jeudi 21 février 2008

Nationalité française en Algérie

L’Algérie française dans la France coloniale : Qui est citoyen ?


Introduction

Comprendre les mécanismes d’attribution de la citoyenneté française dans l’Algérie française, suppose une définition préalable de la citoyenneté. En essayant d’évacuer les glissements de sens (sémantique) et de prendre en compte les évolutions dont l’expression a été l’objet au fil des ans. Polysémique, comme d’ailleurs la plupart des termes couramment utilisés, l’expression citoyenneté n’est pas facilement définissable. «Le même mot se réfère tantôt à une tentative de rendre compte de la réalité observable, de la comprendre ou de l’expliquer, tantôt il est inscrit dans une stratégie visant à modifier cette réalité» avance Marco Martiniello[2]. L’expression porte donc à confusions.

Dans ce devoir (de 7 pages), nous ne saurons mener une étude exhaustive ou approfondie au tour de la citoyenneté en générale, c’est-à-dire en tenant compte des différentes acceptations possibles et les polémiques existant autour du terme. Notre étude se contentera donc : de l’approche de la citoyenneté à travers quelques acceptations –citoyenneté pré-Marshallienne et Marshallienne ; de problématiser les mécanismes d’attribution de la citoyenneté en Algérie –Jus soli, jus sanguinis ; et enfin de rendre compte d’un paradoxe républicain que révèle les pratiques d’attribution de la citoyenne –racisme, européocentrisme- prise, bien sûr, dans un contexte colonial : l’Algérie française.

I/ Citoyenneté : quelques acceptions

Comme nous l’avons précédemment souligné il n’existe pas de définition de la « citoyenneté » faisant l’unanimité « entre les partisans des différentes traditions philosophiques et politiques[3]. ». D’où le caractère problématique de notre sujet et qui mérite délimitation et précision. Pour ce faire nous nous appuyons dans cette première partie essentiellement sur les travaux de T. H. Marshal et de M. Martiniello.

A/ Citoyenneté « pré-Marshallienne »

Quasiment tous les chercheurs s’accordent de l’importance des travaux de T. H. Marshall au tour de la citoyenneté. Ceux-ci portent essentiellement sur la citoyenneté contemporaine. Car contrairement à ce que l’on puisse croire le concept n’est pas récent. Il faut remonter à l’antiquité pour atteindre ses débuts. On est citoyen quand on a la « possibilité » d’apporter sa contribution à l’exercice du pouvoir politique au sein d’une communauté politique dont on fait partie grâce à l’acceptation d’un certain nombre de règlements politiques et au partage de certaines valeurs communément admises au sein de la dite communauté. C’est en tout cas «la base de la citoyenneté[4] .». Ainsi, nous pouvons donc affirmer que la citoyenneté s’exerce dans le cadre d’un « Etat de droit » qui est régit par une sorte d’engagement réciproque entre le gouvernement et le citoyen en vue du respect des conditions susmentionnées. C’est surtout ce mode de citoyenneté « qui concerne exclusivement les relations politiques entre citoyens individuels et l’Etat auquel ils appartiennent[5] » qui va nous intéresser dans le cas de l’Algérie française. Car la conception Marshallienne de la citoyenneté[6] est plus large et s’apparente plus à la citoyenneté du milieu du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui.

B/Citoyenneté Marshallienne

Selon le sociologue britannique, la citoyenneté serait pluridimensionnelle. Elle est un statut conditionné à l’appartenance à part entière à une société donnée. Les bénéficiaires jouissent entre eux de l’égalité en droit et devoir qui y sont associés. Il établit donc trois éléments relatifs à la citoyenneté qui sont les « droits civils, les droits politiques et les droits sociaux[7]. » Nous verrons plus loin si ces éléments ou quelques-uns pourraient être associés au statut des habitants d’Algérie pendant la période 1832-1962.

Les travaux de Marshall ont le mérite de nous montrer la complexité de la notion de citoyenneté. Ils nous permettront, espérons-le, de mieux appréhender les mécanismes d’attribution du « statut » de citoyen dans Algérie française.

II/ Algérie : Mécanismes d’attribution de la Citoyenneté

Dans cette partie nous nous efforcerons d’aborder la question du droit du sol, celui du sang et autre modalité d’attribution de la citoyenneté relevant de la compétence discrétionnaire des administrateurs coloniaux en évitant de tomber dans l’historicité qui n’est pas ici le but de ce devoir.

A/ Jus soli

Toute personne physique, sans distinction aucune, née sur le territoire national, quelque soit la nationalité des parents, a droit à la nationalité française. Ce droit est constitutionnel et est introduit dès 1515 en France[8]. Or en Algérie et dans bien d’autres colonies françaises le droit du sol s’applique en pratique à « géométrie variable ». Il est valable pour les européens nés en Algérie. Cependant les algériens dont les ancêtres furent algériens se voient appliquer le droit du sang (nous en parlerons ultérieurement).

Selon la loi du 14 juillet 1865 : Sénatus-consulte[9], les indigènes algériens musulmans et israélites ont la possibilité de devenir français, mais ils gardent leur « fameux » statut personnel qui fait qu’ils ne sont pas des citoyens comme les français de Métropole (Européens). Pour ce faire ils doivent en faire la demande. Le fait que des demandes ultérieures soient nécessaires en vue de devenir citoyen à part entière, c'est-à-dire jouir des droits de citoyens français établit une « inégalité légale » en fonction de leur race. Bien que ce ne soit pas explicite. Car les maltais et les autres européens « non-français » ne font pas l’objet des mêmes conditions. La république a su ainsi instaurer au moins deux types –ou une citoyenneté à deux vitesse- de citoyenneté suivant que l’on soit algérien né de parents indigènes ou non.

B/Jus sanguinis

Le droit du sang semble être le vrai facteur déterminant pour les Algériens indigènes, musulmans et arabe –car il y a eu différence de traitement entre Berbère et Arabe. Cette différence résulte au fait que le Berbère « est de même origine que nous, il a beaucoup de sang européen[10] ». L’arabe quant à lui est de race inférieure, il vient d’orient.

Cette « race a fait son temps […] au contact des civilisations européennes elle est mortellement frappée[11]. ». Ces conceptions illustrent les vraies raisons qui font que l’indigène arabe ne peut pas être français au même titre que les autres. Il sera un « indigène-citoyen », pour reprendre les termes d’Henri CULMANN. Cette attribution de citoyenneté « à géométrie variable », a pour effet de concéder le choix d’attribuer la citoyenneté ou non aux indigènes algériens musulmans à la compétence discrétionnaire des administrateurs coloniaux qui agissent souvent sur des critères raciaux avec des méthodes européocentristes.

C/ Ni le jus solis, ni le jus sanguinis

Vincent Auriol dans le but de contester une proposition d’Abbas Ferhat (fondateur de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) et élu à l’assemblée constituante en 1946) lui présentant son projet de former une République Algérienne fédérale avance : « vous n’avez jamais été un Etat et on vous a délivrés de la servitude […], vous êtes nourris de notre propre lait et notre propre culture, ainsi que tous ceux qui voudraient aujourd’hui rompre l’unité française. Mais, sans la France, que ferez-vous, que voulez-vous[12] ? ». Cette citation en dit long de la manière dont la France à travers ses administrateurs considère les colonies, particulièrement l’Algérie, et le sens qu’elle donne à sa présence ou sa mission. La France incarne un visage salvateur. La relation qu’elle entretient avec les habitants des colonies n’est pas une relation « Etat-citoyen » mais « Empire-sujet ». Cette considération pourrait expliquer, en partie, pourquoi la citoyenneté n’est pas octroyée aux algériens de « souche ».

L’autre grand handicap est le problème de la civilisation. La république ne saurait réunir des citoyens civilisés et d’autres qui ne le sont pas. C’est pourquoi une condition nécessaire en vue d’accéder à la citoyenneté est le degré de civilisation. Cette civilisation n’est pas relative, elle doit correspondre à la civilisation sacrée et consacrée de l’Europe particulièrement celle de la France. « Ils ne peuvent devenir citoyens à part entière qu’après de longues années d’apprentissage et d’éducation aux valeurs européennes : amour du travail et de la France, obéissance au patron, respect de la hiérarchie[13] ». L’auteur a utilisé, à juste titre, un adjectif relativement vague, imprécis, pour déterminer la période nécessaire à l’accession à la civilisation. Toute la problématique est de déterminer le degré de civilisation standard correspondant au niveau souhaité. On est dans des évaluations purement subjectives.

L’indigène doit fournir des efforts pour devenir civiliser, mais il n’a pas une échelle bien précise mentionnant à partir de quelle graduation le niveau de civilisation est donc atteint. Tout ce qu’il sait c’est qu’il doit devenir comme nous français européens ! Il semble que comme nous l’avons susmentionné le vrai critère est la « race ». C’est-à-dire la morphologie et le degré de « blancheur » de la peau. Car la problématique de l’islam et du « statut personnel » n’est plus pertinente dès lors que « un citoyen français pouvait se convertir à l’islam en gardant sa citoyenneté française et les privilèges qui vont avec[14]. »

III/ Paradoxe Républicain

A/Une assimilation impossible

A la demande de certains indigènes « éclairés[15] » et aussi des rares « républicains[16] » la France n’a de cesse d’afficher sa volonté d’attribuer la citoyenneté aux colonisés. Mais pour ce faire les colonisés doivent s’assimiler[17] c’est-à-dire adopter les valeurs de la civilisation française. Or « on avait généralement une vision « sombre » de l’islam et des musulmans qui faisait que leur intégration et l’acquisition de la citoyenneté était quasiment impossible ». On parle de rejet du « statut personnel » qui passe par le rejet de l’Islam, de leur culture et de la conversion au christianisme. Cependant ce rejet de statut personnel n’est pas applicable au même degré à tous les sujets aspirants à devenir citoyens. Les juifs ont pu devenir français grâce au décret Crémieux. Les européens (Italie, Espagne, Malte,...) ont tous obtenu dans la foulée la citoyenneté française tandis que les musulmans d'Algérie, sont ravalés au statut d'indigène. Les musulmans ne se sont pas uniquement vus refusés la nationalité française, ils sont l’objet de mesure tel que la confiscation de leur terre etc., leur représentation politique est très réduite[18].

B/ Un refus qui se veut Rationnel

Les autorités politiques essayaient de rationaliser leur refus d’attribuer la citoyenneté aux musulmans arabes. Ils avaient pour principal argument « le statut personnel », lié à la polygamie, leurs traditions religieuses, le privilège des mâles dans la succession, qui les aurait empêché d’accéder à la nationalité française. Selon Jaurès cet argument de statut personnel ne tenait pas la route car les indigènes des quatre communes du Sénégal, musulmans compris, ont pu obtenir leur naturalisation. Si les sénégalais ont pu obtenir la nationalité française et le droit de vote c’est dû au fait que cela ne remettait pas en cause la suprématie des « colonistes[19] ».

A vrai dire le terme musulman ne faisait pas strictement référence à la religion musulmane, puisque même après conversion au christianisme les musulmans continuaient de se voir attribuer ce qualificatif. C’est un moyen de rappeler constamment à l’individu ses origines. Ce cas se répète aujourd’hui en France quand il s’agit des gens dont les parents ou les grands parents étaient des travailleurs immigrés. Le qualificatif « immigré de seconde, de troisième génération » constitue, en fait, un stratagème subtil de rappeler aux fils d’immigrés –non blanc surtout- qu’ils ne sont pas des français comme nous, qu’ils ne sont pas des français de « souches[20] », mais des français greffés. Il constitue un réel blocage à une intégration définitive, puisque la personne se voit renvoyée à chaque fois à ses origines lointaines non-françaises[21]. Si le colonisé pouvait devenir blanc, il lui serait plus facile d’accéder à la citoyenneté. Toute la difficulté tient au fait que la « différence » est mal vécue et mal comprise. Paradoxalement l’éternelle différence permet de mieux dominer le dominé.

. C/ Une injustice républicaine

Si l’on partait de la considération que la « colonie [était] le lieu d’expression de la force, de l’arbitraire[22] », il serait d’une importance négligeable de montrer que la France n’a pas respecté le droit des Algériens et certains autres de ses sujets. On n’aurait pas besoin non plus de s’attacher à chercher les mécanismes et les critères de distribution de la citoyenneté en Algérie. On accorderait donc une place de choix « au rapport de force » régissant les mécanismes d’attribution du statut de citoyen. Mais étant donné que la France est une République, « lieu d’expression du peuple souverain[23] », il est donc très important de voir comment la République puisse faire cohabiter des sujets et des citoyens en même temps. La république est fondée sur l’obsession d’une unité raciale qui ne dit pas son nom. N’est-ce pas le Général de Gaulle qui avancé (ultérieurement bien entendu) que « c’est très bien qu’il y ait des français jaunes, des français noirs, des français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France […] la France c’est un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne[24] ». La République s’est construite comme blanche. L’idée de la hiérarchie des races a rythmé la politique coloniale.

Conclusion

Le citoyen en Algérie française est celui qui répond aux critères dont seules les compétences discrétionnaires des administrateurs coloniaux sont réellement aptes à définir. Car le contournement des règlements et des discours se voulant républicains est fréquent. Si l’observateur des pratiques coloniales devait définir les critères d’attribution de la citoyenneté en Algérie, il aurait fait une liste interminable qui, pourtant au fond, pourrait se réduire tout simplement à des critères basés sur la race, la religion et l’européocentrisme.

Comprendre les pratiques coloniales, pourrait mieux nous aider à comprendre le mode de fonctionnement de la société d’aujourd’hui au travers des traitements réservés aux citoyens, travailleurs immigrés ou d’origine. Tel était le but qui nous a poussé à traiter de ce sujet. C’est pourquoi nous aimerions achever notre étude avec la question : « Doit-t-on encore ignorer comment la république a participé à la construction de représentation discriminantes du colonisé, qui se projettent aujourd’hui sur les populations issues de l’immigration ?[25] »



Renald LUBERICE



Bibliographie

- Dominique Colas, Citoyenneté et nationalité, Gallimard, 2004

- Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale, Albin Michel, 2003

- Frantz Fanon, Les damnés de la terre, La Découverte, 2002 (nouvelles éditions)

- Marco Martiniello, La citoyenneté à l’aube du 21e siècle, éd. de l’Université de Liège/Fondation Roi Baudouin

- Carole Reynaud paligot, La République Raciale « 1860-1930 », PUF, 2006

- Leroy-Beaulieu, L’Algérie et la Tunisie, Gallica (téléchargeable sur le site gallica), 1887

Sur la toile

http://users.skynet.be/sky98991/fr/frvouf.htm par Pierre-Yves LAMBERT, (consulté le 16/05/07)

http://www.herodote.net/dossiers/evenement.php?jour=18701024 Joseph Savès (consulté le 26/01/08)

http://encyclopedie.pieds-noirs.info/index.php/D%C3%A9cret_d'application_de_la_loi_du_14_juillet_1865 Titre IV, consulté le 26/01/08



[1] numéro étudiant : 216896

[2] Marco Martiniello, La Citoyenneté à l’aube du 21e Siècle, Les éd. de l’université de Liège

[3] op. Cit. P.10

[4] Barbelet, 1988, cité par M. Martiniello. P. 11

[5] Cité par M. Martiniello

[6] Ou aux citoyennetés puisqu’il va, nous le verrons, la subdiviser en trois catégories : citoyenneté civile, citoyenne politique et citoyenneté sociale. Certains de ses successeurs vont néanmoins le critiquer et essayer d’élargir la citoyenneté au delà du strict cadre étatique. Voir M. Martiniello, op. Cit.

[7] Op. Cit.

[8] Il y a eu des variations dans au fil des ans, suivant que l’Etat ait envie ou pas d’augmenter la taille de la nation française.

[10] Topinard, cité par Carole Reynaud paligot, La République Raciale « 1860-1930 », PUF, 2006. P.59

[11] Mortillet, op. cit.

[12] vincent auriol, journal du septennat, t. I, paris, Armand colin, 1970.

[13] Op. Cit. P. 123

[14] Dominique Colas, Citoyenneté et nationalité, Gallimard, 2004. P. 129

[15] Voir le Mouvement Jeune algérien

[16] Par exemple Jaurès ou Paul Leroy-beaulieu (président de La société française pour la protection des Indigènes des colonies) refusent les pratiques ségrégationnistes

[17] Assimiler pris dans le sens de l’intégration

[18] Voir la loi sur les élections municipales en Algérie de 1884, aussi L’Algérie et la Tunisie, P.289 de Leroy-Beaulieu, 1887

[19] Terme communément admis au XIXe s pour qualifier les « colons » qui était au contraire un terme péjoratif.

[20] Le fait de parler de français de souche suppose l’existence de français greffé !

[21] Tous les descendants d’immigrés n’ont pas le droit à ce rappel, c’est le cas de certains arméniens, d’Italien, d’européens de l’est. Il leur suffit de changer de nom pour faire oublier leur origine étrangère. Ce qui est plus difficile pour les non-blancs.

[22] Françoise Vergès, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, La République coloniale, Essai sur une utopie, Ed. Albin Michel

[23] Op. cit.

[24] Cité par Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, vol. I, Paris, Fayard, 1994.

[25] Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale, Albin Michel, 2003 P. 160

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