l’Arrêté présidentiel, suivie de sa publication dans la presse par Monsieur Michel BRUNACHE du Cabinet particulier du Président, texte dont l’original a été confié à Monsieur Enex JEAN-CHARLES du Secrétariat du Conseil des Ministres pour les suites finales à sortir (…), les membres de la Commission ont immédiatement répondu à l’appel patriotique qui leur été lancé et, par devoir civique, ils ont accepté la décision gouvernementale en se mettant au travail…
Il est important de souligner, ‘’in limine litis’’, que la Commission en général et les Commissaires en particulier ont travaillé et travaillent sur une base bénévole. Aucun moyen n’a jamais été mis à la disposition de la Commission. Toutefois, par devoir patriotique, par engagement civique, et sur la seule base de la prise de conscience de leurs responsabilités citoyennes, la Commission et les Commissaires ont travaillé depuis le premier jour de la publication de l’Arrêté présidentiel du neuf (9) septembre 2004 en utilisant leurs ressources personnelles au nom de la Patrie commune.
Dès la troisième réunion de travail de la majorité des membres, la Commission s’est structurée par consensus de la manière suivante :
1.
2. Monsieur Maurice LAFORTUNE, Vice-Président
3. Dr. Georges MICHEL, Secrétaire
4. Professeur Frantz PIARD, Secrétaire-Adjoint
5. Professeur Jean-Robert SIMONISE, Chargé des Relations publiques
6. Colonel Himler REBU, Chargé des Relations publiques
7. Dr. Ariel HENRY, Membre
8. Mme. Anne-Marie ISSA, Membre
La démarche intellectuelle multidisciplinaire choisie pour les travaux de la Commission a exigé de chaque membre un engagement solennel portant, en pré-requis, sur un certain nombre d’exigences comme :
- le patriotisme et l’esprit patriotique allant au-delà du simple ‘’esprit civique’’, c’est-à-dire, considérer ‘’la Patrie avant tout’’ : au dessus de tous les intérêts !
- la loyauté ;
- la discipline ;
- un regard non figé et une vision macro (systémique) de nos réalités plurielles, et celle particulière des Forces Armées d’Haïti, institution génitrice de l’Etat-Nation d’Haïti ;
- l’indépendance et l’esprit d’ouverture ;
- la solidarité et l’esprit de corps qui combat et évite les divisions ; etc.
Par consensus, les membres de la Commission ont décidé que les travaux doivent être conduits suivant la thèse du regard à trois dimensions :
1. l’Armée au passé : de l’Armée des Incas avant 1492 aux Forces Armées d’Haïti au pouvoir en 1986 en passant par l’Armée de Libération ou Armée Indigène, dite Première Armée et la Deuxième Armée ou l’Armée issue de l’occupation américaine ;
2. l’Armée au présent : les Forces Armées dans la tourmente, de 1986 à nos jours ;
3. le devenir de l’Armée d’Haïti : perspectives et prospectives,
- devant l’Histoire ;
- devant la Constitution et les lois de la République ;
- face aux coûts sociaux, économiques et financiers ;
- face aux deux réalités contradictoires qui s’affrontent :
la realpolitik de la volonté nationale vs. la volonté imposée de la communauté internationale soutenue par des secteurs bien définis de la vie nationale.
… De telle sorte que, la synthèse des travaux qui tiendra compte des acquis de l’histoire, du poids juridique, des considérations politiques, des coûts économiques et financiers, ainsi que des retombées sociales, etc., se fera sur trois axes précis devant former l’ossature des trois grands chapitres du document final devant contenir les dernières recommandations de cette Commission Nationale de Réflexion sur les Forces Armées d’Haïti.
Néanmoins, devant les très graves événements qui sont survenus dans le pays dans un passé récent et qui ont mis en cause des militaires démobilisés, et devant la brusque et dramatique détérioration de la situation sécuritaire générale du pays, où assassinats, fusillades diurnes et nocturnes, kidnappings, viols et incendies criminels se sont multipliés, dans le but d’aider le Gouvernement dans sa lourde tâche de mener à bon port la barque de l’Etat ainsi que d’éclairer les différents Partis politiques sur la question des Forces Armées à l’approche des élections générales qui seront déterminantes pour le futur de la Nation, la Commission a décidé de remettre aux Autorités de la République un rapport préliminaire reflétant exactement l’état d’avancement de ses travaux à la date du jour, ayant pleinement compris la nécessité de l’urgence et celle de présenter des pistes au Gouvernement actuel comme à celui qui prendra fonction le 7 février 2006.
Rappel historique et situation actuelle.-
A côté des données de l’histoire nationale qui s’imposent à tous – l’Etat-Nation d’Haïti est une oeuvre matérielle de l’Armée – la Constitution d’Haïti prévoit expressément dans son Titre XI, (articles 263 à 274) que « la Force publique nationale se compose de deux corps distincts » :
a) Les Forces Armées d’Haïti ;
b) Les Forces de Police ;
Et les articles 263.1 et 268.3 vont plus loin :
« Aucun autre corps armé ne peut exister sur le territoire national » (article 263.1) ;
« Les Forces Armées ont le monopole de la fabrication, de l’importation, de l’exportation, de l’utilisation et de la détention des armes de guerre et de leurs munitions ainsi que du matériel de guerre » (article 268.3).
Or, voilà qu’à la faveur d’une intervention militaire étrangère, la seconde de notre histoire, les Forces Armées d’Haïti ont été illégalement démobilisées. Cependant, elles n’ont jamais cessé légalement d’exister puisqu’aucun acte ou instrument juridique n’a encore effacé l’histoire, amendé la Constitution ou modifié les 220 textes législatifs traitant de l’organisation, du fonctionnement et des règlements généraux de l’Armée d’Haïti.
Cette situation anormale a produit des conséquences à la fois juridiques et techniques : des conséquences juridiques surtout vis-à-vis du personnel illégalement démobilisé, et des conséquences techniques, en une carence dans notre appareil sécuritaire, avec une insuffisance ou une impossibilité de la seule institution restante à protéger l’Etat haïtien contre les menaces à caractère militaire. Tout ceci est attesté par la chute des différents commissariats de police et des villes, au début de 2004, la présence sur le sol national de la MINUSTAH qui est une force de l’ONU avec une forte composante militaire en provenance de 38 armées nationales de ‘’pays amis’’ qui est destinée à suppléer aux tâches militaires qu’une armée nationale, absente du terrain quant à présent, devrait normalement remplir, et la PNH, qui est en réalité la seconde PNH de notre histoire (la première créée par Alexandre Pétion le 18 avril 1807 a été dissoute illégalement par l’occupant américain le 29 janvier 1916), et qui est par la force des choses, pleinement responsable des fonctions policières et militaires sur toute l’étendue du territoire national. De 1916 à 1995, une seule force armée issue de l’occupation étrangère remplit à la fois les fonctions d’Armée et de Police, ce qui était une situation malsaine. La Constitution de 1946 prévoyait expressément la séparation de la police et de l’armée, et les lois de séparation concernant ces deux importantes institutions ont été votées par le Parlement d’alors et ont été régulièrement publiées au Moniteur pendant l’année 1947, mais rien ne fut jamais fait pour appliquer ces lois en 47 ans jusqu'à ce que l’étranger mette une seconde fois le pied sur le territoire national. La problématique de la force publique haïtienne a été également au coeur de cette seconde intervention, comme elle a été au coeur de la première intervention.
En 1994, l’intervenant étranger avait un plan de réorganisation et de restructuration des Forces Armées d’Haïti, en fonction des nouvelles missions résiduelles, spécifiquement militaires et humanitaires dévolues à ce corps. Mais, ceci ne fut pas mis en oeuvre et on eut plutôt la démobilisation de l’Armée consacrée par l’ex-Président Aristide dans une conférence de presse en mai 1995. Dix années se sont écoulées. L’absence de fait des Forces Armées a permis à de nombreux Haïtiens de se livrer à des réflexions sur une question qui est au coeur de la vie nationale, la problématique de la force publique. Les Commissaires, pendant leur travail qui d’ailleurs se poursuit, ont consulté de nombreux documents et parlé avec de nombreux interlocuteurs haïtiens et étrangers. Le présent rapport fait le point sur les travaux de la Commission. Elle insiste sur le caractère préliminaire de ce document qui pourrait être complété par des suggestions critiques venus de l’ensemble des citoyens, car la Commission entend travailler dans la plus complète transparence et dans la plus totale ouverture.
Le rapport donnera d’abord les raisons qui militent en faveur de l’existence d’une armée nationale ensuite les raisons qui militent contre une telle existence, avec quelques commentaires pertinents à ces raisons :
A. Raisons qui militent en faveur de l’existence d’une armée nationale.-
1.- Les droits acquis de l’histoire nationale
Fondation de l’Etat-Nation d’Haïti par l’Armée. Haïti est peut être prisonnière de son histoire, mais c’est le seul pays de la terre fondé par une Armée à la suite de sa victoire militaire contre les troupes ennemies de la colonisation française. L’Acte d’Indépendance d’Haïti est signé d’Officiers de l’Armée et d’un seul civil, Boisrond Tonnerre. En 1916, l’occupant étranger substitua une Armée à une autre Armée, mais c’était quand même l’Armée.
2.-Les provisions constitutionnelles
La Constitution haïtienne prévoit dans son titre XI l’existence d’une Force publique à deux composantes : une armée et une police, chacune ayant ses missions propres ; aux militaires les missions à caractère militaire et aux policiers les missions de police et de sécurité des vies et des biens.
3.- La dissuasion contre l’action des bandes armées
On s’accorde à reconnaître que 10 ans après le renvoi de l’Armée, cette absence a provoqué un vide qui a affaibli considérablement la force publique haïtienne et déstabilisé l’Etat. L’un des effets délétères de ce renvoi a été la réapparition des seigneurs de guerre et des bandes armées que combattent la MINUSTAH et la PNH.
En l’absence d’une armée nationale, ces bandes armées qui sont extrêmement mobiles et qui disposent d’une capacité d’apparaître et de disparaître à volonté aussi que de se fondre à la perfection dans la population civile. La récente attaque du Pénitencier National au cours de laquelle des criminels excessivement dangereux qui y étaient incarcérés, ont été libérés, a démontré le grand degré de faiblesse et de décomposition de l’appareil sécuritaire de l’Etat. Les chefs de guerre avaient disparu du paysage politique haïtien depuis 1920 et l’outil qui avait été créé pour les combattre et empêcher leur réapparition étaient les anciennes FADH. Celles-ci étant parties, les seigneurs de la guerre sont revenus, et ils menacent gravement notre existence comme entité étatique. La Commission estime nécessaire l’existence d’une armée nationale moderne, disciplinée et structurée pour pouvoir servir de potentiel de dissuasion à tous ceux qui, au moyen de bandes armées veulent menacer l’Etat et terroriser les citoyens. Nous insistons sur le fait que ces bandes armées se sont livrées à de véritables actes terroristes contre la population civile innocente, conformément à la définition des actes terroristes récemment proposée par le Secrétaire Général de l’ONU M. Kofi Annan.
Il est indispensable qu’une force armée nationale prenne le relais des militaires de la MINUSTAH quand ces derniers seront partis. Cette argumentation a d’ailleurs été reprise mot pour mot par des diplomates et des militaires étrangers qui ont eu des conversations privées avec certains commissaires mais, qui n’ont pas mandat de leurs gouvernements respectifs d’exprimer publiquement cette opinion. C’est aux Haïtiens de voir clair par eux-mêmes sur ce sujet. L’existence d’une armée nationale aurait aussi l’avantage de permettre au Haut Commandement militaire de récupérer et de sécuriser toutes les armes de guerre qui sont irrégulièrement en circulation et d’obéir ainsi pleinement au prescrit de l’article 268-3 de la Constitution de 1987 qui confère expressément aux Forces Armées d’Haïti le monopole de la possession et de la gestion des armes de guerre ainsi que leurs munitions. Une Armée nationale devrait représenter une force de dissuasion permanente contre les bandes armées, car autrement, ces dernières se reformeront sans cesse, et un gouvernement haïtien du futur pourrait se retrouver à la merci de n’importe quel coup de main audacieux organisé par ces bandes, et se voir renverser du jour au lendemain.
4.- La lutte contre la drogue
Le renvoi des FADH a fait de notre pays un boulevard de la drogue et le volume du narcotrafic a augmenté considérablement ses exportations vers les Etats-Unis, et beaucoup d’observateurs nationaux comme étrangers, si ce ne sont aussi les trafiquants eux-mêmes, estiment que notre pays est devenu un véritable paradis pour les narcotrafiquants et pour leur négoce. L’existence d’une armée nationale déployée sur tout le territoire, dans ses composantes de terre, de mer et de l’air, ferait diminuer le volume du narcotrafic et réduire considérablement l’aisance avec laquelle les narcotrafiquants opèrent actuellement sur notre territoire. Au Mexique, pourtant pays de démocratie ancienne, le Président Vicente Fox vient de faire appel à l’armée pour combattre les narcotrafiquants qui opèrent dans le nord du pays, la police locale ne pouvant pas faire face à cette grave menace.
5.- La lutte contre le terrorisme
Mutatis mutandi, la Commission peut reprendre la même argumentation développée au point précédent relativement au trafic de la drogue. Haïti doit pleinement participer à la lutte contre le terrorisme. Il est nécessaire de bien comprendre qu’un pays est le principal responsable du fait de s’assurer qu’aucune attaque ne soit lancée à partir de son territoire contre un pays voisin, et qu’à Dieu ne plaise, une attaque terroriste peut possiblement être lancée à partir du territoire haïtien contre les Etats-Unis. De même manière que les narco-trafiquants se sont rendus compte que notre pays est une passoire, de dangereux terroristes internationaux appartenant à un réseau comme l’Organisation Al-Qaïda peuvent faire également la même constatation et en tirer toutes les conséquences. Une pareille menace n’est pas une vue de l’esprit et doit être prise extrêmement au sérieux. Seule une armée peut faire face à des terroristes prêts à tout, déterminés, et disposant de moyens d’actions insoupçonnés par la PNH dont la mission première est de protéger et servir.
Dans un récent article, le prestigieux journal New York Times a annoncé que le Ministère de la Défense des Etats-Unis envisage d’utiliser désormais les forces armées américaines pour gérer les attaques terroristes sur le territoire américain. Dans 13 cas, les forces armées viendront en appui à la police. Dans 2 cas, les forces armées seront totalement en charge des opérations. Ceci représente un changement majeur dans la doctrine américaine sur l’emploi des forces militaires sur le territoire national, rendu nécessaire par la nouvelle conjoncture mondiale. Nous aurions intérêt à tirer profit d’un pareil changement de doctrine opéré par la première puissance militaire de la planète.
D’après au moins un témoignage digne de foi, il semble que le chef des terroristes du 11 septembre 2001, l’Egyptien Mohammed Atta ait séjourné en Haïti avant l’accomplissement de son forfait. Dans une très vieille démocratie comme la Grande Bretagne, la lutte contre les terroristes et les preneurs d’otages est laissée aux forces armées de Sa Majesté.
Les récents actes de kidnapping qui se sont multipliés récemment et où les personnes kidnappées ont été torturées, s’apparentent à des actes terroristes. Parfois la PNH sait où se trouvent les kidnappeurs et les victimes mais ne peut pas pénétrer dans ces zones, ceci demandant des moyens militaires pour maîtriser des bandits lourdement armés, combatifs et bien retranchés.
Haïti fait actuellement face à une menace terroriste permanente et est obligée de lutter contre le terrorisme qui veut détruire les fondements mêmes de notre société. La mort révoltante du journaliste et poète Jacques ROCHE montre bien que les terroristes ne respectent rien et ne reculent devant rien pour poursuivre leurs objectifs. Une force militaire bien organisée et efficace est le fer de lance de la lutte anti-terroriste.
6.- La surveillance de nos frontières
Les responsables dominicains se plaignent périodiquement, en privé ou même parfois officiellement, que le renvoi des Forces armées en Haïti a déstabilisé l’île entière. En effet, les frontières haïtiennes, terrestre, maritimes et aériennes ne sont virtuellement plus surveillées depuis la disparition des FADH, selon ces officiels étrangers et que les Forces armées dominicaines se trouvent en raison de cette situation de fait, responsables de la sécurité de l’île entière, les Haïtiens n’étant plus en mesure d’assumer la part du fardeau sécuritaire qui leur incombe normalement. Cette situation anormale est de nature à engager la responsabilité internationale de la République d’Haïti.
7.- Les catastrophes naturelles
Durant le cours de l’année 2004, notre pays a été rudement éprouvé par des catastrophes naturelles. Le 23 mai, les localités de Fonds-Verrettes et de Mapou ont été détruites par les eaux en furie. En cette année du Bicentenaire, la Cité de l’Indépendance a été victime comme on le sait, de la tempête Jeanne. La force multinationale dans le premier cas et la MINUSTAH dans le second cas se sont dévouées pour apporter des secours aux populations sinistrées. C’est un rôle qui est normalement dévolu à des forces armées nationales. Les circonstances ont voulu qu’il y ait eu en ces occasions tragiques des forces étrangères sur notre territoire, mais il faudra prendre des dispositions appropriées quand elles seront parties.
8.- Des tâches de développement
Les Forces Armées de par la Constitution doivent remplir des tâches de développement comme la construction et la réparation de routes ayant à la fois un intérêt militaire et un intérêt général, l’entretien et la réparation de ponts, d’écoles, de dispensaires, le curage de canaux de drainage ou d’irrigation.
Les militaires doivent avoir la charge de la protection de l’environnement et surtout la reforestation. Les militaires devraient avoir la charge de la protection et de la défense des étendues reboisées.
On pourrait confier également aux Forces armées des tâches à caractère social, comme les soins de santé à fournir à la population et l’alphabétisation, ainsi que la popularisation de l’éducation physique et des sports à travers le pays.
9.-L’impact économique
Le rétablissement des Forces Armées devrait permettre la création de quelques milliers d’emplois directs avec le recrutement d’un personnel militaire et d’employés civils des Forces Armées, sans compter la création d’emplois indirects et les retombées économiques générales dans les villes de garnison et dans les zones du pays ou seraient implantées les Forces Armées.
B- Les Raisons contre le rétablissement des Forces Armées.-
1.- Le succès de l’expérience du Costa Rica
Le Costa Rica a supprimé son armée pour ne garder que sa police. Certains pensent que la même expérience pourrait être répétée de manière aussi heureuse en Haïti. Cet argument ne résiste pas à l’analyse. Le contexte socio-historique et la culture ne sont pas les mêmes en Haïti et au Costa Rica. Les forces armées costaricaines au moment de leur renvoi représentaient quelques centaines d’hommes qui ne jouaient plus aucun rôle. On disait par dérision de cette armée qui comptait moins de mille hommes au moment de sa dissolution en 1949, qu’elle n’avait plus que les généraux et le corps de musique. Après ce renvoi, le Costa Rica a connu la paix et la stabilité, ce qui n’a pas été le sort d’Haïti après le renvoi des FADH. Notre pays s’est trouvé déstabilisé et en proie à la violence des bandes armées et des seigneurs de guerre. Le renvoi de l’armée au Costa Rica avait été le fruit d’un consensus de tous les secteurs politiques dans ce pays, alors que le renvoi des FADH a été le fait de la décision arbitraire et illégale d’un seul homme. Le problème politique avait été réglé dès le départ au Costa Rica, alors qu’il était au contraire demeuré entier en Haïti. A part ces problèmes d’ordre conjoncturel, pour de réelles raisons historico-politiques, notre passé social-historique supporte très mal la comparaison voire la duplication de l’expérience malgré son succès au Costa-Rica.
2.- L’argument financier
Cet argument n’en est pas un. La sécurité a un coût. Il faut le payer. Une partie non négligeable de ce coût est incompressible. Les fonctions militaires et policières sont distinctes et spécialisées. Si nous refusons de payer pour notre sécurité nous n’aurons plus de pays. Il faut prévoir un budget raisonnable pour l’armée et pour la police. Si nous ne rétablissons pas un appareil sécuritaire performant, tous les efforts pour développer le pays et améliorer les conditions de vie de notre population seront totalement vains, puisque balayés au départ. Il n’est point nécessaire de réinventer la roue. Comme on souhaite des corps de sécurité professionnels, il y a un coût pour une Armée professionnelle et un coût pour une Police professionnelle, chacune dans ses attributions distinctes et bien spécifiées. L’Armée et la Police ne sont pas deux institutions équivalentes ou interchangeables. En réalité, elles sont complémentaires. Nous devrons consacrer un certain pourcentage de notre PNB à notre défense comme le font tous les pays qui sont dotés d’un appareil militaire et qui représentent l’écrasante majorité des pays de la planète. Nous souhaitons cependant que ce pourcentage soit le plus bas possible. Pas une gourde de plus que ce qui est réellement indispensable. Nous suggérons de nous en tenir simplement au pourcentage de 2% du PMB qui est recommandé par la Banque Mondiale pour les dépenses militaires.
3.- La possibilité pour la PNH de s’occuper de tâches militaires si on en lui donne les moyens humains, matériels et financiers
Les militaires et les policiers n’ont pas la même formation et il arrive un moment où face à des menaces de type militaire qui excèdent sa compétence, la police doit faire appel à l’armée. Les policiers disent à qui veut l’entendre qu’ils sont des travailleurs sociaux à qu’il a été donnée un uniforme et une arme, et qu’ils ne sont pas des militaires. Il est plus aiser d’obtenir une grande discipline dans une organisation à statut militaire que dans une organisation à statut civil. La meilleure illustration de la spécialité des tâches militaires et policières et de leur différence, c’est que la MINUSTAH a une composante militaire et une composante policière, chacune ayant sa mission propre. Nous avons réalisé depuis 1946 qu’il était malsain que l’armée remplît également les fonctions de police. Le constituant et le législateur d’alors avaient pris les dispositions pertinentes pour régler ce problème mais elles n’avaient jamais été appliquées.
Une des revendications du peuple haïtien en 1986 était la séparation de la police d’avec l’armée. La PNH est le seul corps de la force publique haïtienne qui existe réellement et on demande à cette PNH de remplir le rôle d’armée en même temps. La revendication de 1946-1986 n’est pas satisfaite. Avec le renvoi de l’armée, on est en réalité retombé dans la même situation d’un corps qui a changé de nom, de structures et de formation mais qui continue de remplir ces deux rôles qui doivent être
normalement distincts. Actuellement, la PNH est à la fois armée et police. C’est la même situation malsaine qui est revenue et contre laquelle on avait lutté pendant plus de 40 ans. Dans le cas de l’absence d’une armée nationale, il faudra institutionnaliser la présence humiliante de soldats étrangers en permanence sur le territoire nationale pour remplir les fonctions militaires que nous ne serions pas capables de remplir. Ceci équivaudrait à remettre à l’étranger, une des fonctions régaliennes de l’Etat, à savoir la défense nationale. Or nous savons pertinemment qu’on ne peut sous-traiter la défense nationale à l’étranger, sans s’exposer à de graves conséquences pour la souveraineté nationale et l’indépendance du pays.
Des conversations menées avec de très nombreux membres de la PNH sous le couvert de l’anonymat ont révélé que ces Policiers sont unanimes à souhaiter avoir une armée nationale aux côtés de leur Institution pour travailler de concert avec eux, de la même manière qu’ils travaillent maintenant avec des armées étrangères. Ils souhaitent que le moment venu, une armée nationale prenne la relève de ces armées étrangères quand il leur faudra quitter le territoire national.
4.- La peur de coups d’Etat militaires
Le monde a beaucoup changé de 1995 à 2005 dans un sens de plus de démocratie et de plus de participation pour les peuples à la gestion de leurs affaires. On n’a plus besoin de l’intervention des militaires de nos jours pour renverser un pouvoir dictatorial. Le régime tyrannique de Jean-Bertrand ARISTIDE a été renversé par un mouvement citoyen, le GNB, issu de la société civile, et parti des élections frauduleuses des 21 mai et 26 novembre 2000. Ce sont des mouvements de mobilisation civile du même type qui ont mis fin à des régimes qui avaient truqué des élections en Géorgie, en Ukraine et plus récemment au Kirghizistan. Les citoyens en prenant en main leurs propres affaires et en descendant dans la rue, ont enlevé à l’armée le principal prétexte pour faire un coup d’Etat militaire et prendre elle-même le pouvoir. Les gouvernements civils ont de leur côté intérêt à gouverner en respectant les droits des citoyens et les règles de la conduite démocratique s’ils ne veulent pas se trouver à un moment ou à un autre, en face d’un mouvement pacifique mais massif de protestation civile de type GNB.
Par ailleurs, la piètre performance économique et sociale des gouvernements militaires qui se sont succédés en Haïti depuis 1986 est un véritable repoussoir contre l’idée de coup d’Etat militaire. Ensuite, compte tenu du contexte régional et international, la position d’éventuels putschistes serait rapidement intenable. Ils n’iraient nulle part, et ne trouveraient personne pour les suivre. Le récent exemple togolais est là pour le prouver. Enfin, les malheurs qui se sont abattus sur les FADH et sur leurs membres à partir de 1994 et à la suite du coup d’Etat du 30 septembre 1991 seraient de nature à décourager les putschistes les plus ardents et les moins clairvoyants. Il est clair que l’écrasante majorité du peuple haïtien aspire à plus de démocratie véritable et au développement, et que l’ensemble du corps social ne tolérerait pas un pouvoir issu d’un coup d’Etat militaire. La Bolivie qui était la championne des coups d’Etat militaires, y a définitivement renoncé seule, en 1983 depuis l’élection du Président Hernán SILES ZUAZO. En Afrique, on peut mentionner des pays frères francophones qui ont banni les coups d’Etat de leur vie politique et qui connaissent maintenant une démocratie paisible, comme le Bénin ou le Mali.
5.- Une prétendue interdiction faite à nous par certains de nos partenaires internationaux de nous doter d’une Armée nationale, comme le suggèrerait à tort ou à raison une rumeur qui circule depuis un certain temps chez nous. La Commission désirerait éclairer l’opinion publique sur ce point. L’organisation d’une Force Armée est un acte de souveraineté qui ne peut être subordonné à une quelconque autorisation venue de l’extérieur. Notre Constitution qui est la Loi mère du pays est très claire en ce qui concerne ses prescriptions concernant notre force publique, avec une composante militaire et une composante policière. Quand les seigneurs de guerre passent à l’action comme on n’a cessé de le voir pendant ces derniers temps, ce sont nos vies et nos biens qui se trouvent ainsi mis en danger pas ceux de personnes qui habitent hors d’Haïti. Nous ne pouvons pas laisser les autres décider de notre sort pour nous et déterminer à notre place ce qui nous fait besoin et ce qui ne nous fait pas besoin. Des forces armées nous seraient fort utiles pour nous protéger efficacement des chefs de guerre, de leurs bandes armées et de leurs méfaits. La Commission demeure néanmoins sceptique quant aux fondements réels de cette rumeur, qui pourrait être propagée à dessein par certains secteurs qui y trouveraient un intérêt déterminé et qui induiraient de la sorte délibérément l’opinion publique en erreur. La Commission croit devoir rappeler à toutes fins utiles que la position officielle du Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique sur la question de l’Armée en Haïti a été clairement exprimée par l’ancien Secrétaire d’Etat américain le Général Colin POWELL qui était en visite il n’y a pas trop longtemps dans notre pays, à savoir que cette question doit être réglée par les Haïtiens eux-mêmes. Les Nations-Unies ont également une position analogue.
RECOMMANDATIONS.-
Après avoir mûrement réfléchi et s’être livrée à une analyse profonde de la situation haïtienne, la Commission, en son âme et conscience, se prononce en faveur de l’existence d’une Armée Nationale aux côtés de la Police Nationale d’Haïti, conformément aux prescriptions de la Constitution de 1987.
Les Forces armées devront pour remplir leur mission comprendre leurs trois composantes, de terre, de mer et de l’air, comme le veut la Constitution. (Nous avons plus de 1.500 kilomètres de côtes à surveiller.)
La Commission insiste par ailleurs sur le fait que le rétablissement des Forces armées ne va pas entraîner du jour au lendemain le retour complet et immédiat de la sécurité, mais que le rétablissement de l’Institution militaire représente au contraire un passage obligé, le premier pas obligatoire dans la bonne direction vers le rétablissement progressif de la sécurité, sécurité sans laquelle rien de durable ne peut être entrepris dans ce pays, dans aucun domaine.
Il faut nous attendre dans le futur au départ inéluctable de la MINUSTAH et préparer notre appareil sécuritaire national en conséquence. Il est utile de rappeler ici qu’avec l’effondrement actuel de la sécurité en Haïti, nous sommes en réalité en train de payer le prix dix ans plus tard, de la décision irresponsable du renvoi des Forces Armées d’Haïti en 1995. Le Premier Ministre Gérard LATORTUE a d’ailleurs lui-même reconnu implicitement cet état de choses dans son discours du 14 juillet 2005.
La Commission voulant pleinement éclairer l’opinion publique formule ici quelques recommandations qu’elle juge opportunes. Elle tient à souligner que la nouvelle armée nationale, compte tenu de ses missions et du nouveau contexte socio-politique du pays, devra être une institution nouvelle essentiellement obéissante qui devra s’inscrire dans le cadre d’un Etat de droit. Il lui sera nécessaire de réaliser une synthèse entre les deux types d’institutions militaires ayant existé en Haïti : l’Armée Indigène (1804-1916) et l’armée issue de l’intervention de 1915. Elle devrait combiner les qualités de ces deux institutions et en minimiser ou éliminer les défauts respectifs. Une résurrection des FADH telles qu’elles existaient et qu’elles fonctionnaient en 1994 ne serait ni possible ni souhaitable. La nouvelle armée évoluera dans un environnement démocratique. Pour ce faire, le prochain Parlement qui, conformément à l’article 111 de la Constitution, légifère sur tous les objets d’intérêt public, devra voter un ensemble de textes de loi. Nous en donnerons pour mémoire une liste non exhaustive :
a) Une loi organique pour un Ministère de la Défense et des Forces Armées, séparé de celui de l’Intérieur, et dirigé par un Ministre civil, pas obligatoirement par un militaire retraité ;
b) Une loi organique fixant les modes d’organisation et de fonctionnement des Forces de terre, de mer et de l’air ainsi que les services techniques, conformément au voeu de la Constitution de 1987, et déterminant leurs attributions et leurs effectifs;
c) Une loi concernant le statut du personnel militaire, homologue dans le domaine militaire, de ce qu’est dans la fonction publique, la loi du 19 septembre 1982 portant statut général de la fonction publique. Cette loi devra clairement indiquer les conditions générales de recrutement, d’avancement, de séparation de service, et fixer le statut exact du personnel officier, sous-officier, et enrôlé ;
d) Une loi sur la discipline générale des armées ;
e) Un Code de justice militaire inspiré du Code de justice militaire haïtien de 1860 ;
f) Une loi déterminant l’uniforme, les grades, les insignes de grades, le style du salut militaire, le protocole en usage dans les Armées de la République.
L’Education civique obligatoire dans toutes les écoles du pays sera une des Missions essentielles de la nouvelle Armée qui redonnera aux Haïtiens leur âme pétrie et tuméfiée par l’occupation étrangère.
Il reviendra à notre Parlement de faire par son oeuvre législative pertinente, de cette troisième Armée haïtienne à naître, la vraie Armée du peuple haïtien. Il est nécessaire que le cadre juridique des nouvelles Forces Armées d’Haïti soit clairement déterminé par le Législateur.
La nouvelle Armée dont la Commission recommande l’établissement, devra répondre à un certain nombre de critères pour répondre au contexte actuel de notre pays et aux nouvelles données de la géopolitique :
1- Elle devra être de la plus petite taille possible compte tenu de la faiblesse de nos moyens financiers ;
2- Elle devra être une armée défensive. Une armée du type défensif coûte immensément moins cher ;
3- Elle devra être une armée nationale, ne pas évoluer en marge de la société, ne pas être perçue comme un corps étranger par l’ensemble des citoyens ;
4- Elle devra être respectueuse de la suprématie du pouvoir civil;
5- Elle ne devra pas, sauf exceptions temporaires et de courte durée, s’occuper de tâches de police, qui sont du ressort ordinaire de la seule PNH, ce, afin de maintenir ses bons rapports avec la population civile ;
La Commission recommande la mise à la retraite régulière de la majorité du personnel des anciennes FADH démobilisées, en particulier les éléments qui ont atteint la limite d’âge, qui approchent cette limite d’âge, qui sont atteints d’incapacités physiques ou sur lesquels pèsent des accusations de violations des droits de l’homme. Un certain nombre d’officiers et de sous-officiers parmi les plus performants, sera conservé en service actif pour constituer le noyau de la nouvelle armée. Le recrutement sera ouvert aux jeunes, à tous les niveaux, officier, sous-officier et soldat. L’Académie Militaire sera rouverte dans les meilleurs délais, et une Ecole de sous-officiers sera créée. La Commission ne saurait assez insister sur le fait que ceux qui seront recrutés pour constituer le personnel de la nouvelle Armée, aient un casier judiciaire vierge et ne soient pas impliqués dans des violations de droits humains, dans des activités criminelles ou délictuelles d’aucune sorte.
La mise à la retraite régulière présente plusieurs avantages :
a) faire disparaître et réduire substantiellement chez le personnel démobilisé les effets de l’humiliation et de l’injustice subie en 1994 ;
b) donner au personnel retraité des moyens de subsistance décents auxquels il a légalement droit ;
c) régler définitivement et administrativement le problème des militaires démobilisés ;
d) garder le personnel retraité aux ordres de l’autorité et sous la main de la justice militaire avec toutes les conséquences de droit ;
Bien entendu, les intéressés pourraient avoir la possibilité de renoncer volontairement au statut de militaire retraité moyennant un dédommagement, mais en pareil cas, ils perdraient les avantages attachés au statut de militaire retraité et ne seraient pas soumis aux devoirs de l’état de militaire.
Pour mettre sur pied cette nouvelle Armée, la Commission recommande de faire appel à l’aide des Etats partenaires habituels d’Haïti : les Etats-Unis, la France, le Canada en particulier; d’une manière générale, les autres pays francophones pourraient également participer à la formation du personnel des trois armes. Tous les pays amis qui voudront bien nous aider, pourraient se partager les tâches dans le processus de reconstruction de nos Forces Armées.
La mise sur pied des nouvelles Forces Armées d’Haïti obéit à un quadruple impératif : historique, constitutionnel, politique et pratique, et d’une manière générale elle répond pleinement à l’intérêt supérieur de la Nation. Il est nécessaire qu’il soit créé le cadre et les conditions optimales pour permettre aux nouvelles Forces Armées d’Haïti, désormais débarrassées des tâches policières, de travailler à gagner le respect et l’amour des citoyens haïtiens qu’elles sont supposées protéger et servir.
La Commission insiste sur le caractère préliminaire de ce Rapport. Désireuse de travailler avec la plus grande ouverture et la plus grande transparence possibles, elle demeure ouverte aux critiques et suggestions de la part du public en vue de modifier ou de compléter son argumentation avant la remise de son Rapport définitif. Il est impératif de souligner que la troisième Armée haïtienne, dont la Commission recommande l’établissement, doit absolument être l’Armée de la Nation tout entière, non celle d’un gouvernement, d’un parti politique, d’un secteur ou d’une faction, de clans, de groupes d’intérêt déterminés ou de puissances étrangères. La Commission, conformément à la volonté des autorités, entend poursuivre l’accomplissement de sa mission jusqu'à l’expiration de son mandat le 7 février 2006 à minuit.
Port-au-Prince ce neuf (9) août deux mille cinq (2005)
Pour la Commission Citoyenne Nationale de Réflexion sur les Forces Armées,
Les Commissaires,
Par :
Me. Osner H. FEVRY Monsieur Maurice LAFORTUNE
Président Vice-Président
Dr. Georges MICHEL Professeur Frantz PIARD
Secrétaire Secrétaire-Adjoint
Prof. Jean-Robert SIMONISE Colonel Himler REBU
Chargé des Relations publiques Chargé des Relations publiques
Dr. Ariel HENRY Mme. Anne-Marie ISSA
Membre Membre
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